Scandale des malfaçons et des falsifications dans les usines Areva NP : la saga continue
Le 7 avril 2015, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rendait publique une anomalie dans la composition de l’acier de la cuve du réacteur EPR en construction à Flamanville. Deux processus majeurs étaient alors lancés : d’une part, la recherche, sur d’autres composants des réacteurs EDF, d’anomalies techniques similaires, recherche qui conduisit à identifier 18 réacteurs dont les générateurs de vapeur présentaient un défaut semblable ; d’autre part, des revues de la qualité des pièces fabriquées dans les usines Areva NP, qui révélèrent de nombreuses irrégularités dans les dossiers de fabrication de pièces installées dans les centrales nucléaires françaises.
La communication laborieuse du rapport d’audit d’Areva
Dans la revue Sortir du nucléaire n° 72, l’article en page 16 relatait la véritable guérilla juridique des associations pour obtenir communication du rapport d’audit réalisé par Lloyd’s Register Apave entre mai et septembre 2015 à l’usine Creusot Forge d’Areva. En novembre 2016, la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) émettait un avis favorable à la communication du rapport, laissant à l’ASN le soin d’apprécier les éléments relevant du secret industriel et commercial. Fortes de cet avis, les associations avaient de nouveau demandé à l’ASN la communication dudit document ; ce qu’elle fit, envoyant une version numérique totalement non censurée du rapport d’audit. Toutefois, cet envoi était une erreur de l’ASN qui s’est alors empressée d’envoyer une version papier partiellement caviardée. Vous trouverez, sur notre site, l’intégralité du rapport non grisé en téléchargement, rapport qui interroge clairement les pratiques et le fonctionnement de l’entreprise… Mais cet audit n’était qu’un début, l’ASN demandant à Areva de le compléter en remontant au moins jusqu’en 2004. Depuis, une inspection multinationale a eu lieu à Creusot Forge fin 2016.
Saisine du Parquet de Paris suite à la plainte des associations sur Fessenheim 2
Le travail de recherche mené par l’ASN sur d’autres composants des réacteurs EDF, d’anomalies techniques similaires à celles détectées sur la cuve de l’EPR de Flamanville, a permis de révéler qu’EDF et Areva NP avaient connaissance d’une irrégularité grave sur l’un des générateurs de vapeur du réacteur 2 de Fessenheim. Le 14 octobre 2016, sept associations portaient plainte notamment pour usage de faux et mise en danger de la vie d’autrui. Le pôle santé du Parquet de Paris a été saisi du dossier. Une enquête est en cours.
Les transports aussi impactés, la Fédération SUD-Rail monte au créneau
Le 15 novembre 2016, l’ASN publiait une lettre de suite d’inspection, dans laquelle elle pointait des "irrégularités de plusieurs types" dans le processus de fabrication des emballages de transports radioactifs. Étaient de nouveau en cause le taux de carbone et la falsification de dossiers de fabrication de pièces défectueuses composant ces emballages. Aux côtés du Réseau, le syndicat SUD-Rail a publié un communiqué le 3 février 2017, réclamant un moratoire et exigeant l’arrêt de la circulation des convois radioactifs tant que la liste des emballages concernés n’aura pu être établie et les risques d’autres malfaçons écartés.
Inspection à l’usine Creusot Forge : l’ASN tape sur les doigts du mauvais élève Areva
Une inspection de l’ASN a eu lieu à l’usine Creusot Forge sur le thème "Contrôle de la fabrication des équipements nucléaires". Vaste sujet ! Tellement vaste d’ailleurs que l’inspection a duré toute une semaine et qu’elle était internationale, à l’image des ramifications de cette affaire. Et il reste encore tellement à faire pour redresser la barre que le rapport d’inspection, publié deux mois plus tard, ne fait pas moins de 14 pages (contre 4 en moyenne). Dans ce rapport, le gendarme du nucléaire demande à Areva de très nombreuses actions correctives. Si l’exploitant a soumis à l’ASN un plan d’actions pour rétablir la qualité dans son usine du Creusot durant l’été 2016, les inspecteurs considèrent que ce plan doit être adapté et complété.
