1er août 2024
Ce n’est pas un manque de surveillance à proprement parlé qui a causé l’incident, car EDF a bien vu les amibes Naegleria fowleri (Nf), surnommées "mangeuses de cerveau", se multiplier dans les circuits de refroidissement des réacteurs nucléaires de Chooz (Grand Est). Mais à cause d’un "aléas technique" et d’une organisation défaillante, l’industriel n’a pu ni procéder rapidement au traitement chimique des eaux, ni réagir à temps : la concentration maximale autorisée en amibes (100 Nf par litre) a été dépassée fin juillet 2024. Durant plusieurs jours et en pleine période de canicule, ces eaux chaudes infestées d’amibes ont été déversées dans le fleuve d’à côté. Mais ce n’est que plusieurs jours après qu’EDF mettra en place une surveillance de la Meuse en aval de ses rejets, au niveau du village de Chooz.
Crédit photo : André Paris
Les amibes sont des micro-organismes qui vivent dans les eaux douces, la terre humide et qui apprécient particulièrement la chaleur. Les eaux chauffées des installations industrielles sont donc un milieu propice à leur développement, et ce phénomène est bien connu [1] . Or les amibes sont des agents pathogènes : elles peuvent causer des maladies. Une espèce d’amibes, Naegleria fowleri (Nf), est particulièrement dangereuse pour l’homme : elle peut infecter le cerveau via le nez, rare mais mortel. La présence des amibes dans les eaux de refroidissement des centrales nucléaires est donc surveillée et leur concentration dans les rejets industriels est réglementée : elle ne doit pas dépasser 100 Nf par litre.
Le 25 juillet 2024, la centrale de Chooz détecte une augmentation de la concentration d’amibes dans ses circuits de refroidissement. EDF ne précise pas la valeur atteinte ce jour-là, ni depuis combien de temps cette concentration n’avait pas été mesurée. Mais l’industriel précise qu’à ce stade, la limite légale (100 Nf/L) n’est pas atteinte.
L’exploitant décide alors de lancer "préventivement" un traitement chimique utilisé dans ces cas-là : injecter dans ses circuits de la monochloramine, un mélange de chlore et d’ammoniaque, des produits chimiques biocides (qui tuent les organismes vivants). Des produits qui se retrouvent, in fine, dans le fleuve d’à côté, la Meuse, là où EDF se débarrasse des eaux qui ont servi à refroidir ses réacteurs.
Mais un "aléas technique" bloque ce traitement chimique. EDF ne précise pas quel était le souci, ni pourquoi le système de monochloration n’était pas opérationnel. À quand remonte son dernier contrôle ? Ce délai supplémentaire a permis aux amibes de continuer à proliférer, et la concentration maximale autorisée a vite été dépassée.
Le temps de procéder aux réparations, EDF pourra effectuer le traitement chimique le 26 juillet, et des analyses faites le 28 - dont les résultats ne seront connus que le 30 - montreront qu’il a été efficace : la teneur en amibes dans les eaux rejetées par la centrale est repassée en-deça de la limite légale.
Ce n’est qu’après avoir eu connaissance de ces résultats qu’EDF mettra en place des mesures quotidiennes à l’extérieur de son installation nucléaire, au niveau du pont du village de Chooz, après le point de rejet des eaux chaudes dans le fleuve.
On peut s’étonner que ces prélèvements n’aient pas été mis en place par l’industriel dès qu’il a eu connaissance de l’impossibilité de traiter chimiquement les eaux qu’il rejetait dans la Meuse, c’est-à-dire le 25 juillet, 5 jours plus tôt. Et ce alors qu’il savait que la limite légale risquait d’être atteinte.
On peut aussi s’étonner qu’en moins de 24 heures, la concentration maximale en amibes mangeuse de cerveau ait été dépassée. Ce qui laisse supposer que lorsque EDF a détecté la hausse de concentration des amibes dans ses eaux, celle-ci était déjà proche du seuil réglementaire.
On peut aussi se demander pourquoi le système de traitement chimique n’était pas opérationnel : l’industriel ne fait-il pas une maintenance et un contrôle régulier de son unité de traitement chimique ? Ce délai de réparation, couplé à une détection trop tardive de l’approche de la concentration limite, a eu pour conséquence le dépassement du seuil réglementaire.
Enfin, les délais d’analyses des prélèvements, deux jours, donnent aussi matière à s’interroger sur l’efficacité réelle de la "surveillance" exercée par EDF. S’il faut 2 jours pour avoir des résultats de prélèvements, ce sont 2 jours de délai supplémentaires pour identifier le problème, et donc pour y remédier.
