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Sortir du nucléaire n°56



Hiver 2012-2013

Focus

L’exploration spatiale, "nouvelle frontière" du nucléaire ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°56 - Hiver 2012-2013

 Incidents / Accidents  Pollution radioactive


Le premier robot propulsé au plutonium s’est posé sur Mars lundi 6 août 2012. Il y a eu beaucoup de réjouissance et d’enthousiasme dans les grands médias, mais aucune mention de l’énorme danger que l’appareil, nommé "Curiosity" par la NASA, a fait courir aux gens et aux autres formes de vie sur Terre avant d’arriver sur Mars.



Dans sa déclaration sur l’impact environnemental (Environmental Impact Statement, EIS) de Curiosity, la NASA a dit que les chances étaient "globalement" de moins de 1 sur 220 pour que du plutonium soit dispersé durant sa mission. Si la fusée qui l’a porté depuis la Floride avait explosé au lancement (or une fusée sur 100 est détruite au lancement) ceci aurait dispersé du plutonium jusqu’à une centaine de kilomètres à la ronde, soit jusqu’à Orlando, dit la déclaration. Si la fusée n’avait pas réussi à vaincre la gravitation et à amener Curiosity sur Mars, mais qu’elle était retombée dans l’atmosphère, se désintégrant dans sa chute, c’est une grande partie de la Terre qui aurait été touchée par le plutonium.

Les pronucléaires : ils sont vraiment partout

Pendant ce temps, les promoteurs du nucléaire ont annoncé la mission de Curiosity en disant qu’elle montrait l’intérêt d’une plus grande utilisation de l’énergie nucléaire dans l’espace. Nouvelles Nucléaires du Monde (World Nuclear News, WNN), l’organe d’information de l’Association Mondiale du Nucléaire (World Nuclear Association, WNA) qui cherche à développer l’utilisation de l’énergie atomique, disait, un mois plus tôt : "Une nouvelle ère de l’exploration spatiale est en train de naître par l’usage de l’énergie nucléaire pour des robots, sur Mars et sur la Lune, pour la production d’énergie des futures bases sur ces deux planètes, et bientôt pour des fusées qui permettront des voyages interplanétaires". L’article était intitulé : "Le nucléaire, un tremplin pour l’exploration spatiale".

En fait, dans l’espace comme sur la Terre, il y a des alternatives sûres et propres au nucléaire. Avant Curiosity les robots martiens étaient alimentés par de l’énergie solaire. Une sonde spatiale de la NASA, propulsée par l’énergie solaire, est actuellement en route pour Jupiter, une mission que, durant des années, la NASA présentait comme ne pouvant pas être accomplie sans énergie nucléaire pour fournir l’électricité à bord. La propulsion solaire des vaisseaux spatiaux a aussi commencé. Des scientifiques, entre autres à la NASA, ont également déjà travaillé sur l’utilisation de l’énergie solaire et autres sources d’énergie sûres pour des colonies humaines sur Mars et sur la Lune.

La WNA se décrit elle-même comme "représentant les personnes et organisations de la profession nucléaire globale". World Nuclear News (WNN) dit être "soutenue administrativement, conseillée techniquement par la World Nuclear Association et être basée à son secrétariat londonien".

Dans son édition du 27 juillet, WNN notait que le robot Curiosity qui s’est posé sur Mars le 6 août, est "alimenté par un grand générateur thermique à radio-isotope au lieu de cellules solaires" comme l’étaient les précédents robots martiens de la NASA. Effectivement, Curiosity est alimenté par 4,8 kg de plutonium.

Selon WNN, la Chine pourrait lancer l’année prochaine un robot sur la Lune, robot qui serait aussi alimenté par une pile nucléaire. L’événement le plus important en terme de nucléaire spatial, toujours selon WNN, pourrait être le projet russe d’une fusée propulsée par un générateur nucléaire d’une puissance de l’ordre du mégawatt. WNN cite Anatoly Koroteev, directeur du centre de recherche russe de Keldysh, qui dit que le système en développement pourrait produire une poussée 20 fois plus grande que celle des fusées chimiques actuelles, permettant un chargement plus important et des possibilités d’aller plus loin et plus vite que jamais auparavant. Le lancement pourrait avoir lieu en 2018.

