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À propos de la mini-série TV Chernobyl

Les faits dévoilés par la série HBO Chernobyl décryptés par une ancienne liquidatrice

Article publié le 27 mai 2021



« Tchernobyl. Ma douleur éternelle »

La série sur Tchernobyl diffusée par HBO (et sur la chaine M6 en 2021) a suscité un immense intérêt dans de nombreux pays du monde et incité de nombreux spectateurs à découvrir les risques d’une catastrophe nucléaire majeure. Elle a par ailleurs reçu la récompense de la meilleure mini-série aux Golden Globe. Mais cette œuvre de fiction respecte-t-elle la réalité des événements et des personnages réels ?

Comment faire la distinction entre le vrai et le faux ?

Natalia M., est une ingénieure russe en radioprotection. Elle a travaillé en tant que liquidatrice dans la zone de Tchernobyl (1987-1991). Elle a payé cette mission de sa santé et souffre maintenant d’un syndrome chronique d’irradiation. Elle nous offre un témoignage exceptionnel en répondant à des questions que chacun peut se poser par rapport à la série.

Le texte français qui suit a été écrit par Nadezda Kutepova avec l’aide de Jean-Yvon Landrac.



1. Les employés de la centrale ne sont pas suffisamment qualifiés, quelqu’un explique qu’ils traitaient le réacteur de la centrale comme une casserole. C’est vrai.

En réalité, à l’époque soviétique, il existait une grande différence de qualification et de formation entre le personnel qui travaillait pour l’industrie nucléaire civile et celui qui travaillait dans le secteur nucléaire militaire. Pour devenir un grand spécialiste et gérer un réacteur nucléaire militaire, après des études, il fallait faire un stage de longue durée. Par exemple, mon père qui a travaillé pendant 40 ans en étant chargé de maintenance en qualité de mécanicien du réacteur nucléaire à Maïak, était également directeur de stage pendant au moins 3 ans pour des jeunes ingénieurs. Les stagiaires devaient apprendre et maîtriser toute la réglementation technique existante, respecter les consignes de leur maître de stage à la lettre et obtenir leurs examens avec mention très bien. Au contraire, dans l’industrie nucléaire civile il n’y avait pas une telle exigence.

2. Un goût métallique dans la bouche. C’est vrai.

Dans la zone de 30 km autour de la centrale entre 1986 et 1987 presque chacun l’avait senti dans la bouche. Mais les responsables soviétiques du nettoyage affirmaient le contraire. Ceux-ci expliquaient à tout le monde que c’était un mensonge, un fantasme. Ils insistaient sur le fait que ce n’était pas la radiation qui le provoquait et que c’était uniquement les gens qui portaient des prothèses dentaires en métal qui pouvaient le sentir, pas les autres.

3. Un dosimètre affiche un bruit de fond de 3,6 Röntgen. C’est vrai.

Les dosimètres à la centrale étaient très précis et bien calibrés. Ils montraient les mesures réelles. En outre, mes collègues, les scientifiques de l’usine nucléaire Maïak qui sont venus le 1er mai 1986 ont apporté un autre type de dosimètre ; ce dernier, un dosimètre spécial, militaire, pouvait mesurer un niveau allant de 100 jusqu’à 1000 fois le bruit de fond normal. Hélas, il s’agissait uniquement des mesures de la contamination externe. Personne ne parlait à l’époque de l’irradiation interne et personne ne la mesurait.

4. Une chaîne humaine de soldats autour de la zone contaminée. C’est vrai.

Juste après l’accident, la police locale a reçu l’ordre d’organiser un barrage humain autour de la zone pour empêcher les curieux d’accéder à la zone sans autorisation, ce qui a été fait par des policiers et des militaires. Néanmoins, malgré cet ordre et les appels des autorités à ne pas paniquer, selon des témoignages d’anciens travailleurs de la centrale, un chef du service de la radioprotection de la centrale, a pris son véhicule personnel et, en visitant chaque poste, a alerté les policiers et les soldats en les appelant à fuir le réacteur en feu pour rester en vie. Lui-même est décédé peu après.

5. Un sapeur-pompier prend un morceau de graphite radioactif à la main. C’est vrai.

Ces derniers ne connaissaient pas du tout le réacteur. Ils n’étaient pas formés pour gérer les conséquences graves d’un accident nucléaire. À l’époque, l’État soviétique menait une vaste campagne de propagande qui vantait la sécurité et la sûreté totales de l’industrie nucléaire civile. Personne dans la population de Pripiat n’était prêt à faire face à un ’accident potentiel. Au cours des premières heures après l’explosion tout le monde s’est rendu sur le pont local pour mieux voir le réacteur osciller et brûler. Mais cette décision a été funeste pour nombre d’entre eux. Par exemple, une de mes amies qui travaillait au réacteur n°1 avait une grande fille et un petit bébé qui habitaient chez sa belle mère dans un bâtiment plus proche de la centrale. Ce jour-là, par curiosité, elle s’est assise sur un banc avec la poussette pour regarder. L’enfant a été gravement irradié et pendant longtemps n’a pas été capable de marcher.

6. Une scientifique de l’institut de Minsk prend un comprimé d’iodure de potassium (stable). À l’inverse, il n’y pas d’iode dans la salle du réacteur pour les travailleurs de la centrale. C’est vrai.

Le premier élément radioactif particulièrement dangereux rejeté immédiatement après l’accident est l’iode 131, qui attaque la thyroïde. Les enfants y sont plus sensibles que les adultes. C’est pourquoi il faut rapidement prendre des comprimés d’iode stable. Celui-ci sature la thyroïde et cette dernière ne capte pas l’iode radioactif et est ainsi protégée. Les scientifiques soviétiques connaissaient bien cette règle et l’ont bien appliquée. Mais ni la population des alentours, ni les travailleurs dans la salle du réacteur, n’avaient connaissance de celle-ci et n’avaient des comprimés d’iode à leur disposition.

Ici je remarque encore une fois les différences évoquées plus haut entre les cultures de protection dans le secteur nucléaire civil et le secteur nucléaire militaire. En me souvenant de mon enfance dans la ville fermée d’Oziorsk à côté de l’usine Maïak (produisant le plutonium militaire) je pourrais vous dire que nous avions eu beaucoup d’alertes éducatives et préventives pour réagir en cas de bombardement nucléaire. Sans aucune panique, nous descendions à l’abri antiradiation sous l’école, nous recevions des boites oranges contenant le comprimé d’iode, nous apprenions à utiliser un masque à gaz et nous simulions l’injection d’un vaccin en cas de contamination bactériologique. Mais pour la population autour des centrales, cela n’existait pas. Aujourd’hui tout est oublié.

7. Des caisses de vodka au vu et au su de tous. C’est faux.

Une législation officielle existant dans la zone interdisait strictement le transport et l’utilisation de boissons alcoolisées sous peine de licenciement pour les travailleurs civils ou de punitions pénales pour les militaires. Néanmoins, on en buvait discrètement, sans autorisation. Pourquoi ? Durant la période soviétique il y avait un mythe selon lequel la vodka élimine les substances radioactives du corps humain. Depuis l’époque du scientifique Kourtchatov (années 1940-50, le père de la bombe atomique soviétique – note de la traductrice-), l’autorité nucléaire déposait des fûts de vodka devant les sorties des bâtiments de l’usine nucléaire Maïak où les travailleurs produisaient des matières radioactives. Ces fûts étaient reliés par une chaîne à une tasse métallique et étaient utilisés librement, même sur recommandation, par chacun au sortir du travail. Au fur et au mesure cela s’est transformé en un alcoolisme généralisé et a été supprimé et même interdit officiellement. Malgré cette expérience négative, cette « tradition » est revenue après Tchernobyl. On y a même eut recours une première fois lorsque de la vodka a été proposée par les responsables aux soldats travaillant sur le réacteur n°4 (on les appelait des bio-robots), pour lutter contre le stress.

8. La question « Avez-vous des cigarettes ? » posée de façon incongrue dans une situation de chaos et d’horreur. C’est vrai.

Cette question, qui semble habituelle en situation normale, signifiait dans ce cas-là une conduite inadéquate pour des gens mortellement irradiés. Selon une docteur qui m’a personnellement raconté cette histoire, la plupart des gens avaient reçu soit plusieurs brûlures, soit attrapé une maladie due à la radiation aiguë, soit les deux. Ils souffraient d’un choc dû à la douleur, qui conduisait à des troubles psychiques très graves. Ils ne comprenaient pas ce qui leur était arrivé. Lorsque ces irradiés étaient transportés à l’hôpital par bus, ils devaient s’arrêter toutes les 10 minutes car les gens vomissaient sans arrêt et se tapaient la tête contre les parois des bus à cause de cette terrible douleur.

9. Un sapeur-pompier portant un chapeau avec une grande étoile rouge. C’est faux.

Je suppose que cette idée cinématographique est venue à l’esprit de l’auteur pour plonger les téléspectateurs dans l’époque, pour qu’ils n’oublient pas qu’il s’agit de l’Union Soviétique.

10 . Les employés nucléaires fument toujours sur leur lieu du travail. C’est faux.

