Juillet 2005
Un mensonge d’Etat organisé
Jean-Charles Chatard réside en Corse où il tient une entreprise de presse. Il a produit plusieurs reportages sur la catastrophe de Tchernobyl, allant filmer jusque dans la zone interdite en Ukraine.
Question : Le dernier reportage sur France 2 titrait Mensonge ou négligence d’État ?, avec tout ce que l’on sait désormais, comment peut-on encore envisager de la négligence ? Ne s’agit-il pas véritablement d’un mensonge organisé ?
Jean-Charles Chatard : En fait, il faut savoir que le reportage prêt à diffuser a été livré très tardivement à mes deux consoeurs dEnvoyé Spécial, cest-à-dire le jour même de la diffusion, à 10 heures. Au départ, le titre du film était Tchernobyl : un mensonge détat, mais après de longues et âpres discussions, il nous est apparu nécessaire de rectifier honnêtement le tir en y ajoutant le terme négligence. Dans cette nébuleuse, nous avons eu la sincère conviction que certains ont menti à linsu de leur plein gré et dautres non.
Malgré la mise en place dun mensonge organisé, et ceci chapeauté par certains membres influants du premier gouvernement de cohabitation, sachez quil y a eu aussi une succession dincroyables négligences, de disfonctionnements et dincompétences tout au long de la chaîne de responsabilité, c’est-à-dire de la tête du pouvoir jusquau fonctionnaire lambda en Préfecture .
La principale négligence est davoir fait aveuglement confiance à deux ou trois fonctionnaires de renom qui ont maquillé en toute connaissance de cause des données scientifiques cachant ainsi la vérité sur les retombées nucléaires du nuage de Tchernobyl en France.
Oui, à titre personnel et avec ma longue connaissance du dossier (depuis 1998) , je suis aujourdhui en mesure daffirmer que des politiques et des grands pontes de prestigieuses administrations ont organisé un mensonge détat. Pour deux raisons simples, dune part, il sagissait de préserver les libres circulations et exportations des produits agricoles français au sein de la CEE et dautre part, de maintenir le leadership de lindustrie française du nucléaire dans le monde. Cest donc par réflexe économique que certains irresponsables et délinquants en col blanc ont sacrifié la santé de nos concitoyens français. Vous aurez fait le rapprochement par vous-même, entre ceux qui semblent être les grands absents de mon reportage, et ceux qui par contre, nont pas pris la poudre descampette à lapproche de la caméra .
Vous établissez clairement en tout cas les fausses cartes météo. Qui pouvait agir sur ces services ?
Avec ma consoeur Laurence Jourdan, il nous a semblé crédible que Monsieur Pierre Pellerin, fondateur du SCPRI, c’est-à-dire la principale autorité en matière de sécurité sanitaire des français, avait eu la main mise sur le contenu des cartes présentées et signées les yeux fermés par la météorologie française. Pourtant, à lépoque, ce service de létat ne dépendait pas du Ministère de la santé . Alors que sest-il passé ?
Il y a eu quatre phases :
1) Dès le 29 avril, soit trois jours après lexplosion, les centrales nucléaires et la quasi-totalité des centres CEA situés dans la partie Est de la France ont détecté une forte hausse de la radioactivité ambiante, et de surcroît, dorigine artificielle. De multiples signaux dalarme ont été directement envoyés à Monsieur Pellerin mais celui-ci, en toute connaissance de cause, na rien communiqué aux journalistes et donc aux citoyens français. ( )
2) Le 30 avril, vers 17h, Brigitte Simonetta, journaliste à France 2, vient prendre comme dhabitude des informations au siège de Météo France. Selon ma consoeur, deux types dinformation lui ont été communiqués : les prévisions normales puis un supplément sur la position et lévolution du panache radioactif. Selon Météo France, un anticyclone présent sur la France offrait une véritable barrière de protection et était suffisamment puissant pour repousser les particules radioactives venant de lest de lEurope. De retour, à la rédaction de France 2, cest Paul Nahon, alors directeur de la rédaction qui a proposé de mettre le fameux STOP sur la carte météo du jour. Pourtant, ce soir là, les prévisionnistes de Météo France disposaient des informations de Monsieur Strauss, qui montraient nettement que le panache avait envahi la France. ( )
Quand nous avons posé la question au directeur de Météo-France, Monsieur Labrousse ainsi quà son adjoint, Monsieur Lepas, ceux-ci nous ont juré dur comme fer que la carte des prévisions présentée à Brigitte Simonetta ne provenait pas de Météo France, mais alors de qui ? Sûrement du commis de létat, Monsieur Pellerin, directeur du SCPRI qui communiquait sans arrêt que la France était totalement épargnée par les retombées de Tchernobyl. En fait, par la suite, il a été prouvé que le panache était resté une bonne dizaine de jours au dessus de nos têtes en Corse .
