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EPR de Flamanville : le fiasco industriel

Un réacteur construit pour... savoir construire des réacteurs !

Article publié le 8 août 2016



En 2001, le rapport sur la programmation pluriannuelle des investissements pour la production d’électricité (PPI) reconnaissait explicitement que "le parc nucléaire existant est suffisant pour répondre à la demande" et que "cette situation perdurera jusqu’en 2010. Il n’y a donc pas de besoin de mise en service d’un nouveau réacteur avant cette échéance" [1]. D’autres expertises montraient même qu’aucun nouveau réacteur n’était nécessaire avant le milieu des années 2020 au plus tôt [2].

Et ce décalage n’a fait que s’accentuer : en mai 2014, le directeur de la DGEC (Direction Générale de l’Énergie et du Climat, qui relève du Ministère de l’Environnement) a ainsi déclaré à une commission d’enquête parlementaire sur le nucléaire qu’à l’horizon 2025, les projections de consommation électrique laissent présager d’un "non-besoin" d’une "vingtaine" de réacteurs parmi ceux qui sont déjà en fonctionnement [3].

La France n’avait pas besoin de réacteur EPR pour ses besoins électriques. L’enjeu annoncé était d’anticiper le renouvellement du parc nucléaire français à partir de 2020, en connectant au réseau dès 2011 un premier EPR (celui de Flamanville) en tant que "démonstrateur" d’une nouvelle génération de réacteurs.

Il y avait aussi un autre enjeu, vital pour EDF et Areva : raviver leur compétence en matière de construction de réacteurs nucléaires, après 16 années sans démarrage d’aucun chantier nucléaire en France. Dès 1998, Claude Birraux, dans un rapport à l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Techniques, écrivait : "Au fond, l’EPR vise notamment à maintenir les compétences de l’industrie française et de l’industrie allemande" [4] Trois ans plus tard, le rapport de 2001 sur la PPI pointait la nécessité, pour garder l’option nucléaire ouverte, de "maintenir les compétences du tissu industriel" par la commande d’un EPR [5].

Pendant ce temps, les ingénieurs chinois "siphonnaient" studieusement le savoir-faire hexagonal sur les premiers chantiers nucléaires menés conjointement en Chine par EDF et Framatome, avec des réacteurs de 2e génération de technologie française (les deux réacteurs de Daya Bay construits de 1987 à 1994, et les deux réacteurs de Ling Ao construits de 1997 à 2002) [6]. Pierre-Yves Cordier, représentant du CEA en Chine, indiquait ainsi en mai 2016 que "Le CEA a formé près de 500 ingénieurs chinois depuis 1982", tandis que Jean-Christophe Fournel, ingénieur qui a séjourné 6 ans en Chine, faisait part de son admiration pour les ingénieurs chinois : "Ce sont eux qui nous ont expliqué comment couler du béton plus vite pour construire le radier [le socle] des EPR" [7].

Dans une note interne révélée par Médiapart en mars 2016, des ingénieurs d’EDF notent que "Même si la construction du démonstrateur s’est avérée nettement plus laborieuse que prévue, il est bien en train de jouer son rôle, à savoir (1) mettre au point le modèle EPR ; (2) reconstituer le tissu des compétences industrielles" [8]. Ces ingénieurs appellent à engager une mini-série de 4 à 6 centrales "EPR optimisé" pour "éviter le délitement des compétences patiemment reconstituées depuis 2005". Admirons la logique : il va falloir continuer à construire des EPR... afin de rester capable de construire des EPR.

Et pourtant, le Livre blanc sur l’énergie de 2003 envisageait explicitement la possibilité d’un renouvellement du parc nucléaire à partir de 2020 sans passer par le "démonstrateur" de Flamanville, et envisageait même "le recours à une technologie étrangère, sans doute américaine, si les compétences n’ont pu être gardées au sein d’AREVA et d’EDF." !

Au Royaume-Uni aussi, la volonté de construire deux EPR à Hinkley Point n’est pas uniquement liée aux besoins du pays en électricité. Selon l’analyse de deux universitaires britanniques, Phil Johnstone et Andy Stirling, il s’agit en fait de "ré-activer" le nucléaire civil... pour préserver les capacités industrielles britanniques de conception et de fabrication des réacteurs nucléaires qui propulsent les sous-marins lanceurs de missiles atomiques, et ainsi maintenir la capacité de "dissuasion nucléaire" du pays, qui est déjà la plus faible puissance nucléaire du Conseil de sécurité des Nations-Unies ! [9]


Notes

[1Secrétaire d’État à l’industrie, Programmation pluri-annuelle des investissements de production électrique, Rapport au Parlement, 28 décembre 2001. Cité par Yves Marignac, L’EPR : un choix du passé qui fermerait l’avenir, novembre 2003

[2Global Chance, Quelle place pour les EPR en France dans les 30 ans qui viennent ?, dans Le réacteur nucléaire EPR : un projet inutile et dangereux, Les cahiers de Global Chance n°18, janvier 2004, https://www.global-chance.org/Le-reacteur-nucleaire-EPR-un-projet-inutile-et-dangereux

