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Sortir du nucléaire n°78



Été 2018

Actualités

Débat électrique sur la politique énergétique

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°78 - Été 2018

 Nucléaire et démocratie  Politique énergétique


Un nouvel épisode du feuilleton de la transition énergétique se joue en 2018 avec la publication, d’ici à la fin de l’année, d’une nouvelle “programmation pluriannuelle de l’énergie“, suite au débat public qui s’est tenu de mars à juin 2018. Y verra-t-on des fermetures de réacteurs ? Seule certitude : ce texte sera le reflet des rapports de force entre EDF et le gouvernement.



La “Programmation pluriannuelle de l’énergie“ (PPE), c’est quoi ?

Depuis la loi de transition énergétique de 2015, le ministère en charge de l’énergie doit élaborer et réviser régulièrement une “Programmation pluriannuelle de l’énergie“ (PPE). Publiée fin 2016, la première PPE couvrait les périodes 2016-2018 et 2019-2023. Si les évolutions prévues pour les énergies fossiles et renouvelables étaient détaillées, le volet nucléaire restait dans un flou reflétant l’inaction du gouvernement. Seule la fermeture de Fessenheim était mentionnée, la réduction de la part du nucléaire étant tributaire d’éventuelles décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)… ou d’arrêts temporaires de réacteurs pour travaux !

Nicolas Hulot, qui doit maintenant réviser et préciser la période 2019-2023 et anticiper la période 2024-2028, ne peut plus éluder la réduction de la part du nucléaire à 50% d’ici 2025. Bien qu’inscrite dans la loi, celle-ci fait l’objet de controverses très orchestrées qu’il devra trancher.

Dans la perspective de la rédaction de la nouvelle PPE, le ministère a décidé l’organisation d’un débat public. Du 19 mars au 30 juin 2018, une Commission Particulière du Débat Public (CPDP) a été chargée de recueillir les avis du public sur la politique énergétique. Un site permettait de poser des questions, déposer des avis et consulter des documents. Il répertoriait aussi les événements organisés autour du débat. En parallèle, un questionnaire était proposé, auquel devait répondre un panel de 400 citoyen.nes tiré.es au sort.

Alors, grand moment de démocratie ou opération de communication orientée pour faire avaliser des orientations déjà actées ?

Répartition des filières de production dans les scénario Ampère, Hertz, Volt et Watt à l’horizon 2035

Des scénarios très orientés

Le dossier versé au débat par les services du ministère ne fleurait pas l’objectivité : véhiculant de nombreuses idées reçues, il occultait les enjeux les plus importants. Le risque et le coût du nucléaire y étaient à peine effleurés. La question des économies d’énergie était absente du questionnaire destiné au public. Surtout, le ministère avait choisi de ne verser au débat que des scénarios qui n’atteignaient pas 50% de nucléaire à l’échéance 2025 !

Ceux-ci provenaient d’un exercice de prospective réalisé par Réseau de Transport d’Électricité (RTE) qui, en novembre 2017, avait rendu public cinq scénarios de transition énergétique à l’horizon 2035. Le plus ambitieux du lot, le scénario Watt, postulant l’arrêt des réacteurs à 40 ans, permettait d’en arrêter 52 d’ici 2035. À l’opposé, les scénarios Volt et Ampère n’envisageaient respectivement, à cette échéance, que 9 et 16 réacteurs arrêtés (hors Fessenheim). L’un atteignait les 50% de nucléaire en 2030, l’autre en 2035. De manière hâtive, Nicolas Hulot avait alors décidé de ne retenir que ces deux derniers scénarios, prétextant que les autres entraînaient des émissions de gaz à effet de serre trop importantes. L’échéance de 2025 était donc officiellement présentée comme irréaliste.

