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Des accidents nucléaires partout

France : Cruas : EDF poursuit un redémarrage au lieu de l’arrêter

Erreur d’analyse, validation d’essai raté, règles de conduite non respectées : un incident déclaré un an après les faits




10 juin 2022


Le 8 juin 2022, EDF a déclaré un incident qui a significativement entravé la sûreté nucléaire de la centrale de Curas (Ardèche). Un incident survenu il y a près d’un an, en juillet 2021. Alors que le réacteur 3 redémarrait, un capteur de température se met à dysfonctionner. Mais au lieu d’arrêter les opérations, EDF a poursuivi la montée en puissance du réacteur et a choisi de réparer plus tard, dépassant largement le délai maximal de 24 heures autorisé. Erreur d’analyse de la situation, erreur d’interprétation des procédures de conduite, EDF a choisi d’appliquer d’autres règles que celles élaborées sur la base des principes de sûreté [1].


C’est en avril 2022, à l’occasion d’une inspection, que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a questionné EDF sur sa manière de gérer l’évènement survenu en juillet 2021 lors des essais de démarrage du réacteur 3 de Cruas. C’est alors que les services d’EDF se sont penchés sur son analyse. Et en effet, il y a bien eu erreur sur la marche à suivre le 21 juillet 2021. L’erreur commise d’une part, et le fait qu’EDF ne s’en soit absolument pas rendu compte avant que l’ASN ne le lui pointe d’autre part, démontrent une grave méconnaissance des principes à suivre pour exploiter un réacteur nucléaire. Les essais de démarrage servent à vérifier que tout fonctionne correctement. Comment EDF a pu se tromper sur les règles à appliquer alors qu’il s’agit de réagir face à une panne de capteur de température ? La température est un des paramètres de base donnant des indications essentielles pour diriger le réacteur, son suivi est fondamental. Les phases transitoires, de montée et de baisse en puissance, sont particulièrement délicates, raison de plus pour suivre cet indicateur avec d’autant plus d’attention. D’autant plus quand le capteur en question participe à la détection des dysfonctionnements, au déclenchement des arrêts d’urgence et à la mise en marche des systèmes de secours. Si les appareils de mesure ne fonctionnent pas et que les réparations ne peuvent pas être faites sous 24 heures, pourquoi EDF s’est entêté à poursuivre le démarrage au lieu de, comme l’imposaient les règles de sûreté, ramener le réacteur à l’arrêt ?

Erreur d’analyse de la situation, ignorance des principes de sûreté, méconnaissance des procédures, EDF a fondé sa conduite sur des choix qu’il n’avait pas à faire. Il a considéré que le système fonctionnait quand même, malgré les valeurs erronées de températures fournies par le capteur. Pourtant, un équipement qui ne fonctionne pas aurait dû de fait invalider l’essai réalisé sur ce système et EDF aurait tout simplement dû soit le réparer dans la journée, soit stopper le redémarrage. Cet incident en dit long sur les largesses que prend EDF dans la conduite de son réacteur nucléaire. Les règles de sûreté sont établies pour limiter les risques générés par le fonctionnement du réacteur, ne pas les appliquer à la lettre ne peut que avoir pour conséquence une augmentation de ces risques. Quant au fait qu’EDF ne se soit même pas rendu compte de son erreur avant que l’Autorité de sûreté nucléaire lui mette le nez dessus, on touche là au fond du problème : au delà de cet incident, c’est toute la manière de faire d’EDF, sa qualité même en tant qu’exploitant nucléaire qui est remise en question. Quand on ne suit pas les règles, qu’on ignore les marches à suivre, qu’on prend des largesses avec les principes de précaution, qu’on choisi la facilité et la rapidité plutôt que le temps de la réflexion, comment peut-on affirmer maîtriser un réacteur nucléaire ?

Ce que dit EDF :

Non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation de l’unité de production n°3

Publié le 10/06/2022

Les Règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. Elles prescrivent notamment les délais maximums de réparation et les conduites à tenir en cas d’indisponibilité des systèmes requis pour assurer la sûreté des réacteurs.

