Droits de l’homme
La faute de Iouri Bandajevski
Depuis deux ans, cet éminent savant biélorusse croupit dans une prison de Minsk, officiellement pour avoir accepté des pots-de-vin détudiants.. Ses travaux sur les conséquences de Tchernobyl contestent les positions officielles. Est-ce un hasard ?
Imagine-t-on Pasteur emprisonné pour sa découverte du vaccin ? Luc Montagnier embastillé après lisolement du virus du sida ? Richard Doll jeté dans un cul-de-basse-fosse pour avoir montré le caractère mortel de lamiante ?
Depuis deux ans, le plus grand savant de Biélorussie croupit dans une cellule de la « colonie de régime restreint » de la rue Kalvariskaïa, à Minsk, la capitale, en compagnie dassassins.
Le crime de Iouri Bandajevski, selon la justice de lautocrate Alexandre Loukachenko, dans un pays aux portes de lEurope où le KGB existe toujours sous ce nom et où lopposition politique est de facto interdite, est davoir accepté des pots-de-vin de ses étudiants.
Il croupit dans une cellule de la « colonie de régime restreint »
Mais tout porte à croire que la vraie faute de cet anatomo-pathologiste de 46 ans, chercheur acharné et adulé par ses élèves, est davoir critiqué la gestion sanitaire des autorités et, plus encore, davoir montré que la radioactivité toujours présente dans les régions voisines de Tchernobyl entraîne, malgré son faible niveau, des maladies importantes et durables chez les enfants. Démentant ainsi la vérité officielle, selon laquelle la « catastrophe de Tchernobyl »,comme on dit en Biélorussie et en Ukraine, ne produit plus deffets et peut être peu ou prou oubliée.
Bandajevski nest pas un prisonnier politique classique, un militant de la démocratie, cest un prisonnier scientifique. Et dans cette cellule, ce nest pas seulement un savant de valeur que lon a enfermé, mais la clé dune hypothèse scientifique très nouvelle dans le domaine de létude de la radio- activité : lexposition chronique à de faibles doses de radioactivité provoque des maladies inattendues, notamment cardiaques, chez les enfants exposés.
Une hypothèse qui, si elle était confirmée, multiplierait encore le terrible bilan de Tchernobyl et lanalyse générale à propos des accidents nucléaires toujours possibles.
Lhistoire commence au temps où lUnion soviétique vantait encore son avenir radieux. Iouri Bandajevski naît en janvier 1957 dans la République soviétique de Biélorussie. Fils unique dune famille strictement communiste, dont le père est un officiel du parti et où la seule religion entretenue par la mère, enseignante, est celle du travail, il est un élève modèle.
Il entre facilement à linstitut médical de Grodno, dont il sort diplômé en 1980. Il épouse Galina, ils ont une petite fille, Olga, mais la passion du jeune scientifique est la recherche, et il prépare son doctorat danatomie pathologique. Il travaille darrache-pied, menant ses expériences à domicile : il a transformé une petite pièce de leur appartement de Grodno en ménagerie pour lapins, poules, et plus de mille hamsters empilés en berceaux de cinquante animaux. Il nourrit les animaux de diverses préparations, puis les dissèque pour observer leffet des facteurs chimiques ou biologiques sur la gestation, le développement embryonnaire et la formation des organes.
Les succès universitaires se succèdent jusquà sa thèse de doctorat en 1987, et il est nommé directeur du Laboratoire central de recherche scientifique de Biélorussie. La trajectoire est impeccable, le jeune Bandajevski est un des chercheurs les plus prometteurs dURSS.
Tchernobyl : un énorme choc psychologique
Mais en avril 1986 survient laccident de Tchernobyl, dont le nuage empoisonné laisse les plus grandes traces sur la petite Biélorussie. « La catastrophe de Tchernobyl a produit sur moi, dira Bandajevski, comme sur un grand nombre de personnes, un énorme choc psychologique. » Jusquen 1990, le système soviétique règne encore, linformation est contrôlée, et rares sont ceux qui connaissent lampleur exacte de la catastrophe.. Iouri est de ceux-là. Il propose divers programmes de recherche aux autorités.