En réalité, comme le soulignent plusieurs analyses comme celle de Négawatt, ces cinq scénarios reposaient sur des hypothèses contestables. Outre un potentiel d’économies d’électricité minimisé, ils postulent des exportations d’électricité démesurées et irréalistes. Dans les faits, une fois ces paramètres modifiés, la réduction de la part du nucléaire à 50% d’ici 2025 reste atteignable et climato-compatible. Pour le gouvernement – qui multiplie par ailleurs les feux verts aux projets climaticides –, brandir l’argument du climat était surtout une manière commode d’écarter les scénarios exigeant des fermetures rapides.

Par ailleurs, les scénarios plébiscités par Nicolas Hulot laisseraient fonctionner 19 à 26 réacteurs de 50 ans ou plus à échéance 2035. Outre une augmentation considérable des risques (certains composants non remplaçables n’étaient pas conçus pour durer plus d’une quarantaine d’années), sont-ils simplement concrétisables sur le plan technique et économique, au vu du coût des travaux nécessaires et de l’état désastreux des finances d’EDF ?

Quel sort pour les conclusions du débat ?

Comme pour tout débat public, se pose la question du traitement des différentes contributions dans les conclusions. Quelle synthèse pour les 474 avis exprimés (dont un déferlement de commentaires pronucléaires), les 111 cahiers d’acteur émanant tant de Greenpeace que d’EDF ? Quel rôle pour les 11 000 réponses apportées au questionnaire, notamment celles fournies par les 400 personnes tirées au sort  ? Ces dernières se sont majoritairement montrées opposées à la construction de nouveaux EPR et à la prolongation de réacteurs au-delà de 50 ans. Malgré un dossier biaisé, 44% des membres du panel ont témoigné de leur attachement à l’échéance de 2025. “Ceux qui connaissaient la PPE ont proposé de reporter cet objectif de dix ans, et ceux qui ne la connaissaient pas ont estimé qu’il fallait soit maintenir cet objectif pour 2025, soit ne le différer qu’en 2030“, constate une membre de la CPDP. Une manière de disqualifier l’avis de “simples citoyens“ ?

Surtout, dans quelle mesure les conclusions du débat, publiées en septembre, seront-elles prises en compte dans l’élaboration de la PPE ? En février 2018, le cabinet de Nicolas Hulot avait insinué que ce processus n’était pas tant destiné à effectuer des arbitrages qu’à faire de la “pédagogie“ sur les questions énergétiques ; le texte de la PPE progresserait en parallèle… “Ce n’est pas faire preuve de mauvais esprit que de s’inquiéter d’un calendrier qui verra la publication de la première version de la PPE alors que les conclusions du débat n’auront pas été intégralement rendues“, confirme le président de la CPDP. Au bouclage de cette revue, nous ignorons ce qu’il en sera. On apprend sur le site de la CPDP qu’une “version 1“ de la PPE doit être publiée “au cours de l’été (l’été va jusqu’au 21 septembre  !)“. Elle sera à nouveau soumise à consultation du public à l’automne. À partir de ces avis, le ministère rédigera la version définitive de la PPE qui sera adoptée par décret d’ici au 31 décembre 2018.

Des fermetures connues d’ici la fin de l’année… ou pas

“Je souhaite qu’à la fin de l’année on ait un calendrier précis avec une date précise, un échéancier [et] qu’on sache quels réacteurs et le nombre de réacteurs“, a déclaré Nicolas Hulot à l’issue du débat. Cette déclaration se concrétisera-t-elle ? En effet, le ministre a annoncé avoir demandé à l’ASN quels réacteurs fermer. Or, interrogée par nos soins, celle-ci répond que la politique énergétique n’étant pas de son ressort, elle pourrait seulement se prononcer sur un calendrier fourni par EDF. EDF qui, dans son cahier d’acteur, envisage de ne fermer aucun réacteur (hormis Fessenheim) avant 2029 et souhaite “un engagement rapide [conduisant] à une première mise en service d’une centrale en 2030 ou peu après“ !

