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Mars 2013 : Un physicien nucléaire prend parti pour la fermeture immédiate de Fessenheim

Publié le 27 novembre 2012



Physicien nucléaire, professeur à Polytechnique pendant 35 ans, Jean-Louis Basdevant a formé toute une génération d’ingénieurs du nucléaire.
Dans l’exposé ci-dessous, il explique pourquoi il faut fermer immédiatement Fessenheim (et les autres centrales nucléaires) et répond également à des questions sur le futur du nucléaire.
Cette conférence a eu lieu dans le cadre d’une semaine d’actions à Strasbourg début mars 2013, peu avant le 2e anniversaire du début de la catastrophe de Fukushima.




Juste après l’accident de Fukushima, Jean-Louis Basdevant a publié un ouvrage intitulé Maîtriser le nucléaire. Que sait-on et que peut-on faire après Fukushima. Un an après, la réédition de ce livre est désormais sous-titrée Sortir du nucléaire après Fukushima ! Jean-Louis Basdevant témoigne ci-dessous de l’évolution de son point de vue.

Novembre 2012

1. Pouvez-vous nous expliquer votre démarche et votre cheminement personnel ?

JLB. Le lendemain du déclenchement du désastre de Fukushima, un ami éditeur m’a demandé d’écrire un livre sur cet accident. Les informations étaient alors peu nombreuses, elles sont venues avec le temps, mais pour moi c’était un événement grave qui allait marquer l’histoire de l’électronucléaire civil. Il survenait après ceux de Three-Mile Island (TMI) en 1979, et de Tchernobyl en 1986. En me mettant au travail, j’ai recueilli chaque jour les informations sur les événements de Fukushima, tout en me remémorant les détails de tous les incidents ou accidents antérieurs. Dans ce travail abondant, j’ai rapidement compris que l’essentiel du cataclysme tenait de la fusion du cœur des réacteurs. C’est à l’été 2011 qu’après avoir analysé la structure et l’état du parc nucléaire français, je suis devenu convaincu que nos réacteurs actuels, comme pratiquement tous les réacteurs au monde, sont sujets au même type d’accident, et qu’ils sont dangereux. Plusieurs rapports, officiels ou provenant de sources qualifiés, ont confirmé ces idées. La suite de l’évolution du site de Fukushima laisse présager que l’accident est loin d’être terminé. Il faudra plusieurs années avant d’en faire un bilan complet.

Il n’est pas nécessaire d’essayer de dégager la responsabilité individuelle de tel ou tel dans ce terrible désastre. Le 6 juillet 2012, Kiyoshi Kurokawa, Professeur à l’Université de Tokyo, Président de la Commission parlementaire sur l’accident de Fukushima, a rendu des conclusions étonnantes de sévérité à l’égard de tous les acteurs de l’événement, notamment la structure de la culture japonaise. Qualifiant Fukushima de désastre Made in Japan, il dit que ses racines profondes proviennent d’usages et de comportement profondément ancrés dans la culture japonaise. Ses causes fondamentales sont notre conditionnement à l’obéissance, notre réticence à remettre en question l’autorité, notre attachement à nous conformer au programme fixé’’, notre mentalité de groupe et notre insularité. Si d’autres Japonais avaient été aux mêmes commandes que ceux qui, maintenant, portent la responsabilité de cet accident, le résultat aurait bien pu être le même. Nous devons au monde une explication de pourquoi cela pouvait se produire au Japon. Depuis juillet 2011, je me pose la question : quel sera le désastre nucléaire Made in France ? Ou plutôt, pourquoi nous devons nous préoccuper d’une telle éventualité ? {{{2. Selon vous, quels sont les problèmes qui concernent les centrales nucléaires françaises ?}}} JLB. Le principal problème des centrales nucléaires françaises est que, parce qu’elles sont essentiellement du même type que les centrales japonaises et que les centrales américaines, y compris celle de Three Miles Island, elles présentent le même risque de fusion du coeur et de ses conséquences contre lesquelles on est sans défense à l’heure actuelle. _ La fusion du coeur et ses conséquences catastrophiques est, j’insiste, un problème qui se pose pour pratiquement toutes les centrales électronucléaire au monde. Ce type d’accident menace donc la totalité actuelle du parc français, notamment les réacteurs de Fessenheim. Or un seul accident de ce genre serait une tragédie pour notre pays. Les recommandations faites par l’Agence de Sûreté Nucléaire (ASN) à la suite de Fukushima sont de nature à améliorer la sûreté de ces réacteurs, sans toutefois éliminer le risque. Mais j’ai le regret de ne pas voir, à l’heure actuelle, le moindre signe de mise en conformité des réacteurs par EDF, ni de mise en place « à partir de 2012, d’uneforce d’action rapide nucléaire’’ nationale […] qui devrait être totalement opérationnelle fin 2014 ».

