Faire un don

Sortir du nucléaire n°23



Décembre 2003

Droits de l’homme

La faute de Iouri Bandajevski

Tchernobyl

Depuis deux ans, cet éminent savant biélorusse croupit dans une prison de Minsk, officiellement pour avoir accepté des pots-de-vin d’étudiants.. Ses travaux sur les conséquences de Tchernobyl contestent les positions officielles. Est-ce un hasard ?

Imagine-t-on Pasteur emprisonné pour sa découverte du vaccin ? Luc Montagnier embastillé après l’isolement du virus du sida ? Richard Doll jeté dans un cul-de-basse-fosse pour avoir montré le caractère mortel de l’amiante ?

Depuis deux ans, le plus grand savant de Biélorussie croupit dans une cellule de la « colonie de régime restreint » de la rue Kalvariskaïa, à Minsk, la capitale, en compagnie d’assassins.

Le crime de Iouri Bandajevski, selon la justice de l’autocrate Alexandre Loukachenko, dans un pays aux portes de l’Europe où le KGB existe toujours sous ce nom et où l’opposition politique est de facto interdite, est d’avoir accepté des pots-de-vin de ses étudiants.


Il croupit dans une cellule de la « colonie de régime restreint »

Mais tout porte à croire que la vraie faute de cet anatomo-pathologiste de 46 ans, chercheur acharné et adulé par ses élèves, est d’avoir critiqué la gestion sanitaire des autorités et, plus encore, d’avoir montré que la radioactivité toujours présente dans les régions voisines de Tchernobyl entraîne, malgré son faible niveau, des maladies importantes et durables chez les enfants. Démentant ainsi la vérité officielle, selon laquelle la « catastrophe de Tchernobyl »,comme on dit en Biélorussie et en Ukraine, ne produit plus d’effets et peut être peu ou prou oubliée.

Bandajevski n’est pas un prisonnier politique classique, un militant de la démocratie, c’est un prisonnier scientifique. Et dans cette cellule, ce n’est pas seulement un savant de valeur que l’on a enfermé, mais la clé d’une hypothèse scientifique très nouvelle dans le domaine de l’étude de la radio- activité : l’exposition chronique à de faibles doses de radioactivité provoque des maladies inattendues, notamment cardiaques, chez les enfants exposés.

Une hypothèse qui, si elle était confirmée, multiplierait encore le terrible bilan de Tchernobyl et l’analyse générale à propos des accidents nucléaires toujours possibles.

L’histoire commence au temps où l’Union soviétique vantait encore son avenir radieux. Iouri Bandajevski naît en janvier 1957 dans la République soviétique de Biélorussie. Fils unique d’une famille strictement communiste, dont le père est un officiel du parti et où la seule religion entretenue par la mère, enseignante, est celle du travail, il est un élève modèle.

Il entre facilement à l’institut médical de Grodno, dont il sort diplômé en 1980. Il épouse Galina, ils ont une petite fille, Olga, mais la passion du jeune scientifique est la recherche, et il prépare son doctorat d’anatomie pathologique. Il travaille d’arrache-pied, menant ses expériences à domicile : il a transformé une petite pièce de leur appartement de Grodno en ménagerie pour lapins, poules, et plus de mille hamsters empilés en berceaux de cinquante animaux. Il nourrit les animaux de diverses préparations, puis les dissèque pour observer l’effet des facteurs chimiques ou biologiques sur la gestation, le développement embryonnaire et la formation des organes.

Les succès universitaires se succèdent jusqu’à sa thèse de doctorat en 1987, et il est nommé directeur du Laboratoire central de recherche scientifique de Biélorussie. La trajectoire est impeccable, le jeune Bandajevski est un des chercheurs les plus prometteurs d’URSS.

Tchernobyl : un énorme choc psychologique

Mais en avril 1986 survient l’accident de Tchernobyl, dont le nuage empoisonné laisse les plus grandes traces sur la petite Biélorussie. « La catastrophe de Tchernobyl a produit sur moi, dira Bandajevski, comme sur un grand nombre de personnes, un énorme choc psychologique. » Jusqu’en 1990, le système soviétique règne encore, l’information est contrôlée, et rares sont ceux qui connaissent l’ampleur exacte de la catastrophe.. Iouri est de ceux-là. Il propose divers programmes de recherche aux autorités.

En 1990, le ministre de la santé le nomme recteur de l’Institut de médecine de Gomel. A charge pour lui de redresser cet institut en déshérence, et d’y lancer des recherches scientifiques. Le poste est prestigieux pour cet homme encore jeune, mais, à vrai dire, les candidats ne se bousculent pas : la ville de Gomel est à la lisière des zones les plus contaminées, et les notables cherchent discrètement à quitter cette région où la radioactivité persiste dans les sols, dans les eaux, dans les aliments. « On lui a confié cet institut, dit Galina, parce qu’on lui faisait confiance, mais aussi parce que personne d’autre ne voulait y aller. »

A Gomel, grande cité du sud de la Biélorussie, au climat agréable et aux parcs superbes, les Bandajevski sont des notables et se voient attribuer un bel appartement rue Pouchkine, avec vue sur un jardin qui ressemble à un verger fleuri et sur la rivière Soje. Mais Bandajevski n’est pas homme à contempler le lent écoulement du fleuve. C’est un travailleur acharné, sur le pont dès 7 heures, rarement de retour avant la nuit tombée. « Le professeur ne prenait presque jamais de vacances, et le week-end il restait le plus souvent au laboratoire avec ses étudiants, dit sa fille, Olga. On se voyait, mais, disons, pas selon un horaire régulier. »

Monsieur le recteur, dans ce début des années 1990, enseigne, administre, forme les étudiants. Il fait de l’institut un établissement réputé, dans une région pourtant doublement affectée : comme toute l’Union soviétique, par la chute de l’empire, mais aussi par le mal invisible de Tchernobyl, qui anémie la ville et fait lentement fuir sa population. Et il trouve encore le temps de chercher, une recherche évidemment orientée sur l’analyse des effets de la radioactivité sur l’organisme.

C’est de Galina que vient l’alerte : elle est cardiologue et travaille à l’hôpital, où elle observe avec surprise les anomalies cardiaques des enfants qu’elle ausculte : bruits, arythmie, des symptômes rares chez des enfants.

En 1993, elle entreprend un relevé systématique des électrocardiogrammes des bambins d’un jardin d’enfants : ils se révèlent à 80 % anormaux. Elle avertit son mari, et l’hypothèse naît d’un lien entre ces symptômes et le niveau de contamination radioactive.

Une hypothèse très peu orthodoxe : depuis Hiroshima et Nagasaki, les spécialistes associent l’exposition à la radioactivité au cancer. Cette maladie serait le principal effet de la radioactivité sur l’organisme vivant. Cet axiome est renforcé en 1991, quand on doit constater que l’iode radioactif émis dans l’accident de Tchernobyl a provoqué une épidémie de cancers de la thyroïde en Biélorussie et en Ukraine.

Mais, pour Bandajevski, il faut voir plus loin : alors qu’à Hiroshima les victimes ont été exposées à une exposition massive mais de courte durée, à Tchernobyl les populations subissent des conditions différentes : exposition faible mais prolongée. Les effets pourraient donc être différents. Avec toute l’énergie dont il est capable, il s’engage dans la recherche, testant l’hypothèse sur ses hamsters fétiches, s’intéressant à des isotopes négligés jusque-là, comme le césium 137, lançant ses étudiants sur des aspects particuliers de l’étude, faisant remonter observations et informations des hôpitaux de la région.

En 1995, le cœur de la nouvelle théorie est exposé dans un ouvrage de synthèse publié en anglais à Gomel : « Il y a une corrélation entre l’évolution de conditions pathologiques et les doses accumulées de radionucléides. Elle est le plus prononcée pour les systèmes cardiaque et nerveux. (...) Même de petites doses de substances radioactives, de l’ordre de 50 à 80 becquerels de césium 137 par kilo, peuvent causer des désordres pathologiques dans l’organisme humain. » Les enfants, apparaît-il de surcroît, sont particulièrement sensibles à cette influence néfaste.

Tout en multipliant les expériences et les travaux pour confirmer l’hypothèse, Bandajevski commence à s’exprimer publiquement : car si l’hypothèse est vraie, cela signifie que l’on peut éviter de nombreuses maladies à condition de gérer autrement les conséquences de Tchernobyl. En contrôlant mieux l’alimentation, en cherchant les moyens d’évacuer le césium de l’organisme, en prenant un soin particulier des enfants, qui sont le plus menacés.

Des vérités pas bonnes à dire

Dans la Biélorussie de la fin des années 1990, ces vérités ne sont pas bonnes à dire : la thèse officielle est que les conséquences de Tchernobyl sont sous contrôle, et que l’on peut commencer à « réhabiliter » les zones contaminées, c’est-à-dire à les banaliser.

Car, en 1994, Alexandre Loukachenko a été porté au pouvoir. Par l’élection, certes, mais le nouvel homme fort du pays, nostalgique du système soviétique, étouffe progressivement la démocratie qui avait fleuri entre 1990 et 1994. Il est de plus en plus difficile de s’opposer au président.

Sorte de savant Cosinus, Bandajevski n’a guère prêté attention à cette évolution politique. En 1999, un comité du Parlement lui confie, ainsi qu’à deux autres scientifiques, une mission d’expertise de la gestion de l’après-Tchernobyl par le ministère de la santé. Le rapport conclut à la dilapidation de la plus grande partie du budget et à l’inefficacité de l’action entreprise. Mais Bandajevski ne s’en tient pas là : il écrit au président Loukachenko. Et il participe à une émission télévisée où il explique son travail scientifique et les conclusions qu’il en tire.

Le résultat ne se fait guère attendre. Il est arrêté en juillet 1999 et incarcéré six mois, au motif qu’il aurait accepté de l’argent de ses étudiants pour leur accorder leur examen. L’accusation de corruption est l’arme favorite de M. Loukachenko pour discréditer ses opposants. Dans le cas de Bandajevski, elle est presque invraisemblable : « C’est un intellectuel authentique, un vrai cérébral, dit un diplomate occidental à Minsk. J’ai l’expérience de ces pays ; lui, je crois que c’est un pur. »

Bandajevski est relâché au bout de six mois et attend, libre, son procès : « Il était inconscient, raconte Galina. Au lieu de travailler à sa défense avec ses avocats, il a passé son temps à refaire des expériences, avec des hamsters, à la maison. La veille de son procès, il était encore en train d’imprimer son dernier livre sur son ordinateur. »

Le 18 juin 2001, il est condamné à huit ans de prison. On n’a pas trouvé de preuve, le principal témoin s’est récusé pendant le procès, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a relevé huit infractions au code pénal de Biélorussie. François Jacob, de l’Académie des sciences, juge dans une lettre de soutien que « le véritable motif de sa condamnation repose sur une critique formulée dans un rapport scientifique ».

Adopté par Amnesty International

Iouri Bandajevski est toujours en prison. Les pressions n’ont pas cessé, sur lui et sur sa famille. Il est fatigué, amaigri, il perd ses cheveux, mais son moral tient bon, dit sa femme. Et il n’a pas cédé : il n’a pas reconnu sa culpabilité, il ne s’est pas engagé à cesser ses recherches scientifiques.

Adopté par Amnesty International, soutenu par des associations comme la CRII-Rad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), citoyen d’honneur des villes de Paris et de Clermont-Ferrand, Bandajevski est cependant peu soutenu par ceux qui devraient être ses premiers appuis : les scientifiques étrangers. Et particulièrement des spécialistes de la radioactivité, dont plusieurs semblent presque heureux que cet iconoclaste, avec ses thèses si hétérodoxes, soit réduit au silence. Ils dénigrent son travail, ou font mine de l’ignorer.

Tout à sa lutte pour faire passer ses idées en Biélorussie, Bandajevski n’a pas consacré assez d’énergie à publier ses résultats dans les revues occidentales.

