Qui finance le nucléaire en France ?
Déjà endetté à hauteur de 54,3 milliards d’euros [1], EDF doit trouver les fonds pour :
- l’EPR de Flamanville dont le coût final n’a toujours pas été révélé, alors que le réacteur est couplé au réseau depuis décembre 2024. Si l’estimation de 2006 annonçait un coût de 3,3 milliards, la dernière estimation de la Cour des comptes atteint 23,7 milliards d’euros ; [2]
- les deux EPR d’Hinkley Point, dont la facture pourrait atteindre 45 milliards de livres sterling, soit plus de 50 milliards d’euros [3] ;
- la cinquantaine de milliards prévue pour le « grand carénage » de ses réacteurs en service qui passent le cap des 40 ans d’activité.
À cette somme déjà bien conséquente s’ajoute le coût de la relance du nucléaire avec les EPR2 en projet. Si les 6 premiers réacteurs étaient estimés autour des 51,7 milliards d’euros en 2021 [4], ils coûteraient finalement bien plus cher : 100 milliards d’euros selon Greenpeace [5]. Un chiffre confirmé par Marc Ferracci, le ministre de l’Industrie et de l’Énergie, le 18 février 2025 sur Sud Radio [6].
Face à des têtes de série au retour d’expérience complètement désastreux en termes de malfaçons et de dérapages des coûts et délais de construction [7], les investisseurs ne se bousculent pas [8] pour apporter de l’argent aux projets pharaoniques des EPR2.
C’est donc vers l’État (qui détient depuis juin 2023 l’intégralité du capital d’EDF [9]) que l’exploitant se tourne pour le financement de ses « nouveaux » réacteurs nucléaires et le rafistolage de son parc. Si le gouvernement a récemment signifié que la décision d’investissement pour les six EPR2 sera prise en 2026, il semble déjà vouloir faire les poches des contribuables et des consommateurs d’électricité – même celles et ceux ayant choisi une électricité sans nucléaire – via une hausse inédite des taxes sur l’électricité [10], pour subventionner le kWh nucléaire.
Cependant, au Royaume-Uni, ce seul dispositif s’est avéré insuffisant pour financer les EPR d’Hinkley Point C, malgré un prix prohibitif garanti à EDF. L’État et EDF envisagent donc de faire comme en République tchèque, avec un prêt à taux zéro par l’État.
Problème : non seulement ce dispositif alourdirait le déficit français (car les intérêts seraient à la charge du budget de l’État) alors que la France est déjà en procédure de déficit excessif, mais cela alimenterait également la dette publique qui est déjà la troisième la plus importante de l’UE rapportée au PIB [11]. Avec un tel système, l’État français aggraverait donc ses finances publiques et se retrouverait avec la Commission européenne sur le dos.
Ce 17 mars 2025, un « Conseil de politique nucléaire » (Macron plus quelques nervis du gouvernement) aurait « examiné les grands principes du schéma de financement [...] basé sur un prêt de l’État bonifié couvrant au moins la moitié des coûts de construction » pour les 6 EPR2 en projet [12]. Cela signifie que la place des banques reste prépondérante : l’autre moitié sera nécessairement apportée par une ou des banques, sans compter que le « prêt de l’État bonifié » pourrait très bien se transformer en prêt bancaire à 100 % dont au moins la moitié des intérêts serait prise en charge par le budget de l’État [13].
Ni charbon, ni nucléaire : place au changement !
Face aux actions menées par différentes ONG suivies par de nombreux militantes et militants pour dénoncer le financement des entreprises charbonnières, de nombreuses banques n’ont eu d’autre choix que d’inscrire sur leur liste d’exclusion de financements les plus gros producteurs d’électricité à partir du charbon. Globalement, cela a rendu difficile pour ces entreprises d’obtenir des financements auprès des banques [14], et quand elles en obtiennent, les taux d’intérêt flambent, rendant les projets plus complexes encore à réaliser.
De la même manière [15], il est temps de demander aux banques d’arrêter de financer l’industrie nucléaire et ses projets ! Le changement est possible !
Positionnement des principaux établissements bancaires
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La NEF
Politique d’exclusion du nucléaire civil et militaire (et les financements sont publiés exhaustivement). Ne propose pas encore de compte courant pour les particuliers.
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Crédit Mutuel Maine-Anjou et Basse Normandie
Groupe non exposé au financement des réacteurs mais politiques sectorielles insuffisantes.
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Crédit Mutuel Océan
Groupe non exposé au financement des réacteurs mais politiques sectorielles insuffisantes.
-
BPCE (Crédit coopératif)
Politiques d’exclusion du nucléaire civil et militaire à étendre au niveau des filiales du groupe Crédit coopératif.
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Crédit agricole
Groupe très exposé au financement du nucléaire civil et militaire et dont une argumentation pronucléaire a pu être constatée (politique sectorielle et presse).
