26 juillet 2024
Le sinistre est survenu fin mai 2024 et la pollution quelques jours plus tard. Mais EDF ne s’en est pas aperçu immédiatement. C’est 2 mois après que la centrale nucléaire de Paluel (Normandie) annonce avoir rejeté dans la Manche près de 700 m3 d’eaux polluées, lourdement chargées d’hydrocarbures.
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Neuf fois la concentration maximale autorisée en hydrocarbures (46 mg/L au lieu de 5 [1]
), c’est ce que contenait les 691 000 litres d’eaux souillées déversés par EDF dans la mer de la Manche le 30 mai 2024. Ces eaux avaient été utilisées pour éteindre l’incendie du transformateur électrique du réacteur 3 survenu le 28 mai.
De débordements en débordements (car toutes les rétentions prévues ont été saturées tant le volume d’eau utilisé était important), une partie de cette eau s’est retrouvée dans un réservoir qui n’était pas prévu pour ça. Et quand il a fallu faire de place, EDF a vidé le réservoir dans la nature, sans vérifier la teneur en hydrocarbures.
Les eaux étaient non seulement chargées des produits chimiques utilisés pour éteindre les incendies (émulseur), mais aussi d’huiles et de dérivés de pétrole (provenant du transformateur mais aussi du fait d’avoir transité dans le déshuileur, qui permet normalement de collecter ces substances dans les eaux issues de la salle des machines), ainsi que de résidus issus de la combustion du transformateur électrique. Ces eaux ont ruisselé dans la salle des machines, polluant au passage toute la zone. Elles se sont déversés dans des puits, mais ceux-ci ayant été vite remplis, EDF en a envoyé une partie dans une autre cuve. Quand il fallu la vider, des analyses ont bien été faites pour vérifier la teneurs en polluants, mais pas sur les hydrocarbures car cette cuve n’est pas censée en contenir. Et personne n’a songé au fait qu’elle avait été utilisée pour collecter des eaux de l’incendie survenu 2 jours plus tôt qui avaient de surcroît transité par le système de collecte des hydrocarbures de la salle des machines. EDF a donc fait les analyses réglementaires, et s’en est tenu là. Et a donné l’autorisation pour vider 691 m3 du contenu de la cuve dans la mer.
Ce n’est qu’en faisant une analyse approfondie des faits survenus lors de l’incendie que EDF a réalisé avoir vidangé une partie des eaux d’extinction en milieu naturel sans avoir analysé tous les contenus potentiels. Un échantillon de ce qu’il restait dans la cuve a été analysé : il contenait 46 mg/litre d’hydrocarbures. Le calcul est simple [2] : au total 32 kg d’hydrocarbures ont été balancés dans la mer. Parce que l’industriel n’a pas fait preuve d’un minimum d’esprit d’analyse et de réflexion avant de vidanger son réservoir dans la nature.
Cet incendie du 28 mai 2024, demeure pour l’heure inexpliqué, mais ce n’est pas le premier. Déjà en avril 2021, le même problème était survenu et avait impacté 2 réacteurs du site nucléaire. EDF suspecte que le même souci soit à l’origine des 2 incendies.
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est venue mener une inspection juste après ce second incendie fin mai et a souligné la récurrence de l’incident. Dans son rapport publié mi-juin, l’ASN fait état de plusieurs débordements des différentes cuves et autres rétentions. De fortes pluies à ce moment-là ont aussi saturé le réseau d’eaux pluviales, censé être utilisé en secours pour y stocker les eaux d’extinction. L’ASN questionnait donc les capacités de stockage disponibles sur le site pour contenir les eaux et éviter une inondation de la centrale. Et ce alors que le problème avait déjà été souligné lors de l’incendie de 2021 et que EDF s’était engagé à faire des études et à réaliser les travaux nécessaires. En 3 ans, rien ne semble avoir changé. Et les problèmes se répètent.
Si EDF ne tire pas de leçon du passé, si l’industriel ne tient pas ses engagements et s’il ne fait pas preuve d’un minimum de bon sens et de réflexion, les incendies continueront, et les pollutions aussi. Pour avoir déversé en toute illégalité près de 32 kilos de polluants dans le milieu marin, EDF a déclaré le 24 juillet 2024 un évènement significatif pour l’environnement [3].
L.B.
Défaut de gestion d’une partie des eaux d’extinction d’incendie du transformateur principal de l’unité de production n°3
Publié le 26/07/2024
Evénement environnement
Mardi 28 mai 2024, vers 1h50, l’unité de production n°3 est en fonctionnement lorsqu’un feu se déclare au niveau du transformateur principal [4] , situé hors zone nucléaire. Les équipements nécessaires à l’extinction du feu sont automatiquement mis en service.
