Consultation sur le dossier de mise en service de l’EPR de Flamanville
Consultation sur la mise en service : quelques contributions exemplaires
Publié le 31 août 2023
Certains collectifs et individus ont décidé de participer à la consultation lancée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ils ont partagé leur analyse et exprimé leur point de vue sur le dossier de mise en service de l’EPR de Flamanville rendu par EDF. Nous reproduisons ici quelques unes de ces contributions. Pour les rendre visibles, mais aussi parce que c’est une bonne manière de s’informer : pourquoi en l’état le dossier d’EDF n’est pas acceptable, pourquoi l’EPR n’est pas prêt à démarrer, quels problèmes ne sont toujours pas résolus, quels éléments sont encore manquants malgré les milliers de pages du dossier ? De quoi comprendre les raisons de l’opposition à ce projet et pourquoi pas, de quoi s’inspirer pour celles et ceux qui voudraient aussi participer ou tout simplement en parler.
Contribution de Global Chance à la consultation relative à la mise en service du réacteur EPR de Flamanville
L’association Global Chance considère qu’en l’état actuel du dossier présenté sur le site de l’ASN et compte tenu des multiples problèmes, non résolus à ce jour, rencontrés lors de la construction de l’EPR, l’ASN ne doit pas accorder l’autorisation de mise en service du réacteur EPR de Flamanville sollicitée par EDF. Voici les raisons de cette position.
1. Les documents mis à disposition sur le site de l’ASN sont très volumineux (13 000 pages) mais sont globalement non pertinents pour permettre au public de formuler un avis raisonné. Les documents "grand public" n’ont aucun contenu technique sérieux. Les documents "techniques" sont pour beaucoup d’entre eux incompréhensibles en raison notamment de l’occultation récurrente de données : chiffres, phrases entières, tableaux, figures sont "effacés" sous prétexte que la divulgation de ces données porterait atteinte aux secrets protégés. Il eut été raisonnable d’adapter le contenu et la présentation des documents pour les rendre compréhensibles en dépit de l’occultation récurrente de certaines données. Les informations contenues dans les "Documents à consulter" sont anciennes, voire très anciennes. Il n’est pas fait mention, par exemple, des résultats de la "grande visite" conduite par l’ASN au printemps 2023. Le public attend des réponses aux problèmes dont il a eu connaissance au cours de la construction du réacteur.
2. La construction de l’EPR de Flamanville a fait face à de très nombreux problèmes qui ont entraîné un retard considérable de la mise en service (17 ans au lieu de 5 prévus, si la mise en service s’avère possible en 2024) et une augmentation du coût vertigineuse (multiplication par 6 du coût initial de 3,3 milliards d’euros). Les "Documents à consulter" n’informent ni sur les nombreux problèmes rencontrés, les demandes et les réactions des autorités au cours du chantier (IRSN, ASN, Cour des Comptes, etc.), ni sur les solutions qu’EDF a mises en oeuvre pour le "traitement des écarts". Les réponses lénifiantes aux questions de l’Autorité environnementale ("Mémoire de réponse d’EDF à l’Avis de l’Autorité environnementale"), sont loin de répondre aux attentes du public. Soulignons que l’Avis de l’Autorité environnementale ne figure pas dans la liste des "Documents à consulter".
3. Les questions liées à la cuve sont les premières qu’il convient d’évoquer parmi les nombreuses malfaçons constatées au cours de la construction du réacteur. L’ASN a donné son accord pour l’utilisation de la cuve en l’état mais a prescrit le changement du couvercle de cuve en 2024. La mise en service du réacteur ayant été retardée jusqu’en 2024 au mieux, le nouveau couvercle sera alors disponible et devrait donc être installé avant la première divergence du réacteur, comme Global Chance l’a proposé lors de la consultation "Mise en service et utilisation de la cuve du réacteur EPR" (du 13 au 20/04/2023). Mettre en service le réacteur en utilisant le couvercle de remplacement permettrait de recycler facilement l’ancien couvercle, non irradié, et d’éviter les risques d’exposition aux rayonnements des travailleurs. Outre la poursuite d’une situation risquée l’argument économique ne tient pas car il sera plus long et plus cher de remplacer un couvercle irradié.
