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Falsifications à l’usine Areva du Creusot

En visite au Creusot pour annoncer la construction d’un nouveau porte-avion, Emmanuel Macron aligne clichés et déclarations d’amour au nucléaire

Article publié le 10 décembre 2020



Ce mardi 8 décembre 2020, Emmanuel Macron s’est rendu en grandes pompes à l’usine Framatome du Creusot, théâtre d’un gigantesque scandale de fraudes, pour y annoncer la construction d’un nouveau porte-avion à propulsion nucléaire. Il en a profité pour exprimer une nouvelle déclaration d’amour à l’industrie atomique, quitte à falsifier les faits.



Le Creusot, lieu emblématique des scandales et défaillances de l’industrie nucléaire

« Cette usine du Creusot est un concentré des qualités du nucléaire à la française », a déclaré Emmanuel Macron à l’issue de sa visite de ce site, où sont forgées les plus grosses pièces métalliques qui équipent les réacteurs nucléaire. Et de se lancer dans l’éloge de compétences « ancestrales » et la promesse d’un avenir radieux, les « moments de doutes » ayant enfin été surmontés.

Ce discours enthousiaste constitue un appel à l’amnésie collective : c’est en effet au Creusot qu’a été fabriquée la cuve défectueuse de l’EPR, malgré les avertissements de l’Autorité de sûreté nucléaire qui pointait déjà les mauvaises pratiques qui y régnaient [1]. C’est ici que, de fil en aiguille, un scandale de falsification à grande échelle de dossiers de fabrication a été découvert en 2016, touchant des milliers de pièces [2]. Nous avions déposé plainte à ce sujet en 2016 et l’Autorité de sûreté nucléaire avait également saisi la justice. Une instruction est en cours.

Suite à la découverte de ces problèmes, la production avait été suspendue deux années de suite. Une réorganisation interne a été effectuée. Mais les problèmes n’appartiennent pas pour autant au passé. En juillet 2020, un rapport de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire signalait à demi-mot la persistance de certaines mauvaises pratiques (récurrence des « écarts », surveillance de la qualité toujours pas opérationnelle, autorisation de poursuivre la fabrication de pièces sur lesquelles des « écarts » seraient repérés [3]).

En faisant l’éloge de cette usine, effectivement emblématique d’une filière minée par les fraudes et la perte de compétence, et en se contentant d’évoquer de simples « moments de doute », Emmanuel Macron démontre que dès qu’il s’agit du nucléaire, les dirigeants français sont prêts à fermer les yeux sur tout et à travestir la réalité…

Quand la défense vient au service d’une industrie mal en point

Très attendue, repoussée à plusieurs reprises en raison de la crise sanitaire, cette visite était destinée à annoncer la construction d’un nouveau porte-avion à propulsion nucléaire, dont certains composants seraient fabriqués au Creusot. Destiné à remplacer le Charles de Gaulle, une fois et demie plus puissant, le navire entrerait en service en 2038 et coûterait environ 7 milliards d’euros.

La défense viendra donc, aux frais des contribuables, au secours d’une industrie nucléaire en perte de vitesse et au carnet de commande dégarni. Alors qu’un million de personnes vient de basculer dans la pauvreté avec la crise sanitaire, n’y avait-il pas une meilleure utilisation des deniers publics à faire ?

Ce porte-avion représentera deux réacteurs nucléaires de plus en circulation, avec leur lot de déchets ingérables, de risque d’accident et de risques pour le personnel. Il pourra emporter à son bord des missiles nucléaires et servir de plate-forme pour les Rafales pour effectuer une "frappe d’avertissement", avec une arme nucléaire de 20 fois la puissance de la bombe larguée sur Hiroshima ! Alors que le Traité d’interdiction des armes nucléaires devrait entrer en vigueur en février 2021, notre pays devrait avoir d’autres priorités que d’assurer le transport d’engins de mort.

Avec cette annonce, Emmanuel Macron a en tout cas exprimé clairement son attachement au nucléaire civil et militaire, avouant on ne peut plus clairement le lien entre les deux : "Sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire ; sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil". Une reconnaissance cynique de l’interdépendance entre les centrales et la bombe...

De nouvelles déclarations d’amour à un nucléaire prétendument « écologique »

"Moi, j’ai besoin du nucléaire", avait déclaré quelques jours auparavant Emmanuel Macron dans une interview accordée à Brut., parsemant son discours de mensonges éhontés sur le nucléaire "bon pour le climat" ou l’Allemagne qui aurait remplacé l’atome par le charbon [4].