En 1990, le ministre de la santé le nomme recteur de lInstitut de médecine de Gomel. A charge pour lui de redresser cet institut en déshérence, et dy lancer des recherches scientifiques. Le poste est prestigieux pour cet homme encore jeune, mais, à vrai dire, les candidats ne se bousculent pas : la ville de Gomel est à la lisière des zones les plus contaminées, et les notables cherchent discrètement à quitter cette région où la radioactivité persiste dans les sols, dans les eaux, dans les aliments. « On lui a confié cet institut, dit Galina, parce quon lui faisait confiance, mais aussi parce que personne dautre ne voulait y aller. »
A Gomel, grande cité du sud de la Biélorussie, au climat agréable et aux parcs superbes, les Bandajevski sont des notables et se voient attribuer un bel appartement rue Pouchkine, avec vue sur un jardin qui ressemble à un verger fleuri et sur la rivière Soje. Mais Bandajevski nest pas homme à contempler le lent écoulement du fleuve. Cest un travailleur acharné, sur le pont dès 7 heures, rarement de retour avant la nuit tombée. « Le professeur ne prenait presque jamais de vacances, et le week-end il restait le plus souvent au laboratoire avec ses étudiants, dit sa fille, Olga. On se voyait, mais, disons, pas selon un horaire régulier. »
Monsieur le recteur, dans ce début des années 1990, enseigne, administre, forme les étudiants. Il fait de linstitut un établissement réputé, dans une région pourtant doublement affectée : comme toute lUnion soviétique, par la chute de lempire, mais aussi par le mal invisible de Tchernobyl, qui anémie la ville et fait lentement fuir sa population. Et il trouve encore le temps de chercher, une recherche évidemment orientée sur lanalyse des effets de la radioactivité sur lorganisme.
Cest de Galina que vient lalerte : elle est cardiologue et travaille à lhôpital, où elle observe avec surprise les anomalies cardiaques des enfants quelle ausculte : bruits, arythmie, des symptômes rares chez des enfants.
En 1993, elle entreprend un relevé systématique des électrocardiogrammes des bambins dun jardin denfants : ils se révèlent à 80 % anormaux. Elle avertit son mari, et lhypothèse naît dun lien entre ces symptômes et le niveau de contamination radioactive.
Une hypothèse très peu orthodoxe : depuis Hiroshima et Nagasaki, les spécialistes associent lexposition à la radioactivité au cancer. Cette maladie serait le principal effet de la radioactivité sur lorganisme vivant. Cet axiome est renforcé en 1991, quand on doit constater que liode radioactif émis dans laccident de Tchernobyl a provoqué une épidémie de cancers de la thyroïde en Biélorussie et en Ukraine.
Mais, pour Bandajevski, il faut voir plus loin : alors quà Hiroshima les victimes ont été exposées à une exposition massive mais de courte durée, à Tchernobyl les populations subissent des conditions différentes : exposition faible mais prolongée. Les effets pourraient donc être différents. Avec toute lénergie dont il est capable, il sengage dans la recherche, testant lhypothèse sur ses hamsters fétiches, sintéressant à des isotopes négligés jusque-là, comme le césium 137, lançant ses étudiants sur des aspects particuliers de létude, faisant remonter observations et informations des hôpitaux de la région.
En 1995, le cur de la nouvelle théorie est exposé dans un ouvrage de synthèse publié en anglais à Gomel : « Il y a une corrélation entre lévolution de conditions pathologiques et les doses accumulées de radionucléides. Elle est le plus prononcée pour les systèmes cardiaque et nerveux. (...) Même de petites doses de substances radioactives, de lordre de 50 à 80 becquerels de césium 137 par kilo, peuvent causer des désordres pathologiques dans lorganisme humain. » Les enfants, apparaît-il de surcroît, sont particulièrement sensibles à cette influence néfaste.