Tel que prévu à la conception du site, les eaux d’extinction du système automatique sont intégralement orientées, par écoulement gravitaire, vers une cuve de rétention qui est un système de recueil des huiles et des effluents hydrocarburés, située dans la salle des machines. En cas de débordement, les eaux se déversent de façon naturelle dans le fond de la salle des machines, utilisé comme rétention étanche, puis dans deux puisards, via des regards.
Le 28 mai, dans la nuit, les équipes de la centrale mettent en service les pompes de relevage de ces puisards. Les effluents sont alors conduits vers un réservoir de rétention, dédié au stockage et à l’analyse avant rejet d’effluents issus de la salle des machines. En début de matinée, les eaux et hydrocarbures collectés dans le fond de la salle des machines sont pompés et évacués vers une filière d’élimination adaptée.
Le 28 mai, en milieu de matinée, dans le cadre d’une opération d’exploitation, les équipes de la centrale mettent en service la pompe de relevage de l’un des deux puisards situés en fond de salle des machines. Les effluents du puisard sont acheminés vers un autre réservoir de rétention.
Le 30 mai, des analyses réglementaires sont réalisées sur le contenu de ce réservoir de rétention. Les hydrocarbures ne sont pas recherchés car ils ne font pas partie des analyses réglementaires. Il n’est pas identifié que le réservoir contient un résidu d’eaux d’extinction de l’incendie. Après autorisation interne, le contenu est rejeté en mer.
L’analyse de l’événement relatif à l’incendie du pôle du transformateur principal réalisée a posteriori, met en évidence que le réservoir de rétention rejeté en milieu naturel contenait un résidu d’eaux d’extinction de l’incendie et d’hydrocarbures. L’analyse en hydrocarbures menée a posteriori sur un échantillon des effluents contenus dans le réservoir montre une concentration en hydrocarbures de 46mg/l pour un volume rejeté de 691m3.
Cet événement a été déclaré par la centrale nucléaire de Paluel le 24 juillet 2024 comme un événement significatif pour l’environnement dans le cadre d’un rejet d’effluents par une voie non dédiée.
Inspection du 28/05/2024 (rapport publié le 14 juin 2024)
Centrale nucléaire de Paluel Réacteurs de 1300 MWe - EDF
Incendie du transformateur principal du réacteur n° 3 (INSSN-CAE-2024-0238.pdf)
Extraits :
L’inspection réactive en objet a été réalisée à la suite de l’incendie de l’un des pôles du transformateur principal du réacteur n°3 du CNPE de Paluel survenu dans la nuit du 27 au 28 mai 2024. (...) Au jour de l’inspection, de nombreux points restaient encore à clarifier. Le CNPE y a apporté des réponses dans les jours qui ont suivi l’inspection. Néanmoins, l’organisation du site vis-à-vis de la maîtrise du risque incendie nécessite la prise en compte du retour d’expérience lié à cet évènement. De plus, le fait qu’un incident du même type ait eu lieu en 2021 (incendie d’un pôle du transformateur principal du réacteur n°1 le 4 avril 2021) nécessite une analyse poussée et la mise en place de mesures correctives efficaces de la part du site. Enfin, les inspecteurs estiment que la traçabilité des actions engagées et du suivi des opérations doit être renforcée dans le cadre de la passation d’astreinte entre les différents intervenants.
Origine de la perte du transformateur principal du réacteur n° 3
Le jour de l’inspection, les causes de l’incendie et la durée d’indisponibilité du réacteur n°3 n’étaient pas connues. Par la suite, vos représentants ont indiqué qu’a priori l’origine de cet incendie pourrait être identique à celle de l’incendie de 2021. Une expertise du transformateur doit être menée afin d’identifier les causes de l’incendie.
(...)
Gestion des effluents liquides et des déchets
L’article 4.1.1 de l’arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de
base prévoit également que « l’exploitant [prenne] toute disposition pour éviter les écoulements et rejets dans l’environnement non prévus. »
Lors de l’inspection, les inspecteurs ont souhaité connaitre le détail des dispositions prévues pour assurer la collecte des eaux d’extinction d’incendie au niveau de la plateforme du transformateur principal (TP). Ils ont notamment questionné vos représentants sur les moyens de collecte des effluents, les capacités de rétention et les systèmes de récupération ultime en cas de débordement.