Il existe, dans ce que l’on appelle la génération 4 des réacteurs nucléaires, des réacteurs plus « sûrs » qui, par construction, ne peuvent pas subir ce type d’accident. Les centrales « sûres » seront peut-être la bonne solution au XXIIe siècle… mais ce ne sera plus notre affaire.

3. Pourquoi estimez-vous que Fessenheim doit être absolument fermée ?

JLB. Ce serait l’exemple de ce que doit être une décision politique sage. Il s’agit de l’installation nucléaire la plus ancienne du parc français. De ce fait, elle détient le record de minceur de radier : un mètre, comparé à trois à Fukushima et deux dans les centrales françaises plus récentes. Son ancienneté fait craindre une fragilité et tous ces éléments concordent à y favoriser le risque d’un accident avec fusion du coeur. À l’issue de sa troisième visite décennale, le 4 juillet 2011, l’ASN a donné un avis technique favorable à la prolongation du réacteur 1 pour dix ans, avec les conditions expresses de 1) renforcer le radier du réacteur avant le 30 juin 2013, afin d’augmenter sa résistance au corium en cas d’accident grave avec percement de la cuve, et 2) installer avant le 31 décembre 2012 des dispositions techniques de secours permettant d’évacuerdurablement la puissance résiduelle en cas de perte de la source froide. À ce jour, aucune proposition acceptable n’a été faite par EDF.

La centrale de Fessenheim est située sur une faille en zone sismique (l’implantation la plus dangereuse de France à cet égard). Elle s’alimente en eau froide dans le grand canal d’Alsace, qui la surplombe de 9 mètres, toute perturbation grave de ce canal (chute d’avion) risquerait de noyer la centrale. Elle est, tout comme une autre, exposée au risque d’un « accident normal des systèmes complexes ». Dans un système complexe, un accident grave peut provenir de la conjonction inattendue et imprévisible de défaillances élémentaires, anodines en elles-mêmes.

Un accident nucléaire à Fessenheim aurait des conséquences plus que dramatiques. Elle est située à l’aplomb de la plus grande nappe phréatique de France, d’une capacité de 35 milliards de mètres cubes sur sa partie alsacienne, qui se prolonge en Allemagne. Et, pour corser le tout, elle est également à l’aplomb de la vallée du Rhin qui, entre Bâle et Rotterdam, est la région la plus peuplée, active, industrielle de l’Europe. Cela signifie qu’en cas d’accident avec fusion partielle du coeur, une fois la dalle percée, le Rhin serait contaminé, jusqu’à Rotterdam. Un accident nucléaire grave y serait une catastrophe dramatique pour toute l’Europe, un coup de poignard qui anéantirait la vie dans cette région pendant plus de 300 ans.
Arrêter Fessenheim est, pour moi, une application du principe de précaution, tant évoqué, qui relève d’un devoir moral vis-à-vis des habitants de l’Europe.

4. Votre remise en cause du nucléaire est-elle exceptionnelle dans votre milieu ?

JLB. Je m’exprime librement et ne fais qu’apporter ma contribution personnelle à une oeuvre qui comporte de très nombreux acteurs. Je ne suis certainement pas le seul dans mon milieu professionnel à remettre en cause le nucléaire civil. Je communique avec de nombreux collègues, de spécialités diverses, tous de grande compétence.
J’ai fait plusieurs conférences, dans le grand public comme dans les milieux scientifiques. J’ai toujours été écouté très courtoisement. Bien entendu, j’ai rencontré beaucoup de gens qui n’étaient pas de mon avis, et c’est parfaitement normal. Certains amis très proches sont en désaccord avec moi mais nos échanges sont toujours, pour moi, très stimulants. Un argument évident, qui n’a rien à voir avec la physique nucléaire ou la technique, est celui de l’avenir énergétique, fût-il de notre pays, de l’Europe ou du monde, compte tenu de ce que nous savons de l’état de l’économie, et la question de la transition énergétique tant prônée. On se trouve, comme souvent dans la vie, devant de difficiles problèmes de choix. Ces choix sont de nature politique et je ne puis en parler qu’en amateur et apporter des informations.

