Faire un don

Des accidents nucléaires partout

France : Tricastin : Problèmes sur le système d’arrêt d’urgence

Matériel défectueux et grappes de commandes mal positionnées, le réacteur 3 arrêté




28 octobre 2021


EDF a été contraint d’arrêter le réacteur 3 de la centrale nucléaire du Tricastin (Rhöne-Alpes) le 22 octobre 2021. Un problème est survenu lors d’un essai de manœuvrabilité des grappes de commande, le dispositif qui permet l’arrêt immédiat du réacteur nucléaire. Et pour cause : non seulement un matériel était défectueux, mais en plus les grappes de commande étaient mal positionnées. Pourquoi, comment, depuis quand ? EDF ne le dit pas.


Les grappes de commande sont des barres de contrôles [1] . Faisant environ 4 mètres de long, elles sont faites d’une matière qui absorbe les neutrons. Plus ou moins enfoncées dans la cuve, elles permettent ainsi de moduler la réaction nucléaire, donc de contrôler la puissance du réacteur. La chute de certaines de ces grappes dans la cuve permet les arrêts en urgence. Sachant qu’il n’existe que 2 moyens de contrôler un réacteur nucléaire, ces grappes étant l’un d’eux, on comprend toute l’importance qu’elles ont. Elles, leur manœuvrabilité et leur position.

Lors d’un essai sur ces grappes de commande le 22 octobre, une alarme retenti dans la salle de commandes du réacteur 3 du Tricastin. Il y a un problème de manœuvre de grappes. EDF ne dit pas lequel, et d’ailleurs sur le coup il ne mentionnera même pas les grappes de commande, pas plus que le déclenchement d’une alarme. Il évoquera seulement la "détection d’un dysfonctionnement sur un mécanisme de commande" lors d’un essai périodique et l’arrêt du réacteur nucléaire pour remplacer un "matériel défectueux". S’agit-il du mécanisme qui permet de manœuvrer les grappes de commandes ? Mécanismes qui s’étaient bloqués sur certains réacteurs en raison de l’usure prématurée d’une pièce il y a quelques années ? Rien dans le communiqué d’EDF ne permet de le dire  [2].

Ce n’est que 6 jours plus tard que le grand public aura plus de précisions de la part de l’exploitant nucléaire. Une fois que tout est terminé et que le réacteur 3 est redémarré. L’essai en question était bien un essai sur les grappes de commande, et spécifiquement sur celles qui permettent l’arrêt immédiat de la réaction nucléaire. Il y a bien eu un problème de manœuvre lors de cet essai (la chute des grappes n’était pas assez rapide ? Ne s’est pas déclenchée ? EDF ne le dit pas). Un matériel défectueux a été remplacé (sans qu’on sache lequel). Mais lorsque les équipes ont ensuite vérifié la position des grappes, elles se sont rendues compte que certaines étaient trop enfoncées dans le cœur du réacteur, elles étaient insérées au delà de la limite fixée dans les règles de l’Autorité de sûreté nucléaire. Matériel défectueux sur une ou des grappes d’arrêt, mais aussi erreur de positionnement des grappes de commande donc. Comment est-ce possible ? Étant donné leur importance, ces grappes - et leurs positions - devraient être minutieusement vérifiées, au centre des attentions de l’exploitant.
Comment, pourquoi et depuis quand était-ce le cas ? EDF ne le dit pas. Pas plus qu’il ne dit les conséquences du matériel défectueux et du mauvais positionnement des grappes s’il avait fallu arrêter en urgence la réaction nucléaire. L’industriel a déclaré les faits à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) 3 jours plus tard, le 26 octobre et l’incident a été classé comme significatif [3] pour la sûreté [4]. Le grand public lui ne sera informé que le 28 octobre, par un communiqué qui résume les faits au "Non-respect d’une spécification technique d’exploitation".

Ce que dit EDF :

Non-respect d’une spécification technique d’exploitation

Evénement sûreté

Publié le 28/10/2021

Le 21 octobre les équipes de la centrale du Tricastin réalisent un essai périodique pour vérifier le bon fonctionnement d’un mécanisme de commande appelé « grappes d’arrêt » [5] du réacteur n°3, alors en fonctionnement. Ces grappes permettent, en cas de besoin, de stopper la réaction nucléaire en 2 secondes en les insérant dans le cœur du réacteur. Lorsque le réacteur est en fonctionnement, les grappes doivent respecter un certain niveau de positionnement et ne doivent pas être insérées au-delà d’une limite prescrite.

Durant l’essai, une alarme apparaît en salle de commande signalant un dysfonctionnement lors de la manœuvre des grappes. Les équipes recherchent l’origine du défaut et manœuvrent les grappes qui sont insérées et extraites à plusieurs reprises, puis, conformément aux spécifications techniques d’exploitation, la puissance du réacteur est baissée pour réaliser un diagnostic. Celui-ci confirme le défaut de position des grappes et le réacteur est arrêté comme le préconise les procédures.

L’équipement à l’origine du défaut est remplacé en toute sûreté le 22 octobre. Les équipes réalisent ensuite un contrôle de positionnement des grappes et constatent que certaines grappes se sont insérées au-delà de la limite prescrite par les spécifications techniques d’exploitation. Une intervention permettant de remettre les grappes concernées au positionnement attendu est alors réalisée. Le réacteur a ensuite été reconnecté au réseau électrique le 23 octobre.