Lors de l’évènement, le système automatique d’extinction du pôle TP et une lance incendie (eau + émulseur) ont été utilisés pour éteindre l’incendie. Les eaux d’extinction contenant notamment de l’émulseur et l’huile du transformateur ont majoritairement été recueillis dans la capacité de rétention 3SEH001BA. Un débordement de cette capacité de rétention, située sous le transformateur, a néanmoins conduit à une pollution de la salle des machines et du réseau SEK [5] (puisards 3SEK011BA et 3SEK012BA). Par ailleurs, une partie de ces effluents issus des eaux d’extinction a été transférée in fine dans la cuve 0SEK103BA qui assure en fonctionnement normal, le stockage des effluents liquides issus de la salle des machines et des auxiliaires généraux. Des échantillons des eaux collectées dans ce réservoir ont été envoyés pour analyse, et permettront de statuer sur le mode de traitement de ces eaux.
Vos représentants ont indiqué qu’il a ensuite été procédé à un envoi des effluents du puisard 3SEH001BA vers la fosse 0SEH111BA du déshuileur de site. Le déshuileur de site étant arrivé au niveau maximum, les pompes SEH [6] des 4 réacteurs ont été débrochées afin de ne pas générer de débordement du déshuileur. Des prélèvements pour analyse ont été réalisés sur les effluents contenus dans la fosse 0SEH111BA et ont été transmis à l’ASN suite à l’inspection. Des analyses complémentaires devront cependant être réalisées sur le déshuileur 0SEH111BA afin de confirmer le respect des modalités de rejet préalablement à sa vidange.
(...)
Une partie des eaux d’extinction incendie a également été collectée par le réseau d’eau pluviale SEO (réseau SEO). Ces effluents sont issus de la mise en œuvre de moyens d’extinction complémentaires.
Comme prévu dans votre référentiel, la vanne pelle 0SEO003BU a été fermée dès le début de l’événement, permettant ainsi d’isoler le site vis-à-vis du milieu extérieur.
Cependant, ce réseau SEO a rapidement été saturé compte-tenu des pluies abondantes. Pour éviter tout débordement, vos équipes ont délesté le réseau SEO en ouvrant légèrement la vanne pelle, de manière à retenir le « surnageant » qui a été pompé en parallèle par une entreprise prestataire.
Les inspecteurs s’interrogent sur la capacité du système SEO à assurer sa fonction vis-à-vis du risque d’inondation externe, notamment en cas de fortes pluies comme le jour de l’événement.
En 2021, le site de Paluel devait encore réaliser certaines études et travaux afin de remettre en conformité l’ensemble de ses installations vis-à-vis des exigences fixées par l’article 4.3.6-I de la décision n° 2013-DC-0360 de l’ASN du 16 juillet 2013 relative à la maîtrise des nuisances et de l’impact sur la santé et l’environnement des installations nucléaires de base. L’exploitant s’était d’ailleurs engagé dans la réponse apportée à l’inspection INSSN-CAE-2021-0168 du 6 avril 2021 à repréciser certains éléments dans l’étude visant notamment à « mettre en place des modifications organisationnelles ou matérielles pour garantir le confinement en situation de pluie ».
Retour d’expérience de cette situation
(...)
Les inspecteurs n’ont pu obtenir l’intégralité des informations relatant avec précision le déroulement de l’événement. Lors de l’inspection, aucune main courante claire n’était disponible concernant le déroulement des opérations, l’arrivée sur site des véhicules de secours ainsi que les autres évènements liés à cette intervention. Un résumé succinct du cahier de quart via une fiche de constat « caméléon » a néanmoins été transmis le jour de l’inspection.
De plus, lors de l’inspection, les inspecteurs ont relevé certaines incohérences dans le suivi des informations transmises en réunion de groupe, des prises de décision relatives à la gestion des effluents et le suivi des déchets générés lors l’incendie en raison d’un manque de traçabilité des échanges entre acteurs lors de la passation d’astreinte.
(...)
Télécharger l’intégralité du rapport d’inspection :
[1] Les sites industriels ont des autorisations qui fixent les modalités et les limites de rejets de substances chimiques et ou radioactives dans l’environnement. Pour chaque substance, un moyen de rejet et une quantité est définie. Pour les hydrocarbures, les rejets se font par des canalisations spécifiques, et la limite réglementaire est fixée à 5 mg/litre (voir l’incident significatif déclaré par EDF Flamanville en avril 2024)
[2] 691 m3 = 691 000 litres
691 000 litres * 46 mg = 31 786 000 mg, soit 31,786 kg
[3] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[4] Le transformateur principal a vocation à évacuer l’énergie produite par une unité de production, sur le réseau électrique national.
[5] SEK : Comptabilisation et rejets des effluents du circuit secondaire
[6] SEH : Recueil des huiles et des effluents hydrocarbures de la salle des machines