L’épopée alsacienne du Dreyeckland - 1970-1981, une décennie de luttes écologistes, citoyennes et transfrontalières
À l’occasion des 40 ans de Radio Verte Fessenheim (RVF), Jocelyn Peyret publie un ouvrage qui retrace les luttes écologistes en Alsace dans les années 1970.
De la création du Comité de Surveillance de Fessenheim et de la plaine du Rhin (CSFR) en 1970 à celle de RVF en 1977, l’auteur rend compte d’un formidable élan citoyen, écologiste et transfrontalier, qui remua l’Alsace et modifia les paradigmes politiques régionaux et nationaux. En chemin, il propose quelques détours pour (re)découvrir Creys-Malville, le Larzac, Golfech, Plogoff, le Pellerin et d’autres luttes marquantes de la décennie.
Comment t’est venue l’envie de t’intéresser à cette période ?
Je suis militant antinucléaire depuis longtemps, j’ai travaillé plusieurs années pour le Réseau "Sortir du nucléaire" puis en 2014 pour Radio Dreyeckland Libre à Colmar (68), une des antennes nées de RVF. Je me suis alors intéressé à l’histoire de cette station, principalement à la période 1977-1981, celle qui se termine par la régularisation de radios qui émettaient jusque-là dans l’illégalité. Ce fut également l’occasion pour moi de découvrir une partie de l’histoire de la région, celle du militantisme alsacien dont les spécialistes ne traitent guère.
Comment as-tu procédé ?
Au départ je ne m’intéressais qu’à RVF, puis, après quelques rencontres avec certains des militants de l’époque, je me suis demandé quel avait été le contexte qui avait conduit à la création de cette radio. Il s’avère que je suis allé de surprise en surprise en découvrant que de nombreuses actions citoyennes avaient vu le jour dans cette région pourtant plus habituée à respecter l’ordre établi qu’à le contester. Du coup, j’ai élargi le champ de mon enquête et suis parti à la recherche des hommes et des femmes qui avaient été moteur de cette dynamique.
Peux-tu nous résumer cette décennie alsacienne ?
Tout a commencé avec la création du CSFR en 1970, qui est la première association de lutte contre le nucléaire civil en France. En 1971, elle organise la première manifestation d’envergure contre le projet de centrale à Fessenheim (68), quelques mois avant celle contre le projet au Bugey (01), coordonnée par Pierre Fournier (qui n’allait pas tarder à lancer le journal La Gueule Ouverte). Puis, en 1973, à Mulhouse (68) est créé le premier parti politique estampillé écologiste, Écologie et Survie, avec Solange Fernex et Antoine Waechter. Mais ça ne s’arrête pas là : en 1974, à Marckolsheim (67) nous assistons à la première occupation de terrain de type ZAD, sur plusieurs mois, contre un projet d’usine chimique. La dynamique se développe jusqu’en 1977 où plusieurs sites envisagés par l’industrie nucléaire sont occupés (Heiteren et Gerstheim). Le printemps 1977 voit également émerger, au niveau national, des dizaines de radios pirates dont RVF, le 4 juin, qui sera d’un appui considérable pour informer la population et mobiliser les citoyens sur diverses luttes concernant l’emploi, les immigrés, des projets de mines d’uranium, de camp militaire, de centrales nucléaires, etc.
À partir de juin 1977, tu te focalises sur RVF, pourquoi ?
Pour la simple raison que tous les sujets militants sont abordés par cette radio qui est, de par sa longévité et son impact, la première radio pirate française, verte et antinucléaire. RVF connaît un réel engouement au sein de la population locale. Là où les premières émissions ne s’entendent que dans la partie sud du territoire, le groupe de départ s’élargit rapidement pour couvrir toute l’Alsace avec une douzaine d’équipes qui tous les vendredis soir partaient émettre sac à dos, en toute illégalité (il y a alors un monopole sur la radiodiffusion et toute infraction est passible d’une amende et d’une peine de prison). Leur(s) histoire(s) particulière(s) et collective fait partie de ces mouvements qui ont ouvert les ondes et libéré la parole. Au final, j’espère proposer un livre d’histoire populaire, une radiographie de luttes citoyennes et non-violentes qui inaugurent les pratiques actuelles.
Propos recueillis par Myriam Battarel