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Des accidents nucléaires partout

France : Saint-Alban : Le débit du Rhône mesuré au mauvais endroit depuis 8 ans

Manque de compétences, de surveillance et de réactivité : le peu de cas que EDF fait de l’environnement et des règlements




11 mars 2024


Les faits donnent de quoi douter du sérieux avec lequel EDF surveille l’environnement et les impacts de sa centrale nucléaire de Saint-Alban (Isère). Et des compétences de l’industriel. Et de son souci du respect de la réglementation. Depuis 2016, EDF mesurait le débit du Rhône en aval du site nucléaire, et non en amont. Le débit du fleuve conditionne pourtant les autorisations de prélèvements et de rejets de la centrale dans l’environnement.


Crédit photo : André Paris

Les centrales nucléaires ont besoin de très importants volumes d’eau pour leur fonctionnement. Une partie de cette eau est rendue au milieu naturel beaucoup plus plus chaude. D’autant plus quand, comme la centrale de Saint-Alban, elles n’ont pas de tours de refroidissement  [1] . Quand les fleuves et les rivières ont un niveau bas, les prélèvements d’eau et ces rejets chauds ont des impacts sévères sur les écosystèmes. C’est pourquoi il existe des limites de débit et de températures au-delà desquelles les centrales ne peuvent plus prélever d’eau froide ni rejeter d’eau chaude dans l’environnement. Pour s’assurer de respecter ces limites, les paramètres concernés, température et débit du cours d’eau, doivent être surveillés. Ce sont ces mesures que la centrale de Saint-Alban a fait au mauvais endroit depuis 8 ans : le débit du fleuve était mesuré non pas en amont du site nucléaire, mais après. Les mesures étaient donc faussées par les prélèvements et les rejets du site industriel, alors qu’elles doivent servir de base pour définir si le site a l’autorisation de prélever et de rejeter dans le fleuve.

Qu’à cela ne tienne direz-vous, le débit était surveillé après les prélèvements du site dans le fleuve, et alors ? Au pire, la mesure était minorée : le débit mesuré tenait compte du volume d’eau pompé, donc tant qu’il n’était pas trop bas, les limites étaient respectées. Oui, c’est vrai. Mais il n’y a pas que de l’eau chaude que les centrales nucléaires déversent dans les cours d’eau ou la mer. Il y a aussi ce qu’on appelle les effluents, des déchets liquides produits par leur fonctionnement des réacteurs. Des mélanges d’eau, de produits chimiques, de métaux, de substances radioactives et même des boues. Ces volumes d’effluents que EDF déverse aussi dans l’environnement ont donc été pris en compte par le capteur situé à l’aval du site nucléaire qui mesurait le débit du fleuve. Qui plus est, pour procéder à ces rejets, EDF est censé prendre en compte le débit du fleuve : s’il n’y a pas assez d’eau, les effluents ne pourront pas être assez dilués pour diminuer leur effet nocif sur le milieu naturel. C’est d’ailleurs la raison d’être des réglementations régissant les prélèvements et les rejets effectués dans l’environnement, limiter les effets négatifs sur la faune et la flore environnante.

On comprend toute l’importance de la surveillance de l’environnement et particulièrement des températures et des débits des cours d’eau. Que la centrale de Saint Alban mesure depuis 8 ans le débit au mauvais endroit est incompréhensible et inacceptable. Non seulement une erreur a été commise lors des branchements de ces capteurs, ce qui met en doute les compétences techniques mises en oeuvre pour cette l’intervention, mais l’erreur n’a pas été détectée durant près d’une décennie, ce qui pointe un manque de surveillance et de vérifications. On se demande bien ce que faisait le service Technique et Environnement durant tout ce temps. C’est dire l’importance que EDF semble accorder à la fiabilité de ses systèmes de mesure, à la surveillance de l’état du milieu naturel et au respect de la réglementation. L’industriel est pourtant censé en tenir compte et adapter le fonctionnement de son installation industrielle en fonction.

Le communiqué d’EDF ne parle pas des mesures de température de l’eau. Il n’explique pas non plus pourquoi l’erreur n’a pas été détectée plus tôt, ni comment elle a pu être commise. Il ne mentionne pas non plus de vérifications qui seraient entreprises sur le site nucléaire pour détecter d’autres possibles erreurs similaires. Il prend soin de préciser en revanche que, après analyse a posteriori des 8 dernières années de rejets, il n’y a pas eu d’impact, le débit étant, en moyenne sur 24 heures, le même en amont et en aval de la central. Sauf que sur ces 24 heures, il peut y avoir des différences qu’une moyenne ne permet pas de voir.
On notera enfin que c’est à la mi-mars 2024 que EDF annonce les faits au public, alors qu’il a fait cette découverte en janvier et qu’elle n’a été déclarée que mi-février à l’Autorité de sûreté. Surveillance de l’environnement et réactivité ne sont certainement pas les domaines d’excellence de l’exploitant nucléaire.

Ce que dit EDF :

Synthèse des événements déclarés à l’Autorité de sûreté nucléaire - mois de janvier et février 2024

Publié le 11/03/2024

Comme toutes les centrales nucléaires, la centrale de Saint-Alban Saint-Maurice a besoin d’eau pour le fonctionnement et le refroidissement de ses installations. Cette eau est prélevée dans le Rhône et intégralement restituée en aval. Ces prélèvements et rejets sont strictement encadrés par une décision de l’Autorité de sûreté nucléaire. Ce texte réglementaire, propre à la centrale de Saint-Alban Saint-Maurice, fixe les limites et conditions de prélèvement et de rejet de l’eau du Rhône, ainsi que des effluents liquides produits dans le cadre de l’exploitation du site. Dans ce cadre, deux stations de mesure, positionnées à l’amont et à l’aval de la centrale, permettent de mesurer en continu le débit du cours d’eau.

En janvier 2024, le service Technique et Environnement a mis en évidence que depuis 2016, le débit de référence pris en compte par la centrale dans la surveillance des rejets liquides, était mesuré par un capteur situé en aval de la centrale. Or, la décision ASN demande que soit pris en compte le débit mesuré en amont.

Dès détection, le capteur de débit amont a été considéré comme le capteur de référence.

L’analyse réalisée a posteriori sur les rejets liquides réalisés depuis 2016 a démontré que cette inversion du capteur de référence n’a pas eu d’impact réel sur l’environnement, le débit du Rhône étant, en moyenne journalière, similaire à l’amont et à l’aval du site.

Cette situation, qui constitue un écart à la règlementation environnementale, a été déclarée à l’Autorité de sûreté nucléaire le 14 février 2024 comme un événement significatif environnement.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-saint-alban-saint-maurice/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-saint-alban/vie-industrielle-synthese-des-evenements-declares-a-lautorite-de-surete-nucleaire-mois-de-janvier-et-fevrier-2024


[1Les réacteurs nucléaires qui sont en circuit ouvert pompent énormément d’eau froide, environ 50m3/seconde (contre 2m3/sec pour celles en circuit fermé, dotées de tours aéroréfrigérantes), l’utilise pour leur refroidissement et la rejette ensuite extrêmement chaude dans le milieu naturel, sans la refroidir avant. Voir cet article de Reporterre pour plus de détails : Économiser l’eau des centrales nucléaires : le projet discutable de Macron, 25 avril 2023.


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Installation(s) concernée(s)

Saint-Alban

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75