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Programmation pluriannuelle de l’énergie

Programmation Pluriannuelle de l’Énergie : des choix irresponsables qui préparent une situation dangereuse

Article publié le 29 janvier 2019



Le vendredi 25 janvier, le gouvernement a rendu public le dossier qui servira de base au décret de Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE). Comme il fallait s’y attendre, sous couvert de « pragmatisme » et d’ « innovation », ce projet prépare une dangereuse prolongation du fonctionnement de la filière nucléaire, qui risque également de mener à des situations énergétiques absurdes.



Une prolongation du fonctionnement des installations au mépris des risques

Plutôt qu’un plan de fermeture de réacteurs, cette PPE constitue en fait un vaste plan de prolongation de leur fonctionnement. S’il est prévu de fermer 14 réacteurs à l’échéance 2035, le corollaire est que les 44 restants verraient leur fonctionnement se poursuivre au moins jusqu’à leur cinquième visite décennale – soit, en raison du retard pris par EDF S.A. pour ces examens, bien au-delà des 50 ans de fonctionnement effectif [1]. Certains seraient même destinés à fonctionner jusqu’à leur sixième visite décennale !

Une telle proposition nécessitera des investissements extrêmement importants et des travaux inédits pour remplacer les composants arrivés en bout de course. EDF S.A. en a-t-elle les moyens ? Et au vu des difficultés actuellement rencontrées sur les chantiers en cours, dispose-t-elle des compétences nécessaires ? Bernard Doroszczuk, nouveau président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a d’ailleurs fait part d’un "sérieux doute sur la capacité de la filière à réaliser de gros travaux pour permettre à certaines installations de poursuivre leur fonctionnement"...

Surtout, cette prolongation est bien hasardeuse du point de vue de la sûreté. Si certains équipements peuvent être remplacés ou réparés, d’autres, comme les cuves, ne sont pas prévus pour fonctionner plus d’une quarantaine d’année et ne sont pas remplaçables. Les enceintes de confinement en béton atteignent aussi leurs limites. Par ailleurs, on sait maintenant que de nombreux défauts qui n’avaient pas été déclarés à l’origine affectent le parc nucléaire (le dernier décompte, portant sur 42 réacteurs, fait état de 1775 anomalies). Quelle sera la tenue au vieillissement de ces pièces qui ne présentent pas les caractéristiques initialement attendues en termes de sûreté ?

Mais EDF S.A., pour qui une journée d’arrêt de réacteur représente un manque à gagner d’un million d’euros, semble privilégier la rentabilité à court terme à la prudence… L’entreprise semble d’ailleurs considérer comme évident que l’Autorité de sûreté nucléaire autorisera tous les réacteurs à fonctionner au-delà de 40 ans de fonctionnement et ne décrètera pas d’arrêts massifs. Pourtant, celle-ci vient de réaffirmer que la découverte d’une anomalie pourrait mener à un tel scénario.

Le gouvernement a choisi de ne fermer aucun site entièrement, à l’exception de Fessenheim. Ce choix peut s’entendre pour lisser les conséquences sociales d’une fermeture. Mais il revient à accepter de laisser fonctionner pour le principe au moins un réacteur par centrale, quand bien même celui-ci mériterait d’être arrêté depuis longtemps.

Par ailleurs, la prolongation du parc de centrales ira de pair avec celle des usines de fabrication et « retraitement » du combustible, d’autant plus que le gouvernement souhaite maintenir et amplifier le « recyclage » du combustible usé [2] . Il n’est prévu d’arrêter les installations de La Hague qu’à « l’horizon 2040 ». Pourtant, les syndicalistes alertent déjà sur l’état alarmant des équipements et les risques liés à son vieillissement [3] !

La fuite en avant dans un « nouveau nucléaire »

Dans la PPE, le gouvernement appelle fermement l’industrie nucléaire à travailler sur des projets de nouveaux réacteurs d’ici 2021, afin qu’une décision puisse être prise sur de nouvelles constructions. Il s’agirait dans un premier temps d’EPR « améliorés » (projet qui nécessite une grande capacité d’autoconviction au vu du fiasco de l’EPR de Flamanville), mais également, à terme, de « Small Modular Reactors ». Présentés comme plus facilement maîtrisables et plus sûrs, ces petits réacteurs n’existent pour l’instant que sur le papier. Ils continueraient dans tous les cas à utiliser de l’uranium et à produire des déchets... et aboutiraient surtout à multiplier les sites nucléaires sur tout le territoire. Enfin, il est même question, dans la seconde moitié du XXIème siècle, d’envisager le développement de « réacteurs à neutrons rapides », ce qui reviendrait à répéter l’expérience désastreuse de Superphénix.

