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Des accidents nucléaires partout

France : Générique : Fissures à Penly, fissures ailleurs ?

Corrosion sous contrainte et fatigue thermique : tout est à revoir




8 mars 2023


C’est une fissure de grande ampleur (et surtout de grande profondeur) qui a balayé toute la stratégie qu’EDF a déployée avec l’aval de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) : découverte début 2023 sur une zone qui selon l’industriel, n’était pas sujette à la corrosion sous contrainte (CSC), sur un quart de la circonférence du tuyau, il ne restait que 4 mm de métal (sur 27mm d’épaisseur). Autant dire que la rupture était proche. Alors oui le circuit est doublé, mais puisque les fissures sont dues tantôt à la géométrie des circuits, tantôt aux interventions qui ont été faites dessus, si une ligne est touchée, sa jumelle peut bien l’être aussi. C’est le refroidissement du réacteur nucléaire qui est mis en jeu en cas de rupture de ce circuit (le circuit d’injection de sécurité dit RIS [1] ).


En raison de ce phénomène de CSC découvert à l’automne 2021 sur un des plus récents réacteurs nucléaires d’EDF (Civaux 1), phénomène qui n’était pas censé arriver, l’exploitant avait officiellement déclaré un "évènement significatif pour la sûreté [1] " en septembre 2022. Classé au tout premier niveau de l’échelle internationale [2] , celui-ci ne concernait qu’un périmètre très restreint : 4 réacteurs seulement (Civaux 1, Chooz 1, Penly 1, Cattenom 3). La fissure découverte début 2023 sur Penly 1 change la donne et propulse au niveau supérieur la gravité de l’évènement. Les conséquences au plan de la sûreté sont telles que pour Penly 1, ce n’est plus une simple "anomalie" mais un "incident" (niveau 2 de l’échelle). Une tuyauterie au bord de la rupture, dont la tenue n’était pas garantie, sans que l’exploitant de l’installation n’en ait connaissance, les faits sont graves. Le périmètre a également été étendu : ce n’est plus seulement 4 réacteurs mais 7 qui sont concernés (Cattenom 3, les 2 réacteurs de Penly, les 2 réacteurs de Chooz, les 2 réacteurs de Civaux).

L’industriel a cru maîtriser la compréhension d’un phénomène qui manifestement lui échappe toujours. Pour EDF, la conception des circuits était le principal facteur initiateur de CSC. Mais puisque la zone fissurée n’était pas censée être sensible au phénomène, il faut bien admettre que là encore, EDF est allé trop vite en besogne. Or toute sa stratégie de contrôle du parc nucléaire a été définie sur ce que EDF a cru comprendre. Avec la bénédiction de l’Autorité de sûreté nucléaire. Tout est donc à revoir. C’est à dire, tous les réacteurs du parc (56). Car remplacer à l’identique des circuits entiers ne résoudra rien : la géométrie des circuits reste la même (facteur de CSC), les soudures doivent être à chaque fois refaite (facteur de CSC). À part repousser le problème à plus tard, générer de nouveaux déchets et imposer des doses de radiations importantes pour les travailleurs (les zones sont proches du cœur des réacteurs et donc hautement irradiantes).

D’autant qu’il n’y a pas que les contraintes qui peuvent corroder les tuyauteries des circuits. La fatigue thermique aussi. C’est d’ailleurs ce qui a été découvert sur l’autre réacteur de Penly et sur le réacteur 3 de Cattenom. Sur des zones elles aussi "sensibles" à la CSC, mais où ce phénomène de fissuration par fatigue thermique n’était pas non plus attendu. L’ASN attend qu’EDF pousse un peu plus ses investigations.
Ce que nous apprend cette nouvelle découverte, c’est que fissures de fatigue thermique et fissures de corrosion sous contrainte peuvent se retrouver au même endroit. Les modèles d’EDF sont clairement pris en défaut. Les démonstrations de sûreté le prévoyait-il ? Absolument pas. La conclusion : ni EDF ni l’Autorité de sûreté ne maîtrisent quoique ce soit. Mais pour autant, les réacteurs nucléaires continuent tous de fonctionner. Sans qu’on ne sache si une tuyauterie quelque part n’est pas sur le point de lâcher [3].

