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Sortir du nucléaire n°23



Décembre 2003

Opinion

Nicolas Hulot : “Ne soyons pas dogmatiques”

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°23 - Décembre 2003

 EPR
Article publié le : 1er décembre 2003


Le Figaro du 22 octobre 2003 - Propos recueillis par Marie-Laure Germon

Homme de télévision, écologiste engagé, Nicolas Hulot préside la Fondation Nicolas Hulot “pour la nature et l’homme” et il est conseiller (officieux) de Jacques Chirac. Il réagit aux récentes déclarations du ministre de l’Industrie Nicole Fontaine qui s’est prononcé en faveur du réacteur nucléaire de troisième génération EPR.



Le Figaro. – Alors que la question du réacteur nucléaire de la troisième génération EPR occasionne un débat passionné, vous préférez suspendre votre jugement. Pourquoi ?

Nicolas HULOT. – En la matière, il est vraiment urgent de ne pas se presser, non, certes, qu’il faille “congeler” la problématique dans l’immobilisme, par crainte de l’avenir et par méconnaissance des enjeux ! Mais ne nous y trompons pas. Faire le choix ou non de tabler sur le nucléaire nous engage sur une très longue durée et nécessite donc clairvoyance et lucidité. Je déplore qu’aucun débat préalable à cette décision digne de ce nom n’ait eu lieu au grand jour. Je voudrais pouvoir être sûr, par exemple, que nous nous donnons bien les moyens d’évaluer les alternatives, une fois tous les gisements d’économie d’énergie appréciés – comme entre autres, les énergies renouvelables – afin d’être certains qu’aucune autre formule n’est viable. Pour le moment, nous voilà comme sommés de choisir – je caricature un peu – entre la peste et le choléra.

Quels fléaux contemporains voulez-vous évoquer ?

Par peste, je veux désigner l’effet de serre, risque majeur de notre société, car non seulement il s’avère le plus immédiat, mais ses conséquences sont aussi frappées d’irréversibilité. Le choléra ? Ce serait une énergie nucléaire mal apprivoisée. Celle-ci présente l’indéniable vertu d’émettre pas – ou peu – de gaz à effet de serre ; mais elle comporte aussi trop d’inconnues, dont la notion de développement durable ne peut s’accommoder, je pense notamment au problème des déchets à longue durée. Léguer aux générations futures des problèmes que nous créerions aujourd’hui est moralement inacceptable. Par ailleurs, les pouvoirs successifs ont sacrifié une majeure partie du budget affecté à la recherche énergétique au profit du nucléaire. Du coup, les fonds ont manqué pour explorer et valider d’autres options. C’est pourquoi il faut absolument que s’organise un débat, sans dogmatisme aucun, pour que les citoyens puissent aussi se faire une religion, afin de participer au choix souverainement et de prendre les inévitables risques collectivement.

Poser un vrai débat citoyen revient donc à renoncer à une posture binaire entre “pro” et “anti” nucléaire, et, en somme, à un angélisme dévastateur ?

Poser un débat, c’est avant tout faire prendre conscience aux citoyens que réduire sa vision du nucléaire à une alternative définitive est aussi irresponsable que d’annoncer pour demain la fin de l’énergie atomique. Selon les spécialistes, la durée de vie de nos centrales actuelles peut encore être prolongée de quelques années. Donnons-nous donc deux ans pour valider les choix et sortir d’un débat saturé d’a priori.

Pourtant, les initiatives de plusieurs scientifiques indépendants, constitués en pôles de recherche et d’expertise, allaient bien dans le sens d’une clarification du débat...

Ces initiatives parallèles essentielles ont eu peu de lisibilité et ne participaient pas au débat public officiel, chacun ignorant l’autre. Certes, l’association qui s’est réunie en France sous le nom de “Global Chance” a su proposer un débat honnête et sans concessions. D’ailleurs, leur point de vue est très différent de l’officiel puisque son vice-président, Benjamin Dessus, a pu conclure que “le nucléaire n’est pas une fatalité”, soulignant par ailleurs que penser un système totalement vertueux serait illusoire.. Et là peut-être se situe la pierre angulaire du débat : nos concitoyens doivent se faire à l’idée qu’aucun système ne leur garantira une parfaite sécurité. D’ailleurs – soyons un peu provocateurs – si le choix du développement du nucléaire est si vertueux, pourquoi alors développer également l’éolien ?

Idéalement, vous plaideriez donc plutôt pour sortir du nucléaire ?

Compte tenu de ce que je viens d’énoncer et lorsque l’on se réclame du développement durable, idéalement oui. Mais l’absolu n’est pas la règle du monde. Si une autorité indépendante et scientifiquement crédible valide la promesse de certains chercheurs qui nous garantissent de rentrer dans un cercle vertueux, en trouvant par exemple un moyen pour que les centrales convertissent leurs propres déchets en ressources nouvelles – ce qui serait évidemment l’idéal- ou même que ces derniers deviennent inoffensifs à une échelle de temps humaine alors le nucléaire mériterait un tout autre regard.

Les énergies renouvelables vous semblent-elles fournir une alternative possible au nucléaire ?

On est obligé d’admettre qu’elles ne pourraient, demain, se substituer seules entièrement au nucléaire, d’autant plus, je le répète que ni leur efficacité ni leur innocuité n’ont pu être totalement avérées, faute de moyens et de volonté. Il faut aussi explorer d’autre piste combinée, l’hydrogène, la cogénération, etc. Rappelons enfin que le nucléaire représente une grande majorité de notre production d’électricité mais une part bien moindre de notre production d’énergie.

S’engager dans l’EPR, reviendrait donc, selon vous, à faire le choix du pire des systèmes à l’exception de tous les autres, de même que la démocratie...

Choisir de renoncer aux EPR, c’est risquer de substituer, aux risques inhérents au nucléaire, une augmentation d’émission de gaz à effet de serre. Prendre parti pour l’EPR, c’est s’assurer au préalable, que le risque inhérent au stockage et au transport de déchets à longue durée ou pas ne sera pas sous-estimé. Un préalable bien exigeant, dont la validation nous demandera du temps, de l’énergie, des fonds et de la volonté.

Diriez-vous que le manque d’intérêt soulevé par le problème nucléaire traduit une forme de désespérance de notre société, trop minée par ses soucis immédiats pour oser se projeter dans l’avenir ?

Absolument. J’ai d’ailleurs entrepris d’écrire un livre sur tous les verrous culturels nous empêchant de traduire nos engagements et nos prises de conscience dans les faits. Notre société est mortifiée par une précarité croissante qui l’empêche de prendre toute la mesure des menaces qui lui sont ultérieures. On a toujours sacrifié l’essentiel à l’urgence, il faudra peut-être un jour se rendre compte que l’urgence, c’est l’essentiel, pour paraphraser une formule d’Edgar Morin.

Pensez-vous que la décision politique non concertée avec les citoyens soit l’un des premiers verrous à forcer...

La politique n’est pas fermée à double tour, pas plus que les gens ne sont emmurés dans l’égoïsme. Il s’agit seulement de réveiller les consciences, de leur donner des raisons d’espérance et de fierté. Car nous ne sommes pas pires que les autres. Prenons l’exemple de l’effet de serre : sur ce point, l’attitude des Russes et des Américains, refusant toujours de ratifier le protocole de Kyoto, condamne l’avenir de la planète. Cela ne doit pas nous empêcher d’être exemplaires ! L’engagement de Kyoto, qui ne devait être qu’une trop modeste étape dans le processus de réduction de ces gaz mortifères, est contredit entre autre exemple, par notre politique actuelle de développement du transport aérien, produisant à terme 50% de plus de gaz à effet de serre que la voiture ! Mais l’effet de serre, comme le nucléaire, n’est pas une fatalité.
Des sages pour un gouvernement fou
Débat sur l’énergie

