14 juin 2024, mis à jour le 1er juillet 2024
Il s’agissait d’enlever des protections isolantes, mais ça a suffit à le contaminer. Le 6 juin 2024, un travailleur a été irradié directement au niveau du pied parce qu’il a récolté une particule radioactive dans sa chaussette. Elle s’est glissée là pendant qu’il intervenait dans le bâtiment du réacteur 4 de la centrale nucléaire du Tricastin (Rhône-Alpes). La dose d’énergie qu’il a reçue par irradiation directe de sa peau a d’abord été sous-estimée par EDF. Il aura fallu une inspection de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour que celle-ci soit réévaluée. Le travailleur a reçu lors de cette seule intervention plus que la dose maximale autorisée à l’année.
Crédit photo : André Paris
EDF a déclaré les faits à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une semaine après leur survenue, un délai long quand on sait que l’exploitant est tenu d’en informer les autorités au plus tôt. L’incident est significatif [1] pour la (non)radioprotection et, étant donné la quantité d’énergie reçue par ce travailleur lors de son intervention, il est classé au niveau 1 de l’échelle des incidents nucléaires [2] (pour être classé au niveau 2, la dose [3] annuelle autorisée doit être dépassée).
Le communiqué adressé par l’exploitant nucléaire au public ne donne aucun détail : sur quel circuit intervenait le travailleur ? Était-il correctement formé aux risques de son intervention et équipé de protections individuelles ? Combien de temps a-t-il gardé sur lui cette particule radioactive ? D’où provenait-elle ? Quelle était sa nature, quel·s type·s de rayonnement·s et quelle énergie dégageait-elle ? Quelle dose a reçu le travailleur ? Rien dans la publication d’EDF ne permet de se faire une idée des circonstances de cet incident ou de ses origines, encore moins de ce qui a fait défaut dans cette intervention en zone nucléaire.
D’après l’industriel, aucun autre membre de l’équipe d’intervention n’a été contaminé sur ce chantier et, vérification faite dans les locaux, aucune zone de contamination n’a été identifiée. EDF évoque une "contamination ponctuelle". Une explication qui semble bien légère et relever d’une analyse superficielle. Et surtout ne nécessiter aucune action particulière. Pourtant, face à ce type d’incident, il y a forcément des choses à faire pour éviter qu’il ne se répète et pour limiter autant que possible l’irradiation des personnes travaillant dans ces installations.
Est-ce que ce travailleur a été formé correctement pour mener son activité sans risque ? Est-ce que les dispositifs de protection individuels étaient adaptés et suffisants ? Est-ce que les contrôles de "propreté radiologique" menés après sa contamination dans le bâtiment du réacteur ont été assez poussés ? Il est peu probable que le travailleur ait récolté la seule particule radioactive qui traînait, en liberté dans le bâtiment du réacteur 4. En revanche, il est envisageable que le bâtiment soit contaminé de-ci de-là, que des particules radioactives y soient éparpillées et se dispersent "au-petit-bonheur-la-chance", au gré des mouvements ds personnes et des déplacements des équipements. Il est aussi possible que les isolants thermiques, les calorifuges déposés lors de l’intervention, aient été contaminés lors de leur utilisation. Auquel cas, c’est dans la préparation de l’intervention que le risque n’a pas été suffisamment pris en compte et anticipé.
Mise à jour du 1er juillet 2024 :
Une inspection de l’ASN sur place mettra d’ailleurs en avant cette incertitude. Et imposera à EDF de revoir son calcul de dose. Puisque l’industriel n’a pas pu retrouver où et quand ce travailleur a récolté la particule radioactive dans sa chaussette, il faut considérer qu’il l’a portée dès le début de son intervention. Initialement, EDF avait déclaré que la dose reçue était supérieure au quart de la dose maximale autorisée à l’année. Mais avec la prise en compte de la durée d’exposition la plus majorante (dès l’entrée dans le bâtiment réacteur), la dose reçue par le travailleur est supérieure à la dose annuelle autorisée.
Le travailleur contaminé devra être suivi médicalement pendant plusieurs mois. Il ne pourra plus aller travailler en zone nucléaire, puisqu’il a dépassé la dose définie par les autorités. Il lui est désormais interdit de recevoir des rayonnements ionisants.
