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Sortir du nucléaire n°50



Eté 2011

Analyse

L’industrie nucléaire après Fukushima

La célèbre organisation américaine de recherche sur l’environnement, le Worldwatch Institute, vient de publier un important rapport, qui constitue, comme le dit plaisamment l’auteur de la préface, "un service public vital". L’expression n’est pas exagérée, tellement ce document en langue anglaise apporte une multitude de chiffres et d’analyses qui remettent en cause radicalement les grandes envolées de propagande sur la "renaissance nucléaire" si souvent colportées par la presse.

Politique énergétique Nucléaire et économie État de l’industrie nucléaire

Le titre du rapport1 dissimule en réalité un sous-titre bien connu : il s’agit en fait de l’édition 2010-2011 du Rapport sur l’état de l’industrie nucléaire dans le monde. Le premier de cette série date de 1992, il y a près de vingt ans. Pour cette version comme pour les plus récentes, Mycle Schneider a travaillé avec deux chercheurs anglais, Antony Froggatt et Steve Thomas. Le texte, dont la sortie était prévue à l’occasion des vingt-cinq ans de l’accident de Tchernobyl, ne peut bien sûr pas donner une vision complète de l’industrie nucléaire après Fukushima. Quelques pages font toutefois un tour d’horizon des réactions des responsables et du public dans un certain nombre de pays-clés pour l’avenir du nucléaire. Les auteurs insistent sur le fait que cet accident, qui est survenu "là où peu de gens s’y attendaient", dans un pays de très haut niveau technologique, a peut-être eu un impact encore plus profond que Tchernobyl. Les investisseurs, en particulier, ont été tétanisés par l’effondrement financier quasi-immédiat d’une des plus grandes compagnies électriques mondiales qui doit maintenant faire face à des pertes d’actifs et des demandes d’indemnisation de plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Un déclin inexorable du nucléaire

Avec ses quelque 80 pages et ses centaines de notes, le rapport dresse tout d’abord un état des lieux froid et précis de l’industrie nucléaire. Au 1er avril 2011, il y avait 437 réacteurs nucléaires en fonctionnement dans le monde alors qu’on en dénombrait 444 en 2002 et 424 en 1989, il y a plus de vingt ans, ce qui traduit une quasi-stagnation sur cette période. En 2009, au niveau mondial, les centrales ont produit 2 558 térawatt-heures, soit 2 % de moins que l’année précédente. Ce déclin de l’énergie nucléaire est confirmé par le fait qu’il a représenté cette même année 13 % de la production électrique mondiale et seulement 5,5 % de l’énergie commerciale primaire. Au citoyen français qui se demande souvent s’il existe une vie en dehors du nucléaire, il n’est pas inutile de rappeler que seulement 30 pays dans le monde ont une production d’électricité nucléaire, dont six d’entre eux (France, Allemagne, Corée du Sud, États-Unis, Russie et Japon) représentaient 73 % de la production totale en 2009. Si l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dénombre 64 réacteurs en construction dans 14 pays, il faut aussi relever qu’environ les trois quarts de ces projets (47) concernent quatre pays seulement (Chine, Inde, Russie et Corée du Sud).

À l’inverse l’âge moyen du parc de réacteurs est de 26 ans, 16 d’entre eux ont plus de 40 ans, et 16 autres ont entre 30 et 40 ans. En moyenne, les installations déjà fermées n’avaient fonctionné que 22 ans. Les premiers débats autour des causes de l’accident de Fukushima laissent penser que les industriels auront des difficultés pour obtenir un allongement très important de la durée de vie des réacteurs. Les auteurs du rapport retiennent donc une durée de vie moyenne de 40 ans pour faire une projection du parc mondial à différentes échéances. À court et moyen terme, sans même prendre l’impact quasi-certain de Fukushima sur le programme allemand et son influence probable dans de nombreux autres pays, la conclusion est sans appel : "Étant donné les délais de construction [des nouveaux réacteurs], qui peuvent atteindre 10 ans ou plus, il sera pratiquement impossible de maintenir, sans parler même d’augmenter, le nombre de réacteurs nucléaires en fonctionnement au cours des 20 ans qui viennent."

Une progression constante des renouvelables

Le dossier économique pèse évidemment très lourd dans cette évolution internationale. Lorsque les réacteurs de Génération III+ ont été mis en avant il y a un peu plus d’une dizaine d’années, leurs promoteurs envisageaient un coût d’environ 1000 $ par kW installé pour des installations vantées comme plus sûres. Actuellement les estimations sont fréquemment six fois supérieures, et les chantiers des EPR d’Olkiluoto et Flamanville sont là pour attester de la réalité de cette dérive des coûts. Là encore, le constat est cruel. Même le pays qui a investi le plus massivement dans le nucléaire, la France, n’a pas réussi à avoir une courbe d’apprentissage (un abaissement du coût unitaire) au fur et et à mesure du développement de son programme. Si les auteurs du rapport font ressortir les facteurs les plus importants dans le coût du nucléaire, ils ne retiennent pas une explication unique à cette énorme augmentation. À l’évidence, les accidents de Three Mile Island (1979) et Tchernobyl (1986) ainsi que l’attentat du World Trade Center (11 septembre 2001) ont obligé à de profondes révisions des normes de sûreté nucléaire, qui ne sont en fait jamais stabilisées. Il y a fort à parier que la catastrophe de Fukushima obligera, elle aussi, à des remises en cause fondamentales.

Alors que le Japon devait fermer dans l’urgence onze réacteurs nucléaires, l’annonce par les producteurs éoliens nippons qu’aucun dommage n’avait été signalé sur leurs installations à la suite du tremblement de terre et du tsunami, apparaît comme un puissant symbole. Les investissements dans les énergies renouvelables progressent de manière impressionnante dans le monde entier. En 2010, 151 milliards de dollars de fonds privés ont été investis dans les énergies renouvelables (compte non tenu du grand hydraulique). En termes de capacité, ces dernières ont déjà dépassé le nucléaire, et dans quelques années elles vont le dépasser en termes de production. Le contraste est saisissant avec le nucléaire qui continue à engloutir l’essentiel des subventions publiques en matière énergétique dans de nombreux pays. Ainsi, au cours de leurs 15 premières années, le nucléaire et l’éolien ont produit une quantité à peu près équivalente d’énergie aux États-Unis mais les subventions pour l’atome ont été quarante fois plus importantes que pour l’éolien.

La courbe d’apprentissage fonctionne à plein pour l’éolien et le solaire et des filières industrielles se sont développées pour fabriquer des aérogénérateurs et des panneaux photovoltaïques en grandes séries, tirant les coûts d’investissement et de production vers le bas. À tel point que deux chercheurs américains ont estimé que 2010 représentait un croisement historique entre le nucléaire et le solaire : le coût du kWh solaire devient inférieur à celui du nucléaire.

Les partisans du nucléaire font valoir que toutes les productions électriques ne se valent pas et que seuls des grands moyens de production centralisés, nucléaires ou fossiles, permettent d’assurer la sécurité d’approvisionnement du réseau électrique. Dans sa préface au Rapport sur l’état de l’industrie nucléaire, le chercheur Amory Lovins (l’inventeur du concept de négawatt) fait remarquer que toutes les installations peuvent connaître des défaillances. Dans le cas du nucléaire, il faut parfois retirer précipitamment du réseau plusieurs milliers de mégawatts. La mise en place d’une multitude de sources d’énergies renouvelables, regroupées au sein de microréseaux, peut en fait augmenter la sécurité du réseau. On constate dans le domaine énergétique une évolution tout à fait comparable à la révolution d’Internet dans le domaine informatique.