Jean-Louis Basdevant, Maîtriser le nucléaire.Sortir du nucléaire après Fukushima, Paris, Eyrolles, 234 p., édition de mars 2012.


Juste après l’accident de Fukushima, Jean-Louis Basdevant a publié un ouvrage intitulé Maîtriser le nucléaire. Que sait-on et que peut-on faire après Fukushima. Un an après, la réédition de ce livre est désormais sous-titrée Sortir du nucléaire après Fukushima ! Jean-Louis Basdevant témoigne ci-dessous de l’évolution de son point de vue.

Novembre 2012

1. Pouvez-vous nous expliquer votre démarche et votre cheminement personnel ?

JLB. Le lendemain du déclenchement du désastre de Fukushima, un ami éditeur m’a demandé d’écrire un livre sur cet accident. Les informations étaient alors peu nombreuses, elles sont venues avec le temps, mais pour moi c’était un événement grave qui allait marquer l’histoire de l’électronucléaire civil. Il survenait après ceux de Three-Mile Island (TMI) en 1979, et de Tchernobyl en 1986. En me mettant au travail, j’ai recueilli chaque jour les informations sur les événements de Fukushima, tout en me remémorant les détails de tous les incidents ou accidents antérieurs. Dans ce travail abondant, j’ai rapidement compris que l’essentiel du cataclysme tenait de la fusion du cœur des réacteurs. C’est à l’été 2011 qu’après avoir analysé la structure et l’état du parc nucléaire français, je suis devenu convaincu que nos réacteurs actuels, comme pratiquement tous les réacteurs au monde, sont sujets au même type d’accident, et qu’ils sont dangereux. Plusieurs rapports, officiels ou provenant de sources qualifiés, ont confirmé ces idées. La suite de l’évolution du site de Fukushima laisse présager que l’accident est loin d’être terminé. Il faudra plusieurs années avant d’en faire un bilan complet.

Il n’est pas nécessaire d’essayer de dégager la responsabilité individuelle de tel ou tel dans ce terrible désastre. Le 6 juillet 2012, Kiyoshi Kurokawa, Professeur à l’Université de Tokyo, Président de la Commission parlementaire sur l’accident de Fukushima, a rendu des conclusions étonnantes de sévérité à l’égard de tous les acteurs de l’événement, notamment la structure de la culture japonaise. Qualifiant Fukushima de désastre Made in Japan, il dit que ses racines profondes proviennent d’usages et de comportement profondément ancrés dans la culture japonaise. Ses causes fondamentales sont notre conditionnement à l’obéissance, notre réticence à remettre en question l’autorité, notre attachement à nous conformer au programme fixé’’, notre mentalité de groupe et notre insularité. Si d’autres Japonais avaient été aux mêmes commandes que ceux qui, maintenant, portent la responsabilité de cet accident, le résultat aurait bien pu être le même. Nous devons au monde une explication de pourquoi cela pouvait se produire au Japon. Depuis juillet 2011, je me pose la question : quel sera le désastre nucléaire Made in France ? Ou plutôt, pourquoi nous devons nous préoccuper d’une telle éventualité ? {{{2. Selon vous, quels sont les problèmes qui concernent les centrales nucléaires françaises ?}}} JLB. Le principal problème des centrales nucléaires françaises est que, parce qu’elles sont essentiellement du même type que les centrales japonaises et que les centrales américaines, y compris celle de Three Miles Island, elles présentent le même risque de fusion du coeur et de ses conséquences contre lesquelles on est sans défense à l’heure actuelle. _ La fusion du coeur et ses conséquences catastrophiques est, j’insiste, un problème qui se pose pour pratiquement toutes les centrales électronucléaire au monde. Ce type d’accident menace donc la totalité actuelle du parc français, notamment les réacteurs de Fessenheim. Or un seul accident de ce genre serait une tragédie pour notre pays. Les recommandations faites par l’Agence de Sûreté Nucléaire (ASN) à la suite de Fukushima sont de nature à améliorer la sûreté de ces réacteurs, sans toutefois éliminer le risque. Mais j’ai le regret de ne pas voir, à l’heure actuelle, le moindre signe de mise en conformité des réacteurs par EDF, ni de mise en place « à partir de 2012, d’uneforce d’action rapide nucléaire’’ nationale […] qui devrait être totalement opérationnelle fin 2014 ».