Alors certes, ce n’est pas un problème de surveillance à proprement parlé qui a causé cet incident significatif pour l’environnement [2], mais on ne peut pas dire que l’organisation mise en place par EDF pour éviter la prolifération d’agents pathogènes et préserver l’environnement soit efficace.
Manque d’anticipation et prélèvements trop peu fréquents pour détecter à temps des augmentations de concentrations, des délais d’analyses des prélèvements trop longs qui rajoutent des délais de réactions, des équipements mal entretenus qui ne permettent pas de traiter suffisamment rapidement les eaux, des eaux déversées avec des concentrations maximales dépassées, des contrôles à l’extérieur du site nucléaire qui ne sont mis en place que 5 jours après... Cet incident le prouve : EDF ne se donne pas les moyens de protéger efficacement les populations et l’environnement des impacts négatifs de ses activités. Il ne suffit pas de surveiller, encore faut-il que l’organisation en place permette de réagir à temps. Mais pour l’industriel, il s’agit seulement du "dépassement d’un critère réglementaire".
L.B.
Dépassement d’un critère règlementaire concernant la concentration en amibes Naegleria fowleri (Nf)
Publié le 01/08/2024
Vie de la centrale - Environnement
La centrale nucléaire de Chooz réalise une surveillance environnementale régulière [3] et des traitements vis-à-vis des amibes. Ces micro-organismes naturellement présents dans l’eau des rivières, en amont des installations, peuvent trouver un terrain favorable de développement dans les eaux tièdes qui circulent, en dehors de la zone nucléaire, au niveau du circuit de refroidissement secondaire alimentant les tours aéroréfrigérantes des unités de production. Pour l’amibe potentiellement pathogène Naegleria fowleri (Nf), la réglementation fixe une limite de concentration à 100 Nf par litre.
Le 25 juillet 2024, les équipes chargées de la surveillance environnementale détectent une évolution de la concentration en amibes, dans des valeurs inférieures à la réglementation. La décision de mise en service du système de traitement par monochloramine (chlore et ammoniaque) est engagée. Un aléa technique sur le matériel n’a pas permis de lancer immédiatement le traitement préventif, générant le développement d’une concentration calculée au-dessus du seuil réglementaire.
Le traitement est mis en œuvre le vendredi 26 juillet et son efficacité est confirmée par les résultats d’un prélèvement effectué le 28 juillet, attestant la baisse de concentration très en-dessous du seuil réglementaire.
Depuis la connaissance des résultats d’analyse le 30 juillet 2024, des prélèvements en aval du rejet dans l’environnement (au niveau du pont du village de Chooz) sont réalisés quotidiennement.
Du fait du dépassement d’un seuil réglementaire, la direction de la centrale nucléaire de Chooz a déclaré un événement significatif pour l’environnement (ESE) à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le 31 juillet 2024.
[1] Les amibes sont des micro-organismes présents dans tous les compartiments de l’environnement. Elles apprécient les milieux humides, spécialement les eaux douces chaudes dont la température s’échelonne de 25°C à 40°C. Parmi toutes les espèces d’amibes libres, peu sont dangereuses pour l’homme. Parmi ces dernières, on trouve l’espèce Naegleria fowleri.
Les eaux chaudes rejetées en aval d’installations industrielles, notamment les centrales électriques, peuvent favoriser le développent des amibes. Les rejets et milieux concernés font l’objet d’une surveillance particulière.
La pratique de la baignade peut présenter un risque sanitaire lorsqu’elle s’effectue dans un milieu à risque qui contiendrait de forts taux d’amibes et lorsque le baigneur inhale des gouttelettes d’eau. Le risque est en relation avec la concentration d’amibes pathogènes dans l’eau. Ce sont particulièrement les enfants qui sont les cibles privilégiées des amibes. https://baignades.sante.gouv.fr/baignades/editorial/fr/sante/amibes_s.html
[2] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[3] La concentration en amibes sur les ouvrages de la centrale est surveillée périodiquement, avec des prélèvements quotidiens en période chaude au niveau de la purge du circuit de refroidissement et du rejet. Les échantillons d’amibes prélevés sont mis en culture à une température ambiante de 43°C, pour évaluer leur développement dans le scénario le plus défavorable, de J+2 à J+5 après le prélèvement. La valeur extrapolée en Meuse est calculée en prenant en compte la dilution du rejet dans la rivière. Ce calcul permet d’estimer la concentration des amibes Nf si la Meuse était statique à une température de 43°C.