Fumer, était strictement interdit dans la zone, et tout le monde respectait cette interdiction (contrairement à la vodka). Ne pas fumer dans des endroits contaminés radioactivement, c’était une règle de fer pour les professionnels, et cette règle n’était jamais transgressée. Chacun d’entre nous sait que nos mains sont toujours contaminées. Et si on prend une cigarette (ou du tabac roulé à l’époque) ça veut dire qu’on la touche, si on la touche on la pollue, si on prend cette cigarette contaminée dans la bouche, on avale la radioactivité et on reçoit un rayonnement interne. Pour un professionnel, c’est évident. Bien sûr, de nos jours, il est possible de fumer même dans la zone contaminée. Mais pour que ce ne soit pas dangereux il y a un mode opératoire spécial qui n’est pas simple à respecter.

11. Chaîne hiérarchique de décisions et d’exécution. C’est vrai.

À cette époque-là, peu importait où vous vous travailliez, vous ne pouviez jamais être autonome. Aucune initiative, aucun acte, aucune idée, aucune décision de votre côté ne pouvait être accomplie ou exécutée sans être acceptée et autorisée par une autorité supérieure, notamment, de la part du parti communiste. Ca prenait toujours énormément de temps. Après l’accident, au début, c’était la même chose. Mais les autorités soviétiques ont vite compris que cette manière de prendre les décisions provoquait un danger qui risquait d’aggraver encore une situation déjà terrifiante, et ce modus operandi a été simplifié. On a commencé à résoudre les problèmes plus vite et les décisions étaient prises par des professionnels, et non plus par le parti communiste.

12. Le moment de gloire du pays. C’est vrai.

Dans l’Union Soviétique nous croyions tous dans le socialisme et dans sa victoire inéluctable. Nous estimions que même dans le cas d’une situation grave, comme l’accident de Tchernobyl, nous ne pouvions ni dénigrer l’image de la patrie du socialisme, ni paniquer à cause de l’accident nucléaire. Il nous fallait « faire bonne figure ». L’idée que nous poursuivions était de ne pas ruiner la réputation de notre pays, de notre système. C’est pourquoi nous mentions et nous avons tout basé sur ce mensonge complet. Dans le film c’est montré par un héros, un homme âgé. D’après moi, l’auteur du film exprime son avis sur l’influence du système communiste sur sa personnalité.

13. Des écolières allant à l’école en tablier blanc à Tchernobyl après l’accident (un extrait du documentaire soviétique). C’est faux.

Il y avait un uniforme d’écolier en URSS. Pour les filles, il comprenait une robe marron et un tablier, soit noir pour le quotidien, soit blanc pour des jours spéciaux et des fêtes. À Pripiat personne n’est allé à l’école en tablier blanc après l’accident. Mais je suppose que cela a pu avoir lieu à Kiev pour la fête du 1er Mai.

14. Des médecins qui embrassent des irradiés. C’est faux.

Les médecins comprenaient bien les conséquences de ce geste et n’agissaient pas ainsi. Je ne sais pas pourquoi l’auteur a voulu ces séquences. Je suppose que c’est pour montrer la profonde empathie des médecins vis–à-vis de l’état désespéré de ceux–ci.

15. La bataille héroïque d’un spécialiste du nucléaire, l’académicien Legassov. C’est vrai.

L’académicien Legassov est un personnage historique véritable. Son opiniâtreté et sa résistance afin de dénoncer le mensonge sont incarnés dans le film. En fait s’il personnifie ce comportement, d’autres spécialistes honnêtes restent inconnus du public.

16. Lever un toast à table « Pour le prolétariat de tous les pays ». C’est faux.

Cela n’a jamais existé, même en URSS. Habituellement les Russes en buvant disent « santé ! » (za zdorovie).

17. Des dosimètres individuels portés sur une combinaison blanche. C’est vrai.

Afin de passer les étapes censées protéger d’une diffusion spontanée de la radioactivité en dehors de la zone contaminée, il fallait, pour tout travailleur, quel que soit son rang, tout d’abord, se déshabiller dans un vestiaire, ensuite enfermer ses vêtements dans un tiroir personnel, ensuite en restant nu comme un ver traverser une zone de contrôle sanitaire (radiologique), ensuite s’habiller à nouveau avec des sous-vêtements spéciaux et un uniforme consistant en une combinaison et un bonnet blancs.

Dans la série, on voit des dosimètres utilisés après l’accident qui sont fixés à ces combinaisons. Ceux-ci, on les appelait les « dosimètres à film ». Ils fonctionnaient selon le mode suivant. Ils ne mesuraient la dose reçue que jusqu’à la dose maximale autorisée. Ça veut dire que vous ne pouviez jamais savoir quelle dose individuelle excédentaire vous aviez reçue exactement et pendant quelle durée. C’était un mensonge déguisé.

Et c’était absolument inhumain car en même temps d’autres dosimètres, plus adéquats et plus satisfaisants, existaient. Ces derniers mesuraient la radioactivité externe correctement et précisément. Ils consistaient en un cylindre métallique avec une extrémité en verre. Celui-ci donnait une mesure instantanée et non cumulée. Ce n’était pas parfait mais en tout cas déjà mieux. Plus tard, une nouvelle génération d’équipement est apparue : le dosimètre cumulatif. Il captait les radionucléides et mesurait la dose personnelle pendant une durée de 15 jours. Sa capacité était de 0,1 roentgen.

Néanmoins, même avec celui-ci, l’autorité nucléaire falsifiait les données reçues. De quelle manière ? En tenant 2 journaux simultanés et en les remplissant en parallèle. Le responsable notait la vraie dose dans le journal classifié (caché) et l’autre dose dans le journal accessible au public. Ce dernier, en étant systématiquement falsifié, satisfaisait aux normes prescrites par la loi existante statuant sur le seuil de rayonnement à ne pas dépasser. Bien évidement nous n’avions aucune connaissance de ceci à l’époque.

18 . 5 000 tonnes de sable, de bore et de ciment jetées pour éteindre le feu et ralentir la réaction dans le réacteur. Un hélicoptère qui y tombe. C’est vrai.

Avant Tchernobyl, le monde scientifique n’avait jamais envisagé un accident de ce type ni de telles conséquences. Éteindre le feu et ralentir la réaction, c’était les deux buts primordiaux. C’est pourquoi ils ont utilisé des technologies connues. Du sable et du ciment pour le premier but et du bore pour le deuxième. Finalement ils ont obtenu le résultat escompté mais au prix d’une pollution généralisée.

Quant à l’hélicoptère, en vérité il y en a eu deux qui sont tombés, entraînant la mort de leur équipage. À la différence de ce qui se passe dans la série, les appareils sont tombés plus tard, pendant la construction du premier sarcophage. Un enjeu plus sérieux existait pour des pilotes : la radioactivité ! Ils devaient se protéger eux-mêmes. Selon le pilote qui m’a raconté cela, l’équipement normal d’un hélicoptère n’offre pas une telle protection. Pour l’obtenir, ils couvraient le sol de la machine de feuilles de plomb ayant un poids énorme. Après cette manipulation protectrice, l’hélicoptère était en surcharge ; avec le poids il perdait sa capacité à faire des manœuvres. C’est pourquoi ils risquaient leur vie à chaque vol et on a perdu deux équipages.

19. Un camp militaire provisoire (village de tentes). C’est vrai.

Les militaires et le personnel civil étaient hébergés dans des villages de tentes provisoires.Ils y vivaient et avaient un temps de loisir en dehors du travail, tout en restant dans la zone. Ceci a continué jusqu’à la fin de la décontamination du territoire. Après avoir démoli ces villages dès le départ des travailleurs, en vérifiant la contamination de cet endroit et en préparant l’équipement contaminé (y compris ces tentes) pour l’enterrer, notre équipe de spécialistes de la radioprotection a été horrifiée par les résultats des mesures effectuées.

Je me souviens du jour où un spécialiste de la dosimétrie m’a alertée. Très en colère il a dénoncé les chiffres effrayants de ses mesures. La conséquence, c’était que toute la terre et les herbes prises sur le camp avaient été mortellement polluées et que les gens n’avaient rien à faire là-bas. Ni vivre, ni manger, ni dormir, ni y avoir des loisirs. Ils ont reçu d’importantes doses supplémentaires qui n’ont été pas mesurées, donc pas comptabilisées dans la dose totale, bien-sûr.

20. Euthanasie brutale des animaux domestiques abandonnés. C’est vrai.

Ce moment montré dans la sérié honnêtement est vrai et, à mon avis, c’est peut-être un des moments les plus tragiques de l’histoire de Tchernobyl. Je suppose même que l’auteur, pour ne pas heurter les sentiments des téléspectateurs, n’a intentionnellement pas témoigné de tout et a attiré l’attention des téléspectateurs sur l’euthanasie des chiens et des chats abandonnés.

La vérité est bien pire. En ce qui concerne les animaux domestiques, il y avait un ordre de l’autorité nucléaire interdisant aux gens de les prendre (y compris chats, chiens, vaches, chèvres, poulets, chevaux, cochons, etc.) lors de l’évacuation, car ils étaient devenus une source de contamination permanente. En cherchant de la nourriture, les chats et les chiens se sont enfuis après le départ de leurs maîtres, mais les autres ont souffert atrocement... Les gens qui espéraient rentrer ultérieurement les ont abandonnés en les attachant. Les autres qui savaient qu’ils ne rentreraient pas, les ont laissé partir. Les premiers étaient les moins chanceux. Lorsque l’équipe armée agissant sur ordre arrivait pour les tuer, l’image des animaux était horrifiante. Solitaires et malheureux, tentant de se libérer, ils avaient faim, criaient, gémissaient. Les militaires les tuaient avec des fusils automatiques et immédiatement les enterraient. C’était une véritable boucherie.

