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Des accidents nucléaires partout

France : Civaux : EDF recharge le réacteur 1 sans avoir ce qu’il faut pour le surveiller

Le système de mesure du bore donnait des valeurs erronées




3 janvier 2023


Le 25 décembre 2022, le réacteur 1 de Civaux (Nouvelle Aquitaine) est en cours de chargement de combustible. Les équipes d’EDF découvrent alors que l’équipement mesurant la concentration en bore dans l’eau du circuit primaire [1] , dans laquelle baigne le combustible nucléaire, donne des valeurs erronées.


Le bore  [2] , par sa capacité à absorber les neutrons, permet de contrôler, voire d’étouffer si nécessaire la réaction nucléaire produite dans la cuve du réacteur. EDF a donc entamé les opérations de chargement de combustible sans s’être assuré au préalable du bon fonctionnement des équipements participant à la surveillance et au contrôle d’un paramètre essentiel lors de cette activité réputée sensible. Soit les vérifications n’ont pas été faites, soit elles n’ont pas été suffisamment approfondies. En tout état de cause, elles sont passées à côté du problème du boremètre. Ou peut-être que les consignes d’exploitation et de conduite du réacteur n’étaient pas assez explicites ? On ne sait pas combien de temps EDF a mis entre le début du chargement du cœur du réacteur 1 et la détection de l’indisponibilité du boremètre.

Dès que l’industriel s’est rendu compte du problème, il a surveillé la teneur en bore "a la mano", en faisant des prélèvements dans le circuit primaire toutes les 8 heures. Celle-ci est restée constante. Il n’empêche que l’exploitant nucléaire a mis à mal un des systèmes de surveillance de l’activité du réacteur alors qu’il manipulait du combustible nucléaire et chargeait la cuve. Une fois le problème découvert, l’industriel a aussi mis un peu trop de temps à comprendre comment le résoudre. Les réparations ont pris du temps, le boremètre n’a été de nouveau opérationnel que plus de 3 jours après avoir été déclaré hors service, ce qui dépasse le délai maximal autorisé par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Rappelons que le réacteur 1 de Civaux est arrêté depuis l’automne 2021, à l’origine pour sa visite décennale (un contrôle en profondeur de la conformité des équipements et des modifications censées améliorer la sûreté [3] de l’installation), puis pour fissurations par corrosion sous contrainte de plusieurs circuits accolés au circuit primaire. EDF avait tout le temps de préparer les opérations sensibles préalables au redémarrage et de faire ses vérifications de bons fonctionnement des équipements durant cet arrêt de plus d’un an.
Rappelons également que début novembre 2022, lors de l’épreuve hydraulique de ce même circuit primaire, test de résistance obligatoire pour valider la visite décennale, une importante fuite est survenue. Plus de 80m3 d’eau hautement radioactive ont été répandus dans un local du bâtiment réacteur. L’incident était dû à une non qualité de maintenance lors de la préparation du chantier...  [4]

Manque de préparation d’une activité sensible, défaut de surveillance de la concentration en bore du circuit primaire, détection tardive de la défaillance d’un équipement essentiel, difficultés à tenir les délais de réparation et poursuite des opérations... Est-ce la conséquence d’une précipitation à redémarrer le réacteur au plus vite ou l’expression d’un manque de rigueur d’exploitation et de conduite plus global et plus profond ?
Les faits, significatifs [5] pour la sûreté, ont été déclarés par EDF le 30 décembre 2022.

Ce que dit EDF :

Détection tardive du non-respect d’une spécification technique d’exploitation (STE) sur l’unité de production n°1 pendant 10 heures

Publié le 03/01/2023

Evénement sûreté

Le pilotage d’un réacteur s’inscrit dans un cadre de prescriptions, parmi lesquelles les spécifications techniques d’exploitation (STE), qui recueillent l’ensemble des règles à respecter pour la conduite des installations.

Le 25 décembre 2022, alors que le réacteur n°1 de la centrale de Civaux est en cours de rechargement en combustible dans le cadre de sa visite décennale, les équipes d’exploitation détectent l’indisponibilité du boremètre RCV, dont la fonction est d’assurer le contrôle chimique et volumétrique du circuit primaire. Cette indisponibilité n’a pas été détectée immédiatement (la valeur de débit affichée sur le capteur du boremètre -qui était conforme au niveau requis par les STE- devant être augmentée par une marge). Celle-ci a été calculée a posteriori, après analyse des notes de conception de ce matériel.

Après confirmation de l’indisponibilité du boremètre, les équipes appliquent la conduite à tenir, à savoir la réalisation d’une mesure manuelle de la concentration en bore du circuit primaire toutes les 8 heures, et la réparation du matériel (qui doit être effectuée sous 3 jours).

Le 28 décembre, l’indisponibilité du boremètre est levée. Cet événement n’a pas eu d’impact réel sur la sûreté de l’installation : la concentration en bore du circuit primaire étant restée stable durant ce laps de temps.