Plutonium : le risque de dispersion est réel

Le problème – énorme et jamais abordé par WNN – est celui d’accidents impliquant des vaisseaux spatiaux nucléaires, avec des relâchements de radioactivité touchant les humains et les autres formes de vie sur Terre. Ceci est déjà arrivé. Avec plus d’opérations spatiales nucléaires, plus de mésaventures atomiques seraient à craindre.

La NASA, avant le lancement de Curiosity en novembre 2011, reconnaissait que si la fusée le transportant explosait lors du lancement à Cap Kennedy, du plutonium serait relâché, affectant une zone d’un rayon de 100 km, et si la fusée, échouant à échapper à la gravité de la Terre, retombait dans l’atmosphère avec Curiosity et se désintégrait, du plutonium serait alors dispersé sur une grande partie de la Terre "entre environ 28 degrés de latitude nord et 28 degrés de latitude sud". Ceci comprend l’Amérique Centrale, la plus grande partie de l’Amérique du Sud, l’Asie, l’Afrique et l’Australie.

Selon la déclaration sur l’impact environnemental (EIS) de la NASA, les coûts de décontamination du plutonium seraient de 100 millions de dollars pour chaque km2 de terre cultivée, 183 millions par km2 de forêt et 570 millions par km2 de "zones urbaines d’utilisation mixte". La mission Curiosity elle-même, suite à un surcoût de 900 millions de dollars, aura coûté 2,5 milliards de dollars.

Bruce Gagnon est le coordinateur du Réseau Global contre les Armes et l’Énergie Nucléaire dans l’Espace (Global Network Against Weapons & Nuclear Power in Space ; www.space4peace.org) qui est, depuis plus de 20 ans, le groupe leader de l’opposition aux missions spatiales nucléaires. Il a déclaré : "La NASA paraît tristement engagée à maintenir sa dangereuse alliance avec l’industrie nucléaire. Toutes deux voient l’espace comme un nouveau marché pour le plutonium mortel… N’avons-nous rien appris de Tchernobyl et Fukushima ? Nous n’avons pas besoin d’envoyer des bidules nucléaires dans l’espace. C’est un risque que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre".

Plutonium-238 : encore plus radioactif

Le plutonium est considéré depuis longtemps comme la substance radioactive la plus dangereuse. Or l’isotope du plutonium utilisé dans le programme nucléaire spatial, et dans le robot Curiosity, est beaucoup plus radioactif que le plutonium-239 utilisé dans les armes nucléaires ou produit comme déchet dans les réacteurs nucléaires. Il s’agit ici de plutonium 238, qui a une demi-vie de 87,8 ans, soit beaucoup plus courte que celle du plutonium-239, qui est de 24 500 ans (la demi-vie d’une substance radioactive est la période durant laquelle cette substance perd la moitié de sa radioactivité).

Arjun Makhijani, physicien nucléaire et président de l’institut pour l’énergie et la recherche environnementale, explique que "le plutonium-238 est environ 270 fois plus radioactif que le plutonium-239 par unité de poids". Ceci veut dire que la radioactivité des 4,8 kg de plutonium-238 dont est équipé Curiosity est équivalente à celle de 1287,9 kg de plutonium-239. À titre de comparaison, la bombe atomique larguée sur Nagasaki comportait 6,75 kg de plutonium-239.

La demie-vie du plutonium-238, beaucoup plus courte que celle du plutonium-239, rend le plutonium-238 extrêmement chaud. C’est cette chaleur qui est convertie en électricité par un générateur thermoélectrique à radio-isotope.

Le plus grand danger du plutonium pour la santé consiste dans la respiration de particules conduisant au cancer du poumon. Un microgramme (millionième de gramme) de plutonium peut être fatal. Pour Curiosity, l’EIS parle de particules qui pourraient être "transportées dans la trachée, les bronches, ou des zones profondes des poumons, et rester dans ces organes". Les particules "irradieraient le tissu pulmonaire en permanence". Des accidents nucléaires spatiaux ont déjà eu lieu

Il n’y a pas eu d’accident lors de la mission de Curiosity, mais l’EIS reconnaît qu’il y a eu des soucis auparavant, dans cette roulette russe du nucléaire interstellaire : sur 26 précédentes missions spatiales étatsuniennes utilisant du plutonium, trois ont connu des accidents, reconnaît le rapport. Le pire accident a eu lieu en 1964, lorsqu’un satellite embarquant le SNAP-9A, un engin au plutonium, n’a pas pu se mettre en orbite et est retombé vers la Terre, se désintégrant au cours de sa chute. Le kilogramme de plutonium à bord a été largement dispersé sur Terre. John Gofman, professeur de physique médicale à l’université de Berkeley, Californie, a depuis longtemps lié cet accident à une augmentation planétaire du cancer du poumon. Après cet accident du SNAP-9A, la NASA est passée à l’énergie solaire pour les satellites. Actuellement tous les satellites, ainsi que la station orbitale, fonctionnent à l’énergie solaire.

L’accident le plus grave, parmi plusieurs, impliquant un système spatial nucléaire soviétique ou russe fut, en 1978, la chute depuis son orbite du satellite Cosmos 954 alimenté par un réacteur nucléaire. Il s’est brisé dans l’atmosphère en tombant, dispersant des débris radioactifs sur une surface de plus de 200 000 km2 des Territoires du Nord-Ouest du Canada.

En 1996, la sonde spatiale russe Mars 96, alimentée par 250 g de plutonium-238, n’arriva pas à échapper à la gravitation terrestre et tomba, comme une boule de feu, sur le nord du Chili. Il y eut des retombées radioactives sur le Chili et sa voisine la Bolivie.

Le 8 août dernier, la NASA a lancé une sonde, nommée Juno, propulsée par l’énergie solaire, en direction de Jupiter. Le site web de la NASA pour Juno rapporte actuellement que "Le vaisseau est en excellente forme et fonctionne normalement". Le vaisseau vole à 56 300 km/h et devrait atteindre Jupiter en 2016. Même vers Jupiter "à environ 800 millions de km du soleil", ses panneaux solaires fourniront de l’électricité, note encore la NASA.

Le solaire, ça marche aussi dans l’espace

L’énergie solaire a aussi commencé à être utilisée pour propulser des vaisseaux spatiaux dans le vide, sans frottements, de l’espace. En 2010, l’agence japonaise pour l’exploration aérospatiale a lancé ce qu’elle a appelé un "yacht spatial", nommé Ikaros, dont la propulsion était assurée par la pression exercée sur ses grandes voiles par les particules ionisantes émises par le soleil. Yuichi Tsuda, membre de l’agence, dit que "les voiles comportent aussi des cellules solaires à couche mince pour générer de l’électricité et représentent ainsi une technologie hybride d’électricité et de pression".

Concernant la production d’énergie pour des colonies sur Mars et sur la Lune : sur Mars, en plus de l’énergie solaire, on envisage d’utiliser l’énergie des vents martiens. Et sur la Lune, comme le rapporte "The Daily Galaxy" : "La NASA voit la région polaire du sud de la Lune comme un site pouvant accueillir de futurs avant-postes. Cette région a de multiples avantages : il y a, avec certitude, de l’eau glacée dans les sombres et profonds cratères du sud. L’eau peut être scindée en oxygène pour respirer, et en hydrogène comme combustible pour des fusées. Les astronautes pourraient aussi simplement la boire. Les architectes lunaires de la NASA cherchent aussi ce qu’ils appellent des pics de lumière éternelle – des montagnes polaires où le soleil ne se couche jamais – qui seraient des endroits idéaux pour implanter une centrale solaire".

Tout de même, les milieux de l’énergie nucléaire exercent une grande pression sur la NASA et les autres agences spatiales dans le monde pour l’utilisation de l’énergie nucléaire dans l’espace, une pression aussi grande que celle qui est exercée sur les gouvernements et l’opinion publique pour l’énergie nucléaire sur la Terre.

Le point critique, c’est que les équipements nucléaires spatiaux doivent être fabriqués sur Terre, avec tous les dangers que cela implique, et doivent être lancés depuis la Terre, avec tous les dangers que cela implique aussi, et qu’ils sont sujets à retomber sur Terre et à déverser une radioactivité mortelle sur les êtres humains et sur les autres êtres vivants de cette planète.

Karl Grossman

Professeur de journalisme à l’Université d’état de New York, collège de Old Westbury, auteur de "Cover Up : What You Are Not Supposed to Know About Nuclear Power" (Ce que vous n’êtes pas censés savoir à propos de l’énergie nucléaire) ainsi que d’autres livres sur la technologie nucléaire. Karl Grossman a aussi participé à de nombreuses émissions de télévision sur le sujet, entre autres : "Tchernobyl : un million de morts et blessés", "Three Mile Island revisité" et "La poussée pour relancer le nucléaire".

Traduit de l’anglais au français pour le Réseau "Sortir du nucléaire" par Michel Schmid.

Dans sa déclaration sur l’impact environnemental (Environmental Impact Statement, EIS) de Curiosity, la NASA a dit que les chances étaient "globalement" de moins de 1 sur 220 pour que du plutonium soit dispersé durant sa mission. Si la fusée qui l’a porté depuis la Floride avait explosé au lancement (or une fusée sur 100 est détruite au lancement) ceci aurait dispersé du plutonium jusqu’à une centaine de kilomètres à la ronde, soit jusqu’à Orlando, dit la déclaration. Si la fusée n’avait pas réussi à vaincre la gravitation et à amener Curiosity sur Mars, mais qu’elle était retombée dans l’atmosphère, se désintégrant dans sa chute, c’est une grande partie de la Terre qui aurait été touchée par le plutonium.

Les pronucléaires : ils sont vraiment partout

Pendant ce temps, les promoteurs du nucléaire ont annoncé la mission de Curiosity en disant qu’elle montrait l’intérêt d’une plus grande utilisation de l’énergie nucléaire dans l’espace. Nouvelles Nucléaires du Monde (World Nuclear News, WNN), l’organe d’information de l’Association Mondiale du Nucléaire (World Nuclear Association, WNA) qui cherche à développer l’utilisation de l’énergie atomique, disait, un mois plus tôt : "Une nouvelle ère de l’exploration spatiale est en train de naître par l’usage de l’énergie nucléaire pour des robots, sur Mars et sur la Lune, pour la production d’énergie des futures bases sur ces deux planètes, et bientôt pour des fusées qui permettront des voyages interplanétaires". L’article était intitulé : "Le nucléaire, un tremplin pour l’exploration spatiale".

En fait, dans l’espace comme sur la Terre, il y a des alternatives sûres et propres au nucléaire. Avant Curiosity les robots martiens étaient alimentés par de l’énergie solaire. Une sonde spatiale de la NASA, propulsée par l’énergie solaire, est actuellement en route pour Jupiter, une mission que, durant des années, la NASA présentait comme ne pouvant pas être accomplie sans énergie nucléaire pour fournir l’électricité à bord. La propulsion solaire des vaisseaux spatiaux a aussi commencé. Des scientifiques, entre autres à la NASA, ont également déjà travaillé sur l’utilisation de l’énergie solaire et autres sources d’énergie sûres pour des colonies humaines sur Mars et sur la Lune.

La WNA se décrit elle-même comme "représentant les personnes et organisations de la profession nucléaire globale". World Nuclear News (WNN) dit être "soutenue administrativement, conseillée techniquement par la World Nuclear Association et être basée à son secrétariat londonien".

Dans son édition du 27 juillet, WNN notait que le robot Curiosity qui s’est posé sur Mars le 6 août, est "alimenté par un grand générateur thermique à radio-isotope au lieu de cellules solaires" comme l’étaient les précédents robots martiens de la NASA. Effectivement, Curiosity est alimenté par 4,8 kg de plutonium.

Selon WNN, la Chine pourrait lancer l’année prochaine un robot sur la Lune, robot qui serait aussi alimenté par une pile nucléaire. L’événement le plus important en terme de nucléaire spatial, toujours selon WNN, pourrait être le projet russe d’une fusée propulsée par un générateur nucléaire d’une puissance de l’ordre du mégawatt. WNN cite Anatoly Koroteev, directeur du centre de recherche russe de Keldysh, qui dit que le système en développement pourrait produire une poussée 20 fois plus grande que celle des fusées chimiques actuelles, permettant un chargement plus important et des possibilités d’aller plus loin et plus vite que jamais auparavant. Le lancement pourrait avoir lieu en 2018.

Plutonium : le risque de dispersion est réel

Le problème – énorme et jamais abordé par WNN – est celui d’accidents impliquant des vaisseaux spatiaux nucléaires, avec des relâchements de radioactivité touchant les humains et les autres formes de vie sur Terre. Ceci est déjà arrivé. Avec plus d’opérations spatiales nucléaires, plus de mésaventures atomiques seraient à craindre.

La NASA, avant le lancement de Curiosity en novembre 2011, reconnaissait que si la fusée le transportant explosait lors du lancement à Cap Kennedy, du plutonium serait relâché, affectant une zone d’un rayon de 100 km, et si la fusée, échouant à échapper à la gravité de la Terre, retombait dans l’atmosphère avec Curiosity et se désintégrait, du plutonium serait alors dispersé sur une grande partie de la Terre "entre environ 28 degrés de latitude nord et 28 degrés de latitude sud". Ceci comprend l’Amérique Centrale, la plus grande partie de l’Amérique du Sud, l’Asie, l’Afrique et l’Australie.

Selon la déclaration sur l’impact environnemental (EIS) de la NASA, les coûts de décontamination du plutonium seraient de 100 millions de dollars pour chaque km2 de terre cultivée, 183 millions par km2 de forêt et 570 millions par km2 de "zones urbaines d’utilisation mixte". La mission Curiosity elle-même, suite à un surcoût de 900 millions de dollars, aura coûté 2,5 milliards de dollars.

Bruce Gagnon est le coordinateur du Réseau Global contre les Armes et l’Énergie Nucléaire dans l’Espace (Global Network Against Weapons & Nuclear Power in Space ; www.space4peace.org) qui est, depuis plus de 20 ans, le groupe leader de l’opposition aux missions spatiales nucléaires. Il a déclaré : "La NASA paraît tristement engagée à maintenir sa dangereuse alliance avec l’industrie nucléaire. Toutes deux voient l’espace comme un nouveau marché pour le plutonium mortel… N’avons-nous rien appris de Tchernobyl et Fukushima ? Nous n’avons pas besoin d’envoyer des bidules nucléaires dans l’espace. C’est un risque que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre".

Plutonium-238 : encore plus radioactif

Le plutonium est considéré depuis longtemps comme la substance radioactive la plus dangereuse. Or l’isotope du plutonium utilisé dans le programme nucléaire spatial, et dans le robot Curiosity, est beaucoup plus radioactif que le plutonium-239 utilisé dans les armes nucléaires ou produit comme déchet dans les réacteurs nucléaires. Il s’agit ici de plutonium 238, qui a une demi-vie de 87,8 ans, soit beaucoup plus courte que celle du plutonium-239, qui est de 24 500 ans (la demi-vie d’une substance radioactive est la période durant laquelle cette substance perd la moitié de sa radioactivité).

Arjun Makhijani, physicien nucléaire et président de l’institut pour l’énergie et la recherche environnementale, explique que "le plutonium-238 est environ 270 fois plus radioactif que le plutonium-239 par unité de poids". Ceci veut dire que la radioactivité des 4,8 kg de plutonium-238 dont est équipé Curiosity est équivalente à celle de 1287,9 kg de plutonium-239. À titre de comparaison, la bombe atomique larguée sur Nagasaki comportait 6,75 kg de plutonium-239.

La demie-vie du plutonium-238, beaucoup plus courte que celle du plutonium-239, rend le plutonium-238 extrêmement chaud. C’est cette chaleur qui est convertie en électricité par un générateur thermoélectrique à radio-isotope.

Le plus grand danger du plutonium pour la santé consiste dans la respiration de particules conduisant au cancer du poumon. Un microgramme (millionième de gramme) de plutonium peut être fatal. Pour Curiosity, l’EIS parle de particules qui pourraient être "transportées dans la trachée, les bronches, ou des zones profondes des poumons, et rester dans ces organes". Les particules "irradieraient le tissu pulmonaire en permanence". Des accidents nucléaires spatiaux ont déjà eu lieu

Il n’y a pas eu d’accident lors de la mission de Curiosity, mais l’EIS reconnaît qu’il y a eu des soucis auparavant, dans cette roulette russe du nucléaire interstellaire : sur 26 précédentes missions spatiales étatsuniennes utilisant du plutonium, trois ont connu des accidents, reconnaît le rapport. Le pire accident a eu lieu en 1964, lorsqu’un satellite embarquant le SNAP-9A, un engin au plutonium, n’a pas pu se mettre en orbite et est retombé vers la Terre, se désintégrant au cours de sa chute. Le kilogramme de plutonium à bord a été largement dispersé sur Terre. John Gofman, professeur de physique médicale à l’université de Berkeley, Californie, a depuis longtemps lié cet accident à une augmentation planétaire du cancer du poumon. Après cet accident du SNAP-9A, la NASA est passée à l’énergie solaire pour les satellites. Actuellement tous les satellites, ainsi que la station orbitale, fonctionnent à l’énergie solaire.

L’accident le plus grave, parmi plusieurs, impliquant un système spatial nucléaire soviétique ou russe fut, en 1978, la chute depuis son orbite du satellite Cosmos 954 alimenté par un réacteur nucléaire. Il s’est brisé dans l’atmosphère en tombant, dispersant des débris radioactifs sur une surface de plus de 200 000 km2 des Territoires du Nord-Ouest du Canada.

En 1996, la sonde spatiale russe Mars 96, alimentée par 250 g de plutonium-238, n’arriva pas à échapper à la gravitation terrestre et tomba, comme une boule de feu, sur le nord du Chili. Il y eut des retombées radioactives sur le Chili et sa voisine la Bolivie.

Le 8 août dernier, la NASA a lancé une sonde, nommée Juno, propulsée par l’énergie solaire, en direction de Jupiter. Le site web de la NASA pour Juno rapporte actuellement que "Le vaisseau est en excellente forme et fonctionne normalement". Le vaisseau vole à 56 300 km/h et devrait atteindre Jupiter en 2016. Même vers Jupiter "à environ 800 millions de km du soleil", ses panneaux solaires fourniront de l’électricité, note encore la NASA.

Le solaire, ça marche aussi dans l’espace

L’énergie solaire a aussi commencé à être utilisée pour propulser des vaisseaux spatiaux dans le vide, sans frottements, de l’espace. En 2010, l’agence japonaise pour l’exploration aérospatiale a lancé ce qu’elle a appelé un "yacht spatial", nommé Ikaros, dont la propulsion était assurée par la pression exercée sur ses grandes voiles par les particules ionisantes émises par le soleil. Yuichi Tsuda, membre de l’agence, dit que "les voiles comportent aussi des cellules solaires à couche mince pour générer de l’électricité et représentent ainsi une technologie hybride d’électricité et de pression".

Concernant la production d’énergie pour des colonies sur Mars et sur la Lune : sur Mars, en plus de l’énergie solaire, on envisage d’utiliser l’énergie des vents martiens. Et sur la Lune, comme le rapporte "The Daily Galaxy" : "La NASA voit la région polaire du sud de la Lune comme un site pouvant accueillir de futurs avant-postes. Cette région a de multiples avantages : il y a, avec certitude, de l’eau glacée dans les sombres et profonds cratères du sud. L’eau peut être scindée en oxygène pour respirer, et en hydrogène comme combustible pour des fusées. Les astronautes pourraient aussi simplement la boire. Les architectes lunaires de la NASA cherchent aussi ce qu’ils appellent des pics de lumière éternelle – des montagnes polaires où le soleil ne se couche jamais – qui seraient des endroits idéaux pour implanter une centrale solaire".

Tout de même, les milieux de l’énergie nucléaire exercent une grande pression sur la NASA et les autres agences spatiales dans le monde pour l’utilisation de l’énergie nucléaire dans l’espace, une pression aussi grande que celle qui est exercée sur les gouvernements et l’opinion publique pour l’énergie nucléaire sur la Terre.

Le point critique, c’est que les équipements nucléaires spatiaux doivent être fabriqués sur Terre, avec tous les dangers que cela implique, et doivent être lancés depuis la Terre, avec tous les dangers que cela implique aussi, et qu’ils sont sujets à retomber sur Terre et à déverser une radioactivité mortelle sur les êtres humains et sur les autres êtres vivants de cette planète.

Karl Grossman

Professeur de journalisme à l’Université d’état de New York, collège de Old Westbury, auteur de "Cover Up : What You Are Not Supposed to Know About Nuclear Power" (Ce que vous n’êtes pas censés savoir à propos de l’énergie nucléaire) ainsi que d’autres livres sur la technologie nucléaire. Karl Grossman a aussi participé à de nombreuses émissions de télévision sur le sujet, entre autres : "Tchernobyl : un million de morts et blessés", "Three Mile Island revisité" et "La poussée pour relancer le nucléaire".

Traduit de l’anglais au français pour le Réseau "Sortir du nucléaire" par Michel Schmid.



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