Ces projets de nouveau nucléaire ont été confirmés dans le « contrat de filière » signé le 28 janvier par le gouvernement [4]. Pourtant, au vu de l’état catastrophique des finances d’EDF S.A., envisager la construction de nouveaux réacteurs et le développement complet d’une nouvelle filière apparaît surréaliste. Comme l’a déjà souligné une étude parue fin août 2018 [5], à moins d’un soutien financier massif de la part de l’État - et donc des contribuables... -, jamais l’entreprise ne pourra mener en parallèle les lourds travaux requis pour prolonger le fonctionnement des centrales existantes, la construction de nouvelles installations et le déploiement des énergies renouvelables.

Pourquoi un tel entêtement dans une filière dépassée, sachant que les milliards d’euros qui seraient ainsi engloutis feront cruellement défaut à la transition énergétique ? Comme l’affirme le dossier de presse présenté en novembre 2018, la France se doit de conserver une capacité industrielle de construction de nouveaux réacteurs nucléaires « pour des enjeux de souveraineté ». S’agit-il d’une fierté nationale mal placée ? De pouvoir espérer exporter des technologies ? Ou tout simplement de conserver des savoir-faire et matériaux susceptibles d’être également utilisés pour des applications militaires ?

Surproduire… pour exporter à perte ?

Le gouvernement justifie en premier lieu le choix de prolonger le nucléaire par la lutte contre le changement climatique. Cet argument a bon dos, alors que la France a vu ses émissions augmenter très fortement dans des secteurs sans rapports avec la production d’électricité et se complaît dans son inaction [6]. Les centaines de milliards alloués à la prolongation des réacteurs existants sont autant de sommes qui n’iront pas à des actions décisives pour réduire nos émissions, comme la rénovation des bâtiments. Par ailleurs, c’est oublier la vulnérabilité des installations nucléaires aux phénomènes climatiques extrêmes qui sont malheureusement susceptibles de s’amplifier dans les décennies à venir.

Il invoque également l’impératif de la sécurité d’approvisionnement. Toutefois, la menace de black-out se révèle de bien mauvaise foi. En réalité, le projet gouvernemental n’est pas de substituer les énergies renouvelables au nucléaire, mais bien de les ajouter. Or, comme le montre le cabinet WISE Paris dans un rapport publié le 25 janvier, le report des fermetures, combiné à la croissance des énergies renouvelables, aboutira à une situation de surproduction absurde. Sachant que toutes les prévisions de RTE tablent sur une stagnation, voire une baisse de la consommation électrique dans les années à venir (et ce même dans la perspective d’un développement de la voiture électrique), il y a de forts risques que les économies d’électricité soient mises en sourdine pour écouler cette surproduction.

Surtout, cette PPE table sur des prévisions d’exportation d’électricité totalement irréaliste, représentant le quart de la production française ! Mais nos voisins souhaiteront-ils vraiment acheter notre électricité d’origine nucléaire ? En auront-ils besoin, alors que les renouvelables connaissent une progression soutenue en Europe ? La France risque donc de se retrouver à vendre à bas prix une électricité qui coûtera de plus en plus cher à produire, au regard des travaux nécessaires pour maintenir le parc nucléaire en fonctionnement et de l’explosion des coûts de l’EPR.

Quelles seront les conséquences de ces possibles ventes à bas prix (voire à perte ? L’État - c’est-à-dire les contribuables, sera-t-il à nouveau obligé de soutenir l’industrie nucléaire en la recapitalisant ? Verra-t-on EDF économiser de plus belle sur la maintenance des réacteurs pour tirer les coûts de production vers le bas, au risque de dégrader encore la sûreté ?

Dans sa recherche désespérée de profits à court terme, EDF s’apprête donc à hypothéquer notre avenir, avec la bénédiction du gouvernement… À nous de nous mobiliser pour empêcher la concrétisation de ces choix absurdes et dangereux.