Dans sa cellule de la rue Kalvariskaïa, il ne pense pas seulement au débat scientifique que l’on a tu. Il pense aussi aux enfants du sud de la Biélorussie, les victimes de Tchernobyl, qui attendent d’être libérés du mal qui les ronge, du césium empoisonné.
Appel à solidarité :

Biélorussie : une maison solaire pour l’association Belrad

Alors que le lobby atomique essaie par tous les moyens de ramener Tchernobyl à la dimension d’un incident industriel mineur, en martelant contre toute évidence le dogme des « 32 morts, 200 irradiés et 2000 thyroïdiens », alors que le Professeur Bandajevsky entame sa troisième année d’emprisonnement, voici que l’institut de radioprotection indépendant du Professeur Nesterenko, Belrad, doit quitter très rapidement les locaux qu’il occupe actuellement ou cesser ses activités.

Dans le contexte du négationnisme nucléaire actuel sur Tchernobyl, il faut impérativement sauver cette dernière source d‘expertise indépendante au Bélarus et sauver Belrad.

Avec le Président du département biélorusse de l’Académie d’écologie, le Dr. E. Chirokov, Belrad a mis au point les plans d’un bâtiment écologique : solaire thermique et photovoltaïque, collecte des eaux de pluie, murs en bottes de paille et pisé, matériaux naturels.

Située à Minsk, cette maison solaire pourra devenir la vitrine, au Bélarus, d’une alternative énergétique et écologique.

Le coût de cette construction de 500 m2 de surface utile est de 120.000 euros, terrain et branchements compris, soit 140 euros le m2 habitable.

Pour faciliter la recherche de fonds, cette somme a été divisée en six tranches de 20.000 euros, dont 3 tranches (60.000 euros) sont d’ores et déjà financées, suite à l’appel international lancé au début de l‘été.

Les associations et membres individuels du Réseau « Sortir du nucléaire », très sensibilisés à la nécessité de démasquer le mensonge nucléaire, ont toujours soutenu l’expertise indépendante en France (Criirad, Acro, etc). Au Bélarus, les membres du Réseau ont largement participé à la campagne « Libérez Bandajevsky ».

Aujourd’hui, un soutien massif et rapide de tous les membres du Réseau (les petites rivières font les grands fleuves) à Belrad est vital.

Solange Fernex, « Les Enfants de Tchernobyl Bélarus »

Un dossier complet peut être demandé à l’adresse suivante : « Enfants de Tchernobyl Bélarus », 68480 – Biederthal, ou par email à Wladimir Tschertkoff (eandreoli@vtx.ch).


Pour aider le projet de la maison solaire de l’institut bélarusse Belrad, contribuez au fonds de solidarité « Sortir du nucléaire »

Depuis juillet 2003, Le Réseau « Sortir du nucléaire » a décidé de mettre en place un fonds de solidarité « Sortir du nucléaire » pour des actions ou des projets liés à des problématiques énergie/nucléaire (notamment humanitaires) en France ou à l’étranger. Si vous avez un projet à nous soumettre, merci de nous écrire ou nous envoyer un mail à : n-morel@club-internet.fr Notre conseil d’administration déterminera si votre projet peut s’inscrire dans le cadre de ce fonds de solidarité et faire l’objet d’une priorité.

Suite à notre premier appel de juillet 2003, vous avez été nombreux à soutenir le projet de micro turbine en Himalaya indien de l’association Tsampa Equita qui a pu recevoir une aide de 2000 euros grâce à ce fonds de solidarité. Si vous souhaitez aider le projet de maison solaire de l’institut Belrad en Biélorussie, merci de contribuer au fonds de solidarité en libellant votre chèque à l’ordre de « Sortir du nucléaire - Fonds de solidarité ». Votre don (déductible pour moitié de vos impôts) servira à aider ce projet ainsi que les futurs projets et actions de solidarité à venir. Merci infiniment.

Envoyez votre don à : Réseau « Sortir du nucléaire », 9, rue Dumenge 69317 Lyon Cedex 04
Hervé Kempf

Article paru dans le quotidien Le Monde du 24 juin 2003
Comment agir pour demander la libération de Youri Bandajevski ?

