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Sortir du nucléaire n°57



Printemps 2013

Alternatives

EWS Schönau : un fournisseur d’électricité antinucléaire

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°57 - Printemps 2013

 Energies renouvelables


En réaction à la catastrophe de Tchernobyl, les citoyens de la petite ville allemande de Schönau ont lutté pour racheter le réseau électrique municipal. Aujourd’hui, leur société citoyenne de production et de distribution d’électricité fournit du courant garanti "sans charbon et sans nucléaire" à plus de 140 000 usagers dans toute l’Allemagne. Nous avons interviewé Eva Stegen, représentante des Établissements Électriques de Schönau (EWS Schönau).



Eva, peux-tu présenter brièvement le parcours qui t’a menée à participer à l’aventure des EWS Schönau ?

Je viens de la Ruhr, une région d’Allemagne très marquée par l’industrie lourde, et j’habite depuis l’année 2000 à Fribourg-en-Brisgau. En tant qu’écolière déjà, j’étais impressionnée par les gens courageux qui s’opposaient à la puissante industrie nucléaire à Brokdorf, Whyl et Kalkar (trois projets de réacteurs nucléaires abandonnés ou jamais mis en service, grâce à la mobilisation populaire, NDLR).

La catastrophe de Tchernobyl m’a fait sortir du refus passif et c’est alors que, avec d’autres citoyens de différents âges et origines sociales, je me suis engagée contre la technologie nucléaire, qui n’a pas seulement englouti des milliards d’euros dans la construction de ruines, mais a aussi ruiné des vies humaines. Pour moi, ces années d’initiatives citoyennes ont été belles et importantes, car j’ai pu voir combien d’énergie peut être libérée par des gens qui tiennent à leurs revendications. C’est aussi un sentiment extraordinaire de se rendre compte que l’action personnelle a vraiment des effets visibles.

Comment et pourquoi l’EWS Schönau s’est-elle développée ?

Après Tchernobyl, une quantité incalculable d’initiatives citoyennes se sont développées. Et l’une de ces initiatives a abouti à une entreprise emblématique qui livre du courant propre à 140 000 usagers dans toute l’Allemagne. Au début, les citoyens de Schönau voulaient "seulement" amener le monopole local de l’électricité à tirer les conséquences de Tchernobyl et à s’engager dans une politique énergétique durable. Mais des revendications aussi simples que des tarifs favorisant les économies d’énergie ou une rémunération adéquate pour la production citoyenne de courant ont été méprisées et ridiculisées. L’idée d’un concours d’économie d’énergie a même été suivie d’une menace de dépôt de plainte.

L’arrogance du pouvoir a en fait permis qu’à Schönau l’impossible se réalise : après des années de lutte et de tracasseries administratives, les Établissements Électriques de Schönau (EWS Schönau) sont devenus le premier fournisseur d’électricité dont les propriétaires sont les citoyens. Le but initial était de fournir du courant propre à Schönau, petite bourgade de 2500 habitants de la Forêt-Noire. Mais la libéralisation du marché allemand de l’électricité a amené les citoyens de Schönau a étendre leur offre dès 1999 et à fournir leur courant rebelle à des opposants au nucléaire dans toute l’Allemagne.

Comment se porte l’EWS Schönau ?

Entre-temps, les EWS Schönau ont grandi. Le fait que l’écologie et l’économie ne sont pas antagoniques, mais qu’au contraire, ensemble elles peuvent se renforcer, a été démontré de nombreuses fois à Schönau. Ursula et Michael Sladek, les co-fondateurs des EWS Schönau, en tant que représentants des nombreux militants sans lesquels ce succès n’aurait pas été possible, ont reçu de nombreux prix, parmi lesquels figurent aussi des prix économiques.