Fin septembre 2003, le comité des sages (chargé de veiller au pluralisme dans le cadre du débat national sur l’énergie organisé par le gouvernement au cours du premier semestre 2003) a présenté ses conclusions.
M. Edgar Morin (sociologue, philosophe), l’un des trois sages du comité, a fourni un rapport séparé dans lequel il exprime clairement :
- qu’étant donné que les centrales nucléaires actuelles ne seront obsolètes qu’en 2020 ;
- puisque rien ne permet d’affirmer que l’EPR (European Pressurized Reactor), conçu dans les années 80, sera la solution pour l’avenir ;
- puisque le terrorisme et les désordres climatiques ont révélé de nouveaux risques et faiblesses liés à l’énergie nucléaire,
un temps de réflexion de 8 à 10 ans lui paraît nécessaire avant qu’une décision de construction ne soit prise.
Les deux autres rapporteurs - MM Castillon (ingénieur des mines) et Lesggy (animateur TV d’E=M6) - sont moins catégoriques. Selon eux, les prévisions différentes voire discordantes, n’ont pas démontré l’urgence de la construction de l’EPR. Néanmoins, on aura besoin de toutes les sources d’énergie pour l’avenir et la France doit conserver son avance technologique en matière de nucléaire.
Mais les sages sont d’accord pour admettre que la toute première priorité (avec recherche et développement) doit être donnée aux économies d’énergie (dans l’habitat et les transports) et aux énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse) qui, à l’exception des barrages, ne produisent en fait actuellement que 1% de l’électricité en France.
Pour ce qui est du débat national sur l’énergie qui a été organisé par le gouvernement, le point de vue de M. Morin nous semble intéressant. Il reconnaît que :
1) les rencontres ont été confidentielles parce que les partis politiques, les médias et l’opinion publique n’étaient pas sensibilisés.
2) Ceux qui se sont le plus exprimés étaient surtout des routiers et des cheminots et aussi les puissants lobbies pétrolier et automobile.
3) Au début, le site internet du Débat sur l’énergie faisait la part trop belle au nucléaire. (Le comité des sages a obtenu qu’il soit modifié, mais pour nous c’était la même bête sous le couvert d’un masque plus neutre).
4) Les seuls échos dans la société (la presse, plutôt) française ont été suscités par les débats alternatifs (citoyens ?) organisés à l’initiative des groupes antinucléaires et écologistes.
En fait, d’après M. Morin, il existe de nombreuses initiatives locales dans ce pays mais les blocages sont le fait des structures administratives et politiques. Et il ajoute qu’il faudrait à la France une première grande réforme afin de pouvoir réaliser avec succès les autres réformes .
M. Morin s’inquiète aussi de ce que ce débat officiel serve à justifier un programme énergétique pour les décennies à venir alors qu’une stratégie plus souple permettrait de mieux faire face à l’imprévu.
Et il insiste sur le fait que les économies d’énergie n’impliquent pas seulement un changement des comportements individuels mais aussi des changements culturels profonds, consistant par exemple à se débarrasser de notre accoutumance à l’automobile et à rendre les villes plus humaines.
Mais qu’en pensent les gestionnaires politiques ?
Mme Fontaine, la ministre de l’Industrie, a dit que la décision sur l’EPR serait prise au plus tard au début de l’année 2004 pour pouvoir l’intégrer à la loi sur l’énergie en cours.
Pendant ce temps, elle a demandé aux deux tenants de l’EPR, AREVA et EDF d’approfondir la réflexion sur l’apport de l’EPR afin de prendre une décision en ayant en main des éléments sûrs... En d’autres termes, elle leur demande d’être plus convaincants pour qu’elle puisse mieux justifier leur décision devant les citoyens. C’est comme si vous demandiez à Monsanto de vous démontrer l’utilité des OGM.
Elle a ajouté qu’il paraîtrait difficile à plusieurs que la France décide de sortir du nucléaire si elle veut diviser par quatre sa production de CO2 avant 2050. Rappelons-lui donc que les plus gros producteurs de CO2 sont la circulation routière et le chauffage domestique.
Les sages n’étaient-ils pas un peu naïfs ?
Il est possible qu’on se soit servi d’eux surtout pour montrer combien le gouvernement français est ouvert et à l’écoute. Mais quand les vieux amis des différents lobbies ont leurs entrées aux ministères et y serrent quotidiennement des mains, que valent les conseils des sages ?

