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Sortir du nucléaire n°60



Février 2014

Alternatives

La politique antinucléaire de l’Autriche

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°60 - Février 2014

 Sortie du nucléaire  Nucléaire et démocratie  Politique énergétique


Lorsque, aujourd’hui, le gouvernement autrichien prend une position ferme contre le projet de la Commission européenne d’autoriser des subventions directes et massives aux nouveaux réacteurs, il est loin, le temps où le chancelier Kreisky, à dix jours du référendum du 5 novembre 1978 sur la centrale de Zwentendorf, diffamait les adversaires du nucléaire comme n’étant que "quelques extrémistes de gauche et de droite" ! Aujourd’hui, nous avons toute une population de ces "extrémistes" : à 90 %, les Autrichiens sont en faveur "d’une sortie du nucléaire immédiate et définitive" en Europe (sondage mars 2011).



Le référendum national de 1978 sur le nucléaire, du jamais vu, a été suivi d’une autre première mondiale, la "Loi interdisant la fission nucléaire à des fins énergétiques". Autre fait remarquable : malgré l’absence de projet atomique industriel sur le territoire, des ONG ont poursuivi la lutte. Fruit de ce travail continu à la base, le parlement a inscrit à la Constitution, vingt ans "après Zwentendorf", le 13 juillet 1999, une nouvelle "Loi pour une Autriche non nucléaire", bien plus complète :

Sur le territoire autrichien :

1. Il est interdit de fabriquer, stocker, stationner, transporter, tester ou utiliser des armes nucléaires.

2. Il est interdit de construire des installations servant à la production d’électricité par la fission nucléaire.

3. Il est interdit de transporter des matières fissiles (sauf conventions internationales) ; est exempt de cette interdiction le transport aux seules fins pacifiques (médecine, etc.).

4. Une législation appropriée devra garantir la compensation adéquate de dommages qui interviendraient en Autriche à la suite d’un accident nucléaire. Disposition réalisée par la loi sur la responsabilité nucléaire, également de 1999, la seule au monde à exiger des réparations illimitées ; paieront constructeurs, opérateurs et fournisseurs nucléaires.

Et on n’est pas retournés à la bougie !

L’explication de la réussite économique autrichienne sans recours au nucléaire n’est pas que "les Autrichiens importent de l’étranger, voire de Tchernobyl, l’électricité nucléaire dont ils ont besoin" (le prix Nobel G. Charpak, le 31 janvier 1997 sur France 2). D’abord, l’Autriche a exporté, depuis 1978, autant d’électricité qu’elle en a importé. Ensuite, la part de l’électricité nucléaire importée dans sa consommation est d’environ 4 %. Rien de cette part nucléaire n’a jamais été fourni par un des réacteurs ayant continué de fonctionner à Tchernobyl après 1986. Enfin, l’amendement en juillet 2013 de la loi EIWOG stipule que tout kWh d’électricité importé en Autriche doit être garanti par un certificat d’origine. Les dispositions de détail rendent désormais nettement plus difficile de cacher derrière ces certificats des importations d’origine nucléaire par le biais du réseau européen. Même si la triche, le greenwashing, restent possibles.

L’explication sérieuse de la réussite autrichienne, c’est que le refus du nucléaire a libéré l’initiative pour les renouvelables et l’efficacité. Les économies d’énergie se sont de plus en plus imposées dans tous les secteurs. Place modeste au chauffage électrique. Production simultanée d’électricité et de chaleur par la quasi-généralisation du cycle combiné, surtout au niveau des électriciens municipaux. Construction, remise en service, modernisation d’un nombre considérable de mini-centrales hydrauliques. 70% de l’électricité produite provient de l’hydraulique, avec une poursuite modeste de grands et moyens barrages, parfois légitimement contestée. Essor de la biomasse avec des réseaux de chaleur performants (alimentant des ensembles tels que écoles-mairie-HLM), avec notamment l’utilisation de déchets forestiers. Maisons modèles à énergie positive exportées dans le monde, dont beaucoup utilisent de nouvelles technologies du bois. Essor du solaire : avec 625 m2 de capteurs installés pour 1000 habitants, l’Autriche occupe le troisième rang en Europe derrière Chypre et la Grèce pour le parc solaire thermique. On voit ce qui aurait été possible pour un pays plus ensoleillé comme l’Hexagone, où 1000 habitants totalisent environ 30 m2 à la même époque...

À l’international, "de l’eau dans le vin antinucléaire"

L’arrêt, en 1989, du chantier de l’usine de retraitement du combustible usé des centrales allemandes, à Wackersdorf (Bavière), fut une victoire capitale de la coopération transfrontalière.

Pour le nucléaire des pays d’Europe centrale et de l’Est, résumons des situations autrement complexes en signalant deux facteurs essentiels : d’un côté, la politique autrichienne a souvent manqué de conséquence. Ainsi pour le "protocole de Melk". Dans cet accord, le gouvernement Schüssel et la Tchéquie fixaient, en 2001, les mesures de sûreté indispensables à réaliser avant même que les premiers essais puissent être autorisés à la centrale de Témélin. Le gouvernement autrichien n’a pas insisté quand l’électricien CEZ a procédé aux essais, ni même quand l’agence de sûreté nucléaire SUBJ a donné le feu vert au démarrage du réacteur.

D’un autre côté, l’héritage stalinien et la connivence de pays occidentaux, comme les USA et la France, ont vite refermé les fenêtres ouvertes par la composante écologiste du grand bouleversement de 1989 en Europe de l’Est. Ainsi, tôt dans les années 1990, un conseil des ministres à Prague n’a voté la poursuite de la construction de Témélin qu’à une majorité de 11 contre 8. La coopération entre ONG tchèques et autrichiennes, mais aussi les offres d’aide financière et technologique faites par l’Autriche officielle pour remplacer le nucléaire, améliorer l’efficacité énergétique, etc., avaient commencé à porter des fruits. Le cours des "choses nucléaires" aurait pu basculer… Mais la démocratisation, le vrai débat public en matière nucléaire dans les ex-satellites de l’URSS n’ont finalement pas eu lieu. Il faut accorder quelques circonstances atténuantes aux gouvernements autrichiens dans leur action face aux nucléocraties tchèque, slovaque, hongroise, slovénienne…

À propos de l’URSS : l’Autriche, très touchée par les retombées de Tchernobyl, n’a même pas essayé d’obtenir de l’URSS (ou de la Russie) des compensations. De même que le ministère de la Santé n’a jamais commandé d’étude épidémiologique sur les effets de Tchernobyl sur la santé. Alors que c’est un secret de polichinelle que, quelques années après le passage du nuage radioactif, les troubles de la thyroïde, y compris des cancers, se sont multipliés en Autriche.

Cela, comme d’autres inconséquences de la politique autrichienne, peut aussi tenir à la présence à Vienne du siège de l’Agence internationale de l’Énergie atomique (AIEA). La plus grande institution de lobbying nucléaire du monde est implantée à Vienne, côtoyant ainsi le gouvernement et le parlement autrichiens. Tout ce "prestige", ces quelques milliers d’employés bien payés – perdus si l’AIEA s’en allait ! Cela peut faire "réfléchir"…

Réformer EURATOM ou en sortir ?

Le bilan de l’action autrichienne au sein des instances de l’UE est également mitigé. Des prêts EURATOM ont été accordés à la Roumanie, après un simulacre d’étude d’impact, pour construire le réacteur Cernavoda-2, à l’Ukraine (réacteurs Khmelnitski-2 et Rovno-4), et à la Bulgarie (Kozlodui-5 et 6). L’Autriche reste impuissante. Dans le cas du réacteur à fusion ITER, c’est carrément l’autr…uche que font, face au mirage, nos deux partis principaux, les chrétiens-démocrates (ÖVP) et les sociaux-démocrates (SPÖ). L’illustration la plus frappante en est notre ministre de la Recherche, Elisabeth Gehrer : le 25 novembre 2004, elle apprend par la télévision que son secrétaire d’État, E. Mainoni, dépêché à Bruxelles, va voter, après échange avec l’association PLAGE et seul parmi 25 autres ministres, contre le financement d’ITER. Aussitôt, sa ministre de tutelle prend l’avion pour "éjecter" son sous-ministre de sa chaise et assurer ainsi l’unanimité nécessaire des États-membres de l’U.E. en faveur de la construction d’ITER à Cadarache.