Dans un bref communiqué de presse paru le 16 mars, le "gendarme" indique que plus de 300 soudures doivent être vérifiées, sur tous circuits d’injection de sécurité (RIS) et de refroidissement à l’arrêt (RRA) des réacteurs nucléaires. Une priorisation a été définie. Sur quels principes ? On ne sait pas. Mais ce qu’on sait c’est que ça va prendre beaucoup de temps, d’argent, et générer des doses de radiations supplémentaires pour les intervenants qui devront faire ces vérifications. D’ici la fin de l’année, toutes les soudures n’auront toujours pas été contrôlées. Mais pas question d’arrêter les réacteurs pour autant. Entre sûreté et productivité, l’ASN et EDF ont choisi.

L.B.

Ce que dit l’ASN :

  • Fissure de profondeur importante sur le circuit d’injection de sécurité du réacteur 1 de la centrale de Penly [Mise à jour]

Publié le 08/03/2023

Centrale nucléaire de Penly Réacteurs de 1300 MWe - EDF

Le 6 mars 2023, EDF a transmis à l’Autorité de sûreté nucléaire une mise à jour de sa déclaration d’évènement significatif pour la sûreté relatif à la présence de fissures par corrosion sous contrainte sur plusieurs de ses réacteurs. Cette mise à jour porte sur le réacteur 3 de la centrale nucléaire de Cattenom et les réacteurs des centrales nucléaires de Civaux, Chooz B et Penly.

Cette mise à jour inclut notamment la détection d’une fissure située à proximité d’une soudure d’une ligne située en branche chaude du système d’injection de sécurité (RIS BC) du réacteur 1 de la centrale de Penly. La fissure s’étend sur 155 mm, soit environ le quart de la circonférence de la tuyauterie, et sa profondeur maximale est de 23 mm, pour une épaisseur de tuyauterie de 27 mm.

Cette ligne était considérée par EDF comme non sensible à la fissuration par corrosion sous contrainte en raison notamment de sa géométrie. Toutefois cette soudure a fait l’objet d’une double réparation lors de la construction du réacteur, ce qui est de nature à modifier ses propriétés mécaniques et les contraintes internes du métal au niveau de cette zone.

La présence de cette fissure conduit à ce que la résistance de la tuyauterie ne soit plus démontrée. Toutefois la démonstration de sûreté du réacteur prend en compte la rupture d’une de ces lignes.

Dans cette mise à jour, EDF indique que les contrôles ont également permis de détecter la présence de fissures de fatigue thermique, sur des lignes considérées comme sensibles à la corrosion sous contrainte du circuit d’injection de sécurité (RIS) du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Penly [4] et du réacteur 3 de la centrale nucléaire de Cattenom [5]. Les tuyauteries concernées ont été remplacées dans le cadre du programme engagé par EDF sur les lignes du système RIS des réacteurs de type P’4.

Cet évènement n’a pas eu de conséquence sur le personnel ni sur l’environnement. Néanmoins, il affecte la fonction de sûreté liée au refroidissement du réacteur. En raison de ses conséquences potentielles et de l’augmentation de probabilité d’une rupture, l’ASN le classe au niveau 2 de l’échelle INES en ce qui concerne le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Penly et au niveau 1 pour les autres réacteurs concernés.

EDF met en œuvre un programme de contrôle sur les soudures réparées des systèmes RIS et RRA. Plus de 150 soudures ont fait l’objet d’expertises en laboratoire et les contrôles se poursuivent, avec un programme de contrôle de l’ensemble des réacteurs à partir de 2023.

