10 août 2021
Coup dur pour le CEA, que l’Autorité de sûreté nucléaire pointe du doigt. En cause, des cuves de déchets radioactifs qui fuient, et qui n’ont pas été contrôlées depuis des années sur le site de Cadarache. Le CEA a confié ces contrôles à une société externe sans jamais aller vérifier qu’ils étaient effectivement faits.
Sur le site de Cadarache, un des plus grands sites nucléaires de France exploité par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables), la station de traitement des effluents liquides (STE) est arrêtée définitivement depuis 2014. Le CEA aurait dû rendre le dossier de démantèlement fin 2019. Mais ce dossier n’est toujours pas arrivé sur les bureaux de l’Autorité de contrôle. Notamment en raison de la complexité de l’installation et du temps dont à besoin le CEA pour caractériser l’état des sols et des équipements, une contamination par des radionucléides artificiels ayant été constatée en dehors des zones identifiées [1].
C’est dans cette station de traitement de déchets radioactifs liquides qu’un problème de fuites a été repéré fin janvier 2021 sur une des cuves. Le CEA a ensuite lancé des vérifications télévisuelles sur les cuves voisines et plusieurs défauts ont été constatés. Au final, on ne sait pas combien de cuves sont concernées, ni quels sont ces défauts en question (corrosion ? perforation ?), mais on sait que le résultat est la perte de leur confinement statique. Autrement dit, ces cuves d’effluents liquides n’étaient plus étanches. Depuis quand ? Il ne sera jamais possible de le savoir, puisqu’il s’est avéré que ces cuves, qui devaient être contrôlées par une société externe, ne l’ont jamais été.
Depuis plusieurs années, la société en charge de contrôler ces cuves les a déclarées conformes, sans jamais procéder à ces contrôles. Le CEA n’a jamais pris la peine de définir les critères à vérifier pour définir la conformité ou non des cuves d’effluents liquides. Pas plus qu’il n’a pris le temps d’aller vérifier que la société a qui il a confié cette activité de contrôle la réalisait correctement. C’est pourtant l’exploitant qui est pleinement responsable de l’ensemble des activités sur son site, même s’il sous-traite certaines de ces activités. C’était donc du devoir du CEA de s’assurer que les contrôles des cuves d’effluents radioactifs liquides étaient réalisées, correctement, et d’en vérifier les résultats. Le CEA a bien vérifié les résultats de ces contrôles de conformité des cuves d’effluents liquides, mais jamais comment ils étaient obtenus. Et ne s’est manifestement jamais posé de questions.
La majorité des cuves n’étant plus étanches est considérée comme "vides" nous dit l’Autorité de sûreté. Vides pour le CEA, mais pour autant, elles ne le sont pas forcément. Ces cuves peuvent contenir encore des résidus contaminés, radioactifs donc. Le problème c’est qu’il est très dur d’aller vérifier de visu leur contenu, notamment parce que le dessus de ces cuves n’est pas toujours accessible. On voit que l’exploitant nucléaire n’avait absolument pas anticipé qu’il pourrait être nécessaire d’y accéder, à ces cuves. Pour autant, le CEA n’a jamais modifié ses procédures de contrôles afin de les adapter à la situation et aux enjeux qu’elle présentait - le confinement de la radioactivité étant une des pierre angulaire de la "sûreté" d’une installation nucléaire. Le CEA, sachant que ses cuves pouvant contenir des résidus liquides radioactifs et qu’elles n’étaient pas accessibles, n’a pas cherché un autre moyen d’en contrôler le contenu.
Non seulement la pensée à long terme et l’anticipation ne semblent pas être le point fort de l’exploitant, mais la réactivité et l’adaptation non plus. La situation ne manquait pourtant pas d’enjeux, puisque outre le fait que ces cuves fuyardes contiennent encore pour certaines des résidus radioactifs, le confinement dynamique permis par la ventilation et la pression atmosphérique dans le bâtiment est régulièrement interrompu. Dans ces conditions, il parait vraisemblable, inévitable même, que des radioéléments aient fuités de l’intérieur de la cuve à l’extérieur de l’installation et se soient dispersés dans l’environnement. Quand on parle d’une particule qui émet des rayons ionisants plusieurs dizaines d’année, il est évident toute dispersion dans la nature est bonne à éviter.
Des contrôles déclarés conformes depuis des années alors qu’ils n’ont pas été faits, des fuites sur des cuves dites vides qui ne le sont pas, des contenus radioactifs inconnus sans que le responsable ne se donne les moyens de vérifier, un manque d’anticipation aboutissant à une conception problématique des équipements, un manque de réactivité aboutissant à une perte de confinement de la radioactivité, une société prestataire à qui des activités sont confiées sans qu’elles ne soient ni définies ni surveillées... L’ASN pointe des lacunes importantes en terme de culture de sûreté sur le site CEA de Cadarache. Ces faits ont été considérés comme significatifs pour la sûreté, et ne sont malheureusement pas isolés (voir à droite de cet article pour une revue des derniers incidents survenus sur les sites du CEA). Le CEA est pourtant le plus ancien acteur du nucléaire en France, et le site de Cadarache le plus grand. Manifestement, ancienneté et emprise territoriale ne sont pas pour autant gages de qualité.
L.B.
Défauts de confinement statique sur des cuves de l’INB 37B, dénommée STE
Publié le 10/08/2021
Station de traitement des effluents et déchets solides (déclassée) - Installation nucléaire de base déclassée - CEA
Le 28 janvier 2021, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a été informée par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) d’un défaut de confinement [2] statique d’une cuve d’effluents, désignée S26, sur l’INB 37B, dénommée STE [3] (station de traitement des effluents). À la suite de la détection de cet écart, des vérifications télévisuelles ont été engagées sur les parties externes accessibles de l’ensemble des cuves voisines. D’autres défauts ont été constatés, sur la cuve S26 ainsi que sur d’autres cuves, et une mise à jour de la déclaration a été transmise le 18 février 2021.
Le 30 juillet 2021, le CEA a transmis son analyse définitive de l’événement, notamment sur les facteurs organisationnels et humains (FOH). Cette analyse a mis en évidence que, depuis plusieurs années, des contrôles étaient indiqués conformes par l’intervenant extérieur alors que non réalisés, et que cette conformité était validée par une personne tierce alors que les contrôles n’étaient pas totalement réalisés, ou que des critères des contrôles à effectuer sur certaines cuves n’étaient pas définis.
La majorité des cuves concernées par ces écarts est déclarée « vide » mais peut encore contenir des résidus contaminés. Ces cuves considérées comme vides ne sont plus exploitées et sont sous surveillance. La seule cuve non « vide » présentant des défauts de confinement contient des eaux de pluie d’infiltration. Certains des contrôles à effectuer sur ces cuves apparaissent difficilement réalisables au regard de l’accès complexe à la partie supérieure des cuves, voire éventuellement obsolètes au regard de l’arrêt des procédés, mais ceci n’a pas conduit à une réévaluation et une mise à jour de ces contrôles.
Les écarts détectés lors des vérifications télévisuelles montrent un défaut de confinement statique sur plusieurs cuves. Le confinement dynamique est opérationnel, mais parfois mis à l’arrêt pour la réalisation d’opérations de contrôles, d’essais périodiques ou de maintenance.
L’ASN retient également qu’aucune action de surveillance n’a été réalisée par l’exploitant sur ces activités de contrôle exercées par un intervenant extérieur. Seule la vérification des résultats des contrôles était réalisée.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, compte-tenu de la non réalisation d’opérations de contrôle prévues dans les règles de fonctionnement de l’installation, d’absence de critères de contrôle et de l’absence de surveillance de l’intervenant extérieur par le CEA, montrant des lacunes importantes en termes de culture de sûreté, l’ASN, après analyse, classe cet événement au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
Le CEA a pris des dispositions pour corriger certains des défauts mais des travaux restent encore à effectuer pour rétablir la conformité des installations. Il doit tirer l’ensemble des enseignements issus de ces défaillances organisationnelles, notamment sur l’amélioration de son plan de surveillance. Le CEA doit également s’assurer de l’adéquation de son référentiel, et plus globalement de son système de gestion intégré, à l’état actuel de l’installation.
[1] Pour en savoir plus sur la station de traitement des effluents liquides aqueux et la station de traitement et de conditionnement des déchets solides de Cadarache, encore en activité : voir la page de l’ASN
[2] Confinement (de la radioactivité) : Dispositif de protection qui consiste à contenir les produits radioactifs à l’intérieur d’un périmètre déterminé fermé.
[3] L’installation STE, station de traitement des effluents, est à l’arrêt depuis le 1er janvier 2014. Le dépôt du dossier de démantèlement était attendu pour fin 2019 mais est encore en attente compte tenu, notamment, de la complexité de l’installation et du temps nécessaire à la caractérisation des sols et des équipements avant que le démantèlement ne soit engagé.