Il existe, dans ce que l’on appelle la génération 4 des réacteurs nucléaires, des réacteurs plus « sûrs » qui, par construction, ne peuvent pas subir ce type d’accident. Les centrales « sûres » seront peut-être la bonne solution au XXIIe siècle… mais ce ne sera plus notre affaire.

3. Pourquoi estimez-vous que Fessenheim doit être absolument fermée ?

JLB. Ce serait l’exemple de ce que doit être une décision politique sage. Il s’agit de l’installation nucléaire la plus ancienne du parc français. De ce fait, elle détient le record de minceur de radier : un mètre, comparé à trois à Fukushima et deux dans les centrales françaises plus récentes. Son ancienneté fait craindre une fragilité et tous ces éléments concordent à y favoriser le risque d’un accident avec fusion du coeur. À l’issue de sa troisième visite décennale, le 4 juillet 2011, l’ASN a donné un avis technique favorable à la prolongation du réacteur 1 pour dix ans, avec les conditions expresses de 1) renforcer le radier du réacteur avant le 30 juin 2013, afin d’augmenter sa résistance au corium en cas d’accident grave avec percement de la cuve, et 2) installer avant le 31 décembre 2012 des dispositions techniques de secours permettant d’évacuerdurablement la puissance résiduelle en cas de perte de la source froide. À ce jour, aucune proposition acceptable n’a été faite par EDF.

La centrale de Fessenheim est située sur une faille en zone sismique (l’implantation la plus dangereuse de France à cet égard). Elle s’alimente en eau froide dans le grand canal d’Alsace, qui la surplombe de 9 mètres, toute perturbation grave de ce canal (chute d’avion) risquerait de noyer la centrale. Elle est, tout comme une autre, exposée au risque d’un « accident normal des systèmes complexes ». Dans un système complexe, un accident grave peut provenir de la conjonction inattendue et imprévisible de défaillances élémentaires, anodines en elles-mêmes.

Un accident nucléaire à Fessenheim aurait des conséquences plus que dramatiques. Elle est située à l’aplomb de la plus grande nappe phréatique de France, d’une capacité de 35 milliards de mètres cubes sur sa partie alsacienne, qui se prolonge en Allemagne. Et, pour corser le tout, elle est également à l’aplomb de la vallée du Rhin qui, entre Bâle et Rotterdam, est la région la plus peuplée, active, industrielle de l’Europe. Cela signifie qu’en cas d’accident avec fusion partielle du coeur, une fois la dalle percée, le Rhin serait contaminé, jusqu’à Rotterdam. Un accident nucléaire grave y serait une catastrophe dramatique pour toute l’Europe, un coup de poignard qui anéantirait la vie dans cette région pendant plus de 300 ans.
Arrêter Fessenheim est, pour moi, une application du principe de précaution, tant évoqué, qui relève d’un devoir moral vis-à-vis des habitants de l’Europe.

4. Votre remise en cause du nucléaire est-elle exceptionnelle dans votre milieu ?

JLB. Je m’exprime librement et ne fais qu’apporter ma contribution personnelle à une oeuvre qui comporte de très nombreux acteurs. Je ne suis certainement pas le seul dans mon milieu professionnel à remettre en cause le nucléaire civil. Je communique avec de nombreux collègues, de spécialités diverses, tous de grande compétence.
J’ai fait plusieurs conférences, dans le grand public comme dans les milieux scientifiques. J’ai toujours été écouté très courtoisement. Bien entendu, j’ai rencontré beaucoup de gens qui n’étaient pas de mon avis, et c’est parfaitement normal. Certains amis très proches sont en désaccord avec moi mais nos échanges sont toujours, pour moi, très stimulants. Un argument évident, qui n’a rien à voir avec la physique nucléaire ou la technique, est celui de l’avenir énergétique, fût-il de notre pays, de l’Europe ou du monde, compte tenu de ce que nous savons de l’état de l’économie, et la question de la transition énergétique tant prônée. On se trouve, comme souvent dans la vie, devant de difficiles problèmes de choix. Ces choix sont de nature politique et je ne puis en parler qu’en amateur et apporter des informations.

Jean-Louis Basdevant, Maîtriser le nucléaire.Sortir du nucléaire après Fukushima, Paris, Eyrolles, 234 p., édition de mars 2012.



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