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Des accidents nucléaires partout

France : Civaux : EDF conduit le réacteur 2 hors des clous

Trop d’air et pas assez de pression : sortie du domaine de fonctionnement autorisé lors du redémarrage




24 février 2023


La température et la pression de l’eau qui refroidit le combustible sont 2 critères essentiels pour qui veut garder le contrôle d’un réacteur nucléaire. Si ces paramètres sortent des plages autorisées, refroidissement et maîtrise de la réaction nucléaire ne sont plus garantis. C’est pourquoi elles sont strictement réglementées, c’est le domaine de fonctionnement autorisé. C’est de ce domaine que le réacteur 2 de Civaux (Nouvelle Aquitaine) est sorti plusieurs fois lors de son redémarrage.


En cause : trop d’air dans les tuyaux et une pression trop faible dans le circuit primaire [1] - ce qui induit un risque d’ébullition de l’eau du circuit et donc son évaporation (la pression influe sur la température là laquelle l’eau se met à bouillir) - et donc plus de refroidissement. Mais aussi des bulles de cavitation, c’est à dire des zones dans la cuve où la réaction nucléaire est plus forte qu’ailleurs. Sans flux de neutrons homogène, difficile de garder le contrôle de la réaction en chaîne. Refroidissement et maîtrise de la réactivité, voilà ce qui est mis en jeu par un réacteur amené hors du domaine autorisé.

On ne sait pas pourquoi les manœuvres d’EDF n’ont pas réussi à éliminer l’air dans le circuit primaire ni pourquoi l’industriel n’a pas réussi à maintenir la pression dans les plages autorisées. Le communiqué sibyllin de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ne donne pas plus d’explication, ni sur les raisons de ces sorties de route, ni sur leurs conséquences potentielles. Quant aux moyens à mettre en œuvre au sein des équipes de conduite d’EDF afin de rétablir un pilotage du réacteur "dans les clous", pas un mot ni de l’industriel, ni de l’ASN. Comme si les entorses au règlement et les difficultés de conduites n’avaient aucune conséquence et ne signifiaient rien.

Rappelons que les réacteurs de Civaux ont été les premiers sur lesquels la corrosion sous contrainte de tuyauteries connectées au circuit primaire a été identifiée, engendrant des mois d’arrêt pour contrôles et réparations de grande ampleur (en plus des interventions assujetties aux visites décennales des réacteurs, ce grand programme de vérifications, remise en conformité et modifications des installations). Le réacteur 1 a redémarré début 2023, celui du réacteur 2 est en préparation. Le rechargement du combustible nucléaire dans la cuve de ce même réacteur a récemment été entaché par un autre incident : une erreur de branchement a complètement faussé la surveillance de la radioactivité ambiante. Alors qu’e les règles imposent qu’elle soit particulièrement suivie lorsque le combustible nucléaire est manipulé. EDF a mis 7 heures à s’en apercevoir. Et a résumé l’incident à la "détection tardive du non respect d’une spécification technique".

Les faits survenus lors du redémarrage de Civaux 2 sont significatifs [2] pour la sûreté [3] . À ce titre, il doit être suivi d’analyse et de parades pour en éviter le renouvellement. Mais en intitulant son communiqué "Non respect d’une spécification technique" EDF semble plutôt annoncer une légère entorse sans importance. Et par son absence de questionnement sur les causes et les suites données à l’incident, le gendarme du nucléaire "Circulez, y a rien à voir".

Ce que dit EDF :

Non-respect d’une spécification technique sur l’unité de production n°2

Publié le 24/02/2023

Les opérations de redémarrage d’un réacteur après une période de maintenance s’inscrivent dans le cadre de règles prescriptives, parmi lesquelles figure la présence d’un volume d’air maximal dans le circuit primaire.

Le 14 février, sur l’unité de production n°2 du CNPE de Civaux, dans le cadre des opérations de redémarrage de l’unité après sa visite décennale, un bilan de présence d’air dans le circuit primaire est réalisé consécutivement à sa mise sous vide. Il montre une présence d’air trop importante dans le circuit. Des opérations d’éventage sont engagées pour la réduire.

Le 16 février, après une préparation ad hoc sur les gestes techniques à réaliser et l’organisation collective à mettre en oeuvre, les équipes de pilotage procèdent à la réalisation d’un éventage dynamique par mise en service des groupes motopompes primaire (GMPP). Trois des quatre GMPP sont successivement et alternativement mis en service puis arrêtés après quelques minutes. Ces manœuvres entraînent à chaque fois et comme attendu une baisse de pression rapide dans le circuit primaire, contre laquelle l’opérateur agit immédiatement pour la faire remonter. Pour autant, à deux reprises, la pression dans le circuit franchit de quelques dixièmes de bars et pendant quelques secondes la limite basse de pression fixée par les spécifications techniques d’exploitation (STE), qui est de 25 bars.

Le 19 février, après une succession de nouveaux éventages et le constat d’un bilan d’air toujours légèrement supérieur à l’attendu, les équipes procèdent à un nouvel éventage dynamique. Les GMPP sont cette fois mis en service simultanément. La pression du circuit passe à nouveau sous la limite basse fixée par les STE.

A l’issue de ce dernier éventage, le bilan d’air du circuit primaire s’avère conforme à l’attendu.

Au regard du non-respect d’une spécification technique des STE ainsi que de sa répétition à deux reprises, la centrale nucléaire de Civaux a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire un événement significatif de sûreté au niveau 1 (anomalie) sur l’échelle INES, qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-civaux/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-civaux/non-respect-dune-specification-technique-sur-lunite-de-production-ndeg2


Ce que dit l’ASN :

Sortie du domaine de fonctionnement autorisé

Publié le 26/02/2023

Centrale nucléaire de Civaux Réacteurs de 1450 MWe - EDF

Le 21 février 2023, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à la sortie du domaine de fonctionnement autorisé par les règles générales d’exploitation, en raison d’une pression trop basse du circuit primaire principal.

Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite associées. Elles précisent notamment les limites minimales et maximales autorisées pour la pression et la température de l’eau du circuit primaire. Ces limites définissent le domaine de fonctionnement autorisé.

Le 16 février 2023, le réacteur 2 était à l’arrêt dans le cadre de sa deuxième visite décennale. Dans le cadre des activités de redémarrage du réacteur, chargé en combustible, les équipes de conduite procédaient à l’éventage du circuit primaire. Pour ce faire, elles ont successivement mis en service chacune des quatre pompes de ce circuit. Au cours de ces opérations, une chute de pression en dessous de la valeur minimale autorisée a été observée à trois reprises pendant une durée n’excédant pas trente secondes chacune.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les personnes et l’environnement. Toutefois, en raison de la sortie du domaine autorisé de fonctionnement du réacteur, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/sortie-du-domaine-de-fonctionnement-autorise2


[1Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[2Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements

[3La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire


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Installation(s) concernée(s)

Civaux

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70