30 octobre 2023
Alors que le réacteur 3 de la centrale nucléaire de Gravelines (Hauts-de-France) était en phase de redémarrage, certaines barres de commande insérées dans la cuve, qui permettent d’ajuster la puissance de réaction nucléaire se bloquent. EDF doit alors jouer sur la concentration en acide borique pour maîtriser la puissance du réacteur. Mais l’industriel n’arrivera pas à le faire dans le temps réglementaire.
Crédit photo : André Paris
Le communiqué de l’exploitant est bref et ne donne que peu de détails sur l’incident survenu lors du redémarrage du réacteur entre le 22 et le 23 octobre 2023. Certaines barres de commande [1]
, qui permettent de moduler la puissance de la réaction nucléaire en étant plus ou moins insérées dans la cuve du réacteur, se sont bloquées. "Dysfonctionnement électrique" précise le communiqué.
Pour gérer la puissance de la réaction en chaîne, l’exploitant nucléaire a deux moyens : les grappes de commande et la concentration en acide borique (bore [2]
) dans l’eau du circuit primaire [3]
, le principal circuit de refroidissement du combustible lorsqu’il est dans la cuve.
Face au blocage d’une partie des grappes de commande, EDF décide de stopper le démarrage et de remettre son réacteur à l’arrêt. Pour ce faire - donc pour stopper la réaction nucléaire en cours dans la cuve - il doit ajuster la dose de bore dans le circuit primaire. Un ajustement qui est normalement fait couramment lorsque le réacteur fonctionne. Mais on ne sait pourquoi (lenteur de détection, mauvaise configuration des circuits, panne matérielle ?) il n’y arrivera pas. En tout cas, pas dans les délais prescrits par les règles qu’il doit appliquer.
L’incident a été déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) comme significatif [4]
pour la sûreté [5]
fin octobre 2023. Même si EDF précise qu’il n’a pas eu de conséquence, il démontre un manque de préparation du redémarrage et des vérifications matérielles faites un peu trop tard, après que EDF ait lancé son réacteur sur les rails. Auxquels s’ajoute qu’une lenteur de réaction, qui a in fine accentué la difficulté de maîtrise de la puissance de son réacteur.
Si EDF n’est pas capable de réagir dans les temps pour garder le contrôle de la puissance d’un réacteur, si EDF lance une réaction nucléaire sans s’être assuré avant qu’il avait tous les outils en main pour la maîtriser, comment peut-il la gérer ?
Déclaration d’un événement significatif pour la sûreté de niveau 1 relatif à la concentration de bore dans le circuit primaire
Publié le 30/10/2023
Le 22 octobre, l’unité N°3 est à l’arrêt pour maintenance programmée. Les essais et contrôles préalables au redémarrage sont en cours.
Des essais physiques sont en cours sur les grappes de commande. Celles-ci, insérées à une profondeur variable dans les tubes-guides des assemblages combustibles, permettent d’ajuster le flux neutronique et de régler la puissance dans le cœur du réacteur.
A 18h55, lors de ces essais, un sous-groupe de grappes se bloque, en raison d’un dysfonctionnement électrique. Après diagnostic, décision est prise de passer la tranche dans le domaine d’exploitation « Arrêt Normal sur Générateur de Vapeur » (AN/GV) le 23 octobre à 2h58.
Dans cette configuration, les Spécifications techniques d’exploitation (STE) requièrent une concentration en bore spécifique dans le circuit primaire. Celle-ci sera atteinte à 4h47, après un délai supérieur à ce qui est demandé par ces mêmes STE.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur la sûreté de l’installation. Il a été déclaré par la direction de la centrale nucléaire de Gravelines le 27 octobre 2023 à l’Autorité de Sûreté Nucléaire au niveau 1, sur l’échelle INES.
[1] Grappes de commande : Pour contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur, l’exploitant dispose de deux moyens principaux : - ajuster la concentration de bore dans l’eau du circuit primaire, le bore ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire, - introduire les grappes de commande dans le cœur ou les en retirer, ces grappes de commande contiennent des matériaux absorbant les neutrons. II convient, en marche normale du réacteur, de maintenir certaines grappes à un niveau suffisant, fixé par les spécifications techniques, d’une part pour que leur chute puisse étouffer efficacement la réaction nucléaire en cas d’arrêt d’urgence, d’autre part pour assurer une bonne répartition du flux de neutrons. https://www.asn.fr/lexique/G/Grappes-de-commande
[2] Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile. https://www.asn.fr/lexique/b/Bore
[3] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[4] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[5] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire