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Des accidents nucléaires partout

France : Dampierre : Alarme et série d’erreurs sur le redémarrage du réacteur 4

Réglages oubliés, lenteur d’analyse et réaction inadaptée, la puissance du réacteur mal surveillée




1er juillet 2022


Fin juin 2022, le réacteur 4 de la centrale nucléaire de Dampierre (Centre - Val de Loire) redémarre. La montée en puissance de la réaction nucléaire est une phase délicate qui doit être surveillée de près. Mais EDF a oublié de régler les capteurs qui surveillent son évolution. Et lorsque les alarmes se sont déclenchées, l’industriel n’a pas su réagir comme il le fallait.


On ne sait pas bien comment ni pourquoi, en pleine procédure cruciale, une des actions (régler les seuils de déclenchement des alarmes) a été oubliée. Comment EDF a-t-il pu omettre de régler les dispositifs qui doivent surveiller la montée en puissance de la réaction nucléaire lancée et signaler un problème s’il survient ?
Lorsque le flux neutronique  [1] a dépassé le seuil précédemment réglé, les alarmes se sont déclenchées. Elles ont sonné plus d’une heure car EDF n’a pas réussi à identifier rapidement le problème : le mauvais paramétrage. Durant tout ce temps, si le flux avait évolué de manière imprévu, les alarmes, déjà occupées à sonner, n’auraient pas pu donner l’alerte. Le réacteur a donc été laissé sans une partie des dispositifs requis pour surveiller la montée en puissance de la réaction nucléaire. Parce qu’EDF a oublié de régler les seuils des alarmes quand il le fallait.

Aucun impact réel dira l’industriel, les capteurs et leurs alarmes sont doublés. Les autres (les doublons), sont restés opérationnels - et correctement réglés - d’après EDF. Pour autant, l’incident est bien arrivé : EDF a oublié de régler les détecteurs qui surveillent l’activité du cœur de son réacteur nucléaire, et pas n’importe quand : à un des moments les plus critiques de son fonctionnement, lorsque la réaction monte en puissance et n’est pas stabilisée.
Qui plus est, l’industriel n’a pas appliqué les règles à suivre dans une telle situation. Lorsque les alarmes ne sont plus capables de donner l’alerte en cas de problème sur le flux neutronique, certaines opérations doivent être lancées, au plus tard dans l’heure qui suit. EDF ne dit pas quelles sont ces opérations, mais elles n’ont pas été mises en œuvre dans le délai d’une heure. Deuxième faute de l’exploitant nucléaire.

EDF a non seulement manqué à ses devoirs principaux en tant qu’exploitant nucléaire, à savoir surveiller de près et correctement la réaction nucléaire du réacteur 4 de Dampierre lors de son redémarrage, mais a aussi mal réagit  : après avoir pris trop de temps à analyser la situation et à détecter le problème qu’il avait lui-même créé (le mauvais réglage), il n’a pas appliqué les règles prévues ni exécuté les opérations que la situation exigeait. Cet incident montre toute une chaîne de dysfonctionnements dans la gestion de l’industriel et dans sa conduite de l’installation nucléaire. Une chaîne qui touche à des défaillances profondes, démontrant un manque de connaissances des règles et des procédures, un manque de rigueur dans leur application, mais aussi un grave manque d’analyse rapide et pertinente de la situation et une réaction inadaptée à cette situation. Les faits ont été déclarés à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) comme significatifs [2] pour la sûreté [3]. Pour EDF, ils se résument au non respect d’une spécification d’exploitation. .

Ce que dit EDF :

Non-respect d’une spécification d’exploitation

Publié le 01/07/2022

Le pilotage d’un réacteur s’inscrit dans un cadre de prescriptions, parmi lesquelles les spécifications techniques d’exploitation (STE), qui recueillent l’ensemble des règles à respecter pour la conduite des installations.

Le 26 juin 2022, l’unité de production n°4 de la centrale de Dampierre-en-Burly est en phase de redémarrage. Des détecteurs, couplés à des alarmes, permettent aux opérateurs présents en salle de commande de suivre l’évolution du flux neutronique dans le réacteur lors de la phase de montée en température. Ces détecteurs et alarmes, comme tous les matériels ayant un rôle vis-à-vis de la sûreté des réacteurs, sont présents de manière redondante (voie A et voie B). Les STE imposent un réglage régulier du seuil d’alarme pour garantir sa disponibilité (le flux neutronique du réacteur évoluant progressivement et normalement au fil de la montée en température).