Cet événement n’a pas eu d’impact réel sur la sûreté de l’installation. Toutefois, il constitue un non-respect des règles générales d’exploitation et a été déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire le 26 octobre 2021, comme événement significatif de sûreté de niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-du-tricastin/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-du-tricastin/non-respect-d-une-specification-technique-d-exploitation


Ce que dit l’ASN :

L’Autorité de sûreté nucléaire donnera un peu plus de précisions dans un communiqué publié le 2 novembre 2021. D’abord sur le matériel défectueux  : il s’agissait d’un système électrique nécessaire à la surveillance de la position des grappes. Ensuite sur le mauvais positionnement : 4 grappes de commande de sécurité avaient une position décalée de plusieurs centimètres par rapport à ce qui aurait dû. En revanche, sur l’origine de ces erreurs de positionnement des grappes de commandes, là non plus aucune explication. Petite précision toutefois : suite au défaut du système de surveillance, EDF n’a identifié que la mauvaise position d’une seule grappe de commande, passant à côté du mauvais positionnement des 3 autres. Non seulement le système de surveillance était défectueux, les grappes mal positionnées, mais en plus les vérifications de l’industriel se sont avérées insuffisantes. Et comme EDF n’a pas détecté que c’était tout un sous-groupe de grappes qui étaient mal positionné, l’exploitant n’a pas suivi les consignes de sécurité qui imposent, dans une telle situation, d’arrêter le réacteur nucléaire dans l’heure.

Défaut de positionnement de quatre grappes de sécurité

Publié le 02/11/2021

Centrale nucléaire du Tricastin Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 27 octobre 2021, l’exploitant de la centrale nucléaire de Tricastin a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté, relatif à un décalage de position des grappes de commande de sécurité du réacteur 3 pendant une durée supérieure à celle autorisée par les spécifications techniques d’exploitation.

Pour contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur, l’exploitant a la possibilité d’introduire ou de retirer des grappes de commande. Ces grappes contiennent des matériaux absorbant les neutrons. En marche normale du réacteur, certaines grappes doivent être maintenues à un niveau suffisant à l’extérieur du cœur, fixé par les spécifications techniques d’exploitation. Cette exigence permet de garantir que leur chute puisse étouffer efficacement la réaction nucléaire en cas d’arrêt d’urgence.

Le 21 octobre 2021, à la suite de l’apparition d’un défaut sur un système électrique nécessaire à la surveillance de la position des grappes de sécurité du réacteur, la réalisation d’un diagnostic a conduit à un décalage de quelques centimètres de la position d’un sous–groupe de grappes de sécurité, constitué de quatre grappes. La raison de ce décalage reste à analyser.

à la suite d’un doute sur la position d’une des grappes du sous-groupe en question, l’exploitant a identifié un défaut de positionnement d’une grappe de commande mais pas du sous-groupe complet. Cependant, la conduite à tenir en cas de défaut de positionnement d’un sous-groupe complet était d’engager la mise à l’arrêt du réacteur sous une heure, délai qui n’a de fait pas été respecté.

Le 22 octobre 2022, à l’issue de la réparation du système électrique à l’origine du défaut initial, l’exploitant a identifié et corrigé le défaut de positionnement du sous-groupe de grappes de sécurité.

Cet événement n’a pas eu de conséquence immédiate sur l’installation, le personnel ou l’environnement. Toutefois, il a entraîné une diminution des marges disponibles pour maîtriser la réaction nucléaire en cas de situation accidentelle nécessitant la chute des grappes.

En raison d’un défaut de positionnement de grappes de commande pendant une durée supérieure à celle autorisée par les spécifications techniques d’exploitation, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle internationale des événements nucléaires INES.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/defaut-de-positionnement-de-quatre-grappes-de-securite


[1Pour contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur, l’exploitant dispose de deux moyens principaux : - ajuster la concentration de bore dans l’eau du circuit primaire, le bore ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire, - introduire les grappes de commande dans le cœur ou les en retirer, ces grappes de commande contiennent des matériaux absorbant les neutrons. II convient, en marche normale du réacteur, de maintenir certaines grappes à un niveau suffisant, fixé par les spécifications techniques, d’une part pour que leur chute puisse étouffer efficacement la réaction nucléaire en cas d’arrêt d’urgence, d’autre part pour assurer une bonne répartition du flux de neutrons. https://www.asn.fr/Lexique/G/Grappes-de-commande

[2Actualités de l’unité de production N°3 - Publié le 22/10/2021 :
Après un essai périodique, les équipes de la centrale du Tricastin ont procédé à l’arrêt de l’unité de production N°3 le 22 octobre 2021, suite à la détection d’un dysfonctionnement sur un mécanisme de commande. Le matériel défectueux nécessite une intervention pour le remplacer en toute sûreté. https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-du-tricastin/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-du-tricastin/actualites-de-l-unite-de-production-ndeg3

[3Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif

[4La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[5Le réacteur est équipé de 61 grappes de contrôle neutrophages (grappes de régulation de la puissance nucléaire et grappes d’arrêt), qui font environ 4 m de longueur.


La surveillance des installations nucléaires au quotidien ? C’est grâce à vos dons que nous pouvons la mener !
Pour surveiller au jour le jour les incidents dans les installations nucléaires, les décrypter et dénoncer les risques permanents qui sont trop souvent minimisés - voire cachés par les exploitants, nous mobilisons tout au long de l’année des moyens humains et techniques.
Pour continuer ce travail de lanceur d’alerte et donner, au plus proche de leur survenue, des informations sur les inquiétants dysfonctionnements d’un parc nucléaire vieillissant, nous avons besoin de votre soutien financier !

Faire un don



Installation(s) concernée(s)

Tricastin

Nombre d'événements enregistrés dans notre base de données sur cette installation
134