André Larivière
Courriel : andre.lariviere@club-internet.fr


Le Figaro. – Alors que la question du réacteur nucléaire de la troisième génération EPR occasionne un débat passionné, vous préférez suspendre votre jugement. Pourquoi ?

Nicolas HULOT. – En la matière, il est vraiment urgent de ne pas se presser, non, certes, qu’il faille “congeler” la problématique dans l’immobilisme, par crainte de l’avenir et par méconnaissance des enjeux ! Mais ne nous y trompons pas. Faire le choix ou non de tabler sur le nucléaire nous engage sur une très longue durée et nécessite donc clairvoyance et lucidité. Je déplore qu’aucun débat préalable à cette décision digne de ce nom n’ait eu lieu au grand jour. Je voudrais pouvoir être sûr, par exemple, que nous nous donnons bien les moyens d’évaluer les alternatives, une fois tous les gisements d’économie d’énergie appréciés – comme entre autres, les énergies renouvelables – afin d’être certains qu’aucune autre formule n’est viable. Pour le moment, nous voilà comme sommés de choisir – je caricature un peu – entre la peste et le choléra.

Quels fléaux contemporains voulez-vous évoquer ?

Par peste, je veux désigner l’effet de serre, risque majeur de notre société, car non seulement il s’avère le plus immédiat, mais ses conséquences sont aussi frappées d’irréversibilité. Le choléra ? Ce serait une énergie nucléaire mal apprivoisée. Celle-ci présente l’indéniable vertu d’émettre pas – ou peu – de gaz à effet de serre ; mais elle comporte aussi trop d’inconnues, dont la notion de développement durable ne peut s’accommoder, je pense notamment au problème des déchets à longue durée. Léguer aux générations futures des problèmes que nous créerions aujourd’hui est moralement inacceptable. Par ailleurs, les pouvoirs successifs ont sacrifié une majeure partie du budget affecté à la recherche énergétique au profit du nucléaire. Du coup, les fonds ont manqué pour explorer et valider d’autres options. C’est pourquoi il faut absolument que s’organise un débat, sans dogmatisme aucun, pour que les citoyens puissent aussi se faire une religion, afin de participer au choix souverainement et de prendre les inévitables risques collectivement.

Poser un vrai débat citoyen revient donc à renoncer à une posture binaire entre “pro” et “anti” nucléaire, et, en somme, à un angélisme dévastateur ?

Poser un débat, c’est avant tout faire prendre conscience aux citoyens que réduire sa vision du nucléaire à une alternative définitive est aussi irresponsable que d’annoncer pour demain la fin de l’énergie atomique. Selon les spécialistes, la durée de vie de nos centrales actuelles peut encore être prolongée de quelques années. Donnons-nous donc deux ans pour valider les choix et sortir d’un débat saturé d’a priori.

Pourtant, les initiatives de plusieurs scientifiques indépendants, constitués en pôles de recherche et d’expertise, allaient bien dans le sens d’une clarification du débat...

Ces initiatives parallèles essentielles ont eu peu de lisibilité et ne participaient pas au débat public officiel, chacun ignorant l’autre. Certes, l’association qui s’est réunie en France sous le nom de “Global Chance” a su proposer un débat honnête et sans concessions. D’ailleurs, leur point de vue est très différent de l’officiel puisque son vice-président, Benjamin Dessus, a pu conclure que “le nucléaire n’est pas une fatalité”, soulignant par ailleurs que penser un système totalement vertueux serait illusoire.. Et là peut-être se situe la pierre angulaire du débat : nos concitoyens doivent se faire à l’idée qu’aucun système ne leur garantira une parfaite sécurité. D’ailleurs – soyons un peu provocateurs – si le choix du développement du nucléaire est si vertueux, pourquoi alors développer également l’éolien ?