Pour en savoir plus : consulter l’étude du cabinet WISE « Trajectoire du parc nucléaire : l’attentisme coupable de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie »


Notes

[1Comme l’a clairement expliqué la CRIIRAD dans une analyse parue début janvier, le retard pris par EDF S.A est tel que les examens destinés à étudier la poursuite des réacteurs au-delà de 40 ans auront lieu… alors que les réacteurs concernés, dans les faits, auront déjà atteint 43 ans en moyenne. Ce décalage se répercutera aussi sur la 5ème visite décennale.

[2Il est ainsi question d’utiliser du MOX dans les réacteurs de 1300 MW, une proposition qui soulève d’importants problèmes techniques.

Une prolongation du fonctionnement des installations au mépris des risques

Plutôt qu’un plan de fermeture de réacteurs, cette PPE constitue en fait un vaste plan de prolongation de leur fonctionnement. S’il est prévu de fermer 14 réacteurs à l’échéance 2035, le corollaire est que les 44 restants verraient leur fonctionnement se poursuivre au moins jusqu’à leur cinquième visite décennale – soit, en raison du retard pris par EDF S.A. pour ces examens, bien au-delà des 50 ans de fonctionnement effectif [1]. Certains seraient même destinés à fonctionner jusqu’à leur sixième visite décennale !

Une telle proposition nécessitera des investissements extrêmement importants et des travaux inédits pour remplacer les composants arrivés en bout de course. EDF S.A. en a-t-elle les moyens ? Et au vu des difficultés actuellement rencontrées sur les chantiers en cours, dispose-t-elle des compétences nécessaires ? Bernard Doroszczuk, nouveau président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a d’ailleurs fait part d’un "sérieux doute sur la capacité de la filière à réaliser de gros travaux pour permettre à certaines installations de poursuivre leur fonctionnement"...

Surtout, cette prolongation est bien hasardeuse du point de vue de la sûreté. Si certains équipements peuvent être remplacés ou réparés, d’autres, comme les cuves, ne sont pas prévus pour fonctionner plus d’une quarantaine d’année et ne sont pas remplaçables. Les enceintes de confinement en béton atteignent aussi leurs limites. Par ailleurs, on sait maintenant que de nombreux défauts qui n’avaient pas été déclarés à l’origine affectent le parc nucléaire (le dernier décompte, portant sur 42 réacteurs, fait état de 1775 anomalies). Quelle sera la tenue au vieillissement de ces pièces qui ne présentent pas les caractéristiques initialement attendues en termes de sûreté ?

Mais EDF S.A., pour qui une journée d’arrêt de réacteur représente un manque à gagner d’un million d’euros, semble privilégier la rentabilité à court terme à la prudence… L’entreprise semble d’ailleurs considérer comme évident que l’Autorité de sûreté nucléaire autorisera tous les réacteurs à fonctionner au-delà de 40 ans de fonctionnement et ne décrètera pas d’arrêts massifs. Pourtant, celle-ci vient de réaffirmer que la découverte d’une anomalie pourrait mener à un tel scénario.

Le gouvernement a choisi de ne fermer aucun site entièrement, à l’exception de Fessenheim. Ce choix peut s’entendre pour lisser les conséquences sociales d’une fermeture. Mais il revient à accepter de laisser fonctionner pour le principe au moins un réacteur par centrale, quand bien même celui-ci mériterait d’être arrêté depuis longtemps.

Par ailleurs, la prolongation du parc de centrales ira de pair avec celle des usines de fabrication et « retraitement » du combustible, d’autant plus que le gouvernement souhaite maintenir et amplifier le « recyclage » du combustible usé [2] . Il n’est prévu d’arrêter les installations de La Hague qu’à « l’horizon 2040 ». Pourtant, les syndicalistes alertent déjà sur l’état alarmant des équipements et les risques liés à son vieillissement [3] !

La fuite en avant dans un « nouveau nucléaire »

Dans la PPE, le gouvernement appelle fermement l’industrie nucléaire à travailler sur des projets de nouveaux réacteurs d’ici 2021, afin qu’une décision puisse être prise sur de nouvelles constructions. Il s’agirait dans un premier temps d’EPR « améliorés » (projet qui nécessite une grande capacité d’autoconviction au vu du fiasco de l’EPR de Flamanville), mais également, à terme, de « Small Modular Reactors ». Présentés comme plus facilement maîtrisables et plus sûrs, ces petits réacteurs n’existent pour l’instant que sur le papier. Ils continueraient dans tous les cas à utiliser de l’uranium et à produire des déchets... et aboutiraient surtout à multiplier les sites nucléaires sur tout le territoire. Enfin, il est même question, dans la seconde moitié du XXIème siècle, d’envisager le développement de « réacteurs à neutrons rapides », ce qui reviendrait à répéter l’expérience désastreuse de Superphénix.