4. Divulguée par l’ASN le 21 octobre 2021, la détection de fissures sur les circuits d’injection de sécurité et de refroidissement à l’arrêt de plusieurs réacteurs en service a entraîné la mise à l’arrêt de ces réacteurs. Les fissures seraient dues à un phénomène de "corrosion sous contrainte", terme générique qui englobe nombre de facteurs : caractéristiques et sollicitations du matériau, nature du fluide, géométrie, etc., comme Global Chance l’a montré ("Fissures dans des circuits de sauvegarde de réacteurs du parc nucléaire d’EDF - Une analyse historique" - mai 2022). À ce jour aucune explication, donc aucune parade certaine, n’est proposée pour éviter l’apparition de fissures dans les circuits concernés. Il n’est pas raisonnable de mettre en service le réacteur EPR de Flamanville avant d’avoir éclairci cette question.
5. L’EPR de Flamanville est censé bénéficier de l’expérience de trois réacteurs EPR mis en service au cours des cinq dernières années (première divergence de Taishan 1 en 2018, de Taishan 2 en 2019, d’Olkiluoto 3 en 2021). Le retour d’expérience (REX) relatif à ces trois réacteurs est commenté en une page et demie dans le "Mémoire de réponse d’EDF à l’Avis de l’Autorité environnementale" cité, sans le moindre approfondissement des problèmes rencontrés et sans qu’un début de solution appliquée à l’EPR de Flamanville ait été proposée. De plus, le problème majeur qui affecte Taishan 1, à l’arrêt depuis janvier 2023, très vraisemblablement l’oxydation et la desquamation des gaines de crayons combustible (type M5), n’est pas évoqué alors qu’a priori les mêmes crayons constituent le coeur de l’EPR de Flamanville. Le risque est grand de devoir arrêter l’EPR de Flamanville si la nature de la gaine n’est pas modifiée.
6. Les vibrations hydrauliques constatées sur le réacteur Taishan 1 ont pour conséquence l’inétanchéité des gaines de certains éléments combustibles, problème évoqué dans le "Mémoire de réponse d’EDF à l’Avis de l’Autorité environnementale" mais sans présentation de solution convaincante. Cela se traduit par une évolution inquiétante des paramètres radiochimiques. L’arrêt prolongé de Taishan 1 depuis janvier 2023 a peut-être aussi à voir avec la dégradation de la gaine par usure mécanique due à la rupture des ressorts de maintien. Ne pas explorer et mettre au clair cette anomalie expose l’EPR de Flamanville a un arrêt prolongé à courte échéance après sa mise en service.
7. Une erreur de conception du fond de cuve de l’EPR est à l’origine des vibrations hydrauliques. Au-delà de l’usure mécanique des gaines notée ci-dessus, ces vibrations entrainent un phénomène localisé de frottement d’éléments combustibles sur l’enveloppe métallique entourant le coeur et des fluctuations neutroniques qui induisent des contraintes dans le mode de pilotage du réacteur. La conjonction des deux systèmes de pilotage, interne au coeur et extérieur à la cuve, s’avère difficile. L’exploitation normale du réacteur est alors très délicate en raison de l’abaissement des seuils de protection et de surveillance du coeur (arrêts fréquents, nécessité de baisser la puissance de fonctionnement, etc.). Une solution destinée à améliorer l’écoulement hydraulique en entrée du coeur est en cours de développement La mise en place de l’équipement envisagé après une première période d’exploitation de l’installation, alors irradiée, s’avèrera très difficile, voire impossible. Le risque de devoir arrêter définitivement l’exploitation du réacteur bien avant sa durée de vie nominale (60 ans) est élevé. La mise en place du nouveau dispositif avant la divergence du réacteur serait un gage de longévité de l’EPR de Flamanville.
Contribution de Jean-Luc Thierry membre de Global Chance
EDF a déposé une demande d’autorisation de mise en service de l’EPR de Flamanville pour 2024, alors que la création de réacteur a été autorisée en avril 2007. On pourrait s’attendre à ce que la procédure de consultation mise en place par l’Autorité de sûreté nucléaire rende compte clairement des difficultés rencontrées par ce chantier, qui accuse maintenant une douzaine d’années de retard. Par ailleurs, 16 ans après l’autorisation, on pourrait également espérer trouver dans le dossier actuellement soumis au public une actualisation des différentes données soumises en 2006 ainsi qu’une synthèse des différentes modifications apportées à ce réacteur « tête de série ». On souhaiterait de la même manière qu’EDF démontre que l’installation démarrera avec des capacités conformes à ce qui était prévu par l’exploitant. Force est de constater que les documents soumis au public ne permettent pas d’éclaircir ces questions : aucune analyse sérieuse du retour d’expérience du chantier de Flamanville et des chantiers et de l’exploitation des autres EPR dans le monde n’y figure et le démarrage de l’EPR de Flamanville proposé par EDF se ferait dans des conditions d’exploitation et de sûreté dégradées.