L’ASN pointera également le délai de déclaration de l’incident par EDF, celui-ci n’étant pas réglementaire car bien trop tardif.
Cet incident prouve qu’EDF minimise les doses de radiations reçues par ses intervenant·es. Et qu’il n’y a pas de propreté radiologique dans les zones nucléaires. Il prouve aussi que l’industriel, responsable de la protection de toute personne intervenant dans ses installations, ne remplit pas ses obligations d’employeur. Sinon, les incidents de (non)radioprotection n’arriveraient que très rarement, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Et cette personne n’aurait ni besoin de suivi médical, ni à craindre pour le futur de son activité professionnelle.
L.B.
Evénement significatif radioprotection de niveau 1 : exposition d’un intervenant, supérieure au quart de la limite annuelle réglementaire
Publié le 14/06/2024
Le 6 juin 2024, lors de l’arrêt pour maintenance de l’unité de production n°4, un intervenant de la centrale de Tricastin a réalisé des activités de décalorifugeage dans le bâtiment réacteur, en zone nucléaire.
Lors de son contrôle à la sortie du bâtiment réacteur, une contamination externe a été détectée au niveau du pied de l’intervenant.
Le salarié a immédiatement été pris en charge par le service prévention des risques puis par le service médical de la centrale, pour réaliser des contrôles complémentaires selon les procédures usuelles.
La particule radioactive a été identifiée au niveau de la chaussette de l’intervenant et a été immédiatement retirée.
L’exposition d’une personne à la radioactivité est calculée à partir du niveau de radioactivité de la particule (activité), de sa localisation et du temps durant lequel cette particule a exposé effectivement la personne.
Dans ce cas précis, le calcul de l’exposition a été réalisé sur l’hypothèse la plus conservative et conduit à un dépassement du quart de la limite réglementaire annuelle autorisé pour la « dose peau ». La dose équivalente reçue par l’intervenant pour le corps entier est quant à elle très faible.
Pour les salariés susceptibles d’être exposés aux rayonnements ionisants lors de leur activité professionnelle, les limites réglementaires annuelles de doses sont, pour 12 mois consécutifs, de 20 millisieverts pour le corps entier et de 500 millisieverts pour une surface de 1 cm2 de peau.
Comme cela est le cas lorsqu’un seuil réglementaire est atteint, le salarié bénéficiera sur les prochains mois, par précaution, d’un suivi médical adapté.
Dès la détection de la contamination, les locaux dans lesquels le salarié était intervenu ont été contrôlés. Ils n’ont montré aucune trace de contamination particulière, l’origine de l’événement est donc une contamination ponctuelle. Aucun autre salarié présent au même moment dans le bâtiment réacteur n’a été détecté contaminé par les portiques de contrôles lors de leur sortie de la zone nucléaire.
La direction de la centrale de Tricastin a déclaré cet évènement le 14 juin 2024 à l’Autorité de sûreté nucléaire, comme un évènement significatif radioprotection de niveau 1 (incident) de l’échelle INES qui en compte 7, du fait du dépassement du quart de la limite réglementaire annuelle pour la dose peau.
Complément du 27 juin 2024
Le 27 juin 2024, après différents échanges avec l’inspecteur du travail et l’Autorité de sûreté nucléaire, il a été décidé d’intégrer dans l’hypothèse de calcul de l’exposition du salarié la durée totale de son activité dans le bâtiment réacteur. Avec cette hypothèse, le calcul de l’exposition conduit à un dépassement de la limite réglementaire annuelle autorisée pour la « dose peau ».
La prise en compte d’hypothèses majorantes supplémentaires et les conservatismes de la méthode d’évaluation amènent à réévaluer l’événement au niveau 2.
Contamination externe d’un intervenant conduisant au dépassement de la limite annuelle réglementaire pour la dose équivalente reçue par la peau.
Publié le 01/07/2024
Centrale nucléaire du Tricastin Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 13 juin 2024, l’exploitant de la centrale nucléaire de Tricastin a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire un évènement significatif relatif à la radioprotection concernant le dépassement potentiel d’une limite réglementaire annuelle de dose individuelle, pour un intervenant d’une entreprise extérieure.
Le 6 juin 2024, un intervenant réalisait, dans le bâtiment du réacteur 4, à l’arrêt pour maintenance et rechargement en combustible, une opération de repose de calorifuges.
Lors du contrôle réalisé à la sortie du bâtiment réacteur, une contamination a été détectée au niveau du pied de l’intervenant. L’agent a été immédiatement pris en charge par le service médical, qui a retiré la particule radioactive à l’origine de cette contamination.
Pour les travailleurs susceptibles d’être exposés aux rayonnements ionisants lors de leur activité professionnelle, les limites réglementaires annuelles de doses sont, pour douze mois consécutifs, de 20 milliSieverts pour le corps entier et de 500 milliSieverts pour une surface de 1 cm² de peau.
La dose reçue par l’intervenant a été estimée, notamment par l’exploitant et la médecine du travail, sur la base d’hypothèses défavorables en termes de durée d’exposition. Elle est potentiellement supérieure à la limite annuelle réglementaire au niveau de la peau.
Malgré les investigations menées sur le parcours suivi par l’intervenant, les zones ou les points de contamination qui ont pu être à l’origine de cette contamination n’ont pas pu être déterminés.
L’ASN a conduit une inspection réactive, le 20 juin 2024, qui a montré que les dispositions prises vis-à-vis du salarié étaient adaptées mais que l’origine de cette contamination restait indéterminée. Aussi, de manière conservatoire, il a été retenu que le salarié a pu être contaminé dès son entrée dans le bâtiment réacteur. Dans ce cas, la dose susceptible d’avoir été reçue par le salarié est supérieure à la limite annuelle réglementaire au niveau de la peau.
En raison du dépassement d’une limite réglementaire annuelle d’exposition pour un travailleur, cet événement a été classé au niveau 2 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques).
Inspection du 20/06/2024 - Centrale nucléaire du Tricastin Réacteurs de 900 MWe - EDF
Déclaration à l’ASN d’un événement significatif pour la radioprotection le 14 juin 2024
Télécharger le rapport d’inspection : INSSN-LYO-2024-0485.pdf
Extrait (page 2) :
(...) l’ASN considère que le délai de déclaration de l’événement est en écart par rapport au délai réglementaire et que des mesures devront être prises afin d’assurer des déclarations dans des délais plus courts.
(...) concernant la durée d’exposition prise en compte pour l’évaluation de la dose, l’ASN considère que les hypothèses prises par le CNPE ne sont pas enveloppes de la dose susceptible d’avoir été reçue, le moment de la contamination n’ayant pas pu être déterminé.
Pour le calcul d’une dose à la peau, l’une des hypothèses importantes à prendre en compte est le temps d’exposition de la personne exposée à la contamination. En effet, la dose reçue par le salarié est directement proportionnelle à la durée d’exposition.
Pour cet événement de contamination, l’exploitant a réalisé une enquête auprès du salarié afin de déterminer les activités qu’il a réalisées au cours de son séjour en zone contrôlée. Cependant, les investigations n’ont pas permis d’identifier le lieu de contamination du salarié ni son moment. En effet, l’ensemble des activités réalisées l’ont été dans des zones considérées non contaminées au vu des contrôles réalisés la veille, le jour de la contamination et le lendemain de cette contamination.
L’exploitant a fait le choix de prendre l’hypothèse d’une contamination lors d’une activité réalisée à proximité du générateur de vapeur n° 3 du réacteur n° 4 pour déterminer la durée d’exposition du salarié, prenant en compte des avis du service prévention des risques, du service donneur d’ordre et des préventeurs de l’entreprise extérieure.
L’ASN considère que le lieu et le moment de la contamination n’ayant pas pu être identifiés, l’hypothèse prise par l’exploitant n’est pas enveloppe de la durée possible de la contamination. En l’absence d’éléments sur la localisation et le moment de la contamination, le début de l’exposition retenu pour le calcul de la durée d’exposition doit être le dernier moment où le salarié aurait pu identifier cette contamination, à savoir le moment de son dernier contrôle, et prendre les actions protectrices nécessaires à la limitation de cette contamination.
Demande I.1 : Réaliser, avant le 1 juillet 2024, une réévaluation de la dose à la peau reçue par le salarié en prenant en compte comme début de la contamination le dernier moment où il aurait pu identifier cette ontamination.
[1] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[2] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES