27 juillet 2021
Un communiqué laconique, mais qui a le mérite d’exister. Le 27 juillet 2021, on apprend que le 17 juin EDF a déclaré un incident générique pour 20 réacteurs nucléaires à Belleville, Cattenom, Flamanville, Golfech, Nogent-sur-Seine, Paluel, Penly, et Saint-Alban. L’industriel s’est trompé dans les incertitudes implantées dans le SPIN, le système qui calcule la puissance de la réaction nucléaire et surveille sa répartition. Les incertitudes en question ne sont pas conformes avec celles utilisées dans les études menées par EDF pour démontrer la sûreté de ces installations nucléaires.
Il n’est pas précisé quelles incertitudes ont été utilisées dans le SPIN ni celles utilisées dans les démonstrations de sûreté faites par l’exploitant. Mais en toute logique, si déclaration d’incident il y a, c’est que l’écart a posé problème. En d’autres termes, c’est que ces incertitudes sont plus larges, plus importantes que ce qu’elles devraient être. Il en résulte que les données sur lesquelles s’est basé EDF pour piloter ses réacteurs nucléaires n’étaient pas représentatives de ce qu’il se passait réellement dans la cuve. Pas tout le temps précise EDF, dans certaines conditions de fonctionnement uniquement ! Lorsque les grappes de commande sont insérées et que la puissance est intermédiaire - nous voilà pleinement rassuré.es...! D’autant que c’est notamment le déséquilibre axial de la puissance qui a été impacté par l’erreur sur les incertitudes. Le sens de l’effet n’est pas précisé dans le communiqué de l’exploitant, mais encore une fois la logique voudrait que ce déséquilibre ait été sous-estimé. Ce qui n’est pas sans risque ni conséquences, puisque la répartition homogène de la puissance dans la cuve d’un réacteur nucléaire est cruciale. Si des zones se créent où la réaction nucléaire est plus forte et la chaleur plus intense, la réaction nucléaire et son arrêt potentiel seront beaucoup plus difficile à contrôler
[1].
Dans un cas comme dans l’autre, se baser sur des informations de niveau de puissance et de répartition du flux neutronique dans la cuve erronées pour conduire un réacteur nucléaire n’est pas une chose à faire. Pas besoin d’être un expert pour le savoir, il suffit d’un peu de bon sens. Qui prendrait le volant pour conduire une voiture en ayant une vision partielle, faussée et un compteur de vitesse déréglé ? D’autant que quand on pilote un réacteur nucléaire, le risque n’est pas de provoquer un accident de route. Mais un accident nucléaire. Avec dispersion de radioactivité, pollution de l’environnement pour des dizaines d’années et contaminations internes et externes des personnes et du vivant.
L’erreur des incertitudes dans le logiciel qui calcule en temps réel la puissance du réacteur et sa répartition dans la cuve est donc loin d’être anecdotique. D’autant que cette erreur, si on ne sait pas de quand elle date, concerne non seulement les réacteurs qui n’ont pas encore fait leur 3ème visite décennale, mais aussi ceux qui l’ont déjà passée. Ce mauvais paramétrage du système de protection intégré n’est donc a priori pas nouveau, et il a en plus été reproduit par EDF, malgré des visites approfondies, des vérifications de conformité et des modifications de systèmes censées en améliorer la sûreté (l’objet des visites décennales). De quoi douter de la qualité de ces vérifications et examens de conformité. Les faits ont d’ailleurs été considérés comme significatifs pour la sûreté [2] , mais classés au plus bas niveau de l’échelle de gravité [3].
"Une solution de traitement sera mise en œuvre en 2022 en adaptant le paramétrage du SPIN pour le remettre en cohérence avec les études de sûreté" nous dit EDF. Mieux vaut tard que jamais... Mais doit-on s’en contenter ?
À la question "comment est-il possible d’avoir commis une telle erreur dans la paramétrage d’un système aussi central ?", l’exploitant n’apporte aucune réponse. Pas plus d’explication sur la raison de sa non-détection. Manifestement les contrôles et vérifications d’EDF ne sont pas suffisants. Ni en profondeur ni en qualité. Sinon comment expliquer qu’une telle erreur ait pu être commise sur 20 réacteurs nucléaire, passer inaperçue et perdurer plusieurs années ?
L.B.
Déclaration d’un événement significatif pour la sûreté à caractère générique de niveau 0 pour les réacteurs du palier 1300 MW
Evénement sûreté
Publié le 27/07/2021
L’anomalie détectée concerne les incertitudes du Système de Protection Intégré des réacteurs du palier 1300MW (SPIN [4] ).
Dans certaines configurations de fonctionnement du réacteur (grappes de commandes [5] insérées et niveau de puissance intermédiaire), l’évaluation du déséquilibre axial de puissance par le SPIN est réalisée avec des incertitudes non conformes avec celles prises en compte dans certaines études de sûreté. Ceci correspond à un changement d’hypothèse d’étude de sûreté générique. Une analyse réaliste a néanmoins permis de conclure à l’absence d’enjeu sûreté de cette anomalie.
Cette anomalie concerne l’ensemble des centrales nucléaires du palier 1300 MW (Belleville, Cattenom, Flamanville, Golfech, Nogent-sur-Seine, Paluel, Penly, Saint-Alban). Les réacteurs appliquant les référentiels des VD2 (2ème visites décennales) et VD3 (3ème visites décennales) sont impactés par l’anomalie détectée.
Une solution de traitement sera mise en œuvre en 2022 en adaptant le paramétrage du SPIN pour le remettre en cohérence avec les études de sûreté.
EDF a déclaré le 17 juin 2021, auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire, un événement significatif de sûreté générique de niveau 0 sous l’échelle INES qui en compte 7, pour l’ensemble du palier 1300 MW.
[1] Pour contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur, l’exploitant dispose de deux moyens principaux : - ajuster la concentration de bore dans l’eau du circuit primaire, le bore ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire, - introduire les grappes de commande dans le cœur ou les en retirer, ces grappes de commande contiennent des matériaux absorbant les neutrons. II convient, en marche normale du réacteur, de maintenir certaines grappes à un niveau suffisant, fixé par les spécifications techniques, d’une part pour que leur chute puisse étouffer efficacement la réaction nucléaire en cas d’arrêt d’urgence, d’autre part pour assurer une bonne répartition du flux de neutrons. https://www.asn.fr/Lexique/G/Grappes-de-commande
[2] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif
[3] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES
[4] Le SPIN est le Système de Protection Intégré Numérique des réacteurs du palier 1300 MW. Il permet de calculer en temps réel des mesures de puissance du réacteur et assure, en parallèle, des fonctions de protection et de surveillance du réacteur.
[5] Les grappes de commande, situées dans le bâtiment réacteur (partie nucléaire des installations), contiennent des matériaux absorbants les neutrons. Elle permettent, avec l’ajustement de la concentration en bore dans l’eau du circuit primaire, de contrôler la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur.