Superphénix
Déconstruction de Superphénix : où en est-on ?
En juin 1997, le gouvernement Jospin décidait d’arrêter définitivement Superphénix, la centrale nucléaire surgénératrice de Creys-Malville (Isère). Un décret du 30 décembre 1998 confirmait cet arrêt.
Voilà maintenant plus de six ans que la déconstruction a été engagée. Avant d’arriver au terme de celle-ci il faut savoir qu’il reste au minimum 20 ans à parcourir…
Voyons ce qu’il en est de cette déconstruction, tant au plan de ce qui a été réalisé que de ce qu’il reste à réaliser. Comme nous le verrons, de gros obstacles restent à surmonter. Cette déconstruction est une grande première en la matière : tout ou presque, est apprentissage et découverte sur le tas.
Et puis, derrière cette déconstruction que nous cache-t-on ? De quoi sera fait l’après Superphénix ? Une chose est sûre : pour EDF, pas question d’abandonner un si beau site….
Une déconstruction qui avance…
Depuis 1998 divers travaux ont été réalisés. Pour l’essentiel, il y a eu :
- Le déchargement des 650 assemblages présents dans le cœur du réacteur et leur entreposage dans la piscine de l’APEC (Atelier Pour l’Entreposage des Combustibles). À l’origine, dans la phase de fonctionnement de Superphénix, cette structure avait été conçue pour entreposer, à titre provisoire, des assemblages combustibles irradiés ou neufs en piscine ainsi que des objets métalliques usés et irradiés en conteneurs.
- La déconstruction des 6 pylônes de 35 m de hauteur et des 5 km de lignes 400 000 volts et des 48 cheminées. La dépose de 1200 m de tuyauteries des circuits eau-vapeur. Au total 950 tonnes d’acier.
- Déconstruction de la salle des machines et du bâtiment des auxiliaires mécaniques. Au total, 15 000 tonnes de matériel ont été ainsi évacuées. A la place est prévu l’installation de deux unités de traitement du sodium (TNA).
- Déconnexion de la ligne 225 000 volts et mise en place d’une nouvelle ligne, enterrée celle-là, de 20 Kvolts chargée de pourvoir aux besoins électriques du chantier (des besoins énormes : l’équivalent de la consommation électrique d’une ville de 20000 habitants….), en particulier pour assurer le maintien à l’état liquide du sodium primaire de l’installation.
- Divers travaux, notamment en vue de préparer et rendre possible la vidange puis le traitement du sodium. Ainsi, les 8 échangeurs ont été vidangés et le sodium correspondant stocké dans des réservoirs isolés et spécialement prévus à cet effet. Le sodium primaire, radioactif, soit 4000 tonnes, se trouve toujours dans la cuve principale. Il y est maintenu à l’état liquide (à 180°, d’où l’importante consommation électrique), sous un ciel de gaz neutre (argon), afin de rendre possible sa vidange ultérieure.
Une déconstruction programmée…
Le décret du 30 décembre 1998 de mise à l’arrêt de la centrale ne couvrait pas la totalité des opérations de démantèlement. Suite à l’enquête publique du printemps 2004, le gouvernement a signé le 20 mars dernier deux décrets d’application définissant les conditions réglementaires de la suite de la déconstruction du réacteur. Le premier de ces décrets concerne le démantèlement complet du réacteur, avec notamment le traitement du sodium et toutes les opérations ultérieures de déconstruction du bâtiment réacteur. Le second autorise l’extension des missions de l’Atelier Pour l’Entreposage du Combustible (APEC) : entreposage des assemblages neufs (à savoir le second cœur fabriqué par la COGEMA, avant que la décision d’arrêter la centrale ne soit prise) ainsi que des blocs de béton issus du traitement du sodium (voir plus bas).
Au total il est encore prévu 20 ans de travaux, qui se décomposent en trois grandes étapes : le traitement du sodium, d’abord, la déconstruction du bloc réacteur ensuite, et la démolition des bâtiments, enfin.
Le traitement du sodium constitue une phase très délicate. Rappelons qu’à l’état liquide le sodium est un produit extrêmement dangereux : il explose au contact de l’eau et s’enflamme au contact de l’air. Au total il y a 5500 tonnes de ce produit à neutraliser : les 4000 tonnes (radioactives) du circuit primaire (cuve) et les 1500 tonnes du circuit secondaire des échangeurs de chaleur.
Ce sodium sera d’abord vidangé, c’est-à-dire acheminé liquide et donc potentiellement très dangereux, par pompage et via des tuyaux “sécurisés”, de ses lieux de stockage actuels- cuve principale (4000 tonnes) et réservoirs isolés annexes (1500 tonnes) - vers l’installation de traitement du sodium (TNA) qui est actuellement en construction dans ce qui était la salle des machines.
Dans un second temps, ce même sodium sera traité en vue de sa transformation en soude. Il le sera grâce à un procédé développé par le CEA. Procédé qui aurait été validé industriellement sur le site de Cadarache en 1993 et qui, par ailleurs, serait actuellement utilisé sur le site de la centrale surgénératrice de Dounreay en Ecosse. Deux lignes de traitement permettront de traiter au total 5 tonnes de sodium par jour, soit 1 825 tonnes par an. Incorporée à du béton comme eau de gâchage, la soude radioactive se retrouvera fixée et confinée sous la forme de blocs de béton. Les 5 500 tonnes de sodium à traiter engendreront 24 000 m3 de soude et au final 36 700 m3 de béton soit 70 000 tonnes…
Afin de laisser s’apaiser la radioactivité de ces blocs et pour permettre également un étalement dans le temps des navettes des nombreux camions chargés de l’évacuation sur un autre site des autres déchets (radioactifs : 25 000 tonnes et autres : 423 000 tonnes) issus de la déconstruction, il est prévu dans un premier stade l’entreposage sur place et sur environ 5 000 m2 de ces blocs.
