19 janvier 2024
Les 4 réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey (Ain) ont été impactés par 22 pannes depuis 2018 sur un circuit de refroidissement qui sont passées totalement inaperçues. Le logiciel, censé calculer l’encrassement de ce circuit, était mal calibré.
Crédit photo : André Paris
Le circuit en question (RRI [1] ) est un circuit intermédiaire : c’est lui qui refroidit les autres circuits et systèmes nécessaires au fonctionnement des réacteurs (appelés systèmes auxiliaires) et les circuits de secours (les systèmes de sauvegarde). C’est lui qui va par exemple refroidir les pompes qui font circuler l’eau du circuit primaire, le principal circuit de refroidissement du combustible quand il est dans la cuve. Sans ce refroidissement, les pompes surchaufferaient et ne pourraient plus faire circuler l’eau qui refroidit le combustible. Le circuit RRI permet aux autres circuits de remplir leurs fonctions.
Ce circuit fonctionne grâce à des échangeurs de chaleur. Il doit lui aussi être refroidi car à force de capter la chaleur des autres, il se réchauffe. Et trop chaud, il ne peut plus refroidir. Ce refroidissement du circuit RRI se fait grâce à des échangeurs de chaleur. L’eau réchauffée du circuit RRI est mise au contact d’eau froide issue directement du Rhône (circuit dit d’eau brute secourue).
En somme le circuit RRI qui refroidit les circuits a lui aussi besoin d’être refroidi. Et c’est justement ce refroidissement qui n’a pas été assuré, à 22 reprises au cours des cinq dernières années. Parce que les échangeurs étaient trop encrassés et que l’eau ne pouvait plus être suffisamment rafraîchie. Un logiciel censé surveiller quotidiennement et alerter sur le taux d’encrassement était mal calibré. Depuis quand ? Pourquoi ? Comment est-il possible de fonctionner aussi longtemps avec un logiciel mal paramétré sans que personne ne s’en rende compte ? Comment est-il ne serait-ce que possible de livrer un logiciel destiné aux centrales nucléaires avec des mauvaises consignes quant à son réglage ?
On ne sait pas trop comment, le 10 janvier 2024, les équipes des services centraux d’EDF se sont enfin rendu compte du problème avec le logiciel. Elles ont demandé aux équipes du Bugey de modifier certains paramètres du logiciel, afin que le taux d’encrassement des échangeurs ne soient plus sous-estimé.
C’est en passant en revue les résultats des essais quotidiens que les 22 pannes ont été identifiées - après coup évidemment. C’est-à-dire que 22 fois, au cours des cinq dernières années, le circuit de refroidissement n’était pas assez frais pour pouvoir refroidir correctement les équipements. Selon les règles censées régir le fonctionnement de la centrale nucléaire, le circuit RRI aurait dû être considéré comme indisponible et les échangeurs nettoyés.
Certes le circuit, comme tous les circuits les plus importants, est redondant : il est doublé, constitué de deux voies identiques et indépendantes l’une de l’autre. C’est une sécurité, si une panne ou un problème survient, l’autre voie peut prendre le relai. D’où la nécessité d’avoir les deux voies pleinement opérationnelles lorsque le réacteur fonctionne. Or, et c’est l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui apporte cette précision, une des 22 pannes non-détectées est survenue au moment où l’autre voie du circuit RRI était interrompue, pour maintenance. On ne sait pas combien de temps cette situation a duré, mais les réacteurs ont fonctionné alors que le refroidissement de leurs systèmes auxiliaires et de leurs systèmes de sauvegarde n’était plus assuré et sans que EDF ne le sache.
Logiciel fourni avec de mauvais paramétrages, essais quotidiens qui ne détectent rien, pannes insoupçonnées durant plus de cinq années par l’exploitant qui pense que tous ses circuits sont refroidis correctement alors qu’il n’en est rien ... Les faits - significatifs [2] pour la sûreté [3] des 4 réacteurs nucléaires du Bugey - montrent bien la cascade de réactions en chaîne produite par une erreur de conception d’un matériel.
Quand on ne peut pas avoir confiance dans ses systèmes de surveillance, on ne peut pas non plus se fier aux mesures fournies ni aux résultats des essais. Les diagnostics sont forcément faussés puisque la mesure de base l’est aussi. L’industriel ne peut donc pas savoir ce qui fonctionne correctement ou pas dans sa centrale nucléaire. Mais pour lui, puisque le système de surveillance ne donne pas d’alerte, c’est que tout fonctionne correctement. Or il n’en était rien, durant cinq ans.
L’incident, déclaré par EDF le 19 janvier 2024 démontre bien les failles des systèmes de contrôle de l’industriel qui ne maîtrise ni la qualité de ses matériels, ni (en toute logique) la fiabilité des contrôles basés sur ces matériels. Comme le dit l’ASN, heureusement qu’il n’y a pas eu, au cours de ces cinq ans, un accident nécessitant le fonctionnement du circuit RRI à pleine capacité car ça n’aurait tout simplement pas marché.
L.B.