Plus tard on a attrapé les animaux qui s’étaient enfuis. Nous les avons transportés dans notre laboratoire pour faire des mesures et des expériences scientifiques.

Ensuite, les chiens, en se croisant avec des loups sauvages, ont donné naissance à une nouvelle race. Leur quantité a augmenté progressivement, ils ont commencé à s’organiser en meutes et à attaquer des gens de la zone. C’est pourquoi les chasseurs les ont tués également. J’ai remarqué que le film montre beaucoup de gens armés. En fait, en excluant ceux qui éliminaient les animaux contaminés et les militaires, personne ne portait d’armes.

21. Enterrement de sapeurs-pompiers à Moscou. C’est vrai.

Un autre moment touchant, c’est l’enterrement des héros. Ils sont devenus une source radioactive très forte et dangereuse. C’est pourquoi leurs cercueils étaient faits en plomb et leurs tombes ont été couvertes par une chape de béton.

22. La mort des oiseaux et des animaux sauvages irradiés. C’est vrai.

L’accident a eu lieu au printemps, au moment où beaucoup d’oiseaux et d’animaux ont des petits. Nombre de petits mais aussi d’ oiseaux adultes ont été tués par la dose trop forte et donc mortelle pour eux. Les autres qui ont survécu étaient trop affaiblis pour effectuer leur migration.

À propos des animaux sauvages, tous avaient subi une irradiation externe, par des précipitations sans doute. D’ailleurs ils ont également reçu une contamination interne. Les carnivores, notamment les renards et les loups, mangeaient les animaux plus petits déjà contaminés par leur nourriture : étant des herbivores, ceux-ci s’alimentaient avec des plantes contaminées qui se nourrissaient elles-mêmes de la terre contaminée.

L’image des animaux en souffrance était terrible. En ayant des brûlures radiologiques comme les humains, ils perdaient leur poil, leur peau et leur chair jusqu’à l’os. En mangeant la nourriture contaminée, ils brûlaient leurs organes intérieurs. Le tout les a conduits à la mort, comme pour l’homme.

De nos jours la situation change car, après l’accident, la chasse, qui est une activité traditionnelle à cet endroit a été interdite et les animaux sauvages des régions frontalières attirés par l’absence de concurrence biologique ont migré vers cette zone. C’est pourquoi la population animale de la zone a augmenté très vite.

23. Pollution inconnue et évacuation des 50 000 habitants de la ville de Pripiat. C’est vrai.

Lorsque l’on parle de Tchernobyl et de ses conséquences pour les humains, on sous-estime la ville de Pripiat située à côté de la centrale de Tchernobyl. Cette ville est très souvent confondue avec la ville très ancienne de Tchernobyl qui existe également, mais qui est bien plus vieille que la centrale et qui est située plus loin. En URSS les villes construites en même temps qu’une usine pour des travailleurs et leurs familles s’appelaient des villes-satellites.

Pripiat était la ville satellite de la centrale de Tchernobyl. Au 26 avril 1986 environ 50 000 habitants y vivaient. Après l’explosion les autorités soviétiques ne connaissaient ni la nature de l’accident, ni le niveau de la contamination, c’est pourquoi elle ne se rendait pas compte des conséquences d’une telle pollution pour la population de Pripiat. En plus, le mensonge était total du côté des responsables nucléaires. C’est pourquoi personne ne s’est pressé pour l’évacuation et n’a rien fait du point de vue épidémiologique et sanitaire pour protéger les gens.

Un premier groupe de scientifiques professionnels de la contamination nucléaire est venu sur la zone le 1er mai 1986. Ces derniers ayant une expérience pratique des recherches en radioprotection et décontamination sont arrivés d’un endroit peu connu à l’époque soviétique en raison du secret d’État. C’étaient les spécialistes du Laboratoire Expérimental des Recherches Scientifiques [NdT : LERS = ONIS pour l’abréviation russe] de l’usine nucléaire Maïak située en Oural entre Ekaterinbourg et Tcheliabinsk, dans la ville secrète et fermée d’Oziorsk (Tcheliabinsk 65 du temps de l’URSS).

Ici je dois vous rappeler que le LERS (ONIS) y a été créé après le premier accident nucléaire en 1957 à Maïak où, le 29 septembre 1957, l’entreposage de déchets nucléaires de haute activité a explosé. Malgré des conséquences très graves, notamment la contamination de 23 000 km² et l’évacuation et la liquidation totale de 23 villages, elle est restée classifiée et inconnue du public mondial jusqu’à… Tchernobyl. Les chercheurs du laboratoire où j’ai travaillé pendant 10 ans cherchaient des réponses à toutes les questions apparues après l’accident sur ce territoire contaminé et élaboraient différentes méthodes, des règles et des normes pour survivre dans les conditions post accident nucléaire.

Le groupe de notre laboratoire LERS (ONIS) est alors arrivé à Tchernobyl et a commencé à faire des travaux pour établir une première carte de la contamination autour de la centrale. Au début on travaillait sur la zone de manière cyclique, en permutant avec un autre groupe du même laboratoire, ensuite, à partir de 1987, j’y suis restée travailler en permanence pendant 4 années.

En prenant plusieurs échantillons du sol nous sommes arrivés à une première carte de la pollution à l’hiver 87-88. À partir de nos mesures nous avons divisé tout le territoire en 3 zones, chacune avec ses propres points de contrôle. La première est la plus grande, 30 km autour de la centrale. La deuxième, la zone autour de Pripiat et de la centrale. La troisième zone était située dans la deuxième. On y a trouvé un endroit moins contaminé (à l’époque les responsables nucléaires supposaient que la population pourrait y revenir).

Cette première carte a été immédiatement classifiée.

24. Un grand chaos lors de l’évacuation d’alentour de la centrale. C’est vrai.

Finalement les responsables soviétiques ont pris la décision impopulaire d’évacuer la population en totalité et pas uniquement celle de Pripiat mais aussi celle de Tchernobyl et des villages alentours dans une zone de 30 km. C’était une bonne décision.

Par contre,,tout ce qui s’est passé après a été insupportable et impardonnable. Ordres urgents et contradictoires (des divergences entre médecins et responsables nucléaires), absence d’information pour les évacués (ignorance de leur destination, raisons de la dangerosité de rester), négligence quant aux mesures de radioprotection (adultes et enfants voyageaient vers des lieux non contaminés en restant dans leurs vêtements contaminés qui ne seront pas confisqués même à l’arrivée). Toutes ces erreurs graves ont eu lieu en raison de l’incompétence des autorités et à cause d’une ignorance totale de l’expérience précédente vécue en 1957.

Étant une spécialiste pratique de la radioprotection, après avoir analysé les processus d’évacuation et de liquidation après 4 accidents nucléaires à savoir Maïak 1957, Tchernobyl 1986, Maïak rivière Techa 2005, Fukushima 2011, je peux constater avec une grande tristesse et amertume que l’autorité nucléaire mondiale qui aurait dû tirer de nombreuses conclusions de ces expériences, ne l’a pas fait. Elle répète à chaque fois les mêmes erreurs et c’est vraiment déprimant pour moi.

Pour ne pas augmenter le risque pour la santé de la population qui pourrait être irradiée après n’importe quel accident nucléaire, il faudrait faire des recommandations sur ce qu’il Ne FAUT PAS FAIRE et comment BIEN FAIRE l’évacuation et la radioprotection pour que les gens ordinaires les connaissent et les comprennent.

25. Une prime exceptionnelle de dangerosité dans la zone. C’est vrai.

Dans la série vous pouviez voir le moment où, pour décider des gens à travailler dans la zone, on leur a proposé un salaire de 400 roubles. C’est beaucoup ou pas ? En URSS le salaire mensuel d’un ingénieur ordinaire ou d’une chercheuse comme moi était fixe et était partout de 120 roubles. Pour attirer des spécialistes civils (au contraire des militaires qui étaient mobilisés sur ordre d’un ministre), les autorités utilisaient un mécanisme qui s’appelait « prime exceptionnelle pour l’accomplissement de travaux d’une importance spéciale ».

À Tchernobyl au lieu de 120 roubles pour 30 jours je recevais 1 500 roubles pour 15 jours. Mais cela ne compensait pas la dureté du travail ni les risques encourus pour la santé. Les conditions de travail étaient vraiment infernales. Outre que nous subissions une irradiation énorme, nous travaillions chaque jour pendant 12 heures avec un masque, vêtus d’un uniforme protecteur lourd et inconfortable. C’était une vraie galère.

26. « À chaque génération suffit sa peine », l’affirmation explicitement et cyniquement exprimée par un responsable à propos des destins des personnes exposées, pas de ceux des responsables. C’est vrai.