Pour les auteurs du rapport, l’analyse de ces bilans et de ces tendances de l’industrie nucléaire permet de déceler clairement les indices du déclin de l’atome. Les suites du dramatique accident de Fukushima laissent supposer que ce déclin est en train de se transformer en une sortie concrète du nucléaire, inavouée mais néanmoins tangible.

Jean-Luc Thierry

Le titre du rapport1 dissimule en réalité un sous-titre bien connu : il s’agit en fait de l’édition 2010-2011 du Rapport sur l’état de l’industrie nucléaire dans le monde. Le premier de cette série date de 1992, il y a près de vingt ans. Pour cette version comme pour les plus récentes, Mycle Schneider a travaillé avec deux chercheurs anglais, Antony Froggatt et Steve Thomas. Le texte, dont la sortie était prévue à l’occasion des vingt-cinq ans de l’accident de Tchernobyl, ne peut bien sûr pas donner une vision complète de l’industrie nucléaire après Fukushima. Quelques pages font toutefois un tour d’horizon des réactions des responsables et du public dans un certain nombre de pays-clés pour l’avenir du nucléaire. Les auteurs insistent sur le fait que cet accident, qui est survenu "là où peu de gens s’y attendaient", dans un pays de très haut niveau technologique, a peut-être eu un impact encore plus profond que Tchernobyl. Les investisseurs, en particulier, ont été tétanisés par l’effondrement financier quasi-immédiat d’une des plus grandes compagnies électriques mondiales qui doit maintenant faire face à des pertes d’actifs et des demandes d’indemnisation de plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Un déclin inexorable du nucléaire

Avec ses quelque 80 pages et ses centaines de notes, le rapport dresse tout d’abord un état des lieux froid et précis de l’industrie nucléaire. Au 1er avril 2011, il y avait 437 réacteurs nucléaires en fonctionnement dans le monde alors qu’on en dénombrait 444 en 2002 et 424 en 1989, il y a plus de vingt ans, ce qui traduit une quasi-stagnation sur cette période. En 2009, au niveau mondial, les centrales ont produit 2 558 térawatt-heures, soit 2 % de moins que l’année précédente. Ce déclin de l’énergie nucléaire est confirmé par le fait qu’il a représenté cette même année 13 % de la production électrique mondiale et seulement 5,5 % de l’énergie commerciale primaire. Au citoyen français qui se demande souvent s’il existe une vie en dehors du nucléaire, il n’est pas inutile de rappeler que seulement 30 pays dans le monde ont une production d’électricité nucléaire, dont six d’entre eux (France, Allemagne, Corée du Sud, États-Unis, Russie et Japon) représentaient 73 % de la production totale en 2009. Si l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dénombre 64 réacteurs en construction dans 14 pays, il faut aussi relever qu’environ les trois quarts de ces projets (47) concernent quatre pays seulement (Chine, Inde, Russie et Corée du Sud).

À l’inverse l’âge moyen du parc de réacteurs est de 26 ans, 16 d’entre eux ont plus de 40 ans, et 16 autres ont entre 30 et 40 ans. En moyenne, les installations déjà fermées n’avaient fonctionné que 22 ans. Les premiers débats autour des causes de l’accident de Fukushima laissent penser que les industriels auront des difficultés pour obtenir un allongement très important de la durée de vie des réacteurs. Les auteurs du rapport retiennent donc une durée de vie moyenne de 40 ans pour faire une projection du parc mondial à différentes échéances. À court et moyen terme, sans même prendre l’impact quasi-certain de Fukushima sur le programme allemand et son influence probable dans de nombreux autres pays, la conclusion est sans appel : "Étant donné les délais de construction [des nouveaux réacteurs], qui peuvent atteindre 10 ans ou plus, il sera pratiquement impossible de maintenir, sans parler même d’augmenter, le nombre de réacteurs nucléaires en fonctionnement au cours des 20 ans qui viennent."

