Alternatives
Économies d’énergie : la politique de la Ville de Paris
La sobriété et l’efficacité énergétique sont l’un des défis majeurs de la transition énergétique que nous devons nécessairement engager au regard des crises - dérèglement climatique, crise énergétique - qui menacent l’avenir de notre planète. Miser sur la sobriété après des décennies d’inaction est impératif non seulement parce qu’il est urgent de réduire notre empreinte écologique mais également parce que la hausse du prix d’énergies devenues rares frappera d’abord et surtout les plus défavorisés. Cet enjeu doit être pris à bras le corps au plan national comme au plan local, les villes étant les principaux lieux de consommation énergétique et de fantastiques gisements d’économie.
À Paris, la réduction des consommations énergétiques est ainsi l’axe central de la politique que nous menons dans le cadre de notre Plan Climat, adopté en 2007. Ce document fixe des objectifs ambitieux à l’horizon 2020 : - 25 % d’émissions de gaz à effet de serre, - 25 % de consommations énergétiques, et enfin 25 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique du territoire. Concernant le patrimoine de l’administration parisienne, les objectifs sont portés à un niveau de réduction encore plus ambitieux de 30 %.
Le Bilan énergétique du territoire parisien, réactualisé en 2009, montre que les transports et surtout le bâti sont les principaux secteurs consommateurs d’énergie.
Sur les transports, avec la politique engagée dès 2001 visant à diminuer la place de la voiture, à développer une offre alternative (transports en commun, vélo), la transition est engagée. Et les résultats sont là : entre 2004 et 2009, la consommation énergétique liée aux transports de personnes a chuté de 11 %. Cette politique a vocation à se poursuivre avec la prolongation du tramway, la multiplication des pistes cyclables, ou encore la création d’un réseau de transports banlieue-banlieue.
Depuis l’adoption du Plan Climat, nous nous sommes attelés à la diminution des consommations énergétiques du bâti, autre gisement considérable d’économies. Sur les 3 000 équipements publics, une politique de maîtrise globale de la demande en énergie et des actions d’amélioration des installations techniques et des bâtiments a été engagée. Le "chantier" le plus emblématique concerne 600 écoles parisiennes qui vont faire l’objet d’ici 2017 d’un programme de rénovation ambitieux avec comme objectif une réduction de 30 % des consommations énergétiques à l’horizon 2020. Un premier lot de 100 écoles doit être traité d’ici 2013 dans le cadre d’un contrat de partenariat de performance énergétique (CPPE) qui impose au groupement en charge de mener les travaux une obligation de résultat en termes de performances énergétiques.
Côté logements sociaux (220 000 au total à Paris), l’objectif est de rénover thermiquement les 55 000 logements les plus énergivores d’ici 2020. Concrètement, ce sont chaque année 4 500 logements sociaux qui sont rénovés par les bailleurs sociaux avec l’aide de la Ville, soit un cumul d’économies d’énergie générées de 92,4 GWh en 2010.
Il va sans dire qu’en ce qui concerne les constructions neuves - qu’il s’agisse d’équipements publics comme de logements sociaux - la sobriété est dorénavant la règle. Les bâtiments neufs doivent respecter un plafond en terme de consommation d’énergie, soit 50 Kwh/m2/an.
Le véritable challenge auquel nous nous sommes attaqués concerne les 100 000 immeubles privés, qui consomment l’équivalent de la production annuelle de quatre centrales nucléaires. Vis-à-vis du bâti privé, la Ville ne peut avoir qu’un rôle incitatif, à défaut de disposer de pouvoirs plus "contraignants". Nous avons accordé une attention particulière aux 42 000 copropriétés présentes sur le territoire parisien. La multipropriété rend de fait "le passage à l’acte" beaucoup plus complexe. La rénovation de l’ensemble d’un immeuble suppose l’engagement d’un grand nombre de personnes, aux revenus parfois inégaux. Les dispositifs incitatifs nationaux (comme l’éco-prêt à taux zéro, ou "écoPtz") plus adaptés aux monopropriétés, s’avèrent dans ce cas moins décisifs. Mais nous agissons. Depuis 2007, plusieurs dispositifs expérimentaux ont été lancés. Tout d’abord sur l’ensemble du territoire le dispositif "copropriétés objectif climat" (COC) qui propose une prise en charge du diagnostic à hauteur de 70 %, un accompagnement tout au long de la prise de décision par des conseillers info énergie, et une aide à hauteur de 20 % (sous condition de ressources) des travaux réalisés.
Dans le 13ème arrondissement, nous portons un dispositif plus ambitieux qui cible 330 immeubles, soit 25000 logements, particulièrement énergivores. Dans le cadre de l’OPATB (opération programmée d’amélioration thermique des bâtiments), les co-propriétaires bénéficient d’un diagnostic financé à hauteur de 100% et d’une équipe dédiée en permanence sur le terrain.
Nous avons en projet de mettre en place des dispositifs identiques dans d’autres quartiers parisiens. Pour amplifier notre action vis-à-vis de l’ensemble des acteurs du territoire, nous avons créé l’Agence Parisienne du Climat qui pilote dorénavant l’action des conseillers énergie climat en partenariat avec l’Ademe, notamment vis-à-vis des copropriétés parisiennes, mais aussi les entreprises, les artisans et commerçants. Elle a également, et c’est essentiel, une mission spécifique en matière de précarité énergétique qui touche un nombre grandissant de Parisiens. Elle a ainsi été missionnée par la Ville de Paris pour mettre au point un dispositif d’identification et d’accompagnement des précaires énergétiques, qui se traduit notamment par l’organisation de visites à domicile.
Nous travaillons actuellement sur des mécanismes financiers intelligents qui prendraient en compte le long terme. Nous les mettons d’ores et déjà en œuvre pour la rénovation des 600 écoles parisiennes dans le cadre du contrat de performance énergétique ou l’éclairage public, avec comme objectif une réduction des consommations énergétiques de 30 % en 2020. Sur un certain nombre de bâtiments publics, sociaux ou privés, il est rentable à moyen terme d’investir pour réduire la consommation énergétique mais la question de la capacité d’endettement à court terme des propriétaires se pose très vite. L’idée est d’externaliser la dette, prise en charge par une société de tiers investissement qui se rémunère sur les économies d’énergie. C’est un mécanisme "intelligent" mais complexe, sachant que le niveau de rentabilité de l’investissement dépend de l’évolution des prix de l’énergie. Telle est la mission que nous souhaitons voir porter par une société d’économie mixte régionale, qui devrait se constituer début 2012 et à laquelle la Ville de Paris devrait participer aux côtés d’autres départements et intercommunalités franciliens. Cette société aura également vocation à développer la production locale d’énergies renouvelables.
Notre action sur la consommation énergétique du bâti se prolonge dans nos discussions avec les distributeurs d’énergie et notamment ERDF. Lors de la renégociation de l’avenant à la concession liant Paris à ERDF, nous avons exigé que les consommateurs parisiens puissent bénéficier de compteurs "réellement" intelligents, avec des capacités bien supérieures au fameux compteur Linky qu’ERDF entend déployer à marche forcée sur l’ensemble semble des collectivités françaises est loin d’être achevé.
Aujourd’hui, beaucoup reste à faire, par exemple sur le transport de marchandises. Mais la transition est bel et bien engagée. Elle nécessite avant tout de la volonté politique. Avec à la clé un triple bénéfice : environnemental, social mais également économique, puisque cette politique va générer des milliers d’emplois non délocalisables.
Denis Baupin
Maire-adjoint de Paris, chargé du développement durable, de l’environnement et du Plan Climat