Ces projets de nouveau nucléaire ont été confirmés dans le « contrat de filière » signé le 28 janvier par le gouvernement [4]. Pourtant, au vu de l’état catastrophique des finances d’EDF S.A., envisager la construction de nouveaux réacteurs et le développement complet d’une nouvelle filière apparaît surréaliste. Comme l’a déjà souligné une étude parue fin août 2018 [5], à moins d’un soutien financier massif de la part de l’État - et donc des contribuables... -, jamais l’entreprise ne pourra mener en parallèle les lourds travaux requis pour prolonger le fonctionnement des centrales existantes, la construction de nouvelles installations et le déploiement des énergies renouvelables.

Pourquoi un tel entêtement dans une filière dépassée, sachant que les milliards d’euros qui seraient ainsi engloutis feront cruellement défaut à la transition énergétique ? Comme l’affirme le dossier de presse présenté en novembre 2018, la France se doit de conserver une capacité industrielle de construction de nouveaux réacteurs nucléaires « pour des enjeux de souveraineté ». S’agit-il d’une fierté nationale mal placée ? De pouvoir espérer exporter des technologies ? Ou tout simplement de conserver des savoir-faire et matériaux susceptibles d’être également utilisés pour des applications militaires ?

Surproduire… pour exporter à perte ?

Le gouvernement justifie en premier lieu le choix de prolonger le nucléaire par la lutte contre le changement climatique. Cet argument a bon dos, alors que la France a vu ses émissions augmenter très fortement dans des secteurs sans rapports avec la production d’électricité et se complaît dans son inaction [6]. Les centaines de milliards alloués à la prolongation des réacteurs existants sont autant de sommes qui n’iront pas à des actions décisives pour réduire nos émissions, comme la rénovation des bâtiments. Par ailleurs, c’est oublier la vulnérabilité des installations nucléaires aux phénomènes climatiques extrêmes qui sont malheureusement susceptibles de s’amplifier dans les décennies à venir.

Il invoque également l’impératif de la sécurité d’approvisionnement. Toutefois, la menace de black-out se révèle de bien mauvaise foi. En réalité, le projet gouvernemental n’est pas de substituer les énergies renouvelables au nucléaire, mais bien de les ajouter. Or, comme le montre le cabinet WISE Paris dans un rapport publié le 25 janvier, le report des fermetures, combiné à la croissance des énergies renouvelables, aboutira à une situation de surproduction absurde. Sachant que toutes les prévisions de RTE tablent sur une stagnation, voire une baisse de la consommation électrique dans les années à venir (et ce même dans la perspective d’un développement de la voiture électrique), il y a de forts risques que les économies d’électricité soient mises en sourdine pour écouler cette surproduction.

Surtout, cette PPE table sur des prévisions d’exportation d’électricité totalement irréaliste, représentant le quart de la production française ! Mais nos voisins souhaiteront-ils vraiment acheter notre électricité d’origine nucléaire ? En auront-ils besoin, alors que les renouvelables connaissent une progression soutenue en Europe ? La France risque donc de se retrouver à vendre à bas prix une électricité qui coûtera de plus en plus cher à produire, au regard des travaux nécessaires pour maintenir le parc nucléaire en fonctionnement et de l’explosion des coûts de l’EPR.

Quelles seront les conséquences de ces possibles ventes à bas prix (voire à perte ? L’État - c’est-à-dire les contribuables, sera-t-il à nouveau obligé de soutenir l’industrie nucléaire en la recapitalisant ? Verra-t-on EDF économiser de plus belle sur la maintenance des réacteurs pour tirer les coûts de production vers le bas, au risque de dégrader encore la sûreté ?

Dans sa recherche désespérée de profits à court terme, EDF s’apprête donc à hypothéquer notre avenir, avec la bénédiction du gouvernement… À nous de nous mobiliser pour empêcher la concrétisation de ces choix absurdes et dangereux.

Pour en savoir plus : consulter l’étude du cabinet WISE « Trajectoire du parc nucléaire : l’attentisme coupable de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie »



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 Nucléaire et démocratie  Politique énergétique