Exemple positif : Le soutien des propositions de réforme en profondeur du traité EURATOM élaborées lors de la Convention pour une Constitution européenne (2000 – 2005) par une coalition d’ONG, mais aussi par des membres Verts et sociaux-démocrates de la Convention ; déclaration commune de cinq États-membres, dont l’Autriche, en faveur d’une révision du traité EURATOM, en annexe au Traité constitutionnel (2003).

Mais depuis dix ans maintenant, cette révision a toujours été refusée. Elle requiert le consentement de tous les États-membres... Reste l’option de quitter EURATOM : le pays souhaitant sortir agit par sa propre initiative, est maître de ses actes, le tout est affaire de négociations. Certes pas simples, car ce serait une grande première ! Trois expertises provenant de professeurs de droit international et constitutionnel (Autriche : M. Rotter, 2003, M. Geistlinger, 2005 ; Allemagne : B. Wegener, 2007) confirment que juridiquement, un État peut quitter EURATOM tout en restant membre de l’Union.

C’est pourquoi, depuis la fin du processus constitutionnel de l’UE (2005/2006), la quasi totalité des organisations antinucléaires et environnementales mène campagne pour obtenir que l’Autriche annonce son retrait d’EURATOM. Une foultitude d’activités ont fait de la population autrichienne sans doute la première à peu près consciente du poids écrasant de cette forteresse en papier qu’est pour l’establishment nucléaire le traité EURATOM : brochure, pages internet, campagne "des 100 sommets", apparition spectaculaire d’un groupe de danseurs anti-EURATOM, très élégants, dans le bal de l’Opéra de Vienne, devant 5000 participants venus du monde entier, dont des chefs d’État, de grands industriels, artistes, etc. Et une douzaine de motions introduites par les partis d’opposition au Parlement pour réclamer au gouvernement d’entamer le processus de sortie d’EURATOM. Motions repoussées à chaque fois, il est vrai, par la coalition gouvernementale SPÖ-ÖVP (Parti Social-démocrate et Parti populaire autrichien).

Cependant, la pression exercée en continu sur le gouvernement, et renouvelée depuis Fukushima, fait fonction d’aiguillon. Le résultat le plus récent en est l’attitude ferme de nos gouvernants face au projet d’autoriser des subventions nationales massives aux nouvelles centrales nucléaires, d’abord au consortium mené par EDF pour construire et exploiter Hinkley Point C en Grande-Bretagne. La résistance de l’Allemagne, du Danemark et de l’Autriche a déjà amené la Commission européenne à retirer sa proposition. Et le 23 mai 2013, le ministre autrichien de l’Économie, Reinhold Mitterlehner, a assuré à la Coordination antinucléaire autrichienne (ÖNA) que l’Autriche épuisera tous les recours juridiques, qui iront, "le cas échéant, jusqu’à une plainte devant la Cour de justice européenne". Comme quoi, si le gouvernement autrichien et les antinucléaires ne marchent pas main dans la main, ceux-ci peuvent tout de même faire bouger celui-là dans la bonne direction !

Heinz Stockinger
Universitaire, militant contre l’industrie nucléaire depuis 1977 et président de la Salzburger Plattform gegen Atomgefahren (PLAGE – Association salzbourgeoise contre les dangers nucléaires).

Que faire d’une centrale prête à fonctionner mais jamais mise en service ?

Après bien des péripéties depuis le référendum de 1978, aujourd’hui Zwentendorf sert de centre d’entraînement : c’est la seule centrale nucléaire grandeur nature au monde où toutes sortes d’entreprises liées au nucléaire viennent faire entraîner leur personnel dans un environnement à cent pour cent réaliste mais sans le moindre risque radioactif… Il y a même une firme indienne, PM DIMENSIONS, "Engineering Services & Workforce Development", qui y organise régulièrement des cours.