À mon avis, les responsables soviétiques s’exprimaient de cette manière à propos de nous, les gens ordinaires dépendant hiérarchiquement d’eux. Nous ne réfléchissions jamais à ces sujets philosophiques en vivant notre vie simplement. La population habitant sur le territoire de la Russie ou de l’URSS pendant toute la durée de l’histoire a toujours plus ou moins souffert. Cela se reflète dans notre langue. On ne disait jamais que les Russes sont de « bon vivants ». Par contre on divisait dans notre langue la qualité de vie et le niveau de pauvreté en 3 catégories soit moins pire, c’est « la vie ordinaire » ; soit pire, c’est « la vie précaire » ; soit encore pire, c’est « la vie ultra-précaire ». Mais le pouvoir russe n’était jamais malheureux et n’endurait aucune peine.

27. Le syndrome nucléaire aigu et les autres conséquences pour la santé humaine. C’est vrai.

Embrassades des proches. C’est faux.

L’image des premiers irradiés souffrant du syndrome nucléaire aigu dans le film est vraiment cohérente avec la réalité. Tout d’abord, les yeux sont atteints. Ensuite la peau. Puis le système nerveux, etc. Il fallait immédiatement raser leurs cheveux car c’est impossible de nettoyer les cheveux de la radioactivité. C’était strictement interdit même d’approcher les irradiés ! Il était impossible de s’embrasser !

En recevant une forte dose de rayonnement, ces derniers devenaient une source de rayonnement pour leur entourage. Je voudrais remercier l’auteur de la série pour la véracité et la précision inédites des scènes de souffrance des mourants. Il fallait les montrer même si c’était susceptible de heurter certaines personnes sensibles. Premièrement, pour tenter de faire ressentir la douleur extrême de ces malchanceux. Deuxièmement, pour rappeler que la radioactivité, c’est incontestablement dangereux, même si aujourd’hui certains en doutent. Enfin, montrer la résistance et l’héroïsme des liquidateurs. Et pas exclusivement le leur mais également celui de leurs familles par leur amour et leur soutien, comme le montre le destin de la femme du sapeur-pompier. également les actes courageux et valeureux des médecins, qui bien que conscients de ce qui les attendaient, soignaient et étaient au service des patients et allaient mourir des mêmes maladies et avec les mêmes souffrances. Des veuves, des orphelins des liquidateurs, des enfants avec des malformations...

Si on pouvait faire une suite de la série de Tchernobyl il faudrait poursuivre en montrant le cynisme extraordinaire de l’État à propos des liquidateurs ayant perdu leur santé à Tchernobyl. Il les a laissés seuls, avec leurs maladies incessantes, en prise avec les bureaucrates. En 1991 ces derniers ont promulgué une loi relative à Tchernobyl. Sur le papier tout était bien. En réalité personne ne comprenait rien. Au fur et à mesure les autorités l’ont abrogée. Comment ? En sabrant dans les indemnisations, en diminuant la liste des maladies causées par la radiation, en forçant les victimes à fournir des documents qui n’existaient pas à l’époque ou à fournir à nouveau des documents déjà fournis, en modifiant les mécanismes de calcul de l’indemnisation en fonction de l’inflation, etc. C’est la pire page post-accidentelle. Tribunaux, tribunaux, tribunaux, sans arrêt. Les officiels et les juges qui te regardent de leurs yeux vides. Qui font pression jusqu’à te faire sentir comme si tu étais un SDF… Beaucoup des gens se sont suicidés à cause de ces moqueries étatiques.

J’ai entendu dans la série que seulement 31 personnes sont officiellement décédées. Ce sont les liquidateurs qui sont morts à cause du syndrome de radiation aiguë pendant une durée très courte après l’accident. Malgré ce chiffre qui semble petit, il y a un millier de gens qui ont absorbé la radioactivité dans leur corps et qui souffrent du syndrome de radiation chronique. Comme moi. Ce syndrome est à l’origine d’autres maladies graves, comme le cancer par exemple. Pour qu’une personne puisse prouver un lien de causalité entre la maladie et la radiation, il faut que le Conseil interdépartemental d’État établisse celui-ci. Pendant les premières années après Tchernobyl c’était une procédure ordinaire, mais avec le temps ça s’est complexifié en devenant presque impossible. Pourquoi ? Parce que cela signifie des dépenses pour l’État.

Dans le film, il y a une autre phrase du responsable, prononcée pendant la phase de liquidation concernant les liquidateurs. Il disait : « Quand on aura terminé on les aidera. » Cela semble colossalement honteux après tout ce que les autorités nous ont fait. Ils ont brisé nos vies.

28. Les mineurs et leur travail sous le réacteur. C’est vrai.

Après avoir rempli de sable, de bore et de ciment ce monstre radioactif, on a éteint le feu pour arrêter la pollution. Néanmoins la température interne restait élevée. Tous ces matériaux ont fondu et créé une substance liquide qui pouvait être suffisamment puissante pour forer un trou dans une carcasse en béton en-dessous. C’était une menace sérieuse car dans ce cas tous les matériaux radioactifs auraient pu atteindre la nappe phréatique. Il fallait faire un canal pour l’évacuer au-delà.

400 mineurs (je ne connaissais pas ce chiffre auparavant) qui ont accepté d’accomplir cette tâche en faisant un tunnel sous le réacteur ont travaillé « volontairement-obligatoirement ». Cela signifie qu’ils ont été proposés mais qu’ils ne pouvaient pas refuser sans risquer d’être sérieusement sanctionnés par l’État. Ils l’ont fait au prix de leur santé. Sans doute, personne ne jouait ensuite aux cartes lors de la mission, par contre les gens n’avaient ni combinaison ni masque car la température était très élevée et l’air était impossible à respirer. Pourtant, je comprends et j’approuve l’idée de l’auteur de profiter de ceci pour montrer la gravité exceptionnelle et la tension nerveuse de leur fonction héroïque.

29. Le rôle de KGB de l’URSS. C’est vrai.

Car le KGB a eu un rôle clé dans la vie de la société soviétique et c’est encore plus clair ici car l’industrie nucléaire est née dans le cadre du KGB et celui-ci influençait tout ce qui se passait, y compris les décisions prises. Les agents du KGB étaient partout. Nous, spécialistes travaillant avec du nucléaire chaque seconde, nous nous rendions compte que nous étions écoutés et surveillés. Je ne me souviens plus s’ils agissaient ouvertement mais tout le monde savait qu’ils étaient là.

30. Tribunal pénal contre les responsables. C’est vrai.

On voit en détail dans le film une audition pénale où les responsables, donc Legassov aussi, expliquent comment et pourquoi l’explosion a été rendue possible. Legassov et les autres commentent tranquillement et clairement la vérité et les terribles événements en disant -que :
 Ils avaient eu l’ordre d’accomplir cette expérience, ils étaient obligés ; Des le début, les travaux de la construction de la centrale s’étaient déroulés avec plusieurs manquements et des violations du processus technologique ;
 Le 26 avril le réacteur était géré par un jeune ingénieur sans expérience pratique ;
 Lui-même, Legassov, avait déchiré des pages d’une réglementation technique et les avait falsifiées ;

Tout cela est aujourd’hui prouvé grâce à des archives. En ayant toute l’information sous les yeux, on est horrifié. C’est évident que l’explosion à cet endroit avec une telle discipline était incontournable et inévitable ! Tôt ou tard elle aurait dû arriver. Les principaux employés ont été punis. L’industrie nucléaire et les autorités soviétiques sont restés intouchables.

En conclusion

Je sais donc je parle. J’y étais. J’ai déjà surmonté deux cancers et lutté contre un troisième. Quand j’ai guéri du premier je me suis dit que je devais consacrer le reste de ma vie au combat pour la justice et pour que la vérité de Tchernobyl soit connue, de telle manière que tout un chacun puisse tirer ses propres conclusions.

Plusieurs années durant, moi et mes collèges des ONGs avons raconté cette histoire partout. Je voulais la transmettre à tous. Je faisais ce que je pouvais. Les gens écoutaient, surprises et en colère, exprimaient des émotions et… oubliaient. Les responsables nucléaires étaient contents car cela devenait une légende qui n’était pas connectée avec la vie d’aujourd’hui. La série HBO Tchernobyl est arrivée. Le choc total. Sans avoir connu de nouvel accident l’ effet public a été le même , une explosion d’intérêt extraordinaire.

Tout le monde regarde la série et l’évalue. L’héroïsme et le mensonge. Chaque téléspectateur a un avis. Le film a suscité de nombreuses critiques, certains de mes collègues ne sont pas d’accord avec la façon de présenter les choses. Tout est un peu exagéré. Mais j’insiste : c’est globalement LA VÉRITÉ.

Je suis très heureuse que cette série soit sur les écrans, car pour moi c’est une reconnaissance de notre travail. L’auteur nous a rendu hommage et gloire, liquidateurs inconnus qui avons sauvegardé le monde.

Hélas, le réalisateur a déclaré que son film n’était pas contre l’énergie nucléaire. Mais il ne comprend pas que c’est le cas. Il y a un effet cumulatif entre son idée et la demande publique de vérité. Il n’est pas nécessaire d’être contre l’énergie nucléaire pour reconnaître finalement, que l’industrie nucléaire existe, que les déchets nucléaires existent et que si la société refuse de les contrôler ou les contrôle mal ou pas suffisamment Tchernobyl viendra chez tout un chacun. Il vaut mieux prévenir que guérir, n’est-ce pas ?