Tout en multipliant les expériences et les travaux pour confirmer lhypothèse, Bandajevski commence à sexprimer publiquement : car si lhypothèse est vraie, cela signifie que lon peut éviter de nombreuses maladies à condition de gérer autrement les conséquences de Tchernobyl. En contrôlant mieux lalimentation, en cherchant les moyens dévacuer le césium de lorganisme, en prenant un soin particulier des enfants, qui sont le plus menacés.
Des vérités pas bonnes à dire
Dans la Biélorussie de la fin des années 1990, ces vérités ne sont pas bonnes à dire : la thèse officielle est que les conséquences de Tchernobyl sont sous contrôle, et que lon peut commencer à « réhabiliter » les zones contaminées, cest-à-dire à les banaliser.
Car, en 1994, Alexandre Loukachenko a été porté au pouvoir. Par lélection, certes, mais le nouvel homme fort du pays, nostalgique du système soviétique, étouffe progressivement la démocratie qui avait fleuri entre 1990 et 1994. Il est de plus en plus difficile de sopposer au président.
Sorte de savant Cosinus, Bandajevski na guère prêté attention à cette évolution politique. En 1999, un comité du Parlement lui confie, ainsi quà deux autres scientifiques, une mission dexpertise de la gestion de laprès-Tchernobyl par le ministère de la santé. Le rapport conclut à la dilapidation de la plus grande partie du budget et à linefficacité de laction entreprise. Mais Bandajevski ne sen tient pas là : il écrit au président Loukachenko. Et il participe à une émission télévisée où il explique son travail scientifique et les conclusions quil en tire.
Le résultat ne se fait guère attendre. Il est arrêté en juillet 1999 et incarcéré six mois, au motif quil aurait accepté de largent de ses étudiants pour leur accorder leur examen. Laccusation de corruption est larme favorite de M. Loukachenko pour discréditer ses opposants. Dans le cas de Bandajevski, elle est presque invraisemblable : « Cest un intellectuel authentique, un vrai cérébral, dit un diplomate occidental à Minsk. Jai lexpérience de ces pays ; lui, je crois que cest un pur. »
Bandajevski est relâché au bout de six mois et attend, libre, son procès : « Il était inconscient, raconte Galina. Au lieu de travailler à sa défense avec ses avocats, il a passé son temps à refaire des expériences, avec des hamsters, à la maison. La veille de son procès, il était encore en train dimprimer son dernier livre sur son ordinateur. »
Le 18 juin 2001, il est condamné à huit ans de prison. On na pas trouvé de preuve, le principal témoin sest récusé pendant le procès, lOSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a relevé huit infractions au code pénal de Biélorussie. François Jacob, de lAcadémie des sciences, juge dans une lettre de soutien que « le véritable motif de sa condamnation repose sur une critique formulée dans un rapport scientifique ».
Adopté par Amnesty International
Iouri Bandajevski est toujours en prison. Les pressions nont pas cessé, sur lui et sur sa famille. Il est fatigué, amaigri, il perd ses cheveux, mais son moral tient bon, dit sa femme. Et il na pas cédé : il na pas reconnu sa culpabilité, il ne sest pas engagé à cesser ses recherches scientifiques.
Adopté par Amnesty International, soutenu par des associations comme la CRII-Rad (Commission de recherche et dinformation indépendantes sur la radioactivité), citoyen dhonneur des villes de Paris et de Clermont-Ferrand, Bandajevski est cependant peu soutenu par ceux qui devraient être ses premiers appuis : les scientifiques étrangers. Et particulièrement des spécialistes de la radioactivité, dont plusieurs semblent presque heureux que cet iconoclaste, avec ses thèses si hétérodoxes, soit réduit au silence. Ils dénigrent son travail, ou font mine de lignorer.
Tout à sa lutte pour faire passer ses idées en Biélorussie, Bandajevski na pas consacré assez dénergie à publier ses résultats dans les revues occidentales.
Dans sa cellule de la rue Kalvariskaïa, il ne pense pas seulement au débat scientifique que lon a tu. Il pense aussi aux enfants du sud de la Biélorussie, les victimes de Tchernobyl, qui attendent dêtre libérés du mal qui les ronge, du césium empoisonné.
