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Sortir du nucléaire n°73



Printemps 2017

Les ravages de l’uranium kazakh

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°73 - Printemps 2017

 Uranium et mines


Au sud du Kazakhstan, qui alimente l’industrie nucléaire mondiale, les forages se sont multipliés depuis une dizaine d’années pour extraire 40 % de l’uranium produit dans le monde. Pour s’approprier ce dangereux métal radioactif, des hommes politiques et hommes d’affaires ont recours à des tractations douteuses, tandis que les steppes kazakhes sont durablement atteintes par des pollutions chimiques et radiotoxiques.



En décembre 2014, une photo ridiculise le président François Hollande en chapka lors de sa visite officielle à Astana, la capitale du Kazakhstan. Cette photo devient rapidement la risée du web. Sous Sarkozy et Hollande, il y a eu pas moins de huit rencontres en neuf ans entre les présidents français et le président kazakh, Nazarbaïev. C’est deux fois plus d’égards que pour les Indiens, les Turcs ou les Brésiliens. Mais pourquoi toutes ces visites ? Pour alimenter en uranium à la fois la production électronucléaire de la France et sa force de frappe atomique. Même s’il faut pour cela pactiser avec le président Nazarbaïev, richissime dictateur appelé Noursultan "sultan de lumière", à la tête du pays depuis son indépendance en 1991.

Areva au Kazakhstan : une croissance diabolique

Les autorités kazakhes ont délivré progressivement des permis miniers de plus en plus colossaux aux Français : en 1999, la société Katco, une filiale franco-kazakh de la compagnie nationale Kazatomprom, se voit accorder un premier permis d’exploitation dans le désert de Muyunkum pour 100 tonnes d’uranium par an. En 2004, le site minier de Tortkuduk obtient une autorisation jusqu’à 1500 tonnes par an, soit un peu plus de 10 % des besoins d’Areva. En 2008, la présidente d’Areva Anne Lauvergeon signe un accord avec le directeur de Kazatomprom, Moukhtar Djakichev, augmentant la production de Katco à 4000 tonnes par an pendant 30 ans. Les contreparties de ces accords, éminemment stratégiques pour l’industrie nucléaire française, sont restées secrètes.

Un an plus tard, le 1er avril 2009, le partenaire d’Areva Moukhtar Djakichev fait l’objet d’une enquête pour détournement de fonds, corruption et vente illégale de gisements miniers à des intérêts étrangers. Puis il est rapidement emprisonné dans les geôles kazakhes, rejoint deux jours plus tard par ses trois principaux collaborateurs. L’année suivante, il est condamné à 14 ans de prison de haute sécurité. Alors que ses avocats font un battage autour des conditions indignes de sa détention, il est presque tabassé à mort à l’occasion de son transfert dans la prison de Karaganda, un ancien goulag soviétique. Le 1er avril 2014, le nouveau partenaire d’Areva, Valery Shevelv, à Kazatomprom, est condamné à deux ans de prison pour un détournement de 710 millions de dollars.

Entrée de l’usine de Malvési, à Narbonne.

La France signe des contrats kazakhs douteux

Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir fait pression sur le Sénat belge, à la demande du président Nazarbaïev, afin de lever les poursuites judiciaires belges de trois hommes d’affaires kazakhs (Pathok Chodiev, Alexandre Machkevitch et Alijan Ibragimov), et permettre en contrepartie la vente au Kazakhstan de 45 hélicoptères fabriqués par Eurocopter. Lors de la visite d’État de N. Sarkozy au Kazakhstan, le 6 octobre 2009, le président était accompagné de Mme Lauvergeon, PDG d’Areva, venue pour signer un accord de coopération avec Kazatomprom. On ne connaîtra peut-être jamais tous les dessous de cette affaire, mais une chose est sûre : le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy s’est vu offrir une montre d’une valeur de 44000 euros par l’homme d’affaires Pathok Chodiev, poursuivi en Belgique.