Cette visite au Creusot fut l’occasion d’en remettre une couche. "Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire", a-t-il insisté, continuant à aligner les clichés : atome prétendument garant de l’indépendance énergétique (alors que tout l’uranium est désormais importé), cocoricos sur la bonne gestion française de la sûreté et des déchets… Une nouvelle fois, Emmanuel Macron s’est posé en donneur de leçons d’écologie, en faisant la promotion d’une fausse solution, alors même qu’il venait, quelques jours plus tôt, d’afficher son mépris pour celles et ceux qui exigent de la France des mesures plus ambitieuses pour le climat.

Cette novlangue insupportable, qui repeint en vert une technologie polluante, n’a rien de gratuit. Il s’agit de présenter comme inéluctable les projets de nouveaux réacteurs, sachant que des discussions sont en cours avec EDF au sujet de la construction de six EPR entre 2025 et 2035. « La décision définitive de construction de nouveaux réacteurs doit être préparée et devra être prise au plus tard en 2023, lorsque l’EPR sera entré en service ». EDF est censée achever le travail d’études « dans les prochains mois, afin que tous les éléments nécessaires soient disponibles avant la fin du quinquennat ».

Emmanuel Macron s’apprête donc à renouveler, les yeux fermés, le soutien de l’État à des industriels en pleine déconfiture et à une technologie dépassée et dangereuse. Ce faisant, il n’engluerait pas seulement la France dans l’impasse nucléaire, mais saboterait aussi l’action climatique. Rappelons-le en effet : il ne suffit pas qu’une source d’énergie soit peu émettrice pour que celle-ci constitue un atout pour le climat. Encore faut-il qu’elle soit déployable rapidement, à peu de frais, et sans risques. L’exemple de l’EPR est à ce titre éloquent. Engloutir des dizaines de milliards d’euros dans des chantiers de réacteurs qui, au regard de l’état de la filière, continueront d’accumuler retard sur retard et malfaçons sur malfaçons, au détriment d’une véritable évolution de notre mode de consommation et de production, constituerait une faute monumentale.


Notes

[1Voir cette enquête éloquente menée par France Inter, évoquant un président de l’Autorité de sûreté nucléaire "effondré" en constatant le manque de compétences dans l’usine

[2Voir ce dossier . À la fin 2018, outre la cuve de l’EPR, pas moins de 3861 "écarts", dont 2982 constats d’anomalie, avaient été recensés sur des pièces équipant le parc nucléaire français et provenant de l’usine du Creusot.

[3En cas de découverte d’"écarts", l’usine peut ainsi "décider de prendre le risque industriel de poursuivre la fabrication d’une pièce. Dans ce cas, le client est préalablement prévenu et [Framatome] prend la responsabilité d’assumer les coûts si le traitement de l’écart proposé n’est pas adéquat". Malgré la faillite d’un système de contrôle basé sur le postulat de la bonne foi de l’exploitant, on continue de supposer qu’il déclarera de lui-même les problèmes et en informera ses clients !

[4Les données officielles démontrent pourtant que ce sont les énergies renouvelables qui ont pris le relai du nucléaire, comme le prouvent ces graphiques éloquents du Fraunhofer Institut ou du World Nuclear Report 2019

Le Creusot, lieu emblématique des scandales et défaillances de l’industrie nucléaire

« Cette usine du Creusot est un concentré des qualités du nucléaire à la française », a déclaré Emmanuel Macron à l’issue de sa visite de ce site, où sont forgées les plus grosses pièces métalliques qui équipent les réacteurs nucléaire. Et de se lancer dans l’éloge de compétences « ancestrales » et la promesse d’un avenir radieux, les « moments de doutes » ayant enfin été surmontés.

Ce discours enthousiaste constitue un appel à l’amnésie collective : c’est en effet au Creusot qu’a été fabriquée la cuve défectueuse de l’EPR, malgré les avertissements de l’Autorité de sûreté nucléaire qui pointait déjà les mauvaises pratiques qui y régnaient [1]. C’est ici que, de fil en aiguille, un scandale de falsification à grande échelle de dossiers de fabrication a été découvert en 2016, touchant des milliers de pièces [2]. Nous avions déposé plainte à ce sujet en 2016 et l’Autorité de sûreté nucléaire avait également saisi la justice. Une instruction est en cours.

Suite à la découverte de ces problèmes, la production avait été suspendue deux années de suite. Une réorganisation interne a été effectuée. Mais les problèmes n’appartiennent pas pour autant au passé. En juillet 2020, un rapport de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire signalait à demi-mot la persistance de certaines mauvaises pratiques (récurrence des « écarts », surveillance de la qualité toujours pas opérationnelle, autorisation de poursuivre la fabrication de pièces sur lesquelles des « écarts » seraient repérés [3]).

En faisant l’éloge de cette usine, effectivement emblématique d’une filière minée par les fraudes et la perte de compétence, et en se contentant d’évoquer de simples « moments de doute », Emmanuel Macron démontre que dès qu’il s’agit du nucléaire, les dirigeants français sont prêts à fermer les yeux sur tout et à travestir la réalité…

Quand la défense vient au service d’une industrie mal en point

Très attendue, repoussée à plusieurs reprises en raison de la crise sanitaire, cette visite était destinée à annoncer la construction d’un nouveau porte-avion à propulsion nucléaire, dont certains composants seraient fabriqués au Creusot. Destiné à remplacer le Charles de Gaulle, une fois et demie plus puissant, le navire entrerait en service en 2038 et coûterait environ 7 milliards d’euros.

La défense viendra donc, aux frais des contribuables, au secours d’une industrie nucléaire en perte de vitesse et au carnet de commande dégarni. Alors qu’un million de personnes vient de basculer dans la pauvreté avec la crise sanitaire, n’y avait-il pas une meilleure utilisation des deniers publics à faire ?

Ce porte-avion représentera deux réacteurs nucléaires de plus en circulation, avec leur lot de déchets ingérables, de risque d’accident et de risques pour le personnel. Il pourra emporter à son bord des missiles nucléaires et servir de plate-forme pour les Rafales pour effectuer une "frappe d’avertissement", avec une arme nucléaire de 20 fois la puissance de la bombe larguée sur Hiroshima ! Alors que le Traité d’interdiction des armes nucléaires devrait entrer en vigueur en février 2021, notre pays devrait avoir d’autres priorités que d’assurer le transport d’engins de mort.

Avec cette annonce, Emmanuel Macron a en tout cas exprimé clairement son attachement au nucléaire civil et militaire, avouant on ne peut plus clairement le lien entre les deux : "Sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire ; sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil". Une reconnaissance cynique de l’interdépendance entre les centrales et la bombe...

De nouvelles déclarations d’amour à un nucléaire prétendument « écologique »

"Moi, j’ai besoin du nucléaire", avait déclaré quelques jours auparavant Emmanuel Macron dans une interview accordée à Brut., parsemant son discours de mensonges éhontés sur le nucléaire "bon pour le climat" ou l’Allemagne qui aurait remplacé l’atome par le charbon [4].

Cette visite au Creusot fut l’occasion d’en remettre une couche. "Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire", a-t-il insisté, continuant à aligner les clichés : atome prétendument garant de l’indépendance énergétique (alors que tout l’uranium est désormais importé), cocoricos sur la bonne gestion française de la sûreté et des déchets… Une nouvelle fois, Emmanuel Macron s’est posé en donneur de leçons d’écologie, en faisant la promotion d’une fausse solution, alors même qu’il venait, quelques jours plus tôt, d’afficher son mépris pour celles et ceux qui exigent de la France des mesures plus ambitieuses pour le climat.

Cette novlangue insupportable, qui repeint en vert une technologie polluante, n’a rien de gratuit. Il s’agit de présenter comme inéluctable les projets de nouveaux réacteurs, sachant que des discussions sont en cours avec EDF au sujet de la construction de six EPR entre 2025 et 2035. « La décision définitive de construction de nouveaux réacteurs doit être préparée et devra être prise au plus tard en 2023, lorsque l’EPR sera entré en service ». EDF est censée achever le travail d’études « dans les prochains mois, afin que tous les éléments nécessaires soient disponibles avant la fin du quinquennat ».

Emmanuel Macron s’apprête donc à renouveler, les yeux fermés, le soutien de l’État à des industriels en pleine déconfiture et à une technologie dépassée et dangereuse. Ce faisant, il n’engluerait pas seulement la France dans l’impasse nucléaire, mais saboterait aussi l’action climatique. Rappelons-le en effet : il ne suffit pas qu’une source d’énergie soit peu émettrice pour que celle-ci constitue un atout pour le climat. Encore faut-il qu’elle soit déployable rapidement, à peu de frais, et sans risques. L’exemple de l’EPR est à ce titre éloquent. Engloutir des dizaines de milliards d’euros dans des chantiers de réacteurs qui, au regard de l’état de la filière, continueront d’accumuler retard sur retard et malfaçons sur malfaçons, au détriment d’une véritable évolution de notre mode de consommation et de production, constituerait une faute monumentale.



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Thèmes
 Nucléaire et démocratie