Au final, la PPE sera-t-elle rédigée par EDF ? Tout dépendra du rapport de force que l’État (actionnaire à 83%) osera engager avec elle…

Charlotte Mijeon

La participation du Réseau au débat public faisant discussion, et une actualité chargée nous imposant de nous concentrer sur nos sujets prioritaires (Bure, vieux réacteurs, EPR, désarmement nucléaire), nous avons choisi de ne pas produire de cahier d’acteur mais de mettre à disposition des ressources pour celles et ceux qui souhaiteraient intervenir.

La “Programmation pluriannuelle de l’énergie“ (PPE), c’est quoi ?

Depuis la loi de transition énergétique de 2015, le ministère en charge de l’énergie doit élaborer et réviser régulièrement une “Programmation pluriannuelle de l’énergie“ (PPE). Publiée fin 2016, la première PPE couvrait les périodes 2016-2018 et 2019-2023. Si les évolutions prévues pour les énergies fossiles et renouvelables étaient détaillées, le volet nucléaire restait dans un flou reflétant l’inaction du gouvernement. Seule la fermeture de Fessenheim était mentionnée, la réduction de la part du nucléaire étant tributaire d’éventuelles décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)… ou d’arrêts temporaires de réacteurs pour travaux !

Nicolas Hulot, qui doit maintenant réviser et préciser la période 2019-2023 et anticiper la période 2024-2028, ne peut plus éluder la réduction de la part du nucléaire à 50% d’ici 2025. Bien qu’inscrite dans la loi, celle-ci fait l’objet de controverses très orchestrées qu’il devra trancher.

Dans la perspective de la rédaction de la nouvelle PPE, le ministère a décidé l’organisation d’un débat public. Du 19 mars au 30 juin 2018, une Commission Particulière du Débat Public (CPDP) a été chargée de recueillir les avis du public sur la politique énergétique. Un site permettait de poser des questions, déposer des avis et consulter des documents. Il répertoriait aussi les événements organisés autour du débat. En parallèle, un questionnaire était proposé, auquel devait répondre un panel de 400 citoyen.nes tiré.es au sort.

Alors, grand moment de démocratie ou opération de communication orientée pour faire avaliser des orientations déjà actées ?

Répartition des filières de production dans les scénario Ampère, Hertz, Volt et Watt à l’horizon 2035

Des scénarios très orientés

Le dossier versé au débat par les services du ministère ne fleurait pas l’objectivité : véhiculant de nombreuses idées reçues, il occultait les enjeux les plus importants. Le risque et le coût du nucléaire y étaient à peine effleurés. La question des économies d’énergie était absente du questionnaire destiné au public. Surtout, le ministère avait choisi de ne verser au débat que des scénarios qui n’atteignaient pas 50% de nucléaire à l’échéance 2025 !

Ceux-ci provenaient d’un exercice de prospective réalisé par Réseau de Transport d’Électricité (RTE) qui, en novembre 2017, avait rendu public cinq scénarios de transition énergétique à l’horizon 2035. Le plus ambitieux du lot, le scénario Watt, postulant l’arrêt des réacteurs à 40 ans, permettait d’en arrêter 52 d’ici 2035. À l’opposé, les scénarios Volt et Ampère n’envisageaient respectivement, à cette échéance, que 9 et 16 réacteurs arrêtés (hors Fessenheim). L’un atteignait les 50% de nucléaire en 2030, l’autre en 2035. De manière hâtive, Nicolas Hulot avait alors décidé de ne retenir que ces deux derniers scénarios, prétextant que les autres entraînaient des émissions de gaz à effet de serre trop importantes. L’échéance de 2025 était donc officiellement présentée comme irréaliste.

En réalité, comme le soulignent plusieurs analyses comme celle de Négawatt, ces cinq scénarios reposaient sur des hypothèses contestables. Outre un potentiel d’économies d’électricité minimisé, ils postulent des exportations d’électricité démesurées et irréalistes. Dans les faits, une fois ces paramètres modifiés, la réduction de la part du nucléaire à 50% d’ici 2025 reste atteignable et climato-compatible. Pour le gouvernement – qui multiplie par ailleurs les feux verts aux projets climaticides –, brandir l’argument du climat était surtout une manière commode d’écarter les scénarios exigeant des fermetures rapides.