Des contrats mettent en concurrence les travailleurs du nucléaire français avec le Kazakhstan. Areva divulgue ses technologies de pointe au Kazakhstan, qui a pour ambition de fabriquer du combustible nucléaire pour les centrales asiatiques. Mais Areva, en grande difficulté financière, ne parvient pas à attirer les capitaux kazakhs. Le plus souvent, les négociations sont des revers pour l’industriel tricolore :
 en 2011, le ministre de l’Industrie Éric Besson, accompagné par Sébastien de Montessus, le responsable Mines d’Areva, fait un voyage au Kazakhstan pour essayer, sans succès, de faire entrer le groupe minier Kazatomprom au capital de Comurhex II, la filiale d’Areva qui réceptionne l’uranium pour le raffiner à Malvési dans l’Aude. Depuis 50 ans, cette usine d’Areva accumule dans la banlieue de Narbonne les déchets radioactifs issus du raffinage d’uranium. Elle est mise en concurrence avec l’usine kazakh d’Oulba, grâce à l’accord signé par Eric Besson visant à fabriquer 200 tonnes de combustible nucléaire par an au Kazakhstan.
 en 2016, une délégation de Kazatomprom rencontre à nouveau des représentants d’Areva et de l’État français en vue d’un investissement du Kazakhstan pour renflouer l’entreprise Areva en faillite. Sans succès encore une fois. Mais la Chine réussit à prendre une participation dans l’usine d’Oulba à hauteur de 49 %, au détriment d’Areva.

L’Amérique carbure à l’uranium kazakh

Lorsqu’il déclare son indépendance le 16 décembre 1991, le Kazakhstan se retrouve alors avec le quatrième plus grand arsenal nucléaire au monde : plus de 1400 ogives. Mais il décide alors de devenir l’un des premiers pays au monde à renoncer aux armes nucléaires, et par la même occasion de fournir le monde en uranium enrichi. De 1993 à 2013, la Russie a transformé 500 tonnes d’uranium hautement enrichi (UHE), l’équivalent de 20000 ogives nucléaires, en 14500 tonnes d’uranium faiblement enrichi (UFE), comme prévu par le programme russo-américain intitulé "Mégatonnes en mégawatts". Cet uranium a assuré près de la moitié des besoins annuels des centrales nucléaires américaines pendant 20 ans.

Mais cela ne suffit pas pour alimenter les 65 centrales nucléaires des États-Unis. En 2005, l’ancien président Bill Clinton atterrit à Almaty (ancienne capitale kazakh) dans l’avion privé d’un homme d’affaires canadien, Frank Giustra. Après un dîner avec le président Nazarbaïev, ils créent une société minière junior, UrAsia, pour laquelle le gouvernement kazakh concède trois importants gisements d’uranium pour 60 millions de dollars.

En 2007, alors que le cours de l’uranium atteint des sommets, Frank Guistra revend sa junior à l’entreprise minière Uranium One sur la bourse de Toronto pour un total de 3,1 milliards de dollars. Cette opération extrêmement lucrative est un modèle pour les entrepreneurs d’Uramin, la junior africaine qui plombe les comptes d’Areva .

Parallèlement, en 2007, Guistra fonde une succursale de la fondation Clinton au Canada, appelée Giustra Clinton Foundation, qui reverse la quasi-totalité des fonds récoltés à sa maison mère, la fondation Clinton à New York. De 2009 à 2013, alors qu’Hillary était secrétaire d’État et cheffe de la diplomatie américaine, M. Giustra a vendu la totalité du groupe Uranium One aux Russes, en plusieurs tranches pour un montant supérieur à 3,5 milliards de dollars. Cette affaire a été révélée pendant la campagne présidentielle et a participé à la défaite d’Hillary Clinton face à Donald Trump.

Kazakhstan : un désarmement nucléaire en trompe-l’œil

Depuis la dissolution de l’Union soviétique en 1991, le Kazakhstan a pris de nombreuses initiatives pour le désarmement nucléaire sur la scène internationale, à commencer par la fermeture du polygone de Semipalatinsk (premier et un des principaux sites atomiques soviétiques). Le Kazakhstan travaille en étroite coopération avec l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) contre la prolifération nucléaire, en accueillant notamment des négociations sur le programme nucléaire de son voisin iranien. Aujourd’hui, l’Iran veut acheter 950 tonnes d’uranium kazakh pour industrialiser son programme nucléaire.

En 2008, le Kazakhstan s’est proposé d’établir une banque internationale de combustible nucléaire de l’AIEA, sur le site de l’usine métallurgique d’Oulba à Öskemen. Mais en 2013, plus de 8000 Kazakhstanais ont signé une pétition demandant l’annulation de l’accord d’importation de combustible nucléaire.