Dans un sens contraire, en 2010, l’électricien régional EVN, propriétaire du site, y a créé un Centre de recherche photovoltaïque, en coopération avec la Technische Universität de Vienne. Ce centre symbolise la voie des renouvelables, prise au lieu de la voie nucléaire. Renouvelables dont la somme, à travers le pays, substitue et dépasse la capacité énergétique qu’aurait eue le réacteur. Ainsi, Zwentendorf lui-même est aujourd’hui le signe manifeste de toute une réorientation en matière de politique et d’entrepreneuriat énergétiques.

Le référendum national de 1978 sur le nucléaire, du jamais vu, a été suivi d’une autre première mondiale, la "Loi interdisant la fission nucléaire à des fins énergétiques". Autre fait remarquable : malgré l’absence de projet atomique industriel sur le territoire, des ONG ont poursuivi la lutte. Fruit de ce travail continu à la base, le parlement a inscrit à la Constitution, vingt ans "après Zwentendorf", le 13 juillet 1999, une nouvelle "Loi pour une Autriche non nucléaire", bien plus complète :

Sur le territoire autrichien :

1. Il est interdit de fabriquer, stocker, stationner, transporter, tester ou utiliser des armes nucléaires.

2. Il est interdit de construire des installations servant à la production d’électricité par la fission nucléaire.

3. Il est interdit de transporter des matières fissiles (sauf conventions internationales) ; est exempt de cette interdiction le transport aux seules fins pacifiques (médecine, etc.).

4. Une législation appropriée devra garantir la compensation adéquate de dommages qui interviendraient en Autriche à la suite d’un accident nucléaire. Disposition réalisée par la loi sur la responsabilité nucléaire, également de 1999, la seule au monde à exiger des réparations illimitées ; paieront constructeurs, opérateurs et fournisseurs nucléaires.

Et on n’est pas retournés à la bougie !

L’explication de la réussite économique autrichienne sans recours au nucléaire n’est pas que "les Autrichiens importent de l’étranger, voire de Tchernobyl, l’électricité nucléaire dont ils ont besoin" (le prix Nobel G. Charpak, le 31 janvier 1997 sur France 2). D’abord, l’Autriche a exporté, depuis 1978, autant d’électricité qu’elle en a importé. Ensuite, la part de l’électricité nucléaire importée dans sa consommation est d’environ 4 %. Rien de cette part nucléaire n’a jamais été fourni par un des réacteurs ayant continué de fonctionner à Tchernobyl après 1986. Enfin, l’amendement en juillet 2013 de la loi EIWOG stipule que tout kWh d’électricité importé en Autriche doit être garanti par un certificat d’origine. Les dispositions de détail rendent désormais nettement plus difficile de cacher derrière ces certificats des importations d’origine nucléaire par le biais du réseau européen. Même si la triche, le greenwashing, restent possibles.

L’explication sérieuse de la réussite autrichienne, c’est que le refus du nucléaire a libéré l’initiative pour les renouvelables et l’efficacité. Les économies d’énergie se sont de plus en plus imposées dans tous les secteurs. Place modeste au chauffage électrique. Production simultanée d’électricité et de chaleur par la quasi-généralisation du cycle combiné, surtout au niveau des électriciens municipaux. Construction, remise en service, modernisation d’un nombre considérable de mini-centrales hydrauliques. 70% de l’électricité produite provient de l’hydraulique, avec une poursuite modeste de grands et moyens barrages, parfois légitimement contestée. Essor de la biomasse avec des réseaux de chaleur performants (alimentant des ensembles tels que écoles-mairie-HLM), avec notamment l’utilisation de déchets forestiers. Maisons modèles à énergie positive exportées dans le monde, dont beaucoup utilisent de nouvelles technologies du bois. Essor du solaire : avec 625 m2 de capteurs installés pour 1000 habitants, l’Autriche occupe le troisième rang en Europe derrière Chypre et la Grèce pour le parc solaire thermique. On voit ce qui aurait été possible pour un pays plus ensoleillé comme l’Hexagone, où 1000 habitants totalisent environ 30 m2 à la même époque...

À l’international, "de l’eau dans le vin antinucléaire"

L’arrêt, en 1989, du chantier de l’usine de retraitement du combustible usé des centrales allemandes, à Wackersdorf (Bavière), fut une victoire capitale de la coopération transfrontalière.