Idéalement, vous plaideriez donc plutôt pour sortir du nucléaire ?

Compte tenu de ce que je viens d’énoncer et lorsque l’on se réclame du développement durable, idéalement oui. Mais l’absolu n’est pas la règle du monde. Si une autorité indépendante et scientifiquement crédible valide la promesse de certains chercheurs qui nous garantissent de rentrer dans un cercle vertueux, en trouvant par exemple un moyen pour que les centrales convertissent leurs propres déchets en ressources nouvelles – ce qui serait évidemment l’idéal- ou même que ces derniers deviennent inoffensifs à une échelle de temps humaine alors le nucléaire mériterait un tout autre regard.

Les énergies renouvelables vous semblent-elles fournir une alternative possible au nucléaire ?

On est obligé d’admettre qu’elles ne pourraient, demain, se substituer seules entièrement au nucléaire, d’autant plus, je le répète que ni leur efficacité ni leur innocuité n’ont pu être totalement avérées, faute de moyens et de volonté. Il faut aussi explorer d’autre piste combinée, l’hydrogène, la cogénération, etc. Rappelons enfin que le nucléaire représente une grande majorité de notre production d’électricité mais une part bien moindre de notre production d’énergie.

S’engager dans l’EPR, reviendrait donc, selon vous, à faire le choix du pire des systèmes à l’exception de tous les autres, de même que la démocratie...

Choisir de renoncer aux EPR, c’est risquer de substituer, aux risques inhérents au nucléaire, une augmentation d’émission de gaz à effet de serre. Prendre parti pour l’EPR, c’est s’assurer au préalable, que le risque inhérent au stockage et au transport de déchets à longue durée ou pas ne sera pas sous-estimé. Un préalable bien exigeant, dont la validation nous demandera du temps, de l’énergie, des fonds et de la volonté.

Diriez-vous que le manque d’intérêt soulevé par le problème nucléaire traduit une forme de désespérance de notre société, trop minée par ses soucis immédiats pour oser se projeter dans l’avenir ?

Absolument. J’ai d’ailleurs entrepris d’écrire un livre sur tous les verrous culturels nous empêchant de traduire nos engagements et nos prises de conscience dans les faits. Notre société est mortifiée par une précarité croissante qui l’empêche de prendre toute la mesure des menaces qui lui sont ultérieures. On a toujours sacrifié l’essentiel à l’urgence, il faudra peut-être un jour se rendre compte que l’urgence, c’est l’essentiel, pour paraphraser une formule d’Edgar Morin.

Pensez-vous que la décision politique non concertée avec les citoyens soit l’un des premiers verrous à forcer...

La politique n’est pas fermée à double tour, pas plus que les gens ne sont emmurés dans l’égoïsme. Il s’agit seulement de réveiller les consciences, de leur donner des raisons d’espérance et de fierté. Car nous ne sommes pas pires que les autres. Prenons l’exemple de l’effet de serre : sur ce point, l’attitude des Russes et des Américains, refusant toujours de ratifier le protocole de Kyoto, condamne l’avenir de la planète. Cela ne doit pas nous empêcher d’être exemplaires ! L’engagement de Kyoto, qui ne devait être qu’une trop modeste étape dans le processus de réduction de ces gaz mortifères, est contredit entre autre exemple, par notre politique actuelle de développement du transport aérien, produisant à terme 50% de plus de gaz à effet de serre que la voiture ! Mais l’effet de serre, comme le nucléaire, n’est pas une fatalité.
Des sages pour un gouvernement fou
Débat sur l’énergie