Je salue vraiment et je remercie personnellement les gens qui ont créé ce film magnifique en mon nom personnel et au nom de tous mes amis liquidateurs qui sont déjà décédés. Mille mercis.

Natalia M.

Pour aller plus loin :

https://www.cairn.info/publications-de-Manzourova-Natalia--64506.htm

https://reporterre.net/Tchernobyl-Je-suis-la-seule-survivante-de-mon-equipe-de-liquidateur

1. Les employés de la centrale ne sont pas suffisamment qualifiés, quelqu’un explique qu’ils traitaient le réacteur de la centrale comme une casserole. C’est vrai.

En réalité, à l’époque soviétique, il existait une grande différence de qualification et de formation entre le personnel qui travaillait pour l’industrie nucléaire civile et celui qui travaillait dans le secteur nucléaire militaire. Pour devenir un grand spécialiste et gérer un réacteur nucléaire militaire, après des études, il fallait faire un stage de longue durée. Par exemple, mon père qui a travaillé pendant 40 ans en étant chargé de maintenance en qualité de mécanicien du réacteur nucléaire à Maïak, était également directeur de stage pendant au moins 3 ans pour des jeunes ingénieurs. Les stagiaires devaient apprendre et maîtriser toute la réglementation technique existante, respecter les consignes de leur maître de stage à la lettre et obtenir leurs examens avec mention très bien. Au contraire, dans l’industrie nucléaire civile il n’y avait pas une telle exigence.

2. Un goût métallique dans la bouche. C’est vrai.

Dans la zone de 30 km autour de la centrale entre 1986 et 1987 presque chacun l’avait senti dans la bouche. Mais les responsables soviétiques du nettoyage affirmaient le contraire. Ceux-ci expliquaient à tout le monde que c’était un mensonge, un fantasme. Ils insistaient sur le fait que ce n’était pas la radiation qui le provoquait et que c’était uniquement les gens qui portaient des prothèses dentaires en métal qui pouvaient le sentir, pas les autres.

3. Un dosimètre affiche un bruit de fond de 3,6 Röntgen. C’est vrai.

Les dosimètres à la centrale étaient très précis et bien calibrés. Ils montraient les mesures réelles. En outre, mes collègues, les scientifiques de l’usine nucléaire Maïak qui sont venus le 1er mai 1986 ont apporté un autre type de dosimètre ; ce dernier, un dosimètre spécial, militaire, pouvait mesurer un niveau allant de 100 jusqu’à 1000 fois le bruit de fond normal. Hélas, il s’agissait uniquement des mesures de la contamination externe. Personne ne parlait à l’époque de l’irradiation interne et personne ne la mesurait.

4. Une chaîne humaine de soldats autour de la zone contaminée. C’est vrai.

Juste après l’accident, la police locale a reçu l’ordre d’organiser un barrage humain autour de la zone pour empêcher les curieux d’accéder à la zone sans autorisation, ce qui a été fait par des policiers et des militaires. Néanmoins, malgré cet ordre et les appels des autorités à ne pas paniquer, selon des témoignages d’anciens travailleurs de la centrale, un chef du service de la radioprotection de la centrale, a pris son véhicule personnel et, en visitant chaque poste, a alerté les policiers et les soldats en les appelant à fuir le réacteur en feu pour rester en vie. Lui-même est décédé peu après.

5. Un sapeur-pompier prend un morceau de graphite radioactif à la main. C’est vrai.

Ces derniers ne connaissaient pas du tout le réacteur. Ils n’étaient pas formés pour gérer les conséquences graves d’un accident nucléaire. À l’époque, l’État soviétique menait une vaste campagne de propagande qui vantait la sécurité et la sûreté totales de l’industrie nucléaire civile. Personne dans la population de Pripiat n’était prêt à faire face à un ’accident potentiel. Au cours des premières heures après l’explosion tout le monde s’est rendu sur le pont local pour mieux voir le réacteur osciller et brûler. Mais cette décision a été funeste pour nombre d’entre eux. Par exemple, une de mes amies qui travaillait au réacteur n°1 avait une grande fille et un petit bébé qui habitaient chez sa belle mère dans un bâtiment plus proche de la centrale. Ce jour-là, par curiosité, elle s’est assise sur un banc avec la poussette pour regarder. L’enfant a été gravement irradié et pendant longtemps n’a pas été capable de marcher.

6. Une scientifique de l’institut de Minsk prend un comprimé d’iodure de potassium (stable). À l’inverse, il n’y pas d’iode dans la salle du réacteur pour les travailleurs de la centrale. C’est vrai.

Le premier élément radioactif particulièrement dangereux rejeté immédiatement après l’accident est l’iode 131, qui attaque la thyroïde. Les enfants y sont plus sensibles que les adultes. C’est pourquoi il faut rapidement prendre des comprimés d’iode stable. Celui-ci sature la thyroïde et cette dernière ne capte pas l’iode radioactif et est ainsi protégée. Les scientifiques soviétiques connaissaient bien cette règle et l’ont bien appliquée. Mais ni la population des alentours, ni les travailleurs dans la salle du réacteur, n’avaient connaissance de celle-ci et n’avaient des comprimés d’iode à leur disposition.

Ici je remarque encore une fois les différences évoquées plus haut entre les cultures de protection dans le secteur nucléaire civil et le secteur nucléaire militaire. En me souvenant de mon enfance dans la ville fermée d’Oziorsk à côté de l’usine Maïak (produisant le plutonium militaire) je pourrais vous dire que nous avions eu beaucoup d’alertes éducatives et préventives pour réagir en cas de bombardement nucléaire. Sans aucune panique, nous descendions à l’abri antiradiation sous l’école, nous recevions des boites oranges contenant le comprimé d’iode, nous apprenions à utiliser un masque à gaz et nous simulions l’injection d’un vaccin en cas de contamination bactériologique. Mais pour la population autour des centrales, cela n’existait pas. Aujourd’hui tout est oublié.

7. Des caisses de vodka au vu et au su de tous. C’est faux.

Une législation officielle existant dans la zone interdisait strictement le transport et l’utilisation de boissons alcoolisées sous peine de licenciement pour les travailleurs civils ou de punitions pénales pour les militaires. Néanmoins, on en buvait discrètement, sans autorisation. Pourquoi ? Durant la période soviétique il y avait un mythe selon lequel la vodka élimine les substances radioactives du corps humain. Depuis l’époque du scientifique Kourtchatov (années 1940-50, le père de la bombe atomique soviétique – note de la traductrice-), l’autorité nucléaire déposait des fûts de vodka devant les sorties des bâtiments de l’usine nucléaire Maïak où les travailleurs produisaient des matières radioactives. Ces fûts étaient reliés par une chaîne à une tasse métallique et étaient utilisés librement, même sur recommandation, par chacun au sortir du travail. Au fur et au mesure cela s’est transformé en un alcoolisme généralisé et a été supprimé et même interdit officiellement. Malgré cette expérience négative, cette « tradition » est revenue après Tchernobyl. On y a même eut recours une première fois lorsque de la vodka a été proposée par les responsables aux soldats travaillant sur le réacteur n°4 (on les appelait des bio-robots), pour lutter contre le stress.

8. La question « Avez-vous des cigarettes ? » posée de façon incongrue dans une situation de chaos et d’horreur. C’est vrai.

Cette question, qui semble habituelle en situation normale, signifiait dans ce cas-là une conduite inadéquate pour des gens mortellement irradiés. Selon une docteur qui m’a personnellement raconté cette histoire, la plupart des gens avaient reçu soit plusieurs brûlures, soit attrapé une maladie due à la radiation aiguë, soit les deux. Ils souffraient d’un choc dû à la douleur, qui conduisait à des troubles psychiques très graves. Ils ne comprenaient pas ce qui leur était arrivé. Lorsque ces irradiés étaient transportés à l’hôpital par bus, ils devaient s’arrêter toutes les 10 minutes car les gens vomissaient sans arrêt et se tapaient la tête contre les parois des bus à cause de cette terrible douleur.

9. Un sapeur-pompier portant un chapeau avec une grande étoile rouge. C’est faux.

Je suppose que cette idée cinématographique est venue à l’esprit de l’auteur pour plonger les téléspectateurs dans l’époque, pour qu’ils n’oublient pas qu’il s’agit de l’Union Soviétique.

10 . Les employés nucléaires fument toujours sur leur lieu du travail. C’est faux.

Fumer, était strictement interdit dans la zone, et tout le monde respectait cette interdiction (contrairement à la vodka). Ne pas fumer dans des endroits contaminés radioactivement, c’était une règle de fer pour les professionnels, et cette règle n’était jamais transgressée. Chacun d’entre nous sait que nos mains sont toujours contaminées. Et si on prend une cigarette (ou du tabac roulé à l’époque) ça veut dire qu’on la touche, si on la touche on la pollue, si on prend cette cigarette contaminée dans la bouche, on avale la radioactivité et on reçoit un rayonnement interne. Pour un professionnel, c’est évident. Bien sûr, de nos jours, il est possible de fumer même dans la zone contaminée. Mais pour que ce ne soit pas dangereux il y a un mode opératoire spécial qui n’est pas simple à respecter.