Jusqu’où iront les ambitions kazakhs pour l’uranium ? À première vue, les limites semblent surtout dictées par le cours de l’uranium : en janvier 2017, alors que l’uranium dégringole à moins de 20 dollars la livre, le Kazakhstan renonce à produire 2000 tonnes par an, soit 10 % de sa production. Le cours de l’uranium augmente alors légèrement d’environ 10 %. Mais gageons que d’autres difficultés viendront contrecarrer les plans de l’industrie minière de l’uranium, dont les nuisances sont énormes... L’uranium kazakh est un métal puissant mais nuisible qui, tel un dragon, ferait mieux de rester sous terre !

Hervé Loquais

Référence importante sur le sujet : Une affaire atomique, UraMin/Areva, l’hallucinante saga d’un scandale d’état, de Vincent Crouzet, éd. Robert Laffont, 2017 .

Une pollution des steppes quasi-irréversible

Pour extraire l’uranium dans les steppes kazakhs, on injecte dans des forages de l’acide sulfurique qui est ensuite repompé à la surface. Cette méthode, appelée lixiviation in situ (ISL), est testée par les soviétiques dès les années 1970. Elle laisse d’abondants déchets radioactifs et épuise rapidement les sols. Il faut alors forer un peu plus loin. Le procédé laisse des concentrations toxiques de métaux lourds dans les nappes phréatiques. Ces mines d’uranium sont situées dans les steppes désertiques d’un pays 4 fois moins peuplé que la France, mais 4 fois plus vaste. Cette pollution persistera pendant des milliers d’années, la faune et la flore des steppes sont contaminées, et l’avenir des quelques populations nomades qui vivent encore dans ces régions est menacé.

Le Kazakhstan est un pays qui a vu les effets désastreux des déchets radioactifs et des essais nucléaires de l’Union soviétique sur le gigantesque polygone de Semipalatinsk. Mais les fonctionnaires de Kazatomprom n’expriment aucune inquiétude à propos de l’exploitation minière de l’uranium : ils soutiennent que les processus naturels vont nettoyer les sites des mines. "Nous extrayons l’uranium d’un gisement souterrain et l’envoyons dans des réacteurs nucléaires, donc nous purifions en fait le sous-sol des métaux lourds" affirme Kalilallo Baytasov, cadre supérieur de Kazatomprom.

Aux États-Unis, les entreprises qui utilisent la même méthode ont essayé sans succès pendant des années de ramener les eaux souterraines dans leur état initial avant l’exploitation minière. En ex-Allemagne de l’Est, à Königstein (Saxe), la lixiviation in situ de la société Wismut a laissé des effluents hautement contaminés qui présentent un risque non négligeable pour l’aquifère qui alimente la région en eau potable.

Des transports confidentiels à hauts risques

Les transports de l’uranium du Kazakhstan vers la France sont confidentiels, dangereux et régulièrement contestés lorsqu’ils traversent l’Allemagne.

Pour rejoindre l’usine de Malvési dans la banlieue de Narbonne – seul point d’entrée de l’uranium en Europe - des conteneurs de yellow cake parcourent environ 4000 km de rails à travers le Kazakhstan et la Russie européenne. Quand ils arrivent à Saint-Pétersbourg, ils sont chargés sur un bateau à destination de Hambourg. Enfin, ils sont à nouveau transportés sur 1600 km de rails en Allemagne puis en France via Metz, Dijon, Valence et Montpellier. Ces transports ont lieu tous les mois environ.

L’Autorité de Sûreté Nucléaire française (ASN) considère qu’ils ne présentent pas d’enjeux significatifs de sûreté nucléaire. Pourtant l’uranium naturel possède une activité de l’ordre de 26000 becquerels par gramme, soit l’équivalent d’un déchet de faible activité à vie longue (FAVL).

En novembre 2014, des militants allemands de l’organisation "Robin Wood" ont bloqué un train transportant du concentré de minerai d’uranium ("yellowcake") à son départ du port de Hambourg. Le train est ensuite reparti vers la France.

En février 2015, Robin Wood et d’autres groupes locaux ont manifesté dans 10 villes allemandes contre un transport de minerai d’uranium depuis le port de Hambourg. À Narbonne, une soixantaine de militants ont attendu ce train de pied ferme le 13 février, mais il a été volontairement retardé pour éviter l’accueil de ces citoyens vigilants.