Tout d’abord, contrairement à ce qui avait été initialement stipulé très clairement par l’ASN, le démarrage prévu en 2024 se ferait avec un couvercle de cuve dont les propriétés métallurgiques ne sont pas conformes aux normes qu’EDF s’est elle-même fixée. Des modalités de surveillance complexes devront par ailleurs être appliquées à ce composant (classé en exclusion de rupture) qui a fait l’objet de nombreuses reprises de fabrication. Par ailleurs le retour d’expérience des EPR de Taishan a montré que l’hydraulique de la cuve est défectueuse et oblige à réduire la puissance du réacteur en exploitation. Le dispositif de répartition du flux envisagé par EDF pour résoudre cette difficulté cruciale ne pourra dans tous les cas pas être mis en œuvre pour les premiers cycles de fonctionnement du réacteur et il n’est pas sûr que cette modification soit possible, particulièrement sur une cuve déjà irradiée. Les divers incidents sur les réacteurs chinois ont par ailleurs montré des défaillances sur le combustible chargé, identique à celui qui serait utilisé à Flamanville. Les essais sur l’EPR d’Olkiluoto ont également fait apparaître des vibrations anormales de la ligne d’expansion du pressuriseur, ce qui a conduit à l’ajout d’un dispositif pour réduire ces vibrations. On peut également ajouter à cette longue liste de problèmes, les défaillances observées sur les circuits RIS et RRA de réacteurs français d’autres générations qui pourraient se reproduire sur l’EPR faute de pouvoir être expliquées clairement.
Tous ces problèmes et bien d’autres conduisent à se prononcer contre une autorisation de démarrage à un réacteur qui, dès le départ, à la suite de traitement d’exceptions en cascade, ne présente pas des garanties de sûreté satisfaisantes. L’ASN doit refuser d’accorder une autorisation de mise en service du réacteur EPR de Flamanville tant que la preuve n’est pas faite que ces différentes défaillances ont été comprises et résolues.
Jean-Luc Thierry
Contribution de Patrick Maupin - membre de France Nature Environnement
CONTRIBUTION A LA CONSULTATION ASN SUR L’EPR DE FLAMANVILLE
Après examen attentif des documents mis en ligne par l’ASN et compte tenu des nombreux problèmes de construction du réacteur sans solution à ce jour, l’ASN ne doit pas donner un avis favorable à la mise en service de l’EPR. Cet avis est basé sur les arguments suivants :
1 Sur la forme et sur le fond
Le site de l’ASN annonce « Le projet étant soumis à évaluation environnementale, l’avis de l’Autorité environnementale, le mémoire d’EDF en réponse à cet avis et les avis des collectivités territoriales concernées par le projet sont également consultables sur le site Internet de l’ASN. »
Pour autant, si le mémoire d’EDF en réponse à l’avis de l’Autorité environnementale est bien en ligne, celui de l’Autorité environnementale n’est pas présent ce qui oblige les participants à la contribution d’aller sur le site de l’AE pour y trouver cet avis générant ainsi une démarche supplémentaire peu propice à la facilitation de la participation du public.
Par ailleurs, le volume des documents mis en consultation (plus de 13000 pages) n’ouvre pas au public l’accès à des informations pertinentes lui permettant de donner un avis argumenté du fait de l’occultation de très nombreuses données (chiffres, tableaux, figures, etc..) sans doute au motif de la protection de la sécurité publique ou du secret des affaires.
Dès lors la régularité du contenu du dossier de consultation doit être interrogée au regard des dispositions relatives au droit à participation du public tel que fixé par l’article L.120-1 du code de l’environnement qui précise :
II. - La participation confère le droit pour le public :
1° D’accéder aux informations pertinentes permettant sa participation effective ;
2 Sur le fond
1° Les documents mis en consultation souffrent d’un certain nombre d’insuffisances qui ne permettent pas au public d’avoir une vue exhaustive ni sur les problèmes rencontrés dans la construction de l’EPR ni sur la façon dont l’exploitant a pu ou non mettre en œuvre des solutions pour traiter les écarts de conformités.
2° Une incertitude demeure sur le couvercle de cuve souffrant de plusieurs malfaçons et dont l’ASN avait prescrit le changement avant décembre 2024.
La mise en service du réacteur ayant été repoussée en 2024, l’ASN par décision n° 2023-DC-0760 du 16 mai 2023 a autorisé le changement du couvercle après la mise en service du réacteur ce qui devrait conduire à un supplément de dose collective estimé à 200 H.mSv, et à ce que le
couvercle actuel devienne un déchet radioactif.
Alors même comme le dit l’ASN que le remplacement du couvercle de la cuve avant la mise en service du réacteur conduirait à reporter celle-ci d’environ un an, soit un écart modeste par rapport à la mise en service prévue en dernier lieu en octobre 2019 pour un objectif initial de 2012, il est contradictoire notamment pour la protection des personnels de prévoir un changement de couvercle au premier arrêt programmé du réacteur quand l’ASN confirme la conséquence d’un supplément de dose collective de 200 H.mSv.
3° Le retour d’expérience des trois réacteurs mis en service à savoir Taishan 1 et Taishan 2 en 2018-2019 puis Olkiluoto en 2021 est abordé par EDF en une page et demie dans son mémoire (pages 73 et 74) mais notamment pour l’examen des problèmes rencontrés sur l’EPR de Taishan 1, EDF ne fait même pas mention de l’évènement principal à savoir l’oxydation et la desquamation des gaines de crayons combustible alors même que les crayons constituant le coeur de Flamanville sont de même nature que ceux de Taishan.
Pour les crayons de combustible, EDF se contente seulement d’expliquer le phénomène d’inétanchéité des crayons d’assemblage comme un phénomène d’usure mécanique localisé ne concernant qu’un nombre limité d’assemblages.
4° Les avis de l’IRSN rendus conformément à la saisine de l’ASN notamment les avis 2022-00154 du 21 juillet 2022, 2023-00108 du 3 juillet 2023 et 2023-00112 du 17 juillet 2023 comportent de nombreuses réserves sur l’impact du REX des essais physiques des premiers EPR sur la démonstration de sûreté.
Comme le dit l’IRSN, le REX a mis en évidence des fluctuations importantes des signaux mesurés par les chaînes neutroniques qui ont pour origine des fluctuations de débit (FFN) en entrée du coeur.
Et l’IRSN dans son avis du 21 juillet 2022 précise « En tout état de cause, l’IRSN estime que la présence indésirable et non anticipée de FFN est la conséquence d’une anomalie de conception du plenum inférieur des cuves des réacteurs de type EPR ».
En outre, même si l’IRSN admet qu’EDF a développé une démarche d’analyse s’appuyant sur un modèle de simulation de l’impact des FFN, l’IRSN conclut « que les résultats de la démarche susmentionnée ne peuvent constituer une démarche de sûreté pérenne acceptable » tout en pressant EDF « de mettre en œuvre une modification matérielle pérenne permettant d’optimiser l’hydraulique dans le plénum inférieur et de limiter l’ampleur des fluctuations de débit en entrée de coeur ».
Enfin pour les soupapes de sûreté du pressuriseur qui ont fait l’objet de plusieurs avis en 2016, 2018 et 2022, l’IRSN soulève dans son avis 2023-00108 du 3 juillet 2023 de nouvelles exigences au regard de l’évènement survenu sur un autre réacteur EPR, en l’occurrence celui d’Olkiluoto bien que non cité dans l’avis, ayant mis en évidence la présence de dépôts de bore dans les internes des pilotes électriques.
Ainsi, alors qu’EDF s’était engagé à effectuer une inspection des pilotes mécaniques des soupapes de sûreté lors du 2e arrêt pour rechargement du réacteur, l’IRSN presse EDF « d’anticiper cette inspection au premier arrêt pour rechargement et l’étendre à l’ensemble des composants de la soupape pilotée afin notamment de s’assurer de l’absence de dépôt de bore »
En conclusion de cet avis et même si « EDF a apporté des éléments étayés et pertinents afin de mieux caractériser les effets thermiques sur la variation de la pression d’ouverture d’une soupape de sûreté du pressuriseur » l’IRSN estime que « ces éléments devront être corroborés par des essais à fuite calibrée qu’EDF s’est engagé à réaliser en 2025. »
Dès lors, et au final , alors même que l’IRSN reconnaît que :
▸ le report de la date de changement de couvercle après la mise en service du réacteur va conduire à un supplément de dose collective estimé à 200 H.mSv,
▸ certains écarts sont la conséquence « une anomalie de conception du plenum inférieur des cuves des réacteurs de type EPR ».
▸ la preuve de la fiabilité de certains éléments ne pourra être apportée que par des essais qu’EDF s’est engagé à réaliser en 2025. » soit là aussi après la mise en service du réacteur
on ne peut au regard des enjeux de sûreté que représente l’EPR de Flamanville et du retour d’expérience des difficultés qui affectent les EPR déjà installés que donner un avis défavorable à la mise en service de cet EPR.
Patrick MAUPIN
FNE
Contribution de Pierre 37 - membre du Réseau "Sortir du nucléaire"
Contribution de Global Chance à la consultation relative à la mise en service du réacteur EPR de Flamanville
L’association Global Chance considère qu’en l’état actuel du dossier présenté sur le site de l’ASN et compte tenu des multiples problèmes, non résolus à ce jour, rencontrés lors de la construction de l’EPR, l’ASN ne doit pas accorder l’autorisation de mise en service du réacteur EPR de Flamanville sollicitée par EDF. Voici les raisons de cette position.
1. Les documents mis à disposition sur le site de l’ASN sont très volumineux (13 000 pages) mais sont globalement non pertinents pour permettre au public de formuler un avis raisonné. Les documents "grand public" n’ont aucun contenu technique sérieux. Les documents "techniques" sont pour beaucoup d’entre eux incompréhensibles en raison notamment de l’occultation récurrente de données : chiffres, phrases entières, tableaux, figures sont "effacés" sous prétexte que la divulgation de ces données porterait atteinte aux secrets protégés. Il eut été raisonnable d’adapter le contenu et la présentation des documents pour les rendre compréhensibles en dépit de l’occultation récurrente de certaines données. Les informations contenues dans les "Documents à consulter" sont anciennes, voire très anciennes. Il n’est pas fait mention, par exemple, des résultats de la "grande visite" conduite par l’ASN au printemps 2023. Le public attend des réponses aux problèmes dont il a eu connaissance au cours de la construction du réacteur.
2. La construction de l’EPR de Flamanville a fait face à de très nombreux problèmes qui ont entraîné un retard considérable de la mise en service (17 ans au lieu de 5 prévus, si la mise en service s’avère possible en 2024) et une augmentation du coût vertigineuse (multiplication par 6 du coût initial de 3,3 milliards d’euros). Les "Documents à consulter" n’informent ni sur les nombreux problèmes rencontrés, les demandes et les réactions des autorités au cours du chantier (IRSN, ASN, Cour des Comptes, etc.), ni sur les solutions qu’EDF a mises en oeuvre pour le "traitement des écarts". Les réponses lénifiantes aux questions de l’Autorité environnementale ("Mémoire de réponse d’EDF à l’Avis de l’Autorité environnementale"), sont loin de répondre aux attentes du public. Soulignons que l’Avis de l’Autorité environnementale ne figure pas dans la liste des "Documents à consulter".
3. Les questions liées à la cuve sont les premières qu’il convient d’évoquer parmi les nombreuses malfaçons constatées au cours de la construction du réacteur. L’ASN a donné son accord pour l’utilisation de la cuve en l’état mais a prescrit le changement du couvercle de cuve en 2024. La mise en service du réacteur ayant été retardée jusqu’en 2024 au mieux, le nouveau couvercle sera alors disponible et devrait donc être installé avant la première divergence du réacteur, comme Global Chance l’a proposé lors de la consultation "Mise en service et utilisation de la cuve du réacteur EPR" (du 13 au 20/04/2023). Mettre en service le réacteur en utilisant le couvercle de remplacement permettrait de recycler facilement l’ancien couvercle, non irradié, et d’éviter les risques d’exposition aux rayonnements des travailleurs. Outre la poursuite d’une situation risquée l’argument économique ne tient pas car il sera plus long et plus cher de remplacer un couvercle irradié.
4. Divulguée par l’ASN le 21 octobre 2021, la détection de fissures sur les circuits d’injection de sécurité et de refroidissement à l’arrêt de plusieurs réacteurs en service a entraîné la mise à l’arrêt de ces réacteurs. Les fissures seraient dues à un phénomène de "corrosion sous contrainte", terme générique qui englobe nombre de facteurs : caractéristiques et sollicitations du matériau, nature du fluide, géométrie, etc., comme Global Chance l’a montré ("Fissures dans des circuits de sauvegarde de réacteurs du parc nucléaire d’EDF - Une analyse historique" - mai 2022). À ce jour aucune explication, donc aucune parade certaine, n’est proposée pour éviter l’apparition de fissures dans les circuits concernés. Il n’est pas raisonnable de mettre en service le réacteur EPR de Flamanville avant d’avoir éclairci cette question.