Les EWS Schönau alimentent actuellement 140 000 foyers, industries et artisans, écoles, églises et communes avec du courant propre. Nous ne gérons pas seulement le réseau électrique de Schönau, mais aussi les réseaux de huit communes environnantes. Nous sommes également entrés dans le marché du gaz et gérons là aussi nos deux premiers réseaux. Heureusement, il y a depuis quelque temps en Allemagne une vague de re-municipalisation. Là aussi, les EWS apportent leur contribution, en mettant leur savoir-faire à disposition en tant que partenaire de nouveaux fournisseurs d’énergie régionaux. Dans ce cas, les EWS veillent à ce que les flux financiers quittent le chemin de l’industrie du charbon et du nucléaire pour aller vers celui des énergies nouvelles. De cette façon, les EWS utilisent un joli bouquet de leviers afin de briser en de multiples endroits les structures encroûtées de l’ancien marché de l’énergie.

Peux-tu nous parler de quelques beaux projets énergétiques dans la région ?

Avec l’aide des EWS Schönau, une nouvelle société écologique de distribution d’énergie, la StuttgartENERGIE, est née le 2 février 2013 dans la capitale du Land de Bade-Wurtemberg (dans le sud de l’Allemagne). Ceci est en soi un saut qualitatif, puisque la nouvellement créée StuttgartWerke a d’abord cherché, sur le marché de l’énergie, qui serait un partenaire approprié pour fonder une nouvelle société de distribution d’électricité.

Les EWS Schönau se sont alors déclarés prêts à se mettre à disposition comme partenaire, à condition qu’il soit défini contractuellement que la Stuttgartenergie ne distribue pas de courant provenant du charbon ou du nucléaire, et qu’aucun flux financier n’alimente les groupes du charbon et du nucléaire. Et comme entre-temps, les EWS avaient amassé une expérience précieuse, et avaient une renommée de succès que beaucoup leur enviaient, le conseil municipal de Stuttgart a accepté à une écrasante majorité les sévères exigences des EWS.

Stuttgartenergie, société formée par StadtWerke Stuttgart pour 60 % et par EWS Schönau pour 40 %, propose maintenant du courant propre à la ville de Stuttgart, et ceci pour un prix avantageux : une famille consommant 4000 kWh par an gagne environ 80€ en passant du tarif de base du groupe nucléaire EnBW (Energie Bade-Würtemberg) à celui du nouveau fournisseur écologique.

Que représente Fessenheim pour les gens qui habitent dans la région de Fribourg-en-Brisgau ? Que pense-t-on là-bas de sa sécurité ?

Vos voisins de l’autre rive du Rhin considèrent comme une absurdité que ce réacteur à haut risque ne soit toujours pas arrêté et qu’il soit ainsi joué avec leur santé et leur vie. Certains se frottent les yeux, incrédules, lorsqu’ils lisent que pour un montant se chiffrant en millions, une partie de la dalle du réacteur 1 va être renforcée à la ridicule épaisseur de deux mètres, sachant que le cœur du réacteur de Fukushima 1 a traversé trois mètres de béton en vingt-quatre heures. Nous ressentons comme une insolence de vouloir vendre un tel non-sens comme "concept de sécurité". Soit dit en passant, une insolence venant du groupe EDF, car nous savons faire la différence entre ce groupe et le peuple français.

C’est avec plaisir que nous avons pu constater que, parmi les militants antinucléaires, il existe un travail transfrontalier, et que ceux-ci ont très bien compris comment certains pyromanes, verbaux ou réels, tentent d’enfoncer des coins nationalistes entre voisins afin de briser l’amitié franco-allemande.

Les amis du solaire allemands sont très contents d’avoir pu efficacement soutenir leurs alliés français dans l’installation de nombreuses centrales solaires, et aussi du fait que l’an passé, lors de fins de semaine ensoleillées, le tacot de Fessenheim a dû être coupé à trois reprises du réseau pour cause de surproduction de courant et de manque de demande. Nous nous réjouissons aussi que le tournant de l’énergie citoyenne, en cours en Allemagne depuis le début des années 1990, s’étende de manière marquante en France et dans d’autres pays voisins. Il en va de notre région frontalière comme ailleurs : les gouvernements ne sont jamais à l’avant-garde, ils peinent toujours derrière les engagements citoyens.