Appel à solidarité :
Biélorussie : une maison solaire pour lassociation Belrad
Alors que le lobby atomique essaie par tous les moyens de ramener Tchernobyl à la dimension dun incident industriel mineur, en martelant contre toute évidence le dogme des « 32 morts, 200 irradiés et 2000 thyroïdiens », alors que le Professeur Bandajevsky entame sa troisième année demprisonnement, voici que linstitut de radioprotection indépendant du Professeur Nesterenko, Belrad, doit quitter très rapidement les locaux quil occupe actuellement ou cesser ses activités.
Dans le contexte du négationnisme nucléaire actuel sur Tchernobyl, il faut impérativement sauver cette dernière source dexpertise indépendante au Bélarus et sauver Belrad.
Avec le Président du département biélorusse de lAcadémie décologie, le Dr. E. Chirokov, Belrad a mis au point les plans dun bâtiment écologique : solaire thermique et photovoltaïque, collecte des eaux de pluie, murs en bottes de paille et pisé, matériaux naturels.
Située à Minsk, cette maison solaire pourra devenir la vitrine, au Bélarus, dune alternative énergétique et écologique.
Le coût de cette construction de 500 m2 de surface utile est de 120.000 euros, terrain et branchements compris, soit 140 euros le m2 habitable.
Pour faciliter la recherche de fonds, cette somme a été divisée en six tranches de 20.000 euros, dont 3 tranches (60.000 euros) sont dores et déjà financées, suite à lappel international lancé au début de lété.
Les associations et membres individuels du Réseau « Sortir du nucléaire », très sensibilisés à la nécessité de démasquer le mensonge nucléaire, ont toujours soutenu lexpertise indépendante en France (Criirad, Acro, etc). Au Bélarus, les membres du Réseau ont largement participé à la campagne « Libérez Bandajevsky ».
Aujourdhui, un soutien massif et rapide de tous les membres du Réseau (les petites rivières font les grands fleuves) à Belrad est vital.
Solange Fernex, « Les Enfants de Tchernobyl Bélarus »
Un dossier complet peut être demandé à ladresse suivante : « Enfants de Tchernobyl Bélarus », 68480 Biederthal, ou par email à Wladimir Tschertkoff (eandreoli@vtx.ch).
Pour aider le projet de la maison solaire de linstitut bélarusse Belrad, contribuez au fonds de solidarité « Sortir du nucléaire »
Depuis juillet 2003, Le Réseau « Sortir du nucléaire » a décidé de mettre en place un fonds de solidarité « Sortir du nucléaire » pour des actions ou des projets liés à des problématiques énergie/nucléaire (notamment humanitaires) en France ou à létranger. Si vous avez un projet à nous soumettre, merci de nous écrire ou nous envoyer un mail à : n-morel@club-internet.fr Notre conseil dadministration déterminera si votre projet peut sinscrire dans le cadre de ce fonds de solidarité et faire lobjet dune priorité.
Suite à notre premier appel de juillet 2003, vous avez été nombreux à soutenir le projet de micro turbine en Himalaya indien de lassociation Tsampa Equita qui a pu recevoir une aide de 2000 euros grâce à ce fonds de solidarité. Si vous souhaitez aider le projet de maison solaire de linstitut Belrad en Biélorussie, merci de contribuer au fonds de solidarité en libellant votre chèque à lordre de « Sortir du nucléaire - Fonds de solidarité ». Votre don (déductible pour moitié de vos impôts) servira à aider ce projet ainsi que les futurs projets et actions de solidarité à venir. Merci infiniment.
Envoyez votre don à : Réseau « Sortir du nucléaire », 9, rue Dumenge 69317 Lyon Cedex 04
Hervé Kempf
Article paru dans le quotidien Le Monde du 24 juin 2003
Comment agir pour demander la libération de Youri Bandajevski ?
Ecrivez au Comité Bandajevski 1, chemin Guilbaud 38100 Grenoble www.comite-bandajevsky.org