Une progression constante des renouvelables

Le dossier économique pèse évidemment très lourd dans cette évolution internationale. Lorsque les réacteurs de Génération III+ ont été mis en avant il y a un peu plus d’une dizaine d’années, leurs promoteurs envisageaient un coût d’environ 1000 $ par kW installé pour des installations vantées comme plus sûres. Actuellement les estimations sont fréquemment six fois supérieures, et les chantiers des EPR d’Olkiluoto et Flamanville sont là pour attester de la réalité de cette dérive des coûts. Là encore, le constat est cruel. Même le pays qui a investi le plus massivement dans le nucléaire, la France, n’a pas réussi à avoir une courbe d’apprentissage (un abaissement du coût unitaire) au fur et et à mesure du développement de son programme. Si les auteurs du rapport font ressortir les facteurs les plus importants dans le coût du nucléaire, ils ne retiennent pas une explication unique à cette énorme augmentation. À l’évidence, les accidents de Three Mile Island (1979) et Tchernobyl (1986) ainsi que l’attentat du World Trade Center (11 septembre 2001) ont obligé à de profondes révisions des normes de sûreté nucléaire, qui ne sont en fait jamais stabilisées. Il y a fort à parier que la catastrophe de Fukushima obligera, elle aussi, à des remises en cause fondamentales.

Alors que le Japon devait fermer dans l’urgence onze réacteurs nucléaires, l’annonce par les producteurs éoliens nippons qu’aucun dommage n’avait été signalé sur leurs installations à la suite du tremblement de terre et du tsunami, apparaît comme un puissant symbole. Les investissements dans les énergies renouvelables progressent de manière impressionnante dans le monde entier. En 2010, 151 milliards de dollars de fonds privés ont été investis dans les énergies renouvelables (compte non tenu du grand hydraulique). En termes de capacité, ces dernières ont déjà dépassé le nucléaire, et dans quelques années elles vont le dépasser en termes de production. Le contraste est saisissant avec le nucléaire qui continue à engloutir l’essentiel des subventions publiques en matière énergétique dans de nombreux pays. Ainsi, au cours de leurs 15 premières années, le nucléaire et l’éolien ont produit une quantité à peu près équivalente d’énergie aux États-Unis mais les subventions pour l’atome ont été quarante fois plus importantes que pour l’éolien.

La courbe d’apprentissage fonctionne à plein pour l’éolien et le solaire et des filières industrielles se sont développées pour fabriquer des aérogénérateurs et des panneaux photovoltaïques en grandes séries, tirant les coûts d’investissement et de production vers le bas. À tel point que deux chercheurs américains ont estimé que 2010 représentait un croisement historique entre le nucléaire et le solaire : le coût du kWh solaire devient inférieur à celui du nucléaire.

Les partisans du nucléaire font valoir que toutes les productions électriques ne se valent pas et que seuls des grands moyens de production centralisés, nucléaires ou fossiles, permettent d’assurer la sécurité d’approvisionnement du réseau électrique. Dans sa préface au Rapport sur l’état de l’industrie nucléaire, le chercheur Amory Lovins (l’inventeur du concept de négawatt) fait remarquer que toutes les installations peuvent connaître des défaillances. Dans le cas du nucléaire, il faut parfois retirer précipitamment du réseau plusieurs milliers de mégawatts. La mise en place d’une multitude de sources d’énergies renouvelables, regroupées au sein de microréseaux, peut en fait augmenter la sécurité du réseau. On constate dans le domaine énergétique une évolution tout à fait comparable à la révolution d’Internet dans le domaine informatique.

Pour les auteurs du rapport, l’analyse de ces bilans et de ces tendances de l’industrie nucléaire permet de déceler clairement les indices du déclin de l’atome. Les suites du dramatique accident de Fukushima laissent supposer que ce déclin est en train de se transformer en une sortie concrète du nucléaire, inavouée mais néanmoins tangible.

Jean-Luc Thierry



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