L’ASN a demandé à EDF de réviser sa stratégie pour tenir compte de ces nouvelles informations. Elle prendra prochainement position sur cette stratégie révisée.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/corrosion-sous-contrainte-a-penly-niveau-2-sur-l-echelle-ines

-* L’ASN précise ses attentes sur la stratégie de contrôle d’EDF face au phénomène de corrosion sous contrainte (CSC)

Publié le 16/03/2023

Communiqué de presse

En décembre 2022, EDF a remis à l’ASN une stratégie de contrôle et de réparation de l’ensemble de ses réacteurs au regard du risque de CSC, pour les années 2023-2025.

Cette stratégie prévoit le remplacement d’ici la fin de l’année 2023 de l’intégralité des tronçons sensibles des lignes considérées comme sensibles à la CSC des réacteurs P’4 [6]., à l’exception du réacteur 4 de Cattenom qui fait l’objet d’analyses spécifiques [7]. L’ASN considère que cette approche est appropriée.

Le 10 mars 2023, EDF a transmis à l’ASN une révision de cette stratégie afin de tenir compte de la découverte récente de défauts de grande profondeur sur le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Penly. Cette découverte concerne une soudure située sur une ligne jusqu’à présent considérée comme non sensible à la CSC, mais ayant fait l’objet de réparations particulières au moment de la fabrication. La stratégie révisée renforce donc le contrôle des soudures réparées.

320 soudures des lignes RIS et RRA ont été identifiées comme ayant fait l’objet de réparations au moment de la construction des réacteurs. La stratégie révisée permettra d’avoir contrôlé, d’ici fin 2023, plus de 90 % des soudures réparées identifiées comme prioritaires par EDF.

L’ASN prend acte de cette évolution de la stratégie et considère qu’il est de la responsabilité d’EDF de la mettre en œuvre. L’ASN, avec l’appui de l’IRSN, poursuit le dialogue technique avec EDF afin de s’assurer de la pertinence du calendrier envisagé.

L’ASN estime par ailleurs que la découverte d’un défaut de fatigue thermique parmi les grands défauts récemment caractérisés, sur une soudure pour laquelle ce mode de dégradation n’était pas attendu, nécessite des analyses complémentaires.

https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/corrosion-sous-contrainte-l-asn-precise-ses-attentes-sur-la-strategie-de-controle-d-edf


Ce que dit EDF :

L’industriel ayant fait le choix de produire un document qu’il est impossible de copier, nous ne pouvons que présenter des captures d’écran de son communiqué. Vous pouvez le télécharger en format PDF bas de page ou aller le consulter directement ici.


[1Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci. Le but de cette manœuvre est d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur. https://www.asn.fr/lexique/R/RIS

[2La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[3INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES

[4La "stratégie" mise au point par EDF et cautionnée par l’ASN a servie de base à établir une liste de réacteurs à contrôler en priorité. Plusieurs réacteurs de modèles similaires et donc sensibles à la CSC n’ont pas encore été contrôlés : Belleville 1 et 2, Nogent 1 et 2, Cattenom 2 et Golfech 2. D’autres comme Cattenom 1 ont été contrôlés mais pas entièrement réparés.

[5Fissure de longueur 57 mm (représentant moins de 10 % de la circonférence) pour une profondeur maximale de 12 mm.

[6Fissure de longueur de 165 mm (représentant environ le quart de la circonférence) pour une profondeur maximale de 4 mm.

[7Il s’agit des 12 réacteurs des centrales nucléaires de Belleville, Cattenom, Golfech, Nogent et Penly

[8Les contrôles réalisés en 2022 sur le réacteur 4 de la centrale de Cattenom n’avaient pas mis en mis en évidence de corrosion sous contrainte. EDF procédera à des contrôles complémentaires en 2023 afin de déterminer si des travaux de remplacement sont nécessaires.


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Installation(s) concernée(s)

Cattenom

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161


Chooz B

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73


Civaux

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74


Penly

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78