5. L’EPR de Flamanville est censé bénéficier de l’expérience de trois réacteurs EPR mis en service au cours des cinq dernières années (première divergence de Taishan 1 en 2018, de Taishan 2 en 2019, d’Olkiluoto 3 en 2021). Le retour d’expérience (REX) relatif à ces trois réacteurs est commenté en une page et demie dans le "Mémoire de réponse d’EDF à l’Avis de l’Autorité environnementale" cité, sans le moindre approfondissement des problèmes rencontrés et sans qu’un début de solution appliquée à l’EPR de Flamanville ait été proposée. De plus, le problème majeur qui affecte Taishan 1, à l’arrêt depuis janvier 2023, très vraisemblablement l’oxydation et la desquamation des gaines de crayons combustible (type M5), n’est pas évoqué alors qu’a priori les mêmes crayons constituent le coeur de l’EPR de Flamanville. Le risque est grand de devoir arrêter l’EPR de Flamanville si la nature de la gaine n’est pas modifiée.
6. Les vibrations hydrauliques constatées sur le réacteur Taishan 1 ont pour conséquence l’inétanchéité des gaines de certains éléments combustibles, problème évoqué dans le "Mémoire de réponse d’EDF à l’Avis de l’Autorité environnementale" mais sans présentation de solution convaincante. Cela se traduit par une évolution inquiétante des paramètres radiochimiques. L’arrêt prolongé de Taishan 1 depuis janvier 2023 a peut-être aussi à voir avec la dégradation de la gaine par usure mécanique due à la rupture des ressorts de maintien. Ne pas explorer et mettre au clair cette anomalie expose l’EPR de Flamanville a un arrêt prolongé à courte échéance après sa mise en service.
7. Une erreur de conception du fond de cuve de l’EPR est à l’origine des vibrations hydrauliques. Au-delà de l’usure mécanique des gaines notée ci-dessus, ces vibrations entrainent un phénomène localisé de frottement d’éléments combustibles sur l’enveloppe métallique entourant le coeur et des fluctuations neutroniques qui induisent des contraintes dans le mode de pilotage du réacteur. La conjonction des deux systèmes de pilotage, interne au coeur et extérieur à la cuve, s’avère difficile. L’exploitation normale du réacteur est alors très délicate en raison de l’abaissement des seuils de protection et de surveillance du coeur (arrêts fréquents, nécessité de baisser la puissance de fonctionnement, etc.). Une solution destinée à améliorer l’écoulement hydraulique en entrée du coeur est en cours de développement La mise en place de l’équipement envisagé après une première période d’exploitation de l’installation, alors irradiée, s’avèrera très difficile, voire impossible. Le risque de devoir arrêter définitivement l’exploitation du réacteur bien avant sa durée de vie nominale (60 ans) est élevé. La mise en place du nouveau dispositif avant la divergence du réacteur serait un gage de longévité de l’EPR de Flamanville.
Contribution de Jean-Luc Thierry membre de Global Chance
EDF a déposé une demande d’autorisation de mise en service de l’EPR de Flamanville pour 2024, alors que la création de réacteur a été autorisée en avril 2007. On pourrait s’attendre à ce que la procédure de consultation mise en place par l’Autorité de sûreté nucléaire rende compte clairement des difficultés rencontrées par ce chantier, qui accuse maintenant une douzaine d’années de retard. Par ailleurs, 16 ans après l’autorisation, on pourrait également espérer trouver dans le dossier actuellement soumis au public une actualisation des différentes données soumises en 2006 ainsi qu’une synthèse des différentes modifications apportées à ce réacteur « tête de série ». On souhaiterait de la même manière qu’EDF démontre que l’installation démarrera avec des capacités conformes à ce qui était prévu par l’exploitant. Force est de constater que les documents soumis au public ne permettent pas d’éclaircir ces questions : aucune analyse sérieuse du retour d’expérience du chantier de Flamanville et des chantiers et de l’exploitation des autres EPR dans le monde n’y figure et le démarrage de l’EPR de Flamanville proposé par EDF se ferait dans des conditions d’exploitation et de sûreté dégradées.