11. Chaîne hiérarchique de décisions et d’exécution. C’est vrai.

À cette époque-là, peu importait où vous vous travailliez, vous ne pouviez jamais être autonome. Aucune initiative, aucun acte, aucune idée, aucune décision de votre côté ne pouvait être accomplie ou exécutée sans être acceptée et autorisée par une autorité supérieure, notamment, de la part du parti communiste. Ca prenait toujours énormément de temps. Après l’accident, au début, c’était la même chose. Mais les autorités soviétiques ont vite compris que cette manière de prendre les décisions provoquait un danger qui risquait d’aggraver encore une situation déjà terrifiante, et ce modus operandi a été simplifié. On a commencé à résoudre les problèmes plus vite et les décisions étaient prises par des professionnels, et non plus par le parti communiste.

12. Le moment de gloire du pays. C’est vrai.

Dans l’Union Soviétique nous croyions tous dans le socialisme et dans sa victoire inéluctable. Nous estimions que même dans le cas d’une situation grave, comme l’accident de Tchernobyl, nous ne pouvions ni dénigrer l’image de la patrie du socialisme, ni paniquer à cause de l’accident nucléaire. Il nous fallait « faire bonne figure ». L’idée que nous poursuivions était de ne pas ruiner la réputation de notre pays, de notre système. C’est pourquoi nous mentions et nous avons tout basé sur ce mensonge complet. Dans le film c’est montré par un héros, un homme âgé. D’après moi, l’auteur du film exprime son avis sur l’influence du système communiste sur sa personnalité.

13. Des écolières allant à l’école en tablier blanc à Tchernobyl après l’accident (un extrait du documentaire soviétique). C’est faux.

Il y avait un uniforme d’écolier en URSS. Pour les filles, il comprenait une robe marron et un tablier, soit noir pour le quotidien, soit blanc pour des jours spéciaux et des fêtes. À Pripiat personne n’est allé à l’école en tablier blanc après l’accident. Mais je suppose que cela a pu avoir lieu à Kiev pour la fête du 1er Mai.

14. Des médecins qui embrassent des irradiés. C’est faux.

Les médecins comprenaient bien les conséquences de ce geste et n’agissaient pas ainsi. Je ne sais pas pourquoi l’auteur a voulu ces séquences. Je suppose que c’est pour montrer la profonde empathie des médecins vis–à-vis de l’état désespéré de ceux–ci.

15. La bataille héroïque d’un spécialiste du nucléaire, l’académicien Legassov. C’est vrai.

L’académicien Legassov est un personnage historique véritable. Son opiniâtreté et sa résistance afin de dénoncer le mensonge sont incarnés dans le film. En fait s’il personnifie ce comportement, d’autres spécialistes honnêtes restent inconnus du public.

16. Lever un toast à table « Pour le prolétariat de tous les pays ». C’est faux.

Cela n’a jamais existé, même en URSS. Habituellement les Russes en buvant disent « santé ! » (za zdorovie).

17. Des dosimètres individuels portés sur une combinaison blanche. C’est vrai.

Afin de passer les étapes censées protéger d’une diffusion spontanée de la radioactivité en dehors de la zone contaminée, il fallait, pour tout travailleur, quel que soit son rang, tout d’abord, se déshabiller dans un vestiaire, ensuite enfermer ses vêtements dans un tiroir personnel, ensuite en restant nu comme un ver traverser une zone de contrôle sanitaire (radiologique), ensuite s’habiller à nouveau avec des sous-vêtements spéciaux et un uniforme consistant en une combinaison et un bonnet blancs.

Dans la série, on voit des dosimètres utilisés après l’accident qui sont fixés à ces combinaisons. Ceux-ci, on les appelait les « dosimètres à film ». Ils fonctionnaient selon le mode suivant. Ils ne mesuraient la dose reçue que jusqu’à la dose maximale autorisée. Ça veut dire que vous ne pouviez jamais savoir quelle dose individuelle excédentaire vous aviez reçue exactement et pendant quelle durée. C’était un mensonge déguisé.

Et c’était absolument inhumain car en même temps d’autres dosimètres, plus adéquats et plus satisfaisants, existaient. Ces derniers mesuraient la radioactivité externe correctement et précisément. Ils consistaient en un cylindre métallique avec une extrémité en verre. Celui-ci donnait une mesure instantanée et non cumulée. Ce n’était pas parfait mais en tout cas déjà mieux. Plus tard, une nouvelle génération d’équipement est apparue : le dosimètre cumulatif. Il captait les radionucléides et mesurait la dose personnelle pendant une durée de 15 jours. Sa capacité était de 0,1 roentgen.

Néanmoins, même avec celui-ci, l’autorité nucléaire falsifiait les données reçues. De quelle manière ? En tenant 2 journaux simultanés et en les remplissant en parallèle. Le responsable notait la vraie dose dans le journal classifié (caché) et l’autre dose dans le journal accessible au public. Ce dernier, en étant systématiquement falsifié, satisfaisait aux normes prescrites par la loi existante statuant sur le seuil de rayonnement à ne pas dépasser. Bien évidement nous n’avions aucune connaissance de ceci à l’époque.

18 . 5 000 tonnes de sable, de bore et de ciment jetées pour éteindre le feu et ralentir la réaction dans le réacteur. Un hélicoptère qui y tombe. C’est vrai.

Avant Tchernobyl, le monde scientifique n’avait jamais envisagé un accident de ce type ni de telles conséquences. Éteindre le feu et ralentir la réaction, c’était les deux buts primordiaux. C’est pourquoi ils ont utilisé des technologies connues. Du sable et du ciment pour le premier but et du bore pour le deuxième. Finalement ils ont obtenu le résultat escompté mais au prix d’une pollution généralisée.

Quant à l’hélicoptère, en vérité il y en a eu deux qui sont tombés, entraînant la mort de leur équipage. À la différence de ce qui se passe dans la série, les appareils sont tombés plus tard, pendant la construction du premier sarcophage. Un enjeu plus sérieux existait pour des pilotes : la radioactivité ! Ils devaient se protéger eux-mêmes. Selon le pilote qui m’a raconté cela, l’équipement normal d’un hélicoptère n’offre pas une telle protection. Pour l’obtenir, ils couvraient le sol de la machine de feuilles de plomb ayant un poids énorme. Après cette manipulation protectrice, l’hélicoptère était en surcharge ; avec le poids il perdait sa capacité à faire des manœuvres. C’est pourquoi ils risquaient leur vie à chaque vol et on a perdu deux équipages.

19. Un camp militaire provisoire (village de tentes). C’est vrai.

Les militaires et le personnel civil étaient hébergés dans des villages de tentes provisoires.Ils y vivaient et avaient un temps de loisir en dehors du travail, tout en restant dans la zone. Ceci a continué jusqu’à la fin de la décontamination du territoire. Après avoir démoli ces villages dès le départ des travailleurs, en vérifiant la contamination de cet endroit et en préparant l’équipement contaminé (y compris ces tentes) pour l’enterrer, notre équipe de spécialistes de la radioprotection a été horrifiée par les résultats des mesures effectuées.

Je me souviens du jour où un spécialiste de la dosimétrie m’a alertée. Très en colère il a dénoncé les chiffres effrayants de ses mesures. La conséquence, c’était que toute la terre et les herbes prises sur le camp avaient été mortellement polluées et que les gens n’avaient rien à faire là-bas. Ni vivre, ni manger, ni dormir, ni y avoir des loisirs. Ils ont reçu d’importantes doses supplémentaires qui n’ont été pas mesurées, donc pas comptabilisées dans la dose totale, bien-sûr.

20. Euthanasie brutale des animaux domestiques abandonnés. C’est vrai.

Ce moment montré dans la sérié honnêtement est vrai et, à mon avis, c’est peut-être un des moments les plus tragiques de l’histoire de Tchernobyl. Je suppose même que l’auteur, pour ne pas heurter les sentiments des téléspectateurs, n’a intentionnellement pas témoigné de tout et a attiré l’attention des téléspectateurs sur l’euthanasie des chiens et des chats abandonnés.

La vérité est bien pire. En ce qui concerne les animaux domestiques, il y avait un ordre de l’autorité nucléaire interdisant aux gens de les prendre (y compris chats, chiens, vaches, chèvres, poulets, chevaux, cochons, etc.) lors de l’évacuation, car ils étaient devenus une source de contamination permanente. En cherchant de la nourriture, les chats et les chiens se sont enfuis après le départ de leurs maîtres, mais les autres ont souffert atrocement... Les gens qui espéraient rentrer ultérieurement les ont abandonnés en les attachant. Les autres qui savaient qu’ils ne rentreraient pas, les ont laissé partir. Les premiers étaient les moins chanceux. Lorsque l’équipe armée agissant sur ordre arrivait pour les tuer, l’image des animaux était horrifiante. Solitaires et malheureux, tentant de se libérer, ils avaient faim, criaient, gémissaient. Les militaires les tuaient avec des fusils automatiques et immédiatement les enterraient. C’était une véritable boucherie.

Plus tard on a attrapé les animaux qui s’étaient enfuis. Nous les avons transportés dans notre laboratoire pour faire des mesures et des expériences scientifiques.