Et naturellement, nous nous réjouissons qu’en France aussi, il existe désormais, avec Enercoop, un modèle de distribution de courant écologique permettant de se fournir en courant sans devoir rémunérer les groupes nucléaires.

Propos recueillis par Charlotte Mijeon
Traduction de l’allemand au français par Michel Schmid

Eva, peux-tu présenter brièvement le parcours qui t’a menée à participer à l’aventure des EWS Schönau ?

Je viens de la Ruhr, une région d’Allemagne très marquée par l’industrie lourde, et j’habite depuis l’année 2000 à Fribourg-en-Brisgau. En tant qu’écolière déjà, j’étais impressionnée par les gens courageux qui s’opposaient à la puissante industrie nucléaire à Brokdorf, Whyl et Kalkar (trois projets de réacteurs nucléaires abandonnés ou jamais mis en service, grâce à la mobilisation populaire, NDLR).

La catastrophe de Tchernobyl m’a fait sortir du refus passif et c’est alors que, avec d’autres citoyens de différents âges et origines sociales, je me suis engagée contre la technologie nucléaire, qui n’a pas seulement englouti des milliards d’euros dans la construction de ruines, mais a aussi ruiné des vies humaines. Pour moi, ces années d’initiatives citoyennes ont été belles et importantes, car j’ai pu voir combien d’énergie peut être libérée par des gens qui tiennent à leurs revendications. C’est aussi un sentiment extraordinaire de se rendre compte que l’action personnelle a vraiment des effets visibles.

Comment et pourquoi l’EWS Schönau s’est-elle développée ?

Après Tchernobyl, une quantité incalculable d’initiatives citoyennes se sont développées. Et l’une de ces initiatives a abouti à une entreprise emblématique qui livre du courant propre à 140 000 usagers dans toute l’Allemagne. Au début, les citoyens de Schönau voulaient "seulement" amener le monopole local de l’électricité à tirer les conséquences de Tchernobyl et à s’engager dans une politique énergétique durable. Mais des revendications aussi simples que des tarifs favorisant les économies d’énergie ou une rémunération adéquate pour la production citoyenne de courant ont été méprisées et ridiculisées. L’idée d’un concours d’économie d’énergie a même été suivie d’une menace de dépôt de plainte.

L’arrogance du pouvoir a en fait permis qu’à Schönau l’impossible se réalise : après des années de lutte et de tracasseries administratives, les Établissements Électriques de Schönau (EWS Schönau) sont devenus le premier fournisseur d’électricité dont les propriétaires sont les citoyens. Le but initial était de fournir du courant propre à Schönau, petite bourgade de 2500 habitants de la Forêt-Noire. Mais la libéralisation du marché allemand de l’électricité a amené les citoyens de Schönau a étendre leur offre dès 1999 et à fournir leur courant rebelle à des opposants au nucléaire dans toute l’Allemagne.

Comment se porte l’EWS Schönau ?

Entre-temps, les EWS Schönau ont grandi. Le fait que l’écologie et l’économie ne sont pas antagoniques, mais qu’au contraire, ensemble elles peuvent se renforcer, a été démontré de nombreuses fois à Schönau. Ursula et Michael Sladek, les co-fondateurs des EWS Schönau, en tant que représentants des nombreux militants sans lesquels ce succès n’aurait pas été possible, ont reçu de nombreux prix, parmi lesquels figurent aussi des prix économiques.

Les EWS Schönau alimentent actuellement 140 000 foyers, industries et artisans, écoles, églises et communes avec du courant propre. Nous ne gérons pas seulement le réseau électrique de Schönau, mais aussi les réseaux de huit communes environnantes. Nous sommes également entrés dans le marché du gaz et gérons là aussi nos deux premiers réseaux. Heureusement, il y a depuis quelque temps en Allemagne une vague de re-municipalisation. Là aussi, les EWS apportent leur contribution, en mettant leur savoir-faire à disposition en tant que partenaire de nouveaux fournisseurs d’énergie régionaux. Dans ce cas, les EWS veillent à ce que les flux financiers quittent le chemin de l’industrie du charbon et du nucléaire pour aller vers celui des énergies nouvelles. De cette façon, les EWS utilisent un joli bouquet de leviers afin de briser en de multiples endroits les structures encroûtées de l’ancien marché de l’énergie.