Tout d’abord, l’analyse des causes qui ont conduit aux irrégularités est largement incomplète : les raisons pour lesquelles certaines irrégularités n’ont pas été détectées n’ont pas du tout été étudiées. Sans l’analyse de ces causes, de nouvelles irrégularités peuvent advenir. En d’autres termes, le problème n’est pas résolu. Et comme cette analyse des causes, couplée à la revue de dossiers réalisée par Lloyd’s Register Apave (LRA), sert à définir la démarche d’amélioration… les améliorations sont forcément incomplètes !
En parallèle, la revue LRA ne permettait pas (au stade où elle en était lors de l’inspection) de conclure sur la conformité du système qualité. Les inspecteurs n’ont même pas eu accès au rapport de cette revue. Il est donc impossible d’avoir identifié toutes les causes des irrégularités. Et si toutes les causes ne sont pas identifiées, il est impossible de définir toutes les actions correctives et préventives nécessaires. Les éléments sur lesquels Areva s’est basée pour définir son plan "qualité" sont incomplets, voire même biaisés. Areva veut faire croire qu’elle a défini un plan solide, alors même qu’elle n’a pas identifié toutes les actions à mettre en place pour corriger ses défaillances !
Mais l’entreprise pèche aussi dans la mise en œuvre et le suivi de ce plan. L’efficacité de certaines actions n’est pas évaluée, les changements induits ne sont pas identifiés, leurs impacts ne sont pas étudiés. La charge de travail supplémentaire engendrée n’a absolument pas été prise en compte, et le personnel, déjà en sous-effectif, ne se voit pas allouer les ressources supplémentaires nécessaires. De même, si l’entreprise a bien prévu de mettre en place un système de surveillance interne, avec des inspecteurs chargés de mener une revue exhaustive des dossiers des pièces fabriquées depuis 2004, les modalités d’organisation et la méthodologie de cette revue sont floues. Les guides que doivent suivre les inspecteurs ne sont pas complets, il y manque des vérifications essentielles pour garantir l’intégrité des pièces. D’ailleurs ces guides ne sont pas adaptés aux spécificités des processus de fabrication de l’usine, Areva ayant simplement repris ceux qu’elle utilise de façon générique pour surveiller ses fournisseurs. Les critères de qualification de ses inspecteurs ne sont pas définis, pas plus que ne l’est celle de leur superviseur. Et, cerise sur le gâteau, cette surveillance ne couvre pas la détection des fraudes ! Les premières irrégularités ont été découvertes en février 2016, elles mettent en lumière des pratiques "inacceptables" (dixit l’ASN), mais un an plus tard, toujours rien n’est fait pour détecter les pratiques frauduleuses en vigueur dans cette usine.
Au-delà des contrôles et des améliorations, au-delà des limites et des écueils du plan qualité qu’Areva a "défini", c’est toute la culture de qualité et de sûreté qui est à revoir. Son niveau n’a même pas été évalué. D’ailleurs aucun critère de mesure de la culture qualité et sûreté n’a été défini, donc aucune preuve qu’elle est d’un niveau acceptable. Une campagne de sensibilisation a été menée auprès du personnel, mais son efficacité laisse des doutes : le renforcement des compétences techniques des opérateurs et coordinateurs est encore largement insuffisant et les principes de cette culture qualité et sûreté nucléaire ne sont pas relayés à tous les niveaux de management.
Analyses et surveillance incomplètes, méthode et moyens mis en œuvre pour la revue des dossiers remis en question, culture de qualité et de sûreté défaillante… Areva veut faire croire qu’elle a corrigé le tir et qu’elle maîtrise la fabrication des équipements sous pression nucléaire, mais en réalité elle en est encore très loin.
Marie Frachisse et Laure Barthélemy