[3Véronique Le Billon, Nucléaire : le gouvernement lève le tabou de la fermeture de réacteurs, Les Échos, 27 mars 2014, https://www.lesechos.fr/27/03/2014/LesEchos/21656-075-ECH_nucleaire---le-gouvernement-leve-le-tabou-de-la-fermeture-de-reacteurs.htm

[4Claude Birraux, Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires, Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Techniques, juin 1998

[5Cité par Yves Marignac, L’EPR : un choix du passé qui fermerait l’avenir, novembre 2003

[7Hervé Nathan, Nucléaire : les très chers amis chinois d’EDF, Marianne, 9 mai 2016, https://www.marianne.net/nucleaire-les-tres-chers-amis-chinois-edf-100242737.html

[8"Quelles sont les raisons pour décaler le projet d’Hinkley Point C ?", EDF, note interne anonyme, révélée par Médiapart le 30 mars 2016.

En 2001, le rapport sur la programmation pluriannuelle des investissements pour la production d’électricité (PPI) reconnaissait explicitement que "le parc nucléaire existant est suffisant pour répondre à la demande" et que "cette situation perdurera jusqu’en 2010. Il n’y a donc pas de besoin de mise en service d’un nouveau réacteur avant cette échéance" [1]. D’autres expertises montraient même qu’aucun nouveau réacteur n’était nécessaire avant le milieu des années 2020 au plus tôt [2].

Et ce décalage n’a fait que s’accentuer : en mai 2014, le directeur de la DGEC (Direction Générale de l’Énergie et du Climat, qui relève du Ministère de l’Environnement) a ainsi déclaré à une commission d’enquête parlementaire sur le nucléaire qu’à l’horizon 2025, les projections de consommation électrique laissent présager d’un "non-besoin" d’une "vingtaine" de réacteurs parmi ceux qui sont déjà en fonctionnement [3].

La France n’avait pas besoin de réacteur EPR pour ses besoins électriques. L’enjeu annoncé était d’anticiper le renouvellement du parc nucléaire français à partir de 2020, en connectant au réseau dès 2011 un premier EPR (celui de Flamanville) en tant que "démonstrateur" d’une nouvelle génération de réacteurs.

Il y avait aussi un autre enjeu, vital pour EDF et Areva : raviver leur compétence en matière de construction de réacteurs nucléaires, après 16 années sans démarrage d’aucun chantier nucléaire en France. Dès 1998, Claude Birraux, dans un rapport à l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Techniques, écrivait : "Au fond, l’EPR vise notamment à maintenir les compétences de l’industrie française et de l’industrie allemande" [4] Trois ans plus tard, le rapport de 2001 sur la PPI pointait la nécessité, pour garder l’option nucléaire ouverte, de "maintenir les compétences du tissu industriel" par la commande d’un EPR [5].

Pendant ce temps, les ingénieurs chinois "siphonnaient" studieusement le savoir-faire hexagonal sur les premiers chantiers nucléaires menés conjointement en Chine par EDF et Framatome, avec des réacteurs de 2e génération de technologie française (les deux réacteurs de Daya Bay construits de 1987 à 1994, et les deux réacteurs de Ling Ao construits de 1997 à 2002) [6]. Pierre-Yves Cordier, représentant du CEA en Chine, indiquait ainsi en mai 2016 que "Le CEA a formé près de 500 ingénieurs chinois depuis 1982", tandis que Jean-Christophe Fournel, ingénieur qui a séjourné 6 ans en Chine, faisait part de son admiration pour les ingénieurs chinois : "Ce sont eux qui nous ont expliqué comment couler du béton plus vite pour construire le radier [le socle] des EPR" [7].

Dans une note interne révélée par Médiapart en mars 2016, des ingénieurs d’EDF notent que "Même si la construction du démonstrateur s’est avérée nettement plus laborieuse que prévue, il est bien en train de jouer son rôle, à savoir (1) mettre au point le modèle EPR ; (2) reconstituer le tissu des compétences industrielles" [8]. Ces ingénieurs appellent à engager une mini-série de 4 à 6 centrales "EPR optimisé" pour "éviter le délitement des compétences patiemment reconstituées depuis 2005". Admirons la logique : il va falloir continuer à construire des EPR... afin de rester capable de construire des EPR.

Et pourtant, le Livre blanc sur l’énergie de 2003 envisageait explicitement la possibilité d’un renouvellement du parc nucléaire à partir de 2020 sans passer par le "démonstrateur" de Flamanville, et envisageait même "le recours à une technologie étrangère, sans doute américaine, si les compétences n’ont pu être gardées au sein d’AREVA et d’EDF." !

Au Royaume-Uni aussi, la volonté de construire deux EPR à Hinkley Point n’est pas uniquement liée aux besoins du pays en électricité. Selon l’analyse de deux universitaires britanniques, Phil Johnstone et Andy Stirling, il s’agit en fait de "ré-activer" le nucléaire civil... pour préserver les capacités industrielles britanniques de conception et de fabrication des réacteurs nucléaires qui propulsent les sous-marins lanceurs de missiles atomiques, et ainsi maintenir la capacité de "dissuasion nucléaire" du pays, qui est déjà la plus faible puissance nucléaire du Conseil de sécurité des Nations-Unies ! [9]



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