Peux-tu nous parler de quelques beaux projets énergétiques dans la région ?

Avec l’aide des EWS Schönau, une nouvelle société écologique de distribution d’énergie, la StuttgartENERGIE, est née le 2 février 2013 dans la capitale du Land de Bade-Wurtemberg (dans le sud de l’Allemagne). Ceci est en soi un saut qualitatif, puisque la nouvellement créée StuttgartWerke a d’abord cherché, sur le marché de l’énergie, qui serait un partenaire approprié pour fonder une nouvelle société de distribution d’électricité.

Les EWS Schönau se sont alors déclarés prêts à se mettre à disposition comme partenaire, à condition qu’il soit défini contractuellement que la Stuttgartenergie ne distribue pas de courant provenant du charbon ou du nucléaire, et qu’aucun flux financier n’alimente les groupes du charbon et du nucléaire. Et comme entre-temps, les EWS avaient amassé une expérience précieuse, et avaient une renommée de succès que beaucoup leur enviaient, le conseil municipal de Stuttgart a accepté à une écrasante majorité les sévères exigences des EWS.

Stuttgartenergie, société formée par StadtWerke Stuttgart pour 60 % et par EWS Schönau pour 40 %, propose maintenant du courant propre à la ville de Stuttgart, et ceci pour un prix avantageux : une famille consommant 4000 kWh par an gagne environ 80€ en passant du tarif de base du groupe nucléaire EnBW (Energie Bade-Würtemberg) à celui du nouveau fournisseur écologique.

Que représente Fessenheim pour les gens qui habitent dans la région de Fribourg-en-Brisgau ? Que pense-t-on là-bas de sa sécurité ?

Vos voisins de l’autre rive du Rhin considèrent comme une absurdité que ce réacteur à haut risque ne soit toujours pas arrêté et qu’il soit ainsi joué avec leur santé et leur vie. Certains se frottent les yeux, incrédules, lorsqu’ils lisent que pour un montant se chiffrant en millions, une partie de la dalle du réacteur 1 va être renforcée à la ridicule épaisseur de deux mètres, sachant que le cœur du réacteur de Fukushima 1 a traversé trois mètres de béton en vingt-quatre heures. Nous ressentons comme une insolence de vouloir vendre un tel non-sens comme "concept de sécurité". Soit dit en passant, une insolence venant du groupe EDF, car nous savons faire la différence entre ce groupe et le peuple français.

C’est avec plaisir que nous avons pu constater que, parmi les militants antinucléaires, il existe un travail transfrontalier, et que ceux-ci ont très bien compris comment certains pyromanes, verbaux ou réels, tentent d’enfoncer des coins nationalistes entre voisins afin de briser l’amitié franco-allemande.

Les amis du solaire allemands sont très contents d’avoir pu efficacement soutenir leurs alliés français dans l’installation de nombreuses centrales solaires, et aussi du fait que l’an passé, lors de fins de semaine ensoleillées, le tacot de Fessenheim a dû être coupé à trois reprises du réseau pour cause de surproduction de courant et de manque de demande. Nous nous réjouissons aussi que le tournant de l’énergie citoyenne, en cours en Allemagne depuis le début des années 1990, s’étende de manière marquante en France et dans d’autres pays voisins. Il en va de notre région frontalière comme ailleurs : les gouvernements ne sont jamais à l’avant-garde, ils peinent toujours derrière les engagements citoyens.

Et naturellement, nous nous réjouissons qu’en France aussi, il existe désormais, avec Enercoop, un modèle de distribution de courant écologique permettant de se fournir en courant sans devoir rémunérer les groupes nucléaires.

Propos recueillis par Charlotte Mijeon
Traduction de l’allemand au français par Michel Schmid



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