On ne sait rien, pour l’instant, du lieu de stockage définitif de ces différents déchets à risques générés par cette déconstruction. Ce que l’on sait c’est que leur acheminent vers deux sites à définir par l’ANDRA est prévu au rythme de 20 à 25 transports quotidiens, entre 2008 et 2018, passant à 25-30 au-delà et jusqu’en 2026. Ce qui se traduira par une croissance du trafic routier des routes avoisinantes, la D19 et la N75 notamment, de l’ordre de 9%…
Viendra ensuite, vers 2010, la phase de déconstruction du bloc réacteur qui devrait s’étaler sur une dizaine d’années, soit jusqu’en 2020.
Ensuite et jusqu’en 2025 il est prévu de procéder à la démolition des bâtiments. A lui tout seul, compte tenu de sa taille impressionnante, 80 m de haut et 60 m de diamètre, le bâtiment réacteur (photo ci-jointe) demandera au moins trois ans de travaux…
Au plan de l’emploi, il convient de souligner que ce chantier de déconstruction induit un nombre conséquent d’emplois, même s’il s’avère très inférieur à ce qu’il était au temps de l’exploitation du réacteur (1200 personnes). Actuellement 350 personnes, dont 150 agents EDF regroupés au sein du CIDEN (ingénierie de déconstruction) et 200 agents d’entreprises prestataires, œuvrent à cette déconstruction.
En termes de coûts, cette déconstruction est au total évaluée, selon EDF, à 1 milliard d’euros. Selon Monsieur Montané, l’actuel directeur du chantier cette somme serait bien estimée et déjà provisionnée dans la comptabilité d’EDF. À voir….
Pour les antinucléaires, la victoire est en demi-teinte…
La victoire des opposants à Superphénix n’est encore qu’une victoire en demi-teinte et ceci pour deux raisons essentielles.
Faute d’avoir été pensée et analysée dès la phase même de conception du projet, cette déconstruction est source d’improvisation permanente. Laquelle improvisation, compte tenu de la gravité des problèmes à traiter, n’est pas sans générer une certaine inquiétude.
Ainsi en est-il avec le déchargement et le traitement du sodium, un produit particulièrement dangereux : tout se passe comme si les concepteurs, en faisant le choix du sodium comme fluide caloporteur ne s’étaient nullement préoccupés de savoir ce qu’il adviendrait de ce produit - comment l’extraire de la centrale et qu’en faire ?
Pour l’instant, le démontage du puzzle s’est déroulé sans incidents, ni accidents majeurs. Il faut s’en féliciter, sans pour autant être assuré qu’il continuera à en être ainsi. Il est certain que tant que le sodium n’aura pas été totalement neutralisé, Superphénix demeurera une menace importante pour les habitants de la région.
En marge de cette déconstruction, il faut savoir que la contre-attaque des nucléocrates s’organise.
Ne nous a-t-on pas dit que les assemblages combustibles usagés déchargés du cœur du réacteur et entreposés temporairement dans la piscine de l’APEC, au même titre qu’un second cœur neuf, constituent “une réserve énergétique pour l’avenir”, à l’horizon 2020-2030, en fonction des choix politiques en la matière.
Monsieur Montané, l’actuel directeur du chantier, a même déclaré, lors de la dernière assemblée générale d’AMEN [1] : “le site de Creys-Malville peut très bien, compte tenu de sa grande superficie, accueillir une reconstruction parallèlement à une déconstruction”. Il n’a fait que nous conforter dans l’idée que la probabilité est grande de voir se construire une ou plusieurs autres tranches sur ce site d’un total de 173 ha. EDF, en refusant de se déposséder des terres agricoles situées en bordure du site d’exploitation actuel et confiées, dans l’attente d’une utilisation, en location à des agriculteurs, affiche ainsi clairement la couleur : maintien de l’option d’une ou plusieurs nouvelles tranches nucléaires sur le site.
Il serait imprudent de croire que le livre de l’histoire de la centrale nucléaire Superphénix s’est terminé sur la décision politique de l’arrêter. Un autre chapitre, celui de la déconstruction, une opération délicate et qui peut nous réserver des surprises, reste à écrire.
Il ne faut pas non plus exclure une suite à cette histoire, celle de la nouvelle tranche que l’on se prépare en douce à engager. En somme, la vigilance reste de rigueur.
Contact
AMEN (Après Malville Energies Nouvelles)
Yves François
Annolieu
38510 Morestel
E-mail :
francois.yves@wanadoo.fr
Georges DAVID
georges.david@laposte.net
[1] En juin 2000, à l’initiative d’anti-nucléaires locaux, se mettait en place l’association AMEN (Après Malville les Energies Nouvelles). Laquelle se fixait comme objectif principal d’assurer le suivi du démantèlement de la centrale. Dans cette perspective, une visite du site et des rencontres avec les différents directeurs qui se sont succédés à la tête du chantier depuis 2000 ont été organisées.