Indisponibilités des échangeurs du système de refroidissement intermédiaire des quatre réacteurs
Publié le 19/01/2024
Centrale nucléaire du Bugey Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 16 janvier 2024, l’exploitant de la centrale nucléaire du Bugey a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif à la mise en évidence de 22 situations d’indisponibilités des échangeurs de refroidissement du système de refroidissement intermédiaire, survenue depuis 2018 sur les quatre réacteurs du site.
Le circuit de refroidissement intermédiaire (RRI) permet de refroidir, en fonctionnement normal comme en situation accidentelle, l’ensemble des matériels et fluides des systèmes auxiliaires et de sauvegarde du réacteur. Il est constitué de deux voies indépendantes et redondantes, refroidies par l’eau de la rivière à travers le circuit d’eau brute secourue (SEC) via des échangeurs (RRI/SEC). Une seule voie sur les deux du système RRI est suffisante pour assurer le refroidissement des systèmes auxiliaires et de sauvegarde du réacteur. Toutefois, les spécifications techniques d’exploitation (STE) imposent que, selon l’état du réacteur, un ou deux échangeurs soient disponibles.
Le fonctionnement normal du réacteur conduit à un encrassement naturel des échangeurs RRI/SEC et à la diminution de leur capacité de refroidissement. Cet encrassement est donc mesuré quotidiennement, afin de s’assurer que le système dispose toujours, avec des marges suffisantes, de capacités de refroidissement permettant de maintenir les installations dans un état sûr et de gérer les situations d’incident ou d’accident. Des opérations de nettoyage des échangeurs sont effectuées si la marge à l’encrassement, calculée à l’aide d’un logiciel, est trop faible.
Le 10 janvier 2024, les services centraux d’EDF ont identifié des anomalies dans les paramètres de calcul du logiciel mis à disposition du site pour vérifier les marges à l’encrassement des échangeurs RRI/SEC et ont demandé au site de Bugey d’en corriger plusieurs paramètres.
La vérification des résultats des essais réalisés quotidiennement depuis 2018 a mis en évidence que, dans 22 cas, les marges à l’encrassement de l’un des deux échangeurs RRI/SEC avaient été à tort considérées comme suffisantes et que la voie concernée était donc indisponible au sens des STE. Pour l’un de ces cas, l’autre voie du circuit RRI était également indisponible pour cause de maintenance.
En l’absence de situation incidentelle ou accidentelle nécessitant le fonctionnement à pleine capacité de la voie du système RRI qui était indisponible, cet événement n’a pas eu de conséquence sur l’installation, les travailleurs ou l’environnement.
Toutefois, en raison de plusieurs situations de fonctionnement des installations non autorisées par les spécifications techniques d’exploitation, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.
Déclaration d’un événement significatif relatif au non respect des règles générales d’exploitation
Publié le 19/01/2024
Evénement sûreté
Le circuit de refroidissement intermédiaire (RRI) permet de refroidir l’ensemble des matériels des systèmes auxiliaires et de sauvegarde du réacteur. Il est composé de deux circuits redondants (voies A et B), refroidis via des échangeurs par l’eau de la rivière à travers le circuit d’eau brute secourue (SEC).
Les Règles Générales d’Exploitation (RGE) constituent une synthèse des principales dispositions à prendre en compte pour assurer la sûreté de l’exploitation de l’installation et le respect des prescriptions techniques notifiées par l’ASN.
La surveillance des valeurs de température, de débit et de pression du circuit RRI est réalisée par un logiciel, qui définit en fonction une marge d’encrassement des échangeurs, conformément aux RGE.
Le 10 janvier 2024, une analyse des services centraux EDF qui pilotent le paramétrage du logiciel, plusieurs anomalies concernant le calcul de l’encrassement des échangeurs sont détectées. Ces anomalies conduisent à identifier 22 indisponibilités de matériels sur l’ensemble de 4 unités de production de la centrale du Bugey depuis 2018. L’indisponibilité de ces échangeurs n’était pas permise par les RGE dans la configuration dans laquelle se trouvait le réacteur.
Ces situations n’ont eu aucun impact sur la sûreté des installations, sur l’environnement, ni sur la sécurité de personnes. Elles conduisent toutefois la centrale du Bugey à déclarer, le 16 janvier 2024, un évènement significatif sûreté de niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7 à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
[1] Le circuit de refroidissement intermédiaire (RRI) permet de refroidir, en fonctionnement normal comme en situation accidentelle, l’ensemble des matériels et fluides des systèmes auxiliaires et de sauvegarde du réacteur. En particulier, le RRI refroidit les différentes parties mécaniques de pompes qui assurent la circulation de l’eau de refroidissement dans !e circuit primaire, notamment par une circulation l’eau dans un serpentin traversant ces pompes. Le circuit RRI est situé en grande partie à l’extérieur de l’enceinte de confinement ; le serpentin des pompes primaires se trouve à l’intérieur. En cas de dégradation du serpentin, l’eau du circuit primaire pourrait y pénétrer sous forte pression. https://www.asn.fr/lexique/R/RRI
[2] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[3] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire