Publié initialement dans la revue Sortir du nucléaire n°98 le 1er juillet 2023, mis en ligne le 28 décembre 2023
Petite structure, grands changements. En Normandie, Arnaud Crétot a créé la première activité de boulangerie/torréfaction solaire artisanale d’Europe. Alors que des clichés subsistent sur l’intermittence des énergies renouvelables, l’artisan-ingénieur prouve avec NeoLoco qu’une boulangerie solaire est non seulement économiquement et énergétiquement viable, mais aussi source d’inspiration pour de nombreuses personnes en quête de sens. Avec cette activité, il replace le social au coeur de nos choix énergétiques.
Humide et pluvieux. Aux premiers abords, le climat normand semble peu adapté pour accueillir une boulangerie solaire. C’est pourtant ici qu’Arnaud Crétot, artisan-ingénieur, a décidé d’installer la sienne en 2019. Malgré les critiques adressées aux énergies renouvelables, au lancement de son entreprise NeoLoco, Arnaud, lui, est serein : « Quand j’ai démarré je savais déjà où ça allait, et je me disais « ça ne sert à rien d’essayer de convaincre tout le monde, je vais juste le faire et puis voilà, on verra ce qui suit. » » Quatre ans plus tard, avec une activité qui s’est développée sans le soutien de subvention et de prêt bancaire (« c’est la vente des pains, des produits de torréfaction qui a permis de financer toutes les machines »), Arnaud reconnaît : « Les résultats des cuissons solaires ont dépassé les attentes. C’est ce qui fait que nous avons atteint la viabilité économique rapidement, et que nous voyons maintenant plein de possibilités ».
Dans le détail, l’ingénieur a installé 11m2 de miroirs qui suivent la course du soleil et concentrent la chaleur en direction d’un four qui chauffe jusqu’à 300°C. Pas besoin de convertir l’énergie solaire en électricité. Les jours d’hiver ensoleillés, Arnaud et ses trois employé·es arrivent à produire jusqu’à 110 kg de pain, qui sont ensuite livrés à vélo. Au mois de juin, le four solaire permet de cuire 240 kg. Bien qu’il ait lui-même opté pour un fonctionnement « hybride » (solaire quand il fait beau et bois le reste du temps) et une diversification de son activité (boulangerie, torréfaction et formations), Arnaud insiste : « une boulangerie 100 % solaire, c’est possible ». Au prix de profonds changements organisationnels (anticiper et mieux gérer ses stocks) et de choix stratégiques (utiliser du levain pour une conservation plus longue du pain). « S’adapter à une énergie intermittente n’est ni plus ni moins difficile que de tenir une boulangerie classique : ce sont juste d’autres savoir-faire, d’autres méthodes. Ça nécessite de la recherche et du temps, mais ça fonctionne, souligne le fondateur de NeoLoco. L’idée ce n’est pas simplement de remplacer le four traditionnel, mais de se demander quelles énergies sont à notre disposition, dans quel(s) domaine(s) elles sont les plus performantes, et comment on s’organise autour pour en bénéficier un maximum. »
Derrière la boulangerie solaire, une réflexion plus large sur nos choix énergétiques
Et l’ingénieur sait de quoi il parle. En 2009, alors en études d’ingénieur à PolyTech Nantes, il crée avec un ami et camarade l’association des Vagabonds de l’énergie, et part explorer les stratégies énergétiques développées en Europe et en Asie. Mines de charbon dans le Donbass, gazoduc en mer Baltique, EPR en Finlande, éco-villages en Allemagne… En un an, il étudie 70 projets dans plus de 20 pays. L’une de ces rencontres l’amène à découvrir Solar Fire, entreprise qui développe les concentrateurs solaires Lytefire aujourd’hui utilisés chez NeoLoco, et dont il deviendra directeur technique en 2014. De ce voyage il revient avec un constat : les pays font des choix énergétiques différents alors que les moyens et les applications techniques sont les mêmes partout ; et une certitude : l’enjeu de l’énergie relève moins d’une question technique que d’un choix de société.
