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Sortir du nucléaire n°23



Décembre 2003

Analyse

Nucléaire : la double manipulation

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°23 - Décembre 2003

 EPR
Article publié le : 1er décembre 2003


Les échos du 22/10/03

Qu’est-ce qui a pu pousser la ministre de l’industrie, Nicole Fontaine, à changer brutalement d’avis et à faire connaître officiellement, début octobre 2003, sa proposition faite au Premier ministre de décider dès maintenant la construction d’un « démonstrateur « du dernier-né d’Areva, le réacteur EPR ?



Elle avait pourtant annoncé, il y a à peine trois semaines, sa volonté d’attendre janvier prochain pour trancher, au vu du résultat d’études complémentaires sur la compétitivité, la sûreté, les déchets, les risques sismiques, etc. Et il est bien vrai qu’au cours du débat national, la nécessité d’études complémentaires s’était fait sentir, au point qu’Edgar Morin, l’un des trois sages du comité mis en place par Nicole Fontaine, jugeait plus prudent d’attendre 2010 pour prendre une quelconque décision.
En effet, les choses ne sont pas aussi claires qu’on veut bien nous le dire. Et d’abord, pourquoi décider dans l’urgence, même s’il faut du temps pour construire et essayer ce prototype (une dizaine d’années) alors que nous avons abondamment montré, dans le rapport présenté par Charpin, Pellat et moi-même en 2000 au premier ministre, que même si la consommation d’électricité continue à déraper, aucune nouvelle tranche importante n’est nécessaire avant 2020. Sans compter que, depuis cette époque, nous nous sommes engagés vis-à-vis de l’Europe à produire 20 ou 25 TWh supplémentaires d’éolien, que le gouvernement envisage le remplacement d’Eurodif en 2010 par une usine d’enrichissement nouvelle qui mettrait trois tranches au chômage (encore 15 TWh), et qu’il prépare une loi dont la priorité affichée devrait être les économies d’énergie. Dans un contexte où EDF s’inquiète des conséquences de la surcapacité électrique sur le prix de gros et donc sur sa marge bénéficiaire, on ne comprend pas la logique énergétique de ce choix.
Les avantages de cette filière vis-à-vis des risques de l’environnement seraient-ils déterminants ? Certes, l’EPR est réputé plus sûr que son prédécesseur. Mais il ne s’agit pas d’une sûreté intrinsèque, seulement de précautions supplémentaires qui ont pour but de limiter les conséquences d’un accident majeur. Les risques de prolifération sont plutôt augmentés, puisque l’EPR généralise l’usage du MOX, qui impose de nombreux transports de plutonium. La question des déchets à haute activité et à longue durée de vie ne trouve pas plus de solution qu’avant, ni en quantité ni en dangerosité.
Le rendement électrique reste très faible, autour de 35 %, et induit donc toujours des rejets thermiques très importants dans les rivières, qui peuvent poser des problèmes graves comme on l’a constaté cet été. Du point de vue des risques et de l’environnement, donc, pas d’avancée significative.
Reste la compétitivité. Fort opportunément, la Direction générale de l’énergie et des matières premières (DGEMP) se prépare à rendre officielle sa dernière étude des « coûts de référence de la production d’électricité », qui conclut, contrairement à ce que nous avions indiqué dans notre rapport à Lionel Jospin, à un avantage de plus de 20 % du kilowatt heure EPR par rapport à toute autre solution . Mais ce calcul est très critiquable aussi bien sur le plan méthodologique que factuel. Tout d’abord, pour calculer le coût du kilowattheure nucléaire en 2015, la DGEMP raisonne sur 10 tranches et calcule un coût marginal moyen qui permet d’amortir les conséquences des aléas techniques et financiers du prototype. Mais 10 tranches, cela fait 16.000 MW à installer en France en 2015 (20 % du parc), ce qui n’est manifestement pas une opération « marginale ». Surtout sans expliciter le moins du monde les besoins qui pourraient justifier la construction de 16 GW supplémentaires vers 2015 – 2020.
La seconde critique porte sur la faiblesse des coûts de construction affichés sur l’EPR : pourquoi sont-ils inférieurs de 22 % à ceux que nous avions retenus en accord avec le constructeur il y a trois ans pour le rapport précité ? Pas de réponse à cette question de la vérité des coûts qui proviennent exclusivement du constructeur Framatome, et dont la constitution est protégée par le secret commercial. Pas de réponse non plus à la demande d’une expertise indépendante. De quoi se poser vraiment des questions sur la crédibilité de l’ensemble de l’étude.
Tout cela est lamentable. Si le nucléaire doit continuer à figurer à terme dans le paysage énergétique français, il doit le faire dans la transparence, sur la base d’arguments vérifiables et de calculs validés, et surtout pas sous la pression d’un lobby industriel et administratif qui tente de créer l’irréversible à son profit.
Il ressort de toute cette affaire l’impression d’une double manipulation : la manipulation du ministre par le lobby nucléaire et ses propres services, la manipulation des citoyens qui avaient cru de bonne foi participer à un débat sérieux et qui prennent conscience d’avoir cautionné un débat bidon.