Si vous êtes intéressés pour participer à la campagne du Réseau "Sortir du nucléaire" contre les transports d’uranium entre Hambourg et Malvési, merci de nous contacter à cette adresse : mobilisations@sortirdunucleaire.fr ou sur le 0685230511 (Laura) ou 0760150123 (Mélisande)

En décembre 2014, une photo ridiculise le président François Hollande en chapka lors de sa visite officielle à Astana, la capitale du Kazakhstan. Cette photo devient rapidement la risée du web. Sous Sarkozy et Hollande, il y a eu pas moins de huit rencontres en neuf ans entre les présidents français et le président kazakh, Nazarbaïev. C’est deux fois plus d’égards que pour les Indiens, les Turcs ou les Brésiliens. Mais pourquoi toutes ces visites ? Pour alimenter en uranium à la fois la production électronucléaire de la France et sa force de frappe atomique. Même s’il faut pour cela pactiser avec le président Nazarbaïev, richissime dictateur appelé Noursultan "sultan de lumière", à la tête du pays depuis son indépendance en 1991.

Areva au Kazakhstan : une croissance diabolique

Les autorités kazakhes ont délivré progressivement des permis miniers de plus en plus colossaux aux Français : en 1999, la société Katco, une filiale franco-kazakh de la compagnie nationale Kazatomprom, se voit accorder un premier permis d’exploitation dans le désert de Muyunkum pour 100 tonnes d’uranium par an. En 2004, le site minier de Tortkuduk obtient une autorisation jusqu’à 1500 tonnes par an, soit un peu plus de 10 % des besoins d’Areva. En 2008, la présidente d’Areva Anne Lauvergeon signe un accord avec le directeur de Kazatomprom, Moukhtar Djakichev, augmentant la production de Katco à 4000 tonnes par an pendant 30 ans. Les contreparties de ces accords, éminemment stratégiques pour l’industrie nucléaire française, sont restées secrètes.

Un an plus tard, le 1er avril 2009, le partenaire d’Areva Moukhtar Djakichev fait l’objet d’une enquête pour détournement de fonds, corruption et vente illégale de gisements miniers à des intérêts étrangers. Puis il est rapidement emprisonné dans les geôles kazakhes, rejoint deux jours plus tard par ses trois principaux collaborateurs. L’année suivante, il est condamné à 14 ans de prison de haute sécurité. Alors que ses avocats font un battage autour des conditions indignes de sa détention, il est presque tabassé à mort à l’occasion de son transfert dans la prison de Karaganda, un ancien goulag soviétique. Le 1er avril 2014, le nouveau partenaire d’Areva, Valery Shevelv, à Kazatomprom, est condamné à deux ans de prison pour un détournement de 710 millions de dollars.

Entrée de l’usine de Malvési, à Narbonne.

La France signe des contrats kazakhs douteux

Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir fait pression sur le Sénat belge, à la demande du président Nazarbaïev, afin de lever les poursuites judiciaires belges de trois hommes d’affaires kazakhs (Pathok Chodiev, Alexandre Machkevitch et Alijan Ibragimov), et permettre en contrepartie la vente au Kazakhstan de 45 hélicoptères fabriqués par Eurocopter. Lors de la visite d’État de N. Sarkozy au Kazakhstan, le 6 octobre 2009, le président était accompagné de Mme Lauvergeon, PDG d’Areva, venue pour signer un accord de coopération avec Kazatomprom. On ne connaîtra peut-être jamais tous les dessous de cette affaire, mais une chose est sûre : le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy s’est vu offrir une montre d’une valeur de 44000 euros par l’homme d’affaires Pathok Chodiev, poursuivi en Belgique.

