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Sortir du nucléaire n°39



Eté 2008

Presse algérienne

Le nucléaire, même civil, n’est pas halal !

Nucléaire pour tout le monde et c’est la France qui arrose ! Depuis son élection en mai dernier, le président Nicolas Sarkozy s’est fait le héraut de l’énergie nucléaire, en proposant de vendre la technologie française à nombre de pays arabes, les derniers en date, après la Libye, l’Algérie et l’Egypte, étant ceux du Golfe, Arabie Saoudite comprise.

Au quotidien Al-Hayat, le super-VRP de l’atome bleu-blanc-rouge a déclaré avoir souvent dit “que le monde musulman n’était pas moins raisonnable que le reste du monde pour recourir au nucléaire civil pour ses besoins en énergie”. Voilà un argument marketing bien judicieux qui permet de flatter l’ego du chaland avec ce message implicite : achetez mon nucléaire, et vous gagnerez enfin vos galons de pays respectable.

Il y a quelque chose à la fois d’inquiétant et d’étonnant dans cet intense lobbying qui n’est pas, contrairement à ce que pensent certains confrères, un verbiage de plus à ajouter à la longue liste des propositions, plus ou moins sérieuses et contradictoires, qu’émet — et teste - presque quotidiennement le président français. Ce qui est inquiétant, c’est la perspective d’une prolifération nucléaire dans la rive sud de la Méditerranée, au Proche-Orient et dans le Golfe. Il ne s’agit pas de savoir si les pays concernés sont raisonnables ou pas, mais de se demander si l’on réalise bien, à Paris comme à Alger ou Tripoli, ce que signifie un bassin méditerranéen avec un nombre sans cesse croissant de réacteurs nucléaires.

La chose étonnante concerne, quant à elle, le silence des pays européens. On lit, ici et là, quelques réactions préoccupées, notamment allemandes et scandinaves, mais, pour le moment, il n’y a guère de débat. Pourtant, en matière d’exportation de technologie atomique, la France ne peut pas faire ce qu’elle veut. Elle a besoin, en théorie, de l’accord de ses pairs de l’Union européenne et ces derniers pourraient au moins faire entendre ce que tout le monde pense tout bas : est-il bien raisonnable (c’est bien le terme qui convient) d’aller proposer du nucléaire civil à des pays instables pour les uns, peu industrialisés pour les autres ou tout simplement incapables de maîtriser cette filière, qui est tout sauf inoffensive ?

Je mesure bien la portée de la phrase qui précède et j’imagine déjà les réactions d’indignation avec des apostrophes comme celle-ci : “Comment ? Et pourquoi, nous pays du Sud, serions-nous incapables de maîtriser l’énergie nucléaire ?”. Que l’on permette à l’ancien ingénieur que je fus de dire ceci : le nucléaire est une affaire trop sérieuse pour être abordée dans la précipitation parce qu’un commis voyageur déchaîné tambourine à votre porte.
Tous ceux qui, en Algérie, ont travaillé sur le projet de la centrale d’Aïn Oussara vous le diront : le nucléaire civil exige moyens financiers et humains importants ainsi qu’une rigueur absolue. C’est une contrainte totale qui ne laisse aucune place à l’improvisation, à la négligence ou à l’à-peu-près. Bref, le nucléaire ne peut se bâtir que dans un contexte où la sécurité et la prévention industrielles font partie d’une culture et pas simplement d’un savoir-faire. Est-ce à dire que ces préalables n’existent pas dans nos pays ? Disons simplement, pour ne fâcher personne, qu’ils mériteraient d’être partagés par un plus grand nombre d’individus.

Il est possible, qu’au final, le choix du nucléaire civil s’impose aux pays de la rive sud de la Méditerranée, mais encore faudrait-il qu’on y réfléchisse à deux fois. Répondre à ses propres besoins énergétiques par l’atome est un pari très risqué et un Tchernobyl est toujours vite arrivé ! Le pétrole, le gaz naturel, le solaire, l’éolien et même le charbon ne tuent pas. Le nucléaire civil peut faire à tout moment des milliers de victimes. Quelles que soient les protections dont on s’entoure et la maîtrise technologique dont on fait preuve, l’utiliser équivaut à ne se nourrir que de fugu, ce fameux poisson qui contient un poison mortel et qui, au Japon, ne peut-être préparé que par un chef bien formé et diplômé. Une seule erreur de ce dernier, une toute petite incision mal placée, et c’est le trépas assuré pour tous les convives.

On objectera qu’il existe des pays du Sud qui maîtrisent l’énergie nucléaire comme c’est le cas, par exemple, du Pakistan. La réponse est simple : à quel prix ? Dans des sociétés où l’analphabétisme fait des ravages, où la santé publique se dégrade, où les infrastructures tombent en ruine, mais où l’énergie fossile est encore présente pour au moins un siècle, je ne pense pas que développer le nucléaire soit une urgence.

De même, il faut se poser la question de savoir si opter pour cette énergie revient à faire un acte de civilisation, pour reprendre un mot très utilisé actuellement. Le nucléaire civil, qu’on le veuille ou non, est potentiellement l’antichambre du militaire. Est-ce sur cette voie maléfique que le sud de la Méditerranée veut s’engager ? A ce sujet, le silence des oulémas est assourdissant. Toujours prompts à débiter de la fatwa à qui mieux-mieux pour fustiger des chanteuses un peu dénudées ou des intellectuels trop irrévérencieux, les religieux musulmans devraient rappeler à leurs gouvernants que, par nature, l’Islam ne peut admettre que l’on développe une énergie potentiellement ravageuse pour l’Humanité. En un mot, le nucléaire, même civil, est tout sauf halal… Qui peut imaginer une centrale à proximité de La Mecque ou de Médine ? (…)

Akram Belkaïd
Paru dans Le Quotidien d’Oran le 25 janvier 2008

Au quotidien Al-Hayat, le super-VRP de l’atome bleu-blanc-rouge a déclaré avoir souvent dit “que le monde musulman n’était pas moins raisonnable que le reste du monde pour recourir au nucléaire civil pour ses besoins en énergie”. Voilà un argument marketing bien judicieux qui permet de flatter l’ego du chaland avec ce message implicite : achetez mon nucléaire, et vous gagnerez enfin vos galons de pays respectable.