Fin septembre 2003, le comité des sages (chargé de veiller au pluralisme dans le cadre du débat national sur l’énergie organisé par le gouvernement au cours du premier semestre 2003) a présenté ses conclusions.
M. Edgar Morin (sociologue, philosophe), l’un des trois sages du comité, a fourni un rapport séparé dans lequel il exprime clairement :
- qu’étant donné que les centrales nucléaires actuelles ne seront obsolètes qu’en 2020 ;
- puisque rien ne permet d’affirmer que l’EPR (European Pressurized Reactor), conçu dans les années 80, sera la solution pour l’avenir ;
- puisque le terrorisme et les désordres climatiques ont révélé de nouveaux risques et faiblesses liés à l’énergie nucléaire,
un temps de réflexion de 8 à 10 ans lui paraît nécessaire avant qu’une décision de construction ne soit prise.
Les deux autres rapporteurs - MM Castillon (ingénieur des mines) et Lesggy (animateur TV d’E=M6) - sont moins catégoriques. Selon eux, les prévisions différentes voire discordantes, n’ont pas démontré l’urgence de la construction de l’EPR. Néanmoins, on aura besoin de toutes les sources d’énergie pour l’avenir et la France doit conserver son avance technologique en matière de nucléaire.
Mais les sages sont d’accord pour admettre que la toute première priorité (avec recherche et développement) doit être donnée aux économies d’énergie (dans l’habitat et les transports) et aux énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse) qui, à l’exception des barrages, ne produisent en fait actuellement que 1% de l’électricité en France.
Pour ce qui est du débat national sur l’énergie qui a été organisé par le gouvernement, le point de vue de M. Morin nous semble intéressant. Il reconnaît que :
1) les rencontres ont été confidentielles parce que les partis politiques, les médias et l’opinion publique n’étaient pas sensibilisés.
2) Ceux qui se sont le plus exprimés étaient surtout des routiers et des cheminots et aussi les puissants lobbies pétrolier et automobile.
3) Au début, le site internet du Débat sur l’énergie faisait la part trop belle au nucléaire. (Le comité des sages a obtenu qu’il soit modifié, mais pour nous c’était la même bête sous le couvert d’un masque plus neutre).
4) Les seuls échos dans la société (la presse, plutôt) française ont été suscités par les débats alternatifs (citoyens ?) organisés à l’initiative des groupes antinucléaires et écologistes.
En fait, d’après M. Morin, il existe de nombreuses initiatives locales dans ce pays mais les blocages sont le fait des structures administratives et politiques. Et il ajoute qu’il faudrait à la France une première grande réforme afin de pouvoir réaliser avec succès les autres réformes .
M. Morin s’inquiète aussi de ce que ce débat officiel serve à justifier un programme énergétique pour les décennies à venir alors qu’une stratégie plus souple permettrait de mieux faire face à l’imprévu.
Et il insiste sur le fait que les économies d’énergie n’impliquent pas seulement un changement des comportements individuels mais aussi des changements culturels profonds, consistant par exemple à se débarrasser de notre accoutumance à l’automobile et à rendre les villes plus humaines.
Mais qu’en pensent les gestionnaires politiques ?
Mme Fontaine, la ministre de l’Industrie, a dit que la décision sur l’EPR serait prise au plus tard au début de l’année 2004 pour pouvoir l’intégrer à la loi sur l’énergie en cours.
Pendant ce temps, elle a demandé aux deux tenants de l’EPR, AREVA et EDF d’approfondir la réflexion sur l’apport de l’EPR afin de prendre une décision en ayant en main des éléments sûrs... En d’autres termes, elle leur demande d’être plus convaincants pour qu’elle puisse mieux justifier leur décision devant les citoyens. C’est comme si vous demandiez à Monsanto de vous démontrer l’utilité des OGM.
Elle a ajouté qu’il paraîtrait difficile à plusieurs que la France décide de sortir du nucléaire si elle veut diviser par quatre sa production de CO2 avant 2050. Rappelons-lui donc que les plus gros producteurs de CO2 sont la circulation routière et le chauffage domestique.
Les sages n’étaient-ils pas un peu naïfs ?
Il est possible qu’on se soit servi d’eux surtout pour montrer combien le gouvernement français est ouvert et à l’écoute. Mais quand les vieux amis des différents lobbies ont leurs entrées aux ministères et y serrent quotidiennement des mains, que valent les conseils des sages ?

André Larivière
Courriel : andre.lariviere@club-internet.fr




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