Ecrivez au Comité Bandajevski 1, chemin Guilbaud 38100 Grenoble – www.comite-bandajevsky.org

Depuis deux ans, cet éminent savant biélorusse croupit dans une prison de Minsk, officiellement pour avoir accepté des pots-de-vin d’étudiants.. Ses travaux sur les conséquences de Tchernobyl contestent les positions officielles. Est-ce un hasard ?

Imagine-t-on Pasteur emprisonné pour sa découverte du vaccin ? Luc Montagnier embastillé après l’isolement du virus du sida ? Richard Doll jeté dans un cul-de-basse-fosse pour avoir montré le caractère mortel de l’amiante ?

Depuis deux ans, le plus grand savant de Biélorussie croupit dans une cellule de la « colonie de régime restreint » de la rue Kalvariskaïa, à Minsk, la capitale, en compagnie d’assassins.

Le crime de Iouri Bandajevski, selon la justice de l’autocrate Alexandre Loukachenko, dans un pays aux portes de l’Europe où le KGB existe toujours sous ce nom et où l’opposition politique est de facto interdite, est d’avoir accepté des pots-de-vin de ses étudiants.


Il croupit dans une cellule de la « colonie de régime restreint »

Mais tout porte à croire que la vraie faute de cet anatomo-pathologiste de 46 ans, chercheur acharné et adulé par ses élèves, est d’avoir critiqué la gestion sanitaire des autorités et, plus encore, d’avoir montré que la radioactivité toujours présente dans les régions voisines de Tchernobyl entraîne, malgré son faible niveau, des maladies importantes et durables chez les enfants. Démentant ainsi la vérité officielle, selon laquelle la « catastrophe de Tchernobyl »,comme on dit en Biélorussie et en Ukraine, ne produit plus d’effets et peut être peu ou prou oubliée.

Bandajevski n’est pas un prisonnier politique classique, un militant de la démocratie, c’est un prisonnier scientifique. Et dans cette cellule, ce n’est pas seulement un savant de valeur que l’on a enfermé, mais la clé d’une hypothèse scientifique très nouvelle dans le domaine de l’étude de la radio- activité : l’exposition chronique à de faibles doses de radioactivité provoque des maladies inattendues, notamment cardiaques, chez les enfants exposés.

Une hypothèse qui, si elle était confirmée, multiplierait encore le terrible bilan de Tchernobyl et l’analyse générale à propos des accidents nucléaires toujours possibles.

L’histoire commence au temps où l’Union soviétique vantait encore son avenir radieux. Iouri Bandajevski naît en janvier 1957 dans la République soviétique de Biélorussie. Fils unique d’une famille strictement communiste, dont le père est un officiel du parti et où la seule religion entretenue par la mère, enseignante, est celle du travail, il est un élève modèle.

Il entre facilement à l’institut médical de Grodno, dont il sort diplômé en 1980. Il épouse Galina, ils ont une petite fille, Olga, mais la passion du jeune scientifique est la recherche, et il prépare son doctorat d’anatomie pathologique. Il travaille d’arrache-pied, menant ses expériences à domicile : il a transformé une petite pièce de leur appartement de Grodno en ménagerie pour lapins, poules, et plus de mille hamsters empilés en berceaux de cinquante animaux. Il nourrit les animaux de diverses préparations, puis les dissèque pour observer l’effet des facteurs chimiques ou biologiques sur la gestation, le développement embryonnaire et la formation des organes.

Les succès universitaires se succèdent jusqu’à sa thèse de doctorat en 1987, et il est nommé directeur du Laboratoire central de recherche scientifique de Biélorussie. La trajectoire est impeccable, le jeune Bandajevski est un des chercheurs les plus prometteurs d’URSS.

Tchernobyl : un énorme choc psychologique

Mais en avril 1986 survient l’accident de Tchernobyl, dont le nuage empoisonné laisse les plus grandes traces sur la petite Biélorussie. « La catastrophe de Tchernobyl a produit sur moi, dira Bandajevski, comme sur un grand nombre de personnes, un énorme choc psychologique. » Jusqu’en 1990, le système soviétique règne encore, l’information est contrôlée, et rares sont ceux qui connaissent l’ampleur exacte de la catastrophe.. Iouri est de ceux-là. Il propose divers programmes de recherche aux autorités.