Tout d’abord, contrairement à ce qui avait été initialement stipulé très clairement par l’ASN, le démarrage prévu en 2024 se ferait avec un couvercle de cuve dont les propriétés métallurgiques ne sont pas conformes aux normes qu’EDF s’est elle-même fixée. Des modalités de surveillance complexes devront par ailleurs être appliquées à ce composant (classé en exclusion de rupture) qui a fait l’objet de nombreuses reprises de fabrication. Par ailleurs le retour d’expérience des EPR de Taishan a montré que l’hydraulique de la cuve est défectueuse et oblige à réduire la puissance du réacteur en exploitation. Le dispositif de répartition du flux envisagé par EDF pour résoudre cette difficulté cruciale ne pourra dans tous les cas pas être mis en œuvre pour les premiers cycles de fonctionnement du réacteur et il n’est pas sûr que cette modification soit possible, particulièrement sur une cuve déjà irradiée. Les divers incidents sur les réacteurs chinois ont par ailleurs montré des défaillances sur le combustible chargé, identique à celui qui serait utilisé à Flamanville. Les essais sur l’EPR d’Olkiluoto ont également fait apparaître des vibrations anormales de la ligne d’expansion du pressuriseur, ce qui a conduit à l’ajout d’un dispositif pour réduire ces vibrations. On peut également ajouter à cette longue liste de problèmes, les défaillances observées sur les circuits RIS et RRA de réacteurs français d’autres générations qui pourraient se reproduire sur l’EPR faute de pouvoir être expliquées clairement.
Tous ces problèmes et bien d’autres conduisent à se prononcer contre une autorisation de démarrage à un réacteur qui, dès le départ, à la suite de traitement d’exceptions en cascade, ne présente pas des garanties de sûreté satisfaisantes. L’ASN doit refuser d’accorder une autorisation de mise en service du réacteur EPR de Flamanville tant que la preuve n’est pas faite que ces différentes défaillances ont été comprises et résolues.
Jean-Luc Thierry
Contribution de Patrick Maupin - membre de France Nature Environnement
CONTRIBUTION A LA CONSULTATION ASN SUR L’EPR DE FLAMANVILLE
Après examen attentif des documents mis en ligne par l’ASN et compte tenu des nombreux problèmes de construction du réacteur sans solution à ce jour, l’ASN ne doit pas donner un avis favorable à la mise en service de l’EPR. Cet avis est basé sur les arguments suivants :
1 Sur la forme et sur le fond
Le site de l’ASN annonce « Le projet étant soumis à évaluation environnementale, l’avis de l’Autorité environnementale, le mémoire d’EDF en réponse à cet avis et les avis des collectivités territoriales concernées par le projet sont également consultables sur le site Internet de l’ASN. »
Pour autant, si le mémoire d’EDF en réponse à l’avis de l’Autorité environnementale est bien en ligne, celui de l’Autorité environnementale n’est pas présent ce qui oblige les participants à la contribution d’aller sur le site de l’AE pour y trouver cet avis générant ainsi une démarche supplémentaire peu propice à la facilitation de la participation du public.
Par ailleurs, le volume des documents mis en consultation (plus de 13000 pages) n’ouvre pas au public l’accès à des informations pertinentes lui permettant de donner un avis argumenté du fait de l’occultation de très nombreuses données (chiffres, tableaux, figures, etc..) sans doute au motif de la protection de la sécurité publique ou du secret des affaires.
Dès lors la régularité du contenu du dossier de consultation doit être interrogée au regard des dispositions relatives au droit à participation du public tel que fixé par l’article L.120-1 du code de l’environnement qui précise :
II. - La participation confère le droit pour le public :
1° D’accéder aux informations pertinentes permettant sa participation effective ;
2 Sur le fond
1° Les documents mis en consultation souffrent d’un certain nombre d’insuffisances qui ne permettent pas au public d’avoir une vue exhaustive ni sur les problèmes rencontrés dans la construction de l’EPR ni sur la façon dont l’exploitant a pu ou non mettre en œuvre des solutions pour traiter les écarts de conformités.
2° Une incertitude demeure sur le couvercle de cuve souffrant de plusieurs malfaçons et dont l’ASN avait prescrit le changement avant décembre 2024.
La mise en service du réacteur ayant été repoussée en 2024, l’ASN par décision n° 2023-DC-0760 du 16 mai 2023 a autorisé le changement du couvercle après la mise en service du réacteur ce qui devrait conduire à un supplément de dose collective estimé à 200 H.mSv, et à ce que le
couvercle actuel devienne un déchet radioactif.