Ensuite, les chiens, en se croisant avec des loups sauvages, ont donné naissance à une nouvelle race. Leur quantité a augmenté progressivement, ils ont commencé à s’organiser en meutes et à attaquer des gens de la zone. C’est pourquoi les chasseurs les ont tués également. J’ai remarqué que le film montre beaucoup de gens armés. En fait, en excluant ceux qui éliminaient les animaux contaminés et les militaires, personne ne portait d’armes.

21. Enterrement de sapeurs-pompiers à Moscou. C’est vrai.

Un autre moment touchant, c’est l’enterrement des héros. Ils sont devenus une source radioactive très forte et dangereuse. C’est pourquoi leurs cercueils étaient faits en plomb et leurs tombes ont été couvertes par une chape de béton.

22. La mort des oiseaux et des animaux sauvages irradiés. C’est vrai.

L’accident a eu lieu au printemps, au moment où beaucoup d’oiseaux et d’animaux ont des petits. Nombre de petits mais aussi d’ oiseaux adultes ont été tués par la dose trop forte et donc mortelle pour eux. Les autres qui ont survécu étaient trop affaiblis pour effectuer leur migration.

À propos des animaux sauvages, tous avaient subi une irradiation externe, par des précipitations sans doute. D’ailleurs ils ont également reçu une contamination interne. Les carnivores, notamment les renards et les loups, mangeaient les animaux plus petits déjà contaminés par leur nourriture : étant des herbivores, ceux-ci s’alimentaient avec des plantes contaminées qui se nourrissaient elles-mêmes de la terre contaminée.

L’image des animaux en souffrance était terrible. En ayant des brûlures radiologiques comme les humains, ils perdaient leur poil, leur peau et leur chair jusqu’à l’os. En mangeant la nourriture contaminée, ils brûlaient leurs organes intérieurs. Le tout les a conduits à la mort, comme pour l’homme.

De nos jours la situation change car, après l’accident, la chasse, qui est une activité traditionnelle à cet endroit a été interdite et les animaux sauvages des régions frontalières attirés par l’absence de concurrence biologique ont migré vers cette zone. C’est pourquoi la population animale de la zone a augmenté très vite.

23. Pollution inconnue et évacuation des 50 000 habitants de la ville de Pripiat. C’est vrai.

Lorsque l’on parle de Tchernobyl et de ses conséquences pour les humains, on sous-estime la ville de Pripiat située à côté de la centrale de Tchernobyl. Cette ville est très souvent confondue avec la ville très ancienne de Tchernobyl qui existe également, mais qui est bien plus vieille que la centrale et qui est située plus loin. En URSS les villes construites en même temps qu’une usine pour des travailleurs et leurs familles s’appelaient des villes-satellites.

Pripiat était la ville satellite de la centrale de Tchernobyl. Au 26 avril 1986 environ 50 000 habitants y vivaient. Après l’explosion les autorités soviétiques ne connaissaient ni la nature de l’accident, ni le niveau de la contamination, c’est pourquoi elle ne se rendait pas compte des conséquences d’une telle pollution pour la population de Pripiat. En plus, le mensonge était total du côté des responsables nucléaires. C’est pourquoi personne ne s’est pressé pour l’évacuation et n’a rien fait du point de vue épidémiologique et sanitaire pour protéger les gens.

Un premier groupe de scientifiques professionnels de la contamination nucléaire est venu sur la zone le 1er mai 1986. Ces derniers ayant une expérience pratique des recherches en radioprotection et décontamination sont arrivés d’un endroit peu connu à l’époque soviétique en raison du secret d’État. C’étaient les spécialistes du Laboratoire Expérimental des Recherches Scientifiques [NdT : LERS = ONIS pour l’abréviation russe] de l’usine nucléaire Maïak située en Oural entre Ekaterinbourg et Tcheliabinsk, dans la ville secrète et fermée d’Oziorsk (Tcheliabinsk 65 du temps de l’URSS).

Ici je dois vous rappeler que le LERS (ONIS) y a été créé après le premier accident nucléaire en 1957 à Maïak où, le 29 septembre 1957, l’entreposage de déchets nucléaires de haute activité a explosé. Malgré des conséquences très graves, notamment la contamination de 23 000 km² et l’évacuation et la liquidation totale de 23 villages, elle est restée classifiée et inconnue du public mondial jusqu’à… Tchernobyl. Les chercheurs du laboratoire où j’ai travaillé pendant 10 ans cherchaient des réponses à toutes les questions apparues après l’accident sur ce territoire contaminé et élaboraient différentes méthodes, des règles et des normes pour survivre dans les conditions post accident nucléaire.

Le groupe de notre laboratoire LERS (ONIS) est alors arrivé à Tchernobyl et a commencé à faire des travaux pour établir une première carte de la contamination autour de la centrale. Au début on travaillait sur la zone de manière cyclique, en permutant avec un autre groupe du même laboratoire, ensuite, à partir de 1987, j’y suis restée travailler en permanence pendant 4 années.

En prenant plusieurs échantillons du sol nous sommes arrivés à une première carte de la pollution à l’hiver 87-88. À partir de nos mesures nous avons divisé tout le territoire en 3 zones, chacune avec ses propres points de contrôle. La première est la plus grande, 30 km autour de la centrale. La deuxième, la zone autour de Pripiat et de la centrale. La troisième zone était située dans la deuxième. On y a trouvé un endroit moins contaminé (à l’époque les responsables nucléaires supposaient que la population pourrait y revenir).

Cette première carte a été immédiatement classifiée.

24. Un grand chaos lors de l’évacuation d’alentour de la centrale. C’est vrai.

Finalement les responsables soviétiques ont pris la décision impopulaire d’évacuer la population en totalité et pas uniquement celle de Pripiat mais aussi celle de Tchernobyl et des villages alentours dans une zone de 30 km. C’était une bonne décision.

Par contre,,tout ce qui s’est passé après a été insupportable et impardonnable. Ordres urgents et contradictoires (des divergences entre médecins et responsables nucléaires), absence d’information pour les évacués (ignorance de leur destination, raisons de la dangerosité de rester), négligence quant aux mesures de radioprotection (adultes et enfants voyageaient vers des lieux non contaminés en restant dans leurs vêtements contaminés qui ne seront pas confisqués même à l’arrivée). Toutes ces erreurs graves ont eu lieu en raison de l’incompétence des autorités et à cause d’une ignorance totale de l’expérience précédente vécue en 1957.

Étant une spécialiste pratique de la radioprotection, après avoir analysé les processus d’évacuation et de liquidation après 4 accidents nucléaires à savoir Maïak 1957, Tchernobyl 1986, Maïak rivière Techa 2005, Fukushima 2011, je peux constater avec une grande tristesse et amertume que l’autorité nucléaire mondiale qui aurait dû tirer de nombreuses conclusions de ces expériences, ne l’a pas fait. Elle répète à chaque fois les mêmes erreurs et c’est vraiment déprimant pour moi.

Pour ne pas augmenter le risque pour la santé de la population qui pourrait être irradiée après n’importe quel accident nucléaire, il faudrait faire des recommandations sur ce qu’il Ne FAUT PAS FAIRE et comment BIEN FAIRE l’évacuation et la radioprotection pour que les gens ordinaires les connaissent et les comprennent.

25. Une prime exceptionnelle de dangerosité dans la zone. C’est vrai.

Dans la série vous pouviez voir le moment où, pour décider des gens à travailler dans la zone, on leur a proposé un salaire de 400 roubles. C’est beaucoup ou pas ? En URSS le salaire mensuel d’un ingénieur ordinaire ou d’une chercheuse comme moi était fixe et était partout de 120 roubles. Pour attirer des spécialistes civils (au contraire des militaires qui étaient mobilisés sur ordre d’un ministre), les autorités utilisaient un mécanisme qui s’appelait « prime exceptionnelle pour l’accomplissement de travaux d’une importance spéciale ».

À Tchernobyl au lieu de 120 roubles pour 30 jours je recevais 1 500 roubles pour 15 jours. Mais cela ne compensait pas la dureté du travail ni les risques encourus pour la santé. Les conditions de travail étaient vraiment infernales. Outre que nous subissions une irradiation énorme, nous travaillions chaque jour pendant 12 heures avec un masque, vêtus d’un uniforme protecteur lourd et inconfortable. C’était une vraie galère.

26. « À chaque génération suffit sa peine », l’affirmation explicitement et cyniquement exprimée par un responsable à propos des destins des personnes exposées, pas de ceux des responsables. C’est vrai.

À mon avis, les responsables soviétiques s’exprimaient de cette manière à propos de nous, les gens ordinaires dépendant hiérarchiquement d’eux. Nous ne réfléchissions jamais à ces sujets philosophiques en vivant notre vie simplement. La population habitant sur le territoire de la Russie ou de l’URSS pendant toute la durée de l’histoire a toujours plus ou moins souffert. Cela se reflète dans notre langue. On ne disait jamais que les Russes sont de « bon vivants ». Par contre on divisait dans notre langue la qualité de vie et le niveau de pauvreté en 3 catégories soit moins pire, c’est « la vie ordinaire » ; soit pire, c’est « la vie précaire » ; soit encore pire, c’est « la vie ultra-précaire ». Mais le pouvoir russe n’était jamais malheureux et n’endurait aucune peine.