Il y a quelque chose à la fois d’inquiétant et d’étonnant dans cet intense lobbying qui n’est pas, contrairement à ce que pensent certains confrères, un verbiage de plus à ajouter à la longue liste des propositions, plus ou moins sérieuses et contradictoires, qu’émet — et teste - presque quotidiennement le président français. Ce qui est inquiétant, c’est la perspective d’une prolifération nucléaire dans la rive sud de la Méditerranée, au Proche-Orient et dans le Golfe. Il ne s’agit pas de savoir si les pays concernés sont raisonnables ou pas, mais de se demander si l’on réalise bien, à Paris comme à Alger ou Tripoli, ce que signifie un bassin méditerranéen avec un nombre sans cesse croissant de réacteurs nucléaires.

La chose étonnante concerne, quant à elle, le silence des pays européens. On lit, ici et là, quelques réactions préoccupées, notamment allemandes et scandinaves, mais, pour le moment, il n’y a guère de débat. Pourtant, en matière d’exportation de technologie atomique, la France ne peut pas faire ce qu’elle veut. Elle a besoin, en théorie, de l’accord de ses pairs de l’Union européenne et ces derniers pourraient au moins faire entendre ce que tout le monde pense tout bas : est-il bien raisonnable (c’est bien le terme qui convient) d’aller proposer du nucléaire civil à des pays instables pour les uns, peu industrialisés pour les autres ou tout simplement incapables de maîtriser cette filière, qui est tout sauf inoffensive ?

Je mesure bien la portée de la phrase qui précède et j’imagine déjà les réactions d’indignation avec des apostrophes comme celle-ci : “Comment ? Et pourquoi, nous pays du Sud, serions-nous incapables de maîtriser l’énergie nucléaire ?”. Que l’on permette à l’ancien ingénieur que je fus de dire ceci : le nucléaire est une affaire trop sérieuse pour être abordée dans la précipitation parce qu’un commis voyageur déchaîné tambourine à votre porte.
Tous ceux qui, en Algérie, ont travaillé sur le projet de la centrale d’Aïn Oussara vous le diront : le nucléaire civil exige moyens financiers et humains importants ainsi qu’une rigueur absolue. C’est une contrainte totale qui ne laisse aucune place à l’improvisation, à la négligence ou à l’à-peu-près. Bref, le nucléaire ne peut se bâtir que dans un contexte où la sécurité et la prévention industrielles font partie d’une culture et pas simplement d’un savoir-faire. Est-ce à dire que ces préalables n’existent pas dans nos pays ? Disons simplement, pour ne fâcher personne, qu’ils mériteraient d’être partagés par un plus grand nombre d’individus.

Il est possible, qu’au final, le choix du nucléaire civil s’impose aux pays de la rive sud de la Méditerranée, mais encore faudrait-il qu’on y réfléchisse à deux fois. Répondre à ses propres besoins énergétiques par l’atome est un pari très risqué et un Tchernobyl est toujours vite arrivé ! Le pétrole, le gaz naturel, le solaire, l’éolien et même le charbon ne tuent pas. Le nucléaire civil peut faire à tout moment des milliers de victimes. Quelles que soient les protections dont on s’entoure et la maîtrise technologique dont on fait preuve, l’utiliser équivaut à ne se nourrir que de fugu, ce fameux poisson qui contient un poison mortel et qui, au Japon, ne peut-être préparé que par un chef bien formé et diplômé. Une seule erreur de ce dernier, une toute petite incision mal placée, et c’est le trépas assuré pour tous les convives.

On objectera qu’il existe des pays du Sud qui maîtrisent l’énergie nucléaire comme c’est le cas, par exemple, du Pakistan. La réponse est simple : à quel prix ? Dans des sociétés où l’analphabétisme fait des ravages, où la santé publique se dégrade, où les infrastructures tombent en ruine, mais où l’énergie fossile est encore présente pour au moins un siècle, je ne pense pas que développer le nucléaire soit une urgence.

De même, il faut se poser la question de savoir si opter pour cette énergie revient à faire un acte de civilisation, pour reprendre un mot très utilisé actuellement. Le nucléaire civil, qu’on le veuille ou non, est potentiellement l’antichambre du militaire. Est-ce sur cette voie maléfique que le sud de la Méditerranée veut s’engager ? A ce sujet, le silence des oulémas est assourdissant. Toujours prompts à débiter de la fatwa à qui mieux-mieux pour fustiger des chanteuses un peu dénudées ou des intellectuels trop irrévérencieux, les religieux musulmans devraient rappeler à leurs gouvernants que, par nature, l’Islam ne peut admettre que l’on développe une énergie potentiellement ravageuse pour l’Humanité. En un mot, le nucléaire, même civil, est tout sauf halal… Qui peut imaginer une centrale à proximité de La Mecque ou de Médine ? (…)

Akram Belkaïd
Paru dans Le Quotidien d’Oran le 25 janvier 2008



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