Fort de ses recherches et de ses réflexions personnelles, Arnaud remet en question le schéma proposé par les formations d’ingénieur : « si je suis devenu ingénieur dans l’énergie c’est parce que je pensais qu’un ingénieur devait être capable d’identifier un problème dans la société et y apporter des solutions techniques. Mais on nous préparait à intégrer des grandes entreprises qui contribuent plus aux problèmes qu’à y apporter des réponses. » Et quand solutions il y a, celles-ci sont bien souvent court-termistes. « Aujourd’hui on utilise des ressources finies, qu’on ne pourra pas transmettre aux générations futures. Que pèsent les 40 prochaines années à l’échelle de l’humanité ? Quelle est l’importance de garder le niveau de confort de vie occidental quelques années de plus par rapport à la suite de l’histoire ? »
Avec sa boulangerie solaire, Arnaud aligne ses savoir-faire et sa quête de sens, et change la société, une fournée à la fois. « Je me sens beaucoup plus ingénieur en faisant du pain aujourd’hui que si j’étais dans un bureau d’études. On est vraiment en train de transformer un modèle d’activité. Ça va beaucoup plus loin que simplement faire du pain. » Une démarche qui trouve un écho chez beaucoup de personnes. De l’aveu de son créateur, « le modèle de NeoLoco a suscité énormément d’intérêt : des visites sont organisées régulièrement, 100 à 150 artisans sont venus se former pour apprendre à travailler avec une énergie intermittente, et depuis 2019, une douzaine ont monté leur propre structure. » Un succès qu’Arnaud explique en partie par la symbolique derrière la production de pain : « ça donne envie, ça nourrit, et quelque part ça rassure de se dire qu’on peut faire des aliments en se passant de beaucoup de contraintes. », mais aussi par les réponses qu’apporte cette forme d’artisanat aux personnes en quête de changement et d’apaisement : « Les gens qui viennent en formation sont à la recherche d’un changement de rythme, d’un changement de vie. Ils et elles souhaitent être plus serein·es, plus connecté·es aux choses. Avec la boulangerie solaire on va amener de l’apaisement, alimenter des activités de base assez concrètes. »
Ce qu’il a appris avec la boulangerie solaire et la torréfaction, Arnaud tente maintenant de l’appliquer à d’autres secteurs d’activité, à d’autres échelles. Avec NeoLoco, il a prouvé que bien pensé et bien déployé, un modèle reposant sur les énergies intermittentes est viable, et parfois même plus souple que le modèle « classique ». « Depuis des années les énergéticiens nous expliquent que les énergies intermittentes ne peuvent pas alimenter l’économie. Mais cet hiver, quand les entreprises ont dû tordre leur système de fonctionnement et faire face aux indisponibilités d’électricité et aux explosions des coûts, à NeoLoco on a continué à produire du pain sans augmenter nos prix et sans problème. On sent qu’on est vraiment au début du potentiel, de ce qu’il est possible de faire. » Et à celles et ceux qui continueraient de pinailler, Arnaud rétorque : « le jour où on aura investi autant de milliards dans l’utilisation des énergies intermittentes là où elles sont le plus performantes, que dans le nucléaire, on en rediscute. Donnez-moi un milliard sur les 12 qu’a reçu l’EPR de Flamanville, et là on pourra parler. »
Louiselle Debiez
Retrouvez toute l’histoire d’Arnaud et de sa boulangerie solaire dans La boulangerie solaire, un exemple pour un futur radieux, disponible sur notre boutique ! 📙
Humide et pluvieux. Aux premiers abords, le climat normand semble peu adapté pour accueillir une boulangerie solaire. C’est pourtant ici qu’Arnaud Crétot, artisan-ingénieur, a décidé d’installer la sienne en 2019. Malgré les critiques adressées aux énergies renouvelables, au lancement de son entreprise NeoLoco, Arnaud, lui, est serein : « Quand j’ai démarré je savais déjà où ça allait, et je me disais « ça ne sert à rien d’essayer de convaincre tout le monde, je vais juste le faire et puis voilà, on verra ce qui suit. » » Quatre ans plus tard, avec une activité qui s’est développée sans le soutien de subvention et de prêt bancaire (« c’est la vente des pains, des produits de torréfaction qui a permis de financer toutes les machines »), Arnaud reconnaît : « Les résultats des cuissons solaires ont dépassé les attentes. C’est ce qui fait que nous avons atteint la viabilité économique rapidement, et que nous voyons maintenant plein de possibilités ».
Dans le détail, l’ingénieur a installé 11m2 de miroirs qui suivent la course du soleil et concentrent la chaleur en direction d’un four qui chauffe jusqu’à 300°C. Pas besoin de convertir l’énergie solaire en électricité. Les jours d’hiver ensoleillés, Arnaud et ses trois employé·es arrivent à produire jusqu’à 110 kg de pain, qui sont ensuite livrés à vélo. Au mois de juin, le four solaire permet de cuire 240 kg. Bien qu’il ait lui-même opté pour un fonctionnement « hybride » (solaire quand il fait beau et bois le reste du temps) et une diversification de son activité (boulangerie, torréfaction et formations), Arnaud insiste : « une boulangerie 100 % solaire, c’est possible ». Au prix de profonds changements organisationnels (anticiper et mieux gérer ses stocks) et de choix stratégiques (utiliser du levain pour une conservation plus longue du pain). « S’adapter à une énergie intermittente n’est ni plus ni moins difficile que de tenir une boulangerie classique : ce sont juste d’autres savoir-faire, d’autres méthodes. Ça nécessite de la recherche et du temps, mais ça fonctionne, souligne le fondateur de NeoLoco. L’idée ce n’est pas simplement de remplacer le four traditionnel, mais de se demander quelles énergies sont à notre disposition, dans quel(s) domaine(s) elles sont les plus performantes, et comment on s’organise autour pour en bénéficier un maximum. »
Derrière la boulangerie solaire, une réflexion plus large sur nos choix énergétiques
Et l’ingénieur sait de quoi il parle. En 2009, alors en études d’ingénieur à PolyTech Nantes, il crée avec un ami et camarade l’association des Vagabonds de l’énergie, et part explorer les stratégies énergétiques développées en Europe et en Asie. Mines de charbon dans le Donbass, gazoduc en mer Baltique, EPR en Finlande, éco-villages en Allemagne… En un an, il étudie 70 projets dans plus de 20 pays. L’une de ces rencontres l’amène à découvrir Solar Fire, entreprise qui développe les concentrateurs solaires Lytefire aujourd’hui utilisés chez NeoLoco, et dont il deviendra directeur technique en 2014. De ce voyage il revient avec un constat : les pays font des choix énergétiques différents alors que les moyens et les applications techniques sont les mêmes partout ; et une certitude : l’enjeu de l’énergie relève moins d’une question technique que d’un choix de société.
Fort de ses recherches et de ses réflexions personnelles, Arnaud remet en question le schéma proposé par les formations d’ingénieur : « si je suis devenu ingénieur dans l’énergie c’est parce que je pensais qu’un ingénieur devait être capable d’identifier un problème dans la société et y apporter des solutions techniques. Mais on nous préparait à intégrer des grandes entreprises qui contribuent plus aux problèmes qu’à y apporter des réponses. » Et quand solutions il y a, celles-ci sont bien souvent court-termistes. « Aujourd’hui on utilise des ressources finies, qu’on ne pourra pas transmettre aux générations futures. Que pèsent les 40 prochaines années à l’échelle de l’humanité ? Quelle est l’importance de garder le niveau de confort de vie occidental quelques années de plus par rapport à la suite de l’histoire ? »
Avec sa boulangerie solaire, Arnaud aligne ses savoir-faire et sa quête de sens, et change la société, une fournée à la fois. « Je me sens beaucoup plus ingénieur en faisant du pain aujourd’hui que si j’étais dans un bureau d’études. On est vraiment en train de transformer un modèle d’activité. Ça va beaucoup plus loin que simplement faire du pain. » Une démarche qui trouve un écho chez beaucoup de personnes. De l’aveu de son créateur, « le modèle de NeoLoco a suscité énormément d’intérêt : des visites sont organisées régulièrement, 100 à 150 artisans sont venus se former pour apprendre à travailler avec une énergie intermittente, et depuis 2019, une douzaine ont monté leur propre structure. » Un succès qu’Arnaud explique en partie par la symbolique derrière la production de pain : « ça donne envie, ça nourrit, et quelque part ça rassure de se dire qu’on peut faire des aliments en se passant de beaucoup de contraintes. », mais aussi par les réponses qu’apporte cette forme d’artisanat aux personnes en quête de changement et d’apaisement : « Les gens qui viennent en formation sont à la recherche d’un changement de rythme, d’un changement de vie. Ils et elles souhaitent être plus serein·es, plus connecté·es aux choses. Avec la boulangerie solaire on va amener de l’apaisement, alimenter des activités de base assez concrètes. »
Ce qu’il a appris avec la boulangerie solaire et la torréfaction, Arnaud tente maintenant de l’appliquer à d’autres secteurs d’activité, à d’autres échelles. Avec NeoLoco, il a prouvé que bien pensé et bien déployé, un modèle reposant sur les énergies intermittentes est viable, et parfois même plus souple que le modèle « classique ». « Depuis des années les énergéticiens nous expliquent que les énergies intermittentes ne peuvent pas alimenter l’économie. Mais cet hiver, quand les entreprises ont dû tordre leur système de fonctionnement et faire face aux indisponibilités d’électricité et aux explosions des coûts, à NeoLoco on a continué à produire du pain sans augmenter nos prix et sans problème. On sent qu’on est vraiment au début du potentiel, de ce qu’il est possible de faire. » Et à celles et ceux qui continueraient de pinailler, Arnaud rétorque : « le jour où on aura investi autant de milliards dans l’utilisation des énergies intermittentes là où elles sont le plus performantes, que dans le nucléaire, on en rediscute. Donnez-moi un milliard sur les 12 qu’a reçu l’EPR de Flamanville, et là on pourra parler. »
Louiselle Debiez
Retrouvez toute l’histoire d’Arnaud et de sa boulangerie solaire dans La boulangerie solaire, un exemple pour un futur radieux, disponible sur notre boutique ! 📙
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