Cependant, en raison de sa détection tardive et du dépassement de 10 heures du délai de réparation, la centrale nucléaire de Civaux a déclaré ce non-respect des spécifications techniques d’exploitations le 30 décembre 2022 à l’Autorité de sûreté nucléaire comme un événement significatif de sûreté de niveau 1 (anomalie) sur l’échelle INES, qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-civaux/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-civaux/detection-tardive-du-non-respect-dune-specification-technique-dexploitation-ste-sur-lunite-de-production-ndeg1-pendant-10-heures


Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité du boremètre du système de contrôle volumétrique et chimique

Publié le 16/01/2023

Centrale nucléaire de Civaux Réacteurs de 1450 MWe - EDF

Le 30 décembre 2022, l’exploitant de la centrale nucléaire de Civaux a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif à la détection tardive de l’indisponibilité d’un dispositif d’évaluation de la concentration en bore au niveau du système de contrôle volumétrique et chimique du circuit primaire principal.

Le système de contrôle volumétrique et chimique (RCV) du circuit primaire principal participe à la maîtrise de la réactivité en permettant le réglage de la concentration en bore du réfrigérant primaire. Cette concentration est notamment mesurée par un capteur appelé boremètre situé sur le circuit de vidange (décharge) du RCV. Ce boremètre est un nouvel équipement installé lors de l’arrêt en cours du réacteur.

Les spécifications techniques d’exploitation (STE) sont un recueil de règles d’exploitation approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite associées. Elles fixent un débit minimal de décharge du RCV pour considérer le boremètre comme disponible.

Le 24 décembre 2022, le réacteur 1 était à l’arrêt pour maintenance et renouvellement de combustible dans le cadre de sa 2e visite décennale. Dans le cadre de la préparation des activités pour autoriser le rechargement du réacteur, une alarme de débit de décharge du RCV insuffisant a été détectée en salle de commande. La valeur lue par les équipes sur un capteur était pourtant légèrement supérieure au seuil minimal.

L’exploitant a poursuivi ses activités jusqu’au 28 décembre malgré la persistance de cette alarme. A cette date, il a détecté la non-prise en compte de l’incertitude de mesure du capteur du débit. Celle-ci comptabilisée, le débit minimal n’était plus garanti. Le boremètre a donc été considéré comme indisponible.

Or, les STE requièrent la disponibilité de ce boremètre à partir du début du rechargement survenu le 25 décembre. Ainsi, pendant 3 jours et 10 heures, le boremètre est simultanément requis et considéré comme indisponible faute de la garantie d’un débit de décharge dans le RCV suffisant.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, compte tenu de la détection tardive de l’indisponibilité du boremètre du système de contrôle volumétrique et chimique requis par les spécifications techniques d’exploitation, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

Dès l’origine du dysfonctionnement identifié, l’exploitant a augmenté significativement le débit de décharge du RCV pour être certain d’être supérieur au seuil minimal requis.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/detection-tardive-de-l-indisponibilite-du-boremetre-du-systeme-de-controle-volumetrique-et-chimique


[1Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[2Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile.

Un boremètre est un dispositif permettant de mesurer le taux de bore du circuit primaire d’un réacteur.

https://www.asn.fr/lexique/b/Bore

[3La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[4Extrait du rapport de l’inspection menée le 17/11/2022 par l’ASN à la centrale nucléaire de Civaux sur le thème : Épreuve hydraulique du CPP de Civaux 1 (INSSN-BDX-2022-0047) :

"Alors que la pression dans le CPP avoisinait les 195 bars, une dépressurisation fortuite et rapide est survenue en même temps que l’apparition d’une alarme incendie dans le local RIC (système d’instrumentation du cœur) et dans les locaux adjacents. Un écoulement dans le local RIC a alors été constaté, il a été estimé à environ 3 m3/h. Des techniciens radioprotections ont effectué des mesures d’activités à l’aide d’une perche dans le local RIC et l’ont classé en zone radiologique « rouge » (débit de dose > 100mSv/h)."

"La mise en place d’une caméra déportée dans le local RIC a permis de localiser précisément l’origine de l’écoulement. Elle provenait de l’éjection complète du doigt de gant (DDG) « RIC flux » de la voie 53. L’exploitant a pris les dispositions nécessaires pour éliminer l’eau déversée dans le local (environ 80 m³) et évacuer à l’aide d’un robot le DDG éjecté à l’origine du très fort débit de dose mesuré. Des intervenants ont pu rentrer dans le local pour isoler l’écoulement par fermeture de la vanne manuelle située en amont de la fuite d’eau. Les locaux impactés ont ensuite été décontaminés."

"L’analyse de l’événement a montré qu’il avait pour origine une non-qualité de maintenance survenue lors de la préparation du chantier qui consistait à retirer les DDG du cœur du réacteur et à les mettre en position de sécurité pour qu’ils ne soient pas impactés par la mise en pression du CPP. L’oubli de la mise en position de deux demi-bagues qui assuraient le maintien mécanique entre le tube RIC dans lequel le DDG coulisse et les demi-coquilles enveloppant le DDG lui-même est à l’origine de l’éjection du DDG sous la pression hydraulique de l’eau contenue dans le CPP. Cet événement a fait l’objet de la déclaration d’un événement significatif pour la radioprotection."

[5Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif


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Installation(s) concernée(s)

Civaux

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70