Par ailleurs, les scénarios plébiscités par Nicolas Hulot laisseraient fonctionner 19 à 26 réacteurs de 50 ans ou plus à échéance 2035. Outre une augmentation considérable des risques (certains composants non remplaçables n’étaient pas conçus pour durer plus d’une quarantaine d’années), sont-ils simplement concrétisables sur le plan technique et économique, au vu du coût des travaux nécessaires et de l’état désastreux des finances d’EDF ?

Quel sort pour les conclusions du débat ?

Comme pour tout débat public, se pose la question du traitement des différentes contributions dans les conclusions. Quelle synthèse pour les 474 avis exprimés (dont un déferlement de commentaires pronucléaires), les 111 cahiers d’acteur émanant tant de Greenpeace que d’EDF ? Quel rôle pour les 11 000 réponses apportées au questionnaire, notamment celles fournies par les 400 personnes tirées au sort  ? Ces dernières se sont majoritairement montrées opposées à la construction de nouveaux EPR et à la prolongation de réacteurs au-delà de 50 ans. Malgré un dossier biaisé, 44% des membres du panel ont témoigné de leur attachement à l’échéance de 2025. “Ceux qui connaissaient la PPE ont proposé de reporter cet objectif de dix ans, et ceux qui ne la connaissaient pas ont estimé qu’il fallait soit maintenir cet objectif pour 2025, soit ne le différer qu’en 2030“, constate une membre de la CPDP. Une manière de disqualifier l’avis de “simples citoyens“ ?

Surtout, dans quelle mesure les conclusions du débat, publiées en septembre, seront-elles prises en compte dans l’élaboration de la PPE ? En février 2018, le cabinet de Nicolas Hulot avait insinué que ce processus n’était pas tant destiné à effectuer des arbitrages qu’à faire de la “pédagogie“ sur les questions énergétiques ; le texte de la PPE progresserait en parallèle… “Ce n’est pas faire preuve de mauvais esprit que de s’inquiéter d’un calendrier qui verra la publication de la première version de la PPE alors que les conclusions du débat n’auront pas été intégralement rendues“, confirme le président de la CPDP. Au bouclage de cette revue, nous ignorons ce qu’il en sera. On apprend sur le site de la CPDP qu’une “version 1“ de la PPE doit être publiée “au cours de l’été (l’été va jusqu’au 21 septembre  !)“. Elle sera à nouveau soumise à consultation du public à l’automne. À partir de ces avis, le ministère rédigera la version définitive de la PPE qui sera adoptée par décret d’ici au 31 décembre 2018.

Des fermetures connues d’ici la fin de l’année… ou pas

“Je souhaite qu’à la fin de l’année on ait un calendrier précis avec une date précise, un échéancier [et] qu’on sache quels réacteurs et le nombre de réacteurs“, a déclaré Nicolas Hulot à l’issue du débat. Cette déclaration se concrétisera-t-elle ? En effet, le ministre a annoncé avoir demandé à l’ASN quels réacteurs fermer. Or, interrogée par nos soins, celle-ci répond que la politique énergétique n’étant pas de son ressort, elle pourrait seulement se prononcer sur un calendrier fourni par EDF. EDF qui, dans son cahier d’acteur, envisage de ne fermer aucun réacteur (hormis Fessenheim) avant 2029 et souhaite “un engagement rapide [conduisant] à une première mise en service d’une centrale en 2030 ou peu après“ !

Au final, la PPE sera-t-elle rédigée par EDF ? Tout dépendra du rapport de force que l’État (actionnaire à 83%) osera engager avec elle…

Charlotte Mijeon

La participation du Réseau au débat public faisant discussion, et une actualité chargée nous imposant de nous concentrer sur nos sujets prioritaires (Bure, vieux réacteurs, EPR, désarmement nucléaire), nous avons choisi de ne pas produire de cahier d’acteur mais de mettre à disposition des ressources pour celles et ceux qui souhaiteraient intervenir.



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