3) Début Mai 86, devant la gravité des faits, Jacques Chirac, informé par son chef de Cabinet, Maurice Ulrich, a pris linitiative dorganiser secrètement une réunion interministérielle à Matignon au cours de laquelle participait lensemble des représentants des services de létat dont Monsieur Labrousse. Au cours de cette réunion, le Directeur de Météo France na jamais eu la possibilité de montrer le méticuleux travail cartographique et les futures prévisions effectués par lun de ses ingénieurs, Monsieur Strauss. Cest à partir de ce moment clef, selon Monsieur Labrousse, que laffaire nétait plus dans les mains de Météo France. Il fallait donc passer par un certain canal, bien plus rassurant, en loccurrence celui de Monsieur Pellerin, Directeur du SCPRI.
4) Par la suite, Monsieur Pellerin a réussi à faire le forcing en imposant des messages rassurants sur les répondeurs de Météo France. Je me souviens très bien quà cette époque, Serge Guardiola, alors jeune ingénieur de Météo France à Ajaccio, avait dénoncé cette situation sans le moindre contrôle de linformation auprès de sa hiérarchie, mais ce fut sans résultat.
Vous y dévoilez, notamment, l’information que la France n’a pas appliqué les directives européennes concernant les taux de radioactivité à surveiller, tous les services concernés étaient-ils au courant pour ces mesures ?
Absolument !!! Le chef de létat, les ministères, les préfectures, les DRASS, les DSV, les services de la répression des fraudes, etc , toute ladministration française était au courant de lampleur de la contamination dans la chaîne alimentaire, tous les services de létat savaient que des produits frais dépassaient largement les normes de commercialisation édictées par la CEE, mais au contraire de nos voisins européens, aucune mesure dinformation au public voire de précaution sanitaire na été prise.
Dès que les premières analyses effectuées dans les denrées alimentaires ont dépassé les normes de commercialisation, lElysée et Matignon ont été tenus informés en direct. Dès lors, un système de rétention dinformation, c’est-à-dire, une sorte danticyclone ministériel avec laccord de Matignon sest mis en place et a vu le jour grâce au travail de sape de sept ministères : intérieur, santé, industrie, agriculture, environnement, économie et affaires étrangères.
Le professeur Pellerin semble le personnage central de cette organisation du mensonge... croyez-vous qu’il soit général ou simple soldat ?
Il me paraît clair quil a été lun et lautre. Dabord, un bon général quand il a fallu taire la situation catastrophique de la contamination présente sur lensemble du territoire ; ce qui permettait ainsi dassurer la pérennité de la production agricole et du programme nucléaire. Puis un simple soldat pour des ministres irresponsables, qui dès les premières heures de la crise sen sont servis habilement, et qui, par la suite, se sont clairement défaussés sur lui !!!
Il est évident que de nombreux ministres ont pêché, au moins par incompétence et négligence... mais vu les informations qui filtraient malgré tout à l’époque, croyez-vous qu’ils n’aient été que incrédules ou négligents ?
( ) Pour répondre à votre question, je dirais incrédules et négligents au départ puis par la suite très conscients dans leur prise de décision.
Pourquoi la vérité a-t-elle été cachée ?
Cétait essentiellement afin de ne pas affoler la population française. Pourquoi ? Très clairement : une histoire dargent et une culture du secret héritée du nucléaire militaire. Certains ont trouvé convenable de sacrifier partiellement la santé des Français au détriment du prestige et des intérêts financiers de lagriculture et de lindustrie française.
Article paru dans Arriti (magazine Corse) - Mai 2005
Si vous souhaitez obtenir une copie sur DVD du reportage diffusé dans l’émission Envoyé spécial, Tchernobyl et la France : mensonge ou négligence d’Etat ? diffusée sur France 2, le jeudi 12 mai à 20 h 50., merci de faire parvenir un chèque de 35 euros, port compris, à la société (indépendante) qui a produit le document : Corse TV, 40 boulevard Paoli, 20200 BASTIA - Chèque à l’ordre de Corse TV.