Alors même comme le dit l’ASN que le remplacement du couvercle de la cuve avant la mise en service du réacteur conduirait à reporter celle-ci d’environ un an, soit un écart modeste par rapport à la mise en service prévue en dernier lieu en octobre 2019 pour un objectif initial de 2012, il est contradictoire notamment pour la protection des personnels de prévoir un changement de couvercle au premier arrêt programmé du réacteur quand l’ASN confirme la conséquence d’un supplément de dose collective de 200 H.mSv.
3° Le retour d’expérience des trois réacteurs mis en service à savoir Taishan 1 et Taishan 2 en 2018-2019 puis Olkiluoto en 2021 est abordé par EDF en une page et demie dans son mémoire (pages 73 et 74) mais notamment pour l’examen des problèmes rencontrés sur l’EPR de Taishan 1, EDF ne fait même pas mention de l’évènement principal à savoir l’oxydation et la desquamation des gaines de crayons combustible alors même que les crayons constituant le coeur de Flamanville sont de même nature que ceux de Taishan.
Pour les crayons de combustible, EDF se contente seulement d’expliquer le phénomène d’inétanchéité des crayons d’assemblage comme un phénomène d’usure mécanique localisé ne concernant qu’un nombre limité d’assemblages.
4° Les avis de l’IRSN rendus conformément à la saisine de l’ASN notamment les avis 2022-00154 du 21 juillet 2022, 2023-00108 du 3 juillet 2023 et 2023-00112 du 17 juillet 2023 comportent de nombreuses réserves sur l’impact du REX des essais physiques des premiers EPR sur la démonstration de sûreté.
Comme le dit l’IRSN, le REX a mis en évidence des fluctuations importantes des signaux mesurés par les chaînes neutroniques qui ont pour origine des fluctuations de débit (FFN) en entrée du coeur.
Et l’IRSN dans son avis du 21 juillet 2022 précise « En tout état de cause, l’IRSN estime que la présence indésirable et non anticipée de FFN est la conséquence d’une anomalie de conception du plenum inférieur des cuves des réacteurs de type EPR ».
En outre, même si l’IRSN admet qu’EDF a développé une démarche d’analyse s’appuyant sur un modèle de simulation de l’impact des FFN, l’IRSN conclut « que les résultats de la démarche susmentionnée ne peuvent constituer une démarche de sûreté pérenne acceptable » tout en pressant EDF « de mettre en œuvre une modification matérielle pérenne permettant d’optimiser l’hydraulique dans le plénum inférieur et de limiter l’ampleur des fluctuations de débit en entrée de coeur ».
Enfin pour les soupapes de sûreté du pressuriseur qui ont fait l’objet de plusieurs avis en 2016, 2018 et 2022, l’IRSN soulève dans son avis 2023-00108 du 3 juillet 2023 de nouvelles exigences au regard de l’évènement survenu sur un autre réacteur EPR, en l’occurrence celui d’Olkiluoto bien que non cité dans l’avis, ayant mis en évidence la présence de dépôts de bore dans les internes des pilotes électriques.
Ainsi, alors qu’EDF s’était engagé à effectuer une inspection des pilotes mécaniques des soupapes de sûreté lors du 2e arrêt pour rechargement du réacteur, l’IRSN presse EDF « d’anticiper cette inspection au premier arrêt pour rechargement et l’étendre à l’ensemble des composants de la soupape pilotée afin notamment de s’assurer de l’absence de dépôt de bore »
En conclusion de cet avis et même si « EDF a apporté des éléments étayés et pertinents afin de mieux caractériser les effets thermiques sur la variation de la pression d’ouverture d’une soupape de sûreté du pressuriseur » l’IRSN estime que « ces éléments devront être corroborés par des essais à fuite calibrée qu’EDF s’est engagé à réaliser en 2025. »
Dès lors, et au final , alors même que l’IRSN reconnaît que :
▸ le report de la date de changement de couvercle après la mise en service du réacteur va conduire à un supplément de dose collective estimé à 200 H.mSv,
▸ certains écarts sont la conséquence « une anomalie de conception du plenum inférieur des cuves des réacteurs de type EPR ».
▸ la preuve de la fiabilité de certains éléments ne pourra être apportée que par des essais qu’EDF s’est engagé à réaliser en 2025. » soit là aussi après la mise en service du réacteur
on ne peut au regard des enjeux de sûreté que représente l’EPR de Flamanville et du retour d’expérience des difficultés qui affectent les EPR déjà installés que donner un avis défavorable à la mise en service de cet EPR.
Patrick MAUPIN
FNE
Contribution de Pierre 37 - membre du Réseau "Sortir du nucléaire"
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