Benjamin Dessus (ingénieur et économiste)
Courriel : benjamin.dessus@cnrs-dir.fr

Elle avait pourtant annoncé, il y a à peine trois semaines, sa volonté d’attendre janvier prochain pour trancher, au vu du résultat d’études complémentaires sur la compétitivité, la sûreté, les déchets, les risques sismiques, etc. Et il est bien vrai qu’au cours du débat national, la nécessité d’études complémentaires s’était fait sentir, au point qu’Edgar Morin, l’un des trois sages du comité mis en place par Nicole Fontaine, jugeait plus prudent d’attendre 2010 pour prendre une quelconque décision.
En effet, les choses ne sont pas aussi claires qu’on veut bien nous le dire. Et d’abord, pourquoi décider dans l’urgence, même s’il faut du temps pour construire et essayer ce prototype (une dizaine d’années) alors que nous avons abondamment montré, dans le rapport présenté par Charpin, Pellat et moi-même en 2000 au premier ministre, que même si la consommation d’électricité continue à déraper, aucune nouvelle tranche importante n’est nécessaire avant 2020. Sans compter que, depuis cette époque, nous nous sommes engagés vis-à-vis de l’Europe à produire 20 ou 25 TWh supplémentaires d’éolien, que le gouvernement envisage le remplacement d’Eurodif en 2010 par une usine d’enrichissement nouvelle qui mettrait trois tranches au chômage (encore 15 TWh), et qu’il prépare une loi dont la priorité affichée devrait être les économies d’énergie. Dans un contexte où EDF s’inquiète des conséquences de la surcapacité électrique sur le prix de gros et donc sur sa marge bénéficiaire, on ne comprend pas la logique énergétique de ce choix.
Les avantages de cette filière vis-à-vis des risques de l’environnement seraient-ils déterminants ? Certes, l’EPR est réputé plus sûr que son prédécesseur. Mais il ne s’agit pas d’une sûreté intrinsèque, seulement de précautions supplémentaires qui ont pour but de limiter les conséquences d’un accident majeur. Les risques de prolifération sont plutôt augmentés, puisque l’EPR généralise l’usage du MOX, qui impose de nombreux transports de plutonium. La question des déchets à haute activité et à longue durée de vie ne trouve pas plus de solution qu’avant, ni en quantité ni en dangerosité.
Le rendement électrique reste très faible, autour de 35 %, et induit donc toujours des rejets thermiques très importants dans les rivières, qui peuvent poser des problèmes graves comme on l’a constaté cet été. Du point de vue des risques et de l’environnement, donc, pas d’avancée significative.
Reste la compétitivité. Fort opportunément, la Direction générale de l’énergie et des matières premières (DGEMP) se prépare à rendre officielle sa dernière étude des « coûts de référence de la production d’électricité », qui conclut, contrairement à ce que nous avions indiqué dans notre rapport à Lionel Jospin, à un avantage de plus de 20 % du kilowatt heure EPR par rapport à toute autre solution . Mais ce calcul est très critiquable aussi bien sur le plan méthodologique que factuel. Tout d’abord, pour calculer le coût du kilowattheure nucléaire en 2015, la DGEMP raisonne sur 10 tranches et calcule un coût marginal moyen qui permet d’amortir les conséquences des aléas techniques et financiers du prototype. Mais 10 tranches, cela fait 16.000 MW à installer en France en 2015 (20 % du parc), ce qui n’est manifestement pas une opération « marginale ». Surtout sans expliciter le moins du monde les besoins qui pourraient justifier la construction de 16 GW supplémentaires vers 2015 – 2020.
La seconde critique porte sur la faiblesse des coûts de construction affichés sur l’EPR : pourquoi sont-ils inférieurs de 22 % à ceux que nous avions retenus en accord avec le constructeur il y a trois ans pour le rapport précité ? Pas de réponse à cette question de la vérité des coûts qui proviennent exclusivement du constructeur Framatome, et dont la constitution est protégée par le secret commercial. Pas de réponse non plus à la demande d’une expertise indépendante. De quoi se poser vraiment des questions sur la crédibilité de l’ensemble de l’étude.
Tout cela est lamentable. Si le nucléaire doit continuer à figurer à terme dans le paysage énergétique français, il doit le faire dans la transparence, sur la base d’arguments vérifiables et de calculs validés, et surtout pas sous la pression d’un lobby industriel et administratif qui tente de créer l’irréversible à son profit.
Il ressort de toute cette affaire l’impression d’une double manipulation : la manipulation du ministre par le lobby nucléaire et ses propres services, la manipulation des citoyens qui avaient cru de bonne foi participer à un débat sérieux et qui prennent conscience d’avoir cautionné un débat bidon.

Benjamin Dessus (ingénieur et économiste)
Courriel : benjamin.dessus@cnrs-dir.fr



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