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Caisse des dépôts
Groupe très exposé au financement du nucléaire civil et militaire et dont une argumentation pronucléaire a pu être constatée (presse).
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BPCE (hors Crédit coopératif)
Groupe très exposé au financement du nucléaire civil et militaire et dont une argumentation pronucléaire a pu être constatée (documents d’enregistrement universels).
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BNP Paribas
Groupe très exposé au financement du nucléaire civil et militaire et dont une argumentation pronucléaire a pu être constatée (politique sectorielle et presse).
-
AXA
Groupe très exposé au financement du nucléaire civil et militaire.
-
SG
Groupe très exposé au financement du nucléaire civil et militaire et dont une argumentation pronucléaire a pu être constatée (presse).
-
HSBC
Groupe très exposé au financement du nucléaire civil et militaire et dont une argumentation pronucléaire a pu être constatée (politique sectorielle).
-
Crédit Mutuel Alliance fédérale
Groupe très exposé au financement du nucléaire civil et militaire.
-
Crédit Mutuel Arkéa
Groupe très exposé au financement du nucléaire civil et militaire.
Tableau des principaux établissements bancaires et leur implication dans l’industrie nucléaire
Groupe et banques | Construction | Maintenance |
---|---|---|
AXA AXA Banque |
oui | oui |
BNP Paribas BNP Paribas, Hello Bank, Nickel, Sumeria |
oui | oui |
BPCE Banque populaire, La Caisse d’Épargne, Banque palatine, Crédit Coopératif |
oui | oui |
Caisse des dépôts La Banque postale, Ma French Bank, Louvre banque privée |
oui | oui |
Crédit Mutuel Alliance fédérale Crédit Mutuel Alliance fédérale, CIC Nord-Ouest, CIC Sud-Ouest, CIC Ouest, CIC Est, CIC île-de-France, CIC Lyonnaise de Banque, Monabanq |
oui | oui |
Crédit Mutuel Arkéa Crédit Mutuel Arkéa, Fortuneo, Green-Got |
oui | oui |
Crédit Mutuel Maine-Anjou et Basse Normandie Crédit Mutuel Maine-Anjou, Crédit Mutuel Basse Normandie |
non | non |
Crédit Mutuel Océan Crédit Mutuel Océan |
non | non |
Crédit agricole LCL, Crédit agricole, BforBank |
oui | oui |
HSBC HSBC |
oui | oui |
La NEF La Nef |
non | non |
SG Société Générale – SG, BoursoBank, Crédit du nord |
oui | oui |
- Construction : financement du nouveau nucléaire (type EPR, EPR2 ou SMR)
- Maintenance : financement du nucléaire existant (grand carénage, mise aux normes post-Fukushima, etc.)
- Source : documents d’enregistrement universels des groupes bancaires au titre de 2023.
La NEF n’a pas franchi les seuils d’application l’obligeant au reporting de la réglementation taxonomie mais a exclu le nucléaire et publie l’intégralité des prêts qu’elle accorde.
Sources pour le nucléaire militaire : version de février 2025 du rapport "Don’t bank on the bomb" de l’ONG Pax (tableaux des pages 45 à 53 sur 73) et politiques sectorielles des banques.
Notes
[1] Endettement financier net du groupe EDF fin 2024. Source : https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/journalistes/tous-les-communiques-de-presse/resultats-annuels-2024
[2] pages 9 et 28, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250114-La-filiere-EPR%20-une-dynamique-nouvelle-des-risques-persistants_0.pdf
[3] https://www.telegraph.co.uk/business/2025/01/14/sizewell-c-future-doubt-edf-told-prioritise-french-nuclear/ ?
[5] https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2024/03/Rapport-Cout-du-nouveau-nucleaire-linsoutenable-legerete-dEDF-Greenpeace-2024-2.pdf
[6] https://www.vie-publique.fr/discours/297440-marc-ferracci-19022025-sud-radio-politique-industrielle
[8] https://reneweconomy.com.au/cold-turkeys-the-demise-of-nuclear-power-in-australias-aukus-partner-countries/
[11] https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/la-dette-publique-des-etats-de-l-union-europeenne/
[12] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/03/17/reunion-du-4eme-conseil-de-politique-nucleaire
[13] « Le prêt à taux zéro neutralise les intérêts pour EDF, mais l’État doit les compenser à l’établissement financier qui aura accordé le prêt. », https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cion-eco/l17b0462-tiv_rapport-avis.pdf, page 67
[14] https://www.alternatives-economiques.fr/banques-francaises-financent-toujours-charbon-3-autres-infographies/00112780
[15] Et en tirant les leçons des failles dans lesquelles les banques sont susceptibles de s’engouffrer : https://reclaimfinance.org/site/wp-content/uploads/2024/10/Banques-francaises-et-charbon-lart-de-noyer-le-poisson-1.pdf