En 1990, le ministre de la santé le nomme recteur de l’Institut de médecine de Gomel. A charge pour lui de redresser cet institut en déshérence, et d’y lancer des recherches scientifiques. Le poste est prestigieux pour cet homme encore jeune, mais, à vrai dire, les candidats ne se bousculent pas : la ville de Gomel est à la lisière des zones les plus contaminées, et les notables cherchent discrètement à quitter cette région où la radioactivité persiste dans les sols, dans les eaux, dans les aliments. « On lui a confié cet institut, dit Galina, parce qu’on lui faisait confiance, mais aussi parce que personne d’autre ne voulait y aller. »

A Gomel, grande cité du sud de la Biélorussie, au climat agréable et aux parcs superbes, les Bandajevski sont des notables et se voient attribuer un bel appartement rue Pouchkine, avec vue sur un jardin qui ressemble à un verger fleuri et sur la rivière Soje. Mais Bandajevski n’est pas homme à contempler le lent écoulement du fleuve. C’est un travailleur acharné, sur le pont dès 7 heures, rarement de retour avant la nuit tombée. « Le professeur ne prenait presque jamais de vacances, et le week-end il restait le plus souvent au laboratoire avec ses étudiants, dit sa fille, Olga. On se voyait, mais, disons, pas selon un horaire régulier. »

Monsieur le recteur, dans ce début des années 1990, enseigne, administre, forme les étudiants. Il fait de l’institut un établissement réputé, dans une région pourtant doublement affectée : comme toute l’Union soviétique, par la chute de l’empire, mais aussi par le mal invisible de Tchernobyl, qui anémie la ville et fait lentement fuir sa population. Et il trouve encore le temps de chercher, une recherche évidemment orientée sur l’analyse des effets de la radioactivité sur l’organisme.

C’est de Galina que vient l’alerte : elle est cardiologue et travaille à l’hôpital, où elle observe avec surprise les anomalies cardiaques des enfants qu’elle ausculte : bruits, arythmie, des symptômes rares chez des enfants.

En 1993, elle entreprend un relevé systématique des électrocardiogrammes des bambins d’un jardin d’enfants : ils se révèlent à 80 % anormaux. Elle avertit son mari, et l’hypothèse naît d’un lien entre ces symptômes et le niveau de contamination radioactive.

Une hypothèse très peu orthodoxe : depuis Hiroshima et Nagasaki, les spécialistes associent l’exposition à la radioactivité au cancer. Cette maladie serait le principal effet de la radioactivité sur l’organisme vivant. Cet axiome est renforcé en 1991, quand on doit constater que l’iode radioactif émis dans l’accident de Tchernobyl a provoqué une épidémie de cancers de la thyroïde en Biélorussie et en Ukraine.

Mais, pour Bandajevski, il faut voir plus loin : alors qu’à Hiroshima les victimes ont été exposées à une exposition massive mais de courte durée, à Tchernobyl les populations subissent des conditions différentes : exposition faible mais prolongée. Les effets pourraient donc être différents. Avec toute l’énergie dont il est capable, il s’engage dans la recherche, testant l’hypothèse sur ses hamsters fétiches, s’intéressant à des isotopes négligés jusque-là, comme le césium 137, lançant ses étudiants sur des aspects particuliers de l’étude, faisant remonter observations et informations des hôpitaux de la région.

En 1995, le cœur de la nouvelle théorie est exposé dans un ouvrage de synthèse publié en anglais à Gomel : « Il y a une corrélation entre l’évolution de conditions pathologiques et les doses accumulées de radionucléides. Elle est le plus prononcée pour les systèmes cardiaque et nerveux. (...) Même de petites doses de substances radioactives, de l’ordre de 50 à 80 becquerels de césium 137 par kilo, peuvent causer des désordres pathologiques dans l’organisme humain. » Les enfants, apparaît-il de surcroît, sont particulièrement sensibles à cette influence néfaste.

