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Hiver, nucléaire et pics de consommation

L’hiver nucléaire belgeRéacteurs arrêtés, économies d’électricité

Article publié le 8 décembre 2014



Pour des raisons de sûreté, l’autorité nucléaire belge a dû ordonner l’arrêt prolongé de trois des sept réacteurs du pays. Mais avec les besoins d’électricité accrus en hiver, se profile le risque de pénurie, que les autorités anticipent en lançant auprès du grand public une campagne d’incitation aux économies d’énergie intitulée « OFF & nous restons ON ».



Décembre 2014

hiver

« Dans notre quotidien ultra branché et connecté, difficile d’imaginer qu’une ressource aussi élémentaire que l’électricité puisse manquer. Pourtant, cet hiver, le risque de pénurie d’électricité en Belgique est bien réel. » Le ton est donné.

Coloré et pour tout dire gai, le site web officiel de la campagne nationale belge « OFF & nous restons ON » sensibilise et informe, à la sauce « web 2.0 », sur les façons dont entreprises, communes, écoles, commerces et bien sûr les citoyen-ne-s belges peuvent réduire leur consommation d’énergie pour éviter les pénuries. Sont aussi valorisées certaines initiatives partagées sur le site par les acteurs qui s’engagent : restriction de l’éclairage urbain, opération « Convivialité sans électricité » pour des décorations de Noël « alternatives » (mais oui !), affichage des nombreux posters de sensibilisation de la campagne, etc.

Le site propose aussi une longue « Check-list pour bien se préparer à une coupure d’électricité ». Et on dit merci qui ?

Merci le nucléaire : 3 réacteurs en carafe !

« Risque de pénurie d’électricité en Belgique : comment est-ce possible ? » Après avoir posé cette question, le site de la campagne « OFF & nous restons ON » y répond sans détour.

La première et principale raison invoquée est la suivante : « Quelques mois avant l’hiver, la Belgique a perdu de manière imprévisible et soudaine près d’un tiers de ses capacités de production, c’est-à-dire de la quantité d’électricité qu’elle peut produire : les réacteurs nucléaires de Doel 3 et Tihange 2 ont été mis à l’arrêt car les cuves présentent des microfissures qui doivent être contrôlées ; le réacteur Doel 4 a dû être lui aussi stoppé, suite à un incident technique. »

Trois autres paramètres sont ensuite mentionnés, dans cet ordre :
 plusieurs centrales au gaz fermées
 pas toujours possible d’importer assez d’électricité
 pas toujours d’électricité renouvelable

Puis le site officiel précise : « Personne ne pouvait prévoir la mise à l’arrêt soudaine des 3 réacteurs nucléaires. Mais heureusement, les autres éléments sont connus depuis longtemps et le risque de pénurie d’électricité a été anticipé. Pour y faire face, des mesures concrètes ont été prises par le gouvernement pour les hivers prochains. Pour cet hiver, elles permettent d’atténuer l’impact des incidents imprévus mais malheureusement pas d’écarter tout risque de pénurie d’électricité. »

Il n’y a donc aucune ambiguïté : ce n’est pas la variabilité journalière et saisonnière des énergies renouvelables – connue et anticipable – qui est coupable, mais bien l’ « intermittence », très réelle, de l’énergie nucléaire. En d’autres termes et pour résumer : le nucléaire ET la bougie !

affiche

Le nucléaire, une énergie intermittente

On l’ignore trop souvent : il arrive régulièrement que des réacteurs nucléaires doivent être arrêtés de façon totalement impromptue, suite à des incidents techniques ou à la détection de problèmes de sûreté qui peuvent être graves. C’est aujourd’hui le cas pour les réacteurs belges de Doel 3 et Tihange 2, dont les cuves en acier présentent des milliers de micro-fissures, qui ont conduit l’autorité de sûreté nucléaire belge, l’AFCN, à en imposer l’arrêt prolongé le temps que des analyses approfondies soient conduites.

De tels arrêts inopinés peuvent ne durer que quelques heures, plusieurs jours ou plusieurs mois. Contrairement aux « arrêts de tranches » nucléaires planifiés des mois à l’avance pour la maintenance, par nature il est impossible de les anticiper. Et comme chaque réacteur nucléaire fournit au réseau électrique une puissance considérable de 900 à 1450 MW, la mise hors ligne d’un seul réacteur peut poser de sérieux problèmes aux gestionnaires du réseau électrique.