27. Le syndrome nucléaire aigu et les autres conséquences pour la santé humaine. C’est vrai.

Embrassades des proches. C’est faux.

L’image des premiers irradiés souffrant du syndrome nucléaire aigu dans le film est vraiment cohérente avec la réalité. Tout d’abord, les yeux sont atteints. Ensuite la peau. Puis le système nerveux, etc. Il fallait immédiatement raser leurs cheveux car c’est impossible de nettoyer les cheveux de la radioactivité. C’était strictement interdit même d’approcher les irradiés ! Il était impossible de s’embrasser !

En recevant une forte dose de rayonnement, ces derniers devenaient une source de rayonnement pour leur entourage. Je voudrais remercier l’auteur de la série pour la véracité et la précision inédites des scènes de souffrance des mourants. Il fallait les montrer même si c’était susceptible de heurter certaines personnes sensibles. Premièrement, pour tenter de faire ressentir la douleur extrême de ces malchanceux. Deuxièmement, pour rappeler que la radioactivité, c’est incontestablement dangereux, même si aujourd’hui certains en doutent. Enfin, montrer la résistance et l’héroïsme des liquidateurs. Et pas exclusivement le leur mais également celui de leurs familles par leur amour et leur soutien, comme le montre le destin de la femme du sapeur-pompier. également les actes courageux et valeureux des médecins, qui bien que conscients de ce qui les attendaient, soignaient et étaient au service des patients et allaient mourir des mêmes maladies et avec les mêmes souffrances. Des veuves, des orphelins des liquidateurs, des enfants avec des malformations...

Si on pouvait faire une suite de la série de Tchernobyl il faudrait poursuivre en montrant le cynisme extraordinaire de l’État à propos des liquidateurs ayant perdu leur santé à Tchernobyl. Il les a laissés seuls, avec leurs maladies incessantes, en prise avec les bureaucrates. En 1991 ces derniers ont promulgué une loi relative à Tchernobyl. Sur le papier tout était bien. En réalité personne ne comprenait rien. Au fur et à mesure les autorités l’ont abrogée. Comment ? En sabrant dans les indemnisations, en diminuant la liste des maladies causées par la radiation, en forçant les victimes à fournir des documents qui n’existaient pas à l’époque ou à fournir à nouveau des documents déjà fournis, en modifiant les mécanismes de calcul de l’indemnisation en fonction de l’inflation, etc. C’est la pire page post-accidentelle. Tribunaux, tribunaux, tribunaux, sans arrêt. Les officiels et les juges qui te regardent de leurs yeux vides. Qui font pression jusqu’à te faire sentir comme si tu étais un SDF… Beaucoup des gens se sont suicidés à cause de ces moqueries étatiques.

J’ai entendu dans la série que seulement 31 personnes sont officiellement décédées. Ce sont les liquidateurs qui sont morts à cause du syndrome de radiation aiguë pendant une durée très courte après l’accident. Malgré ce chiffre qui semble petit, il y a un millier de gens qui ont absorbé la radioactivité dans leur corps et qui souffrent du syndrome de radiation chronique. Comme moi. Ce syndrome est à l’origine d’autres maladies graves, comme le cancer par exemple. Pour qu’une personne puisse prouver un lien de causalité entre la maladie et la radiation, il faut que le Conseil interdépartemental d’État établisse celui-ci. Pendant les premières années après Tchernobyl c’était une procédure ordinaire, mais avec le temps ça s’est complexifié en devenant presque impossible. Pourquoi ? Parce que cela signifie des dépenses pour l’État.

Dans le film, il y a une autre phrase du responsable, prononcée pendant la phase de liquidation concernant les liquidateurs. Il disait : « Quand on aura terminé on les aidera. » Cela semble colossalement honteux après tout ce que les autorités nous ont fait. Ils ont brisé nos vies.

28. Les mineurs et leur travail sous le réacteur. C’est vrai.

Après avoir rempli de sable, de bore et de ciment ce monstre radioactif, on a éteint le feu pour arrêter la pollution. Néanmoins la température interne restait élevée. Tous ces matériaux ont fondu et créé une substance liquide qui pouvait être suffisamment puissante pour forer un trou dans une carcasse en béton en-dessous. C’était une menace sérieuse car dans ce cas tous les matériaux radioactifs auraient pu atteindre la nappe phréatique. Il fallait faire un canal pour l’évacuer au-delà.

400 mineurs (je ne connaissais pas ce chiffre auparavant) qui ont accepté d’accomplir cette tâche en faisant un tunnel sous le réacteur ont travaillé « volontairement-obligatoirement ». Cela signifie qu’ils ont été proposés mais qu’ils ne pouvaient pas refuser sans risquer d’être sérieusement sanctionnés par l’État. Ils l’ont fait au prix de leur santé. Sans doute, personne ne jouait ensuite aux cartes lors de la mission, par contre les gens n’avaient ni combinaison ni masque car la température était très élevée et l’air était impossible à respirer. Pourtant, je comprends et j’approuve l’idée de l’auteur de profiter de ceci pour montrer la gravité exceptionnelle et la tension nerveuse de leur fonction héroïque.

29. Le rôle de KGB de l’URSS. C’est vrai.

Car le KGB a eu un rôle clé dans la vie de la société soviétique et c’est encore plus clair ici car l’industrie nucléaire est née dans le cadre du KGB et celui-ci influençait tout ce qui se passait, y compris les décisions prises. Les agents du KGB étaient partout. Nous, spécialistes travaillant avec du nucléaire chaque seconde, nous nous rendions compte que nous étions écoutés et surveillés. Je ne me souviens plus s’ils agissaient ouvertement mais tout le monde savait qu’ils étaient là.

30. Tribunal pénal contre les responsables. C’est vrai.

On voit en détail dans le film une audition pénale où les responsables, donc Legassov aussi, expliquent comment et pourquoi l’explosion a été rendue possible. Legassov et les autres commentent tranquillement et clairement la vérité et les terribles événements en disant -que :
 Ils avaient eu l’ordre d’accomplir cette expérience, ils étaient obligés ; Des le début, les travaux de la construction de la centrale s’étaient déroulés avec plusieurs manquements et des violations du processus technologique ;
 Le 26 avril le réacteur était géré par un jeune ingénieur sans expérience pratique ;
 Lui-même, Legassov, avait déchiré des pages d’une réglementation technique et les avait falsifiées ;

Tout cela est aujourd’hui prouvé grâce à des archives. En ayant toute l’information sous les yeux, on est horrifié. C’est évident que l’explosion à cet endroit avec une telle discipline était incontournable et inévitable ! Tôt ou tard elle aurait dû arriver. Les principaux employés ont été punis. L’industrie nucléaire et les autorités soviétiques sont restés intouchables.

En conclusion

Je sais donc je parle. J’y étais. J’ai déjà surmonté deux cancers et lutté contre un troisième. Quand j’ai guéri du premier je me suis dit que je devais consacrer le reste de ma vie au combat pour la justice et pour que la vérité de Tchernobyl soit connue, de telle manière que tout un chacun puisse tirer ses propres conclusions.

Plusieurs années durant, moi et mes collèges des ONGs avons raconté cette histoire partout. Je voulais la transmettre à tous. Je faisais ce que je pouvais. Les gens écoutaient, surprises et en colère, exprimaient des émotions et… oubliaient. Les responsables nucléaires étaient contents car cela devenait une légende qui n’était pas connectée avec la vie d’aujourd’hui. La série HBO Tchernobyl est arrivée. Le choc total. Sans avoir connu de nouvel accident l’ effet public a été le même , une explosion d’intérêt extraordinaire.

Tout le monde regarde la série et l’évalue. L’héroïsme et le mensonge. Chaque téléspectateur a un avis. Le film a suscité de nombreuses critiques, certains de mes collègues ne sont pas d’accord avec la façon de présenter les choses. Tout est un peu exagéré. Mais j’insiste : c’est globalement LA VÉRITÉ.

Je suis très heureuse que cette série soit sur les écrans, car pour moi c’est une reconnaissance de notre travail. L’auteur nous a rendu hommage et gloire, liquidateurs inconnus qui avons sauvegardé le monde.

Hélas, le réalisateur a déclaré que son film n’était pas contre l’énergie nucléaire. Mais il ne comprend pas que c’est le cas. Il y a un effet cumulatif entre son idée et la demande publique de vérité. Il n’est pas nécessaire d’être contre l’énergie nucléaire pour reconnaître finalement, que l’industrie nucléaire existe, que les déchets nucléaires existent et que si la société refuse de les contrôler ou les contrôle mal ou pas suffisamment Tchernobyl viendra chez tout un chacun. Il vaut mieux prévenir que guérir, n’est-ce pas ?

Je salue vraiment et je remercie personnellement les gens qui ont créé ce film magnifique en mon nom personnel et au nom de tous mes amis liquidateurs qui sont déjà décédés. Mille mercis.

Natalia M.

Pour aller plus loin :

https://www.cairn.info/publications-de-Manzourova-Natalia--64506.htm

https://reporterre.net/Tchernobyl-Je-suis-la-seule-survivante-de-mon-equipe-de-liquidateur



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