Pour le nucléaire des pays d’Europe centrale et de l’Est, résumons des situations autrement complexes en signalant deux facteurs essentiels : d’un côté, la politique autrichienne a souvent manqué de conséquence. Ainsi pour le "protocole de Melk". Dans cet accord, le gouvernement Schüssel et la Tchéquie fixaient, en 2001, les mesures de sûreté indispensables à réaliser avant même que les premiers essais puissent être autorisés à la centrale de Témélin. Le gouvernement autrichien n’a pas insisté quand l’électricien CEZ a procédé aux essais, ni même quand l’agence de sûreté nucléaire SUBJ a donné le feu vert au démarrage du réacteur.

D’un autre côté, l’héritage stalinien et la connivence de pays occidentaux, comme les USA et la France, ont vite refermé les fenêtres ouvertes par la composante écologiste du grand bouleversement de 1989 en Europe de l’Est. Ainsi, tôt dans les années 1990, un conseil des ministres à Prague n’a voté la poursuite de la construction de Témélin qu’à une majorité de 11 contre 8. La coopération entre ONG tchèques et autrichiennes, mais aussi les offres d’aide financière et technologique faites par l’Autriche officielle pour remplacer le nucléaire, améliorer l’efficacité énergétique, etc., avaient commencé à porter des fruits. Le cours des "choses nucléaires" aurait pu basculer… Mais la démocratisation, le vrai débat public en matière nucléaire dans les ex-satellites de l’URSS n’ont finalement pas eu lieu. Il faut accorder quelques circonstances atténuantes aux gouvernements autrichiens dans leur action face aux nucléocraties tchèque, slovaque, hongroise, slovénienne…

À propos de l’URSS : l’Autriche, très touchée par les retombées de Tchernobyl, n’a même pas essayé d’obtenir de l’URSS (ou de la Russie) des compensations. De même que le ministère de la Santé n’a jamais commandé d’étude épidémiologique sur les effets de Tchernobyl sur la santé. Alors que c’est un secret de polichinelle que, quelques années après le passage du nuage radioactif, les troubles de la thyroïde, y compris des cancers, se sont multipliés en Autriche.

Cela, comme d’autres inconséquences de la politique autrichienne, peut aussi tenir à la présence à Vienne du siège de l’Agence internationale de l’Énergie atomique (AIEA). La plus grande institution de lobbying nucléaire du monde est implantée à Vienne, côtoyant ainsi le gouvernement et le parlement autrichiens. Tout ce "prestige", ces quelques milliers d’employés bien payés – perdus si l’AIEA s’en allait ! Cela peut faire "réfléchir"…

Réformer EURATOM ou en sortir ?

Le bilan de l’action autrichienne au sein des instances de l’UE est également mitigé. Des prêts EURATOM ont été accordés à la Roumanie, après un simulacre d’étude d’impact, pour construire le réacteur Cernavoda-2, à l’Ukraine (réacteurs Khmelnitski-2 et Rovno-4), et à la Bulgarie (Kozlodui-5 et 6). L’Autriche reste impuissante. Dans le cas du réacteur à fusion ITER, c’est carrément l’autr…uche que font, face au mirage, nos deux partis principaux, les chrétiens-démocrates (ÖVP) et les sociaux-démocrates (SPÖ). L’illustration la plus frappante en est notre ministre de la Recherche, Elisabeth Gehrer : le 25 novembre 2004, elle apprend par la télévision que son secrétaire d’État, E. Mainoni, dépêché à Bruxelles, va voter, après échange avec l’association PLAGE et seul parmi 25 autres ministres, contre le financement d’ITER. Aussitôt, sa ministre de tutelle prend l’avion pour "éjecter" son sous-ministre de sa chaise et assurer ainsi l’unanimité nécessaire des États-membres de l’U.E. en faveur de la construction d’ITER à Cadarache.

Exemple positif : Le soutien des propositions de réforme en profondeur du traité EURATOM élaborées lors de la Convention pour une Constitution européenne (2000 – 2005) par une coalition d’ONG, mais aussi par des membres Verts et sociaux-démocrates de la Convention ; déclaration commune de cinq États-membres, dont l’Autriche, en faveur d’une révision du traité EURATOM, en annexe au Traité constitutionnel (2003).

Mais depuis dix ans maintenant, cette révision a toujours été refusée. Elle requiert le consentement de tous les États-membres... Reste l’option de quitter EURATOM : le pays souhaitant sortir agit par sa propre initiative, est maître de ses actes, le tout est affaire de négociations. Certes pas simples, car ce serait une grande première ! Trois expertises provenant de professeurs de droit international et constitutionnel (Autriche : M. Rotter, 2003, M. Geistlinger, 2005 ; Allemagne : B. Wegener, 2007) confirment que juridiquement, un État peut quitter EURATOM tout en restant membre de l’Union.

C’est pourquoi, depuis la fin du processus constitutionnel de l’UE (2005/2006), la quasi totalité des organisations antinucléaires et environnementales mène campagne pour obtenir que l’Autriche annonce son retrait d’EURATOM. Une foultitude d’activités ont fait de la population autrichienne sans doute la première à peu près consciente du poids écrasant de cette forteresse en papier qu’est pour l’establishment nucléaire le traité EURATOM : brochure, pages internet, campagne "des 100 sommets", apparition spectaculaire d’un groupe de danseurs anti-EURATOM, très élégants, dans le bal de l’Opéra de Vienne, devant 5000 participants venus du monde entier, dont des chefs d’État, de grands industriels, artistes, etc. Et une douzaine de motions introduites par les partis d’opposition au Parlement pour réclamer au gouvernement d’entamer le processus de sortie d’EURATOM. Motions repoussées à chaque fois, il est vrai, par la coalition gouvernementale SPÖ-ÖVP (Parti Social-démocrate et Parti populaire autrichien).

Cependant, la pression exercée en continu sur le gouvernement, et renouvelée depuis Fukushima, fait fonction d’aiguillon. Le résultat le plus récent en est l’attitude ferme de nos gouvernants face au projet d’autoriser des subventions nationales massives aux nouvelles centrales nucléaires, d’abord au consortium mené par EDF pour construire et exploiter Hinkley Point C en Grande-Bretagne. La résistance de l’Allemagne, du Danemark et de l’Autriche a déjà amené la Commission européenne à retirer sa proposition. Et le 23 mai 2013, le ministre autrichien de l’Économie, Reinhold Mitterlehner, a assuré à la Coordination antinucléaire autrichienne (ÖNA) que l’Autriche épuisera tous les recours juridiques, qui iront, "le cas échéant, jusqu’à une plainte devant la Cour de justice européenne". Comme quoi, si le gouvernement autrichien et les antinucléaires ne marchent pas main dans la main, ceux-ci peuvent tout de même faire bouger celui-là dans la bonne direction !

Heinz Stockinger
Universitaire, militant contre l’industrie nucléaire depuis 1977 et président de la Salzburger Plattform gegen Atomgefahren (PLAGE – Association salzbourgeoise contre les dangers nucléaires).

Que faire d’une centrale prête à fonctionner mais jamais mise en service ?

Après bien des péripéties depuis le référendum de 1978, aujourd’hui Zwentendorf sert de centre d’entraînement : c’est la seule centrale nucléaire grandeur nature au monde où toutes sortes d’entreprises liées au nucléaire viennent faire entraîner leur personnel dans un environnement à cent pour cent réaliste mais sans le moindre risque radioactif… Il y a même une firme indienne, PM DIMENSIONS, "Engineering Services & Workforce Development", qui y organise régulièrement des cours.

Dans un sens contraire, en 2010, l’électricien régional EVN, propriétaire du site, y a créé un Centre de recherche photovoltaïque, en coopération avec la Technische Universität de Vienne. Ce centre symbolise la voie des renouvelables, prise au lieu de la voie nucléaire. Renouvelables dont la somme, à travers le pays, substitue et dépasse la capacité énergétique qu’aurait eue le réacteur. Ainsi, Zwentendorf lui-même est aujourd’hui le signe manifeste de toute une réorientation en matière de politique et d’entrepreneuriat énergétiques.



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