Une telle situation est bien plus improbable avec un système électrique fondé sur des énergies renouvelables complémentaires, décentralisées et diverses, qui bénéficie de la stabilité garantie justement par la dissémination sur le territoire de moyens de production plus nombreux et d’une puissance individuelle moindre, et par le « foisonnement » (c’est le terme consacré) que la diversité répartie permet. (Pour en savoir plus à ce sujet, lire « Un épouvantail à la française : l’ "intermittence" des énergies renouvelables »)

affiche

Dans l’Hexagone, l’arrêt simultané de 5 à 10 réacteurs est « plausible »

Pierre-Franck Chevet, le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, estime qu’ « on peut avoir une anomalie grave, de la corrosion ou une fuite, sur cinq à dix réacteurs en France » simultanément. L’ASN juge ce scénario « plausible, voire réaliste, et en tout cas pas impossible » et estime qu’ « un tel événement nécessite d’avoir des capacités de production de substitution pour absorber le choc d’un arrêt de cinq à dix réacteurs » ! [1]

La réalité corrobore cette analyse. Exemple : la presse a révélé en septembre 2013 que 18 réacteurs sont affectés par un problème qu’EDF peine à résoudre et qui selon l’IRSN induit « un accroissement non négligeable du risque de fusion du cœur » des réacteurs [2]. À cause de ce problème, le 8 février 2014, un simple orage a obligé EDF à arrêter brutalement les deux réacteurs de la centrale de Flamanville.

Sûreté nucléaire vs. chauffage électrique ?

À cause de son utilisation massive du chauffage électrique, à l’échelle de l’Europe, la différence entre la consommation électrique moyenne et la pointe hivernale de consommation électrique est due pour moitié à la France. [3]

Le 8 février 2012 à 19h, au cours d’une vague de froid, la France a connu son maximum historique de la consommation électrique française, soit près de 102 100 MW. Au cours du même hiver, en Allemagne (pays méditerranéen s’il en est...), le pic de consommation électrique s’est élevé à seulement 74 500 MW, alors que le pays compte 15 millions d’habitants de plus que la France !

graph

Source : RTE

Pour l’hiver 2015, RTE prévoit une pointe en soirée de 84 800 MW « à conditions normales ». Le gestionnaire du réseau électrique prend toutefois soin de préciser que « le niveau de la consommation varie très sensiblement en hiver lorsque les températures baissent. » puisque, à partir d’une température extérieure inférieure à 15°C, chaque degré en moins entraîne une hausse de l’appel de puissance électrique de 2400 MW (l’équivalent d’environ 2,5 réacteurs nucléaires du parc actuel).

Il faut dire que plus de 30 % des logements français sont équipés en chauffage électrique, ce mode de chauffage extraordinairement inefficace, alors que, par exemple, seuls 5 % environ des logements allemands le sont. Le chauffage électrique est même interdit au Danemark depuis 1985 et soumis à autorisation préalable en Suisse.

Chaque année, le chauffage électrique consomme en France l’équivalent de la production de dix à onze réacteurs nucléaires !

Que se passerait-il si, un hiver prochain, un grave problème de sûreté était détecté sur plusieurs réacteurs nucléaires ?

Une « positive attitude » belge difficile à importer...

Confrontés au risque de pénurie nucléaire, les ministres belges adoptent des accents pas si éloignés de véritables appels à une sobriété énergétique heureuse et assumée...

« La situation actuelle représente une opportunité unique pour changer nos attitudes par rapport à l’énergie. Réduire notre consommation énergétique devrait devenir un réflexe naturel au quotidien, comme c’est déjà le cas pour le tri des déchets », déclare, dans le communiqué de presse de lancement, Marie-Christine Marghem, la ministre fédérale de l’Énergie, de l’Environnement et du Développement durable [4]. Elle « appelle tout le monde à participer à la campagne ».

hiver

Pour la ministre des Finances, du Budget et de l’Industrie, Annemie Turtelboom : « Par une adaptation de notre comportement, nous pouvons faire en sorte que toutes les familles et les entreprises puissent jouir du même confort que celui dont nous disposons aujourd’hui. Et cela, sans perdre notre propre confort. De plus, cet hiver sera particulièrement instructif. Par des informations massives sur notre fonctionnement réel, nous pouvons évaluer comment économiser simplement. On peut faire aussi bien avec moins, sans rien y perdre pour autant. »

Et si nos ministres s’inspiraient de leurs homologues d’outre-Quiévrain avant un black-out hivernal « made in nucléaire » ?

Voilà qui risque de ne pas aller sans mal, puisque chez nous, « ce n’est pas l’État qui dirige EDF, mais à l’inverse le patron d’EDF qui semble diriger l’État. » dixit Delphine Batho, ministre de l’Environnement de François Hollande jusqu’à mi-2013...


Notes

[3Interview de Bernard Laponche, Télérama, 19 juin 2011.

[4Citations extraites du communiqué de presse du SPF (service public fédéral) belge "économie, PME, classes moyennes et énergie", "Lancement de la campagne "OFF ON » : réduisons ensemble notre consommation d’électricité pour éviter le délestage", 3 novembre 2014

Décembre 2014

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« Dans notre quotidien ultra branché et connecté, difficile d’imaginer qu’une ressource aussi élémentaire que l’électricité puisse manquer. Pourtant, cet hiver, le risque de pénurie d’électricité en Belgique est bien réel. » Le ton est donné.

Coloré et pour tout dire gai, le site web officiel de la campagne nationale belge « OFF & nous restons ON » sensibilise et informe, à la sauce « web 2.0 », sur les façons dont entreprises, communes, écoles, commerces et bien sûr les citoyen-ne-s belges peuvent réduire leur consommation d’énergie pour éviter les pénuries. Sont aussi valorisées certaines initiatives partagées sur le site par les acteurs qui s’engagent : restriction de l’éclairage urbain, opération « Convivialité sans électricité » pour des décorations de Noël « alternatives » (mais oui !), affichage des nombreux posters de sensibilisation de la campagne, etc.

Le site propose aussi une longue « Check-list pour bien se préparer à une coupure d’électricité ». Et on dit merci qui ?

Merci le nucléaire : 3 réacteurs en carafe !

« Risque de pénurie d’électricité en Belgique : comment est-ce possible ? » Après avoir posé cette question, le site de la campagne « OFF & nous restons ON » y répond sans détour.

La première et principale raison invoquée est la suivante : « Quelques mois avant l’hiver, la Belgique a perdu de manière imprévisible et soudaine près d’un tiers de ses capacités de production, c’est-à-dire de la quantité d’électricité qu’elle peut produire : les réacteurs nucléaires de Doel 3 et Tihange 2 ont été mis à l’arrêt car les cuves présentent des microfissures qui doivent être contrôlées ; le réacteur Doel 4 a dû être lui aussi stoppé, suite à un incident technique. »

Trois autres paramètres sont ensuite mentionnés, dans cet ordre :
 plusieurs centrales au gaz fermées
 pas toujours possible d’importer assez d’électricité
 pas toujours d’électricité renouvelable

Puis le site officiel précise : « Personne ne pouvait prévoir la mise à l’arrêt soudaine des 3 réacteurs nucléaires. Mais heureusement, les autres éléments sont connus depuis longtemps et le risque de pénurie d’électricité a été anticipé. Pour y faire face, des mesures concrètes ont été prises par le gouvernement pour les hivers prochains. Pour cet hiver, elles permettent d’atténuer l’impact des incidents imprévus mais malheureusement pas d’écarter tout risque de pénurie d’électricité. »

Il n’y a donc aucune ambiguïté : ce n’est pas la variabilité journalière et saisonnière des énergies renouvelables – connue et anticipable – qui est coupable, mais bien l’ « intermittence », très réelle, de l’énergie nucléaire. En d’autres termes et pour résumer : le nucléaire ET la bougie !

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Le nucléaire, une énergie intermittente

On l’ignore trop souvent : il arrive régulièrement que des réacteurs nucléaires doivent être arrêtés de façon totalement impromptue, suite à des incidents techniques ou à la détection de problèmes de sûreté qui peuvent être graves. C’est aujourd’hui le cas pour les réacteurs belges de Doel 3 et Tihange 2, dont les cuves en acier présentent des milliers de micro-fissures, qui ont conduit l’autorité de sûreté nucléaire belge, l’AFCN, à en imposer l’arrêt prolongé le temps que des analyses approfondies soient conduites.

De tels arrêts inopinés peuvent ne durer que quelques heures, plusieurs jours ou plusieurs mois. Contrairement aux « arrêts de tranches » nucléaires planifiés des mois à l’avance pour la maintenance, par nature il est impossible de les anticiper. Et comme chaque réacteur nucléaire fournit au réseau électrique une puissance considérable de 900 à 1450 MW, la mise hors ligne d’un seul réacteur peut poser de sérieux problèmes aux gestionnaires du réseau électrique.

Une telle situation est bien plus improbable avec un système électrique fondé sur des énergies renouvelables complémentaires, décentralisées et diverses, qui bénéficie de la stabilité garantie justement par la dissémination sur le territoire de moyens de production plus nombreux et d’une puissance individuelle moindre, et par le « foisonnement » (c’est le terme consacré) que la diversité répartie permet. (Pour en savoir plus à ce sujet, lire « Un épouvantail à la française : l’ "intermittence" des énergies renouvelables »)

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Dans l’Hexagone, l’arrêt simultané de 5 à 10 réacteurs est « plausible »

Pierre-Franck Chevet, le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, estime qu’ « on peut avoir une anomalie grave, de la corrosion ou une fuite, sur cinq à dix réacteurs en France » simultanément. L’ASN juge ce scénario « plausible, voire réaliste, et en tout cas pas impossible » et estime qu’ « un tel événement nécessite d’avoir des capacités de production de substitution pour absorber le choc d’un arrêt de cinq à dix réacteurs » ! [1]

La réalité corrobore cette analyse. Exemple : la presse a révélé en septembre 2013 que 18 réacteurs sont affectés par un problème qu’EDF peine à résoudre et qui selon l’IRSN induit « un accroissement non négligeable du risque de fusion du cœur » des réacteurs [2]. À cause de ce problème, le 8 février 2014, un simple orage a obligé EDF à arrêter brutalement les deux réacteurs de la centrale de Flamanville.

Sûreté nucléaire vs. chauffage électrique ?

À cause de son utilisation massive du chauffage électrique, à l’échelle de l’Europe, la différence entre la consommation électrique moyenne et la pointe hivernale de consommation électrique est due pour moitié à la France. [3]

Le 8 février 2012 à 19h, au cours d’une vague de froid, la France a connu son maximum historique de la consommation électrique française, soit près de 102 100 MW. Au cours du même hiver, en Allemagne (pays méditerranéen s’il en est...), le pic de consommation électrique s’est élevé à seulement 74 500 MW, alors que le pays compte 15 millions d’habitants de plus que la France !

graph

Source : RTE

Pour l’hiver 2015, RTE prévoit une pointe en soirée de 84 800 MW « à conditions normales ». Le gestionnaire du réseau électrique prend toutefois soin de préciser que « le niveau de la consommation varie très sensiblement en hiver lorsque les températures baissent. » puisque, à partir d’une température extérieure inférieure à 15°C, chaque degré en moins entraîne une hausse de l’appel de puissance électrique de 2400 MW (l’équivalent d’environ 2,5 réacteurs nucléaires du parc actuel).

Il faut dire que plus de 30 % des logements français sont équipés en chauffage électrique, ce mode de chauffage extraordinairement inefficace, alors que, par exemple, seuls 5 % environ des logements allemands le sont. Le chauffage électrique est même interdit au Danemark depuis 1985 et soumis à autorisation préalable en Suisse.

Chaque année, le chauffage électrique consomme en France l’équivalent de la production de dix à onze réacteurs nucléaires !

Que se passerait-il si, un hiver prochain, un grave problème de sûreté était détecté sur plusieurs réacteurs nucléaires ?

Une « positive attitude » belge difficile à importer...

Confrontés au risque de pénurie nucléaire, les ministres belges adoptent des accents pas si éloignés de véritables appels à une sobriété énergétique heureuse et assumée...

« La situation actuelle représente une opportunité unique pour changer nos attitudes par rapport à l’énergie. Réduire notre consommation énergétique devrait devenir un réflexe naturel au quotidien, comme c’est déjà le cas pour le tri des déchets », déclare, dans le communiqué de presse de lancement, Marie-Christine Marghem, la ministre fédérale de l’Énergie, de l’Environnement et du Développement durable [4]. Elle « appelle tout le monde à participer à la campagne ».

hiver

Pour la ministre des Finances, du Budget et de l’Industrie, Annemie Turtelboom : « Par une adaptation de notre comportement, nous pouvons faire en sorte que toutes les familles et les entreprises puissent jouir du même confort que celui dont nous disposons aujourd’hui. Et cela, sans perdre notre propre confort. De plus, cet hiver sera particulièrement instructif. Par des informations massives sur notre fonctionnement réel, nous pouvons évaluer comment économiser simplement. On peut faire aussi bien avec moins, sans rien y perdre pour autant. »

Et si nos ministres s’inspiraient de leurs homologues d’outre-Quiévrain avant un black-out hivernal « made in nucléaire » ?

Voilà qui risque de ne pas aller sans mal, puisque chez nous, « ce n’est pas l’État qui dirige EDF, mais à l’inverse le patron d’EDF qui semble diriger l’État. » dixit Delphine Batho, ministre de l’Environnement de François Hollande jusqu’à mi-2013...



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 Politique énergétique