Lors du quart d’après-midi, le changement de seuil n’a pas été suffisamment anticipé, ce qui a entraîné l’apparition de l’alarme à 14h50. La présence de l’alarme en continu constitue un non-respect des STE, car celle-ci est alors considérée comme indisponible.

Dans ce cas, les STE prévoient la réalisation de manœuvres d’exploitation sous un délai d’une heure. La détection tardive du paramétrage erroné d’une des alarmes n’a pas permis de réaliser ces manœuvres dans le délai imparti, ce qui constitue un non-respect des spécifications techniques d’exploitation.

Cette indisponibilité n’a pas eu d’impact réel sur la sûreté de l’installation, la seconde voie de mesure ayant toujours été opérationnelle. Toutefois, en raison du non-respect des spécifications techniques d’exploitation, la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly a déclaré cet événement le 29 juin 2022 à l’Autorité de sûreté nucléaire comme un événement significatif de sûreté de niveau 1 (anomalie) sur l’échelle INES, qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-dampierre-en-burly/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-dampierre/non-respect-dune-specification-dexploitation


Ce que dit l’ASN :

Non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation du réacteur 4

Publié le 19/07/2022

Centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 29 juin 2022, l’exploitant de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un évènement significatif pour la sûreté relatif à la détection tardive de l’indisponibilité d’une alarme générée par les chaînes de niveau source du réacteur 4 en cas de détection d’un flux élevé de neutrons.

Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. Elles prescrivent notamment les délais maximaux de réparation en cas d’indisponibilité des systèmes requis pour assurer la sûreté des réacteurs.

L’exploitant doit surveiller en permanence le flux de neutrons émis par le cœur du réacteur pour pouvoir contrôler toute augmentation intempestive de puissance. Il dispose pour cela de divers moyens de mesures : les chaînes de puissance utilisées en fonctionnement normal (CNP), les chaînes intermédiaires utilisées lors du démarrage du réacteur (CNI), et les chaînes de niveau source (CNS), capables de mesurer de très faibles flux lorsque le réacteur est à l’arrêt, combustible en place. Toutes ces chaînes interviennent dans l’élaboration d’alarmes et d’actions automatiques de protection en cas d’élévation anormale du flux neutronique.

Le 26 juin 2022, l’exploitant a procédé au redémarrage du réacteur après un arrêt pour maintenance et renouvellement partiel du combustible. Le réacteur étant dans l’état « arrêt normal sur les générateurs de vapeur », les RGE imposent que les alarmes associées à un flux élevé de neutrons, mesuré par les CNS, soient disponibles.

Le 26 juin à 14h50, l’alarme associée à un flux élevé de neutrons issue de l’une des deux CNS est apparue. Dans cette situation, les opérateurs doivent acquitter l’alarme pour qu’elle puisse être réémise en cas d’apparition d’un nouveau flux neutronique élevé. Les opérateurs présents en salle de commande n’ont pas effectué cet acquittement, ce qui rendait de fait non opérationnelle toute nouvelle détection de pic de flux. L’exploitant n’a cependant considéré cette alarme indisponible qu’à 18h33 le même jour. Pendant plus de 3 heures, la prescription particulière imposant la disponibilité des alarmes associées à un flux élevé de neutrons n’a donc pas été respectée.

Dès la découverte de l’indisponibilité de l’alarme flux élevée à l’arrêt, l’exploitant a pris des dispositions pour l’acquitter et retrouver ainsi sa pleine disponibilité.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Néanmoins, en raison de sa détection tardive par l’exploitant et du non-respect des RGE, cet événement, qui a affecté la fonction de sûreté liée à la maîtrise de la réaction nucléaire en chaîne, a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/non-respect-de-la-conduite-a-tenir-prevue-par-les-regles-generales-d-exploitation-du-reacteur-43


[1Neutronique : Etude du cheminement des neutrons dans les milieux fissiles et non fissiles et des réactions qu’ils induisent dans la matière, en particulier dans les réacteurs nucléaires sous l’angle de leur multiplication, de l’établissement et du contrôle de la réaction en chaîne - https://www.asn.fr/lexique/N/Neutronique

[2Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif

[3La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire


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Installation(s) concernée(s)

Dampierre-en-Burly

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94