Des contrats mettent en concurrence les travailleurs du nucléaire français avec le Kazakhstan. Areva divulgue ses technologies de pointe au Kazakhstan, qui a pour ambition de fabriquer du combustible nucléaire pour les centrales asiatiques. Mais Areva, en grande difficulté financière, ne parvient pas à attirer les capitaux kazakhs. Le plus souvent, les négociations sont des revers pour l’industriel tricolore :
 en 2011, le ministre de l’Industrie Éric Besson, accompagné par Sébastien de Montessus, le responsable Mines d’Areva, fait un voyage au Kazakhstan pour essayer, sans succès, de faire entrer le groupe minier Kazatomprom au capital de Comurhex II, la filiale d’Areva qui réceptionne l’uranium pour le raffiner à Malvési dans l’Aude. Depuis 50 ans, cette usine d’Areva accumule dans la banlieue de Narbonne les déchets radioactifs issus du raffinage d’uranium. Elle est mise en concurrence avec l’usine kazakh d’Oulba, grâce à l’accord signé par Eric Besson visant à fabriquer 200 tonnes de combustible nucléaire par an au Kazakhstan.
 en 2016, une délégation de Kazatomprom rencontre à nouveau des représentants d’Areva et de l’État français en vue d’un investissement du Kazakhstan pour renflouer l’entreprise Areva en faillite. Sans succès encore une fois. Mais la Chine réussit à prendre une participation dans l’usine d’Oulba à hauteur de 49 %, au détriment d’Areva.

L’Amérique carbure à l’uranium kazakh

Lorsqu’il déclare son indépendance le 16 décembre 1991, le Kazakhstan se retrouve alors avec le quatrième plus grand arsenal nucléaire au monde : plus de 1400 ogives. Mais il décide alors de devenir l’un des premiers pays au monde à renoncer aux armes nucléaires, et par la même occasion de fournir le monde en uranium enrichi. De 1993 à 2013, la Russie a transformé 500 tonnes d’uranium hautement enrichi (UHE), l’équivalent de 20000 ogives nucléaires, en 14500 tonnes d’uranium faiblement enrichi (UFE), comme prévu par le programme russo-américain intitulé "Mégatonnes en mégawatts". Cet uranium a assuré près de la moitié des besoins annuels des centrales nucléaires américaines pendant 20 ans.

Mais cela ne suffit pas pour alimenter les 65 centrales nucléaires des États-Unis. En 2005, l’ancien président Bill Clinton atterrit à Almaty (ancienne capitale kazakh) dans l’avion privé d’un homme d’affaires canadien, Frank Giustra. Après un dîner avec le président Nazarbaïev, ils créent une société minière junior, UrAsia, pour laquelle le gouvernement kazakh concède trois importants gisements d’uranium pour 60 millions de dollars.

En 2007, alors que le cours de l’uranium atteint des sommets, Frank Guistra revend sa junior à l’entreprise minière Uranium One sur la bourse de Toronto pour un total de 3,1 milliards de dollars. Cette opération extrêmement lucrative est un modèle pour les entrepreneurs d’Uramin, la junior africaine qui plombe les comptes d’Areva .

Parallèlement, en 2007, Guistra fonde une succursale de la fondation Clinton au Canada, appelée Giustra Clinton Foundation, qui reverse la quasi-totalité des fonds récoltés à sa maison mère, la fondation Clinton à New York. De 2009 à 2013, alors qu’Hillary était secrétaire d’État et cheffe de la diplomatie américaine, M. Giustra a vendu la totalité du groupe Uranium One aux Russes, en plusieurs tranches pour un montant supérieur à 3,5 milliards de dollars. Cette affaire a été révélée pendant la campagne présidentielle et a participé à la défaite d’Hillary Clinton face à Donald Trump.

Kazakhstan : un désarmement nucléaire en trompe-l’œil

Depuis la dissolution de l’Union soviétique en 1991, le Kazakhstan a pris de nombreuses initiatives pour le désarmement nucléaire sur la scène internationale, à commencer par la fermeture du polygone de Semipalatinsk (premier et un des principaux sites atomiques soviétiques). Le Kazakhstan travaille en étroite coopération avec l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) contre la prolifération nucléaire, en accueillant notamment des négociations sur le programme nucléaire de son voisin iranien. Aujourd’hui, l’Iran veut acheter 950 tonnes d’uranium kazakh pour industrialiser son programme nucléaire.

En 2008, le Kazakhstan s’est proposé d’établir une banque internationale de combustible nucléaire de l’AIEA, sur le site de l’usine métallurgique d’Oulba à Öskemen. Mais en 2013, plus de 8000 Kazakhstanais ont signé une pétition demandant l’annulation de l’accord d’importation de combustible nucléaire.

Jusqu’où iront les ambitions kazakhs pour l’uranium ? À première vue, les limites semblent surtout dictées par le cours de l’uranium : en janvier 2017, alors que l’uranium dégringole à moins de 20 dollars la livre, le Kazakhstan renonce à produire 2000 tonnes par an, soit 10 % de sa production. Le cours de l’uranium augmente alors légèrement d’environ 10 %. Mais gageons que d’autres difficultés viendront contrecarrer les plans de l’industrie minière de l’uranium, dont les nuisances sont énormes... L’uranium kazakh est un métal puissant mais nuisible qui, tel un dragon, ferait mieux de rester sous terre !

Hervé Loquais

Référence importante sur le sujet : Une affaire atomique, UraMin/Areva, l’hallucinante saga d’un scandale d’état, de Vincent Crouzet, éd. Robert Laffont, 2017 .

Une pollution des steppes quasi-irréversible

Pour extraire l’uranium dans les steppes kazakhs, on injecte dans des forages de l’acide sulfurique qui est ensuite repompé à la surface. Cette méthode, appelée lixiviation in situ (ISL), est testée par les soviétiques dès les années 1970. Elle laisse d’abondants déchets radioactifs et épuise rapidement les sols. Il faut alors forer un peu plus loin. Le procédé laisse des concentrations toxiques de métaux lourds dans les nappes phréatiques. Ces mines d’uranium sont situées dans les steppes désertiques d’un pays 4 fois moins peuplé que la France, mais 4 fois plus vaste. Cette pollution persistera pendant des milliers d’années, la faune et la flore des steppes sont contaminées, et l’avenir des quelques populations nomades qui vivent encore dans ces régions est menacé.

Le Kazakhstan est un pays qui a vu les effets désastreux des déchets radioactifs et des essais nucléaires de l’Union soviétique sur le gigantesque polygone de Semipalatinsk. Mais les fonctionnaires de Kazatomprom n’expriment aucune inquiétude à propos de l’exploitation minière de l’uranium : ils soutiennent que les processus naturels vont nettoyer les sites des mines. "Nous extrayons l’uranium d’un gisement souterrain et l’envoyons dans des réacteurs nucléaires, donc nous purifions en fait le sous-sol des métaux lourds" affirme Kalilallo Baytasov, cadre supérieur de Kazatomprom.

Aux États-Unis, les entreprises qui utilisent la même méthode ont essayé sans succès pendant des années de ramener les eaux souterraines dans leur état initial avant l’exploitation minière. En ex-Allemagne de l’Est, à Königstein (Saxe), la lixiviation in situ de la société Wismut a laissé des effluents hautement contaminés qui présentent un risque non négligeable pour l’aquifère qui alimente la région en eau potable.

Des transports confidentiels à hauts risques

Les transports de l’uranium du Kazakhstan vers la France sont confidentiels, dangereux et régulièrement contestés lorsqu’ils traversent l’Allemagne.

Pour rejoindre l’usine de Malvési dans la banlieue de Narbonne – seul point d’entrée de l’uranium en Europe - des conteneurs de yellow cake parcourent environ 4000 km de rails à travers le Kazakhstan et la Russie européenne. Quand ils arrivent à Saint-Pétersbourg, ils sont chargés sur un bateau à destination de Hambourg. Enfin, ils sont à nouveau transportés sur 1600 km de rails en Allemagne puis en France via Metz, Dijon, Valence et Montpellier. Ces transports ont lieu tous les mois environ.

L’Autorité de Sûreté Nucléaire française (ASN) considère qu’ils ne présentent pas d’enjeux significatifs de sûreté nucléaire. Pourtant l’uranium naturel possède une activité de l’ordre de 26000 becquerels par gramme, soit l’équivalent d’un déchet de faible activité à vie longue (FAVL).

En novembre 2014, des militants allemands de l’organisation "Robin Wood" ont bloqué un train transportant du concentré de minerai d’uranium ("yellowcake") à son départ du port de Hambourg. Le train est ensuite reparti vers la France.

En février 2015, Robin Wood et d’autres groupes locaux ont manifesté dans 10 villes allemandes contre un transport de minerai d’uranium depuis le port de Hambourg. À Narbonne, une soixantaine de militants ont attendu ce train de pied ferme le 13 février, mais il a été volontairement retardé pour éviter l’accueil de ces citoyens vigilants.

Si vous êtes intéressés pour participer à la campagne du Réseau "Sortir du nucléaire" contre les transports d’uranium entre Hambourg et Malvési, merci de nous contacter à cette adresse : mobilisations@sortirdunucleaire.fr ou sur le 0685230511 (Laura) ou 0760150123 (Mélisande)



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