Le 20 juillet 2021, lors de la phase de redémarrage de l’unité de production n°3, un essai est réalisé sur des capteurs de températures du circuit primaire. Lors de l’essai, un des capteurs majore les valeurs de températures. Ce capteur est immédiatement passé en position de sécurité.

Les équipes d’EDF conduisent une analyse sur la base d’une fiche de prescription locale complémentaire aux RGE et considèrent que la remise en conformité du capteur doit être réalisée sous 30 jours. Elle sera réalisée le 25 juillet 2021.

Le 5 avril 2022, l’Autorité de sureté nucléaire réalise une inspection et réinterroge la centrale de Cruas-Meysse sur la gestion de cet évènement. L’analyse a posteriori montre que le réglage du capteur aurait dû être réalisé sous 24h, conformément aux Règles générales d’exploitation. La conduite à tenir pour ce type d’évènement n’a pas été respectée.

Cet événement n’a pas eu de conséquences réelles sur la sûreté de l’installation : le capteur considérant des valeurs de températures supérieures aux valeurs réelles, le décalage aurait occasionné le déclenchement de la protection plus tôt que prévu. A ce titre, les conséquences potentielles de cet évènement sont jugées négligeables.

Toutefois, en raison de la détection tardive du non-respect des règles générales d’exploitation, la direction de la centrale de Cruas-Meysse l’a déclaré, le 8 juin 2022, à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en tant qu’évènement significatif sûreté au niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/non-respect-de-la-conduite-a-tenir-prevue-par-les-regles-generales-dexploitation-de-lunite-de-production-ndeg3

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Ce que dit l’ASN :

Non-respect de la conduite à tenir prescrite par les spécifications techniques d’exploitation (STE) à l’issue d’un essai sur une chaîne du système de protection du réacteur

Publié le 10/06/2022

Centrale nucléaire de Cruas-Meysse Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 8 juin 2022, EDF a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect de la conduite à tenir prescrite par les STE, à la suite de la dérive d’un capteur de température intervenant dans une chaîne du système de protection du réacteur (RPR) du réacteur 3.

Le système RPR a pour principales fonctions la détection de situations anormales, l’arrêt automatique du réacteur et le déclenchement des systèmes de sauvegarde appropriés en situation accidentelle.

Le 21 juillet 2021, alors que le réacteur 3 était en cours de redémarrage, un essai périodique a mis en évidence une dérive de l’information transmise par un composant intervenant dans la mesure de température de la chaîne RPR.

En cas d’indisponibilité de cette chaîne, la conduite à tenir prescrite par les STE demande d’amorcer le repli du réacteur dans le domaine « arrêt normal sur le circuit de refroidissement à l’arrêt » (AN/RRA) sous 24 heures si le réglage du composant n’est pas réalisé dans ce même délai.

A l’issue de cet essai périodique, une analyse a été réalisée et a conclu à la disponibilité du système RPR, considérant que la dérive constatée était conservative par rapport à la valeur mesurée par le capteur de température de la chaine RPR. Le réglage du composant de la chaîne RPR n’a donc été réalisé que le 25 juillet 2021.

Le 5 avril 2022, lors de l’inspection référencée INSSN-LYO-2022-0480 portant sur le bilan des essais, l’ASN a interrogé EDF sur la gestion de cet évènement. L’analyse réalisée a posteriori par la filière indépendante de sûreté du site a montré que le réglage du capteur aurait dû être réalisé sous 24 heures ou que le repli du réacteur dans le domaine préconisé par les STE aurait dû être engagé.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les personnes et l’environnement. Toutefois, en raison du non-respect de la conduite requise par les STE, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/non-respect-de-la-conduite-a-tenir-prescrite-par-les-specifications-techniques-d-exploitation


[1La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire


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Installation(s) concernée(s)

Cruas

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