Tout en multipliant les expériences et les travaux pour confirmer l’hypothèse, Bandajevski commence à s’exprimer publiquement : car si l’hypothèse est vraie, cela signifie que l’on peut éviter de nombreuses maladies à condition de gérer autrement les conséquences de Tchernobyl. En contrôlant mieux l’alimentation, en cherchant les moyens d’évacuer le césium de l’organisme, en prenant un soin particulier des enfants, qui sont le plus menacés.

Des vérités pas bonnes à dire

Dans la Biélorussie de la fin des années 1990, ces vérités ne sont pas bonnes à dire : la thèse officielle est que les conséquences de Tchernobyl sont sous contrôle, et que l’on peut commencer à « réhabiliter » les zones contaminées, c’est-à-dire à les banaliser.

Car, en 1994, Alexandre Loukachenko a été porté au pouvoir. Par l’élection, certes, mais le nouvel homme fort du pays, nostalgique du système soviétique, étouffe progressivement la démocratie qui avait fleuri entre 1990 et 1994. Il est de plus en plus difficile de s’opposer au président.

Sorte de savant Cosinus, Bandajevski n’a guère prêté attention à cette évolution politique. En 1999, un comité du Parlement lui confie, ainsi qu’à deux autres scientifiques, une mission d’expertise de la gestion de l’après-Tchernobyl par le ministère de la santé. Le rapport conclut à la dilapidation de la plus grande partie du budget et à l’inefficacité de l’action entreprise. Mais Bandajevski ne s’en tient pas là : il écrit au président Loukachenko. Et il participe à une émission télévisée où il explique son travail scientifique et les conclusions qu’il en tire.

Le résultat ne se fait guère attendre. Il est arrêté en juillet 1999 et incarcéré six mois, au motif qu’il aurait accepté de l’argent de ses étudiants pour leur accorder leur examen. L’accusation de corruption est l’arme favorite de M. Loukachenko pour discréditer ses opposants. Dans le cas de Bandajevski, elle est presque invraisemblable : « C’est un intellectuel authentique, un vrai cérébral, dit un diplomate occidental à Minsk. J’ai l’expérience de ces pays ; lui, je crois que c’est un pur. »

Bandajevski est relâché au bout de six mois et attend, libre, son procès : « Il était inconscient, raconte Galina. Au lieu de travailler à sa défense avec ses avocats, il a passé son temps à refaire des expériences, avec des hamsters, à la maison. La veille de son procès, il était encore en train d’imprimer son dernier livre sur son ordinateur. »

Le 18 juin 2001, il est condamné à huit ans de prison. On n’a pas trouvé de preuve, le principal témoin s’est récusé pendant le procès, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a relevé huit infractions au code pénal de Biélorussie. François Jacob, de l’Académie des sciences, juge dans une lettre de soutien que « le véritable motif de sa condamnation repose sur une critique formulée dans un rapport scientifique ».

Adopté par Amnesty International

Iouri Bandajevski est toujours en prison. Les pressions n’ont pas cessé, sur lui et sur sa famille. Il est fatigué, amaigri, il perd ses cheveux, mais son moral tient bon, dit sa femme. Et il n’a pas cédé : il n’a pas reconnu sa culpabilité, il ne s’est pas engagé à cesser ses recherches scientifiques.

Adopté par Amnesty International, soutenu par des associations comme la CRII-Rad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), citoyen d’honneur des villes de Paris et de Clermont-Ferrand, Bandajevski est cependant peu soutenu par ceux qui devraient être ses premiers appuis : les scientifiques étrangers. Et particulièrement des spécialistes de la radioactivité, dont plusieurs semblent presque heureux que cet iconoclaste, avec ses thèses si hétérodoxes, soit réduit au silence. Ils dénigrent son travail, ou font mine de l’ignorer.

Tout à sa lutte pour faire passer ses idées en Biélorussie, Bandajevski n’a pas consacré assez d’énergie à publier ses résultats dans les revues occidentales.

Dans sa cellule de la rue Kalvariskaïa, il ne pense pas seulement au débat scientifique que l’on a tu. Il pense aussi aux enfants du sud de la Biélorussie, les victimes de Tchernobyl, qui attendent d’être libérés du mal qui les ronge, du césium empoisonné.
Appel à solidarité :

Biélorussie : une maison solaire pour l’association Belrad

Alors que le lobby atomique essaie par tous les moyens de ramener Tchernobyl à la dimension d’un incident industriel mineur, en martelant contre toute évidence le dogme des « 32 morts, 200 irradiés et 2000 thyroïdiens », alors que le Professeur Bandajevsky entame sa troisième année d’emprisonnement, voici que l’institut de radioprotection indépendant du Professeur Nesterenko, Belrad, doit quitter très rapidement les locaux qu’il occupe actuellement ou cesser ses activités.

Dans le contexte du négationnisme nucléaire actuel sur Tchernobyl, il faut impérativement sauver cette dernière source d‘expertise indépendante au Bélarus et sauver Belrad.

Avec le Président du département biélorusse de l’Académie d’écologie, le Dr. E. Chirokov, Belrad a mis au point les plans d’un bâtiment écologique : solaire thermique et photovoltaïque, collecte des eaux de pluie, murs en bottes de paille et pisé, matériaux naturels.

Située à Minsk, cette maison solaire pourra devenir la vitrine, au Bélarus, d’une alternative énergétique et écologique.

Le coût de cette construction de 500 m2 de surface utile est de 120.000 euros, terrain et branchements compris, soit 140 euros le m2 habitable.

Pour faciliter la recherche de fonds, cette somme a été divisée en six tranches de 20.000 euros, dont 3 tranches (60.000 euros) sont d’ores et déjà financées, suite à l’appel international lancé au début de l‘été.

Les associations et membres individuels du Réseau « Sortir du nucléaire », très sensibilisés à la nécessité de démasquer le mensonge nucléaire, ont toujours soutenu l’expertise indépendante en France (Criirad, Acro, etc). Au Bélarus, les membres du Réseau ont largement participé à la campagne « Libérez Bandajevsky ».

Aujourd’hui, un soutien massif et rapide de tous les membres du Réseau (les petites rivières font les grands fleuves) à Belrad est vital.

Solange Fernex, « Les Enfants de Tchernobyl Bélarus »

Un dossier complet peut être demandé à l’adresse suivante : « Enfants de Tchernobyl Bélarus », 68480 – Biederthal, ou par email à Wladimir Tschertkoff (eandreoli@vtx.ch).


Pour aider le projet de la maison solaire de l’institut bélarusse Belrad, contribuez au fonds de solidarité « Sortir du nucléaire »

Depuis juillet 2003, Le Réseau « Sortir du nucléaire » a décidé de mettre en place un fonds de solidarité « Sortir du nucléaire » pour des actions ou des projets liés à des problématiques énergie/nucléaire (notamment humanitaires) en France ou à l’étranger. Si vous avez un projet à nous soumettre, merci de nous écrire ou nous envoyer un mail à : n-morel@club-internet.fr Notre conseil d’administration déterminera si votre projet peut s’inscrire dans le cadre de ce fonds de solidarité et faire l’objet d’une priorité.

Suite à notre premier appel de juillet 2003, vous avez été nombreux à soutenir le projet de micro turbine en Himalaya indien de l’association Tsampa Equita qui a pu recevoir une aide de 2000 euros grâce à ce fonds de solidarité. Si vous souhaitez aider le projet de maison solaire de l’institut Belrad en Biélorussie, merci de contribuer au fonds de solidarité en libellant votre chèque à l’ordre de « Sortir du nucléaire - Fonds de solidarité ». Votre don (déductible pour moitié de vos impôts) servira à aider ce projet ainsi que les futurs projets et actions de solidarité à venir. Merci infiniment.

Envoyez votre don à : Réseau « Sortir du nucléaire », 9, rue Dumenge 69317 Lyon Cedex 04
Hervé Kempf

Article paru dans le quotidien Le Monde du 24 juin 2003
Comment agir pour demander la libération de Youri Bandajevski ?

Ecrivez au Comité Bandajevski 1, chemin Guilbaud 38100 Grenoble – www.comite-bandajevsky.org



Soyez au coeur de l'information !

Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.

Je m'abonne à la revue du Réseau