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Dissiper « Les merveilleux nuages » du nucléaire
Février 2022. À Belfort, E. Macron annonce son intention de faire construire 6 à 14 nouveaux réacteurs nucléaires en France. Le physicien Harry Bernas s’interroge : ce projet répond-il aux enjeux climatiques et sociaux de notre époque ? Est-il réalisable ? Sa réponse tient en un livre : Les merveilleux nuages. Que faire du nucléaire ?
« On croit parler de technologie mais le « nucléaire » tel qu’il existe résulte d’abord de choix faits par des États en des moments critiques de l’Histoire. Ce qui place la réflexion et le débat sur le plan politique et social. »
Harry Bernas, l’auteur de Les merveilleux nuages. Que faire du nucléaire ? [1], le prouve en revenant aux origines de cette technologie.
En 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, le premier réacteur finalisé vise à produire le plutonium nécessaire à la bombe nucléaire. En 1949, la Commission de l’énergie atomique américaine estime qu’il faudra mener vingt années de recherche supplémentaire pour faire aboutir un projet de production d’énergie nucléaire à l’échelle industrielle [2]. Mais la politique en décidera autrement.
En 1953, Eisenhower fige le destin de l’industrie nucléaire en lançant son programme « Atoms for peace ». En proposant d’offrir à tous les pays du monde une aide pour développer les applications pacifiques de l’énergie atomique, il précipite un arbitrage entre les différents types de réacteurs qui existent alors à l’état de dispositifs expérimentaux. Parmi ceux-ci, le réacteur à eau pressurisée (REP), un type de light water reactor (LWR), est hâtivement choisi en raison de sa robustesse et de sa simplicité.
70 ans plus tard, la technologie a peu évolué. Les EPR sont une évolution des REP qui composent le parc français. La logique court-termiste de la politique a fait prévaloir les impératifs économiques, dictés par le capitalisme mondial, sur les besoins technologiques. Aucun projet n’a pu réduire la production de déchets nucléaires. Aucune des dispositions nécessaires pour anticiper la fermeture de réacteurs vieillissants, tout en assurant la continuité de la production énergétique, n’a été prise. Dans ce contexte, l’annonce d’E. Macron de relancer la filière nucléaire relève, pour l’auteur, d’une volonté arbitraire, déconnectée de la réalité industrielle française et de la disponibilité de main d’œuvre et de compétences. Elle est donc, pour lui, à lire essentiellement à l’aune des priorités stratégiques d’un président d’abord chef des armées, qui dira en décembre 2020 au Creusot : « Tout ce qui fait que la France est une puissance indépendante, écoutée, respectée, repose sur la filière nucléaire. ».
L’auteur conclut en traçant un autre avenir énergétique possible. Nous vivons aujourd’hui des crises environnementales, climatiques et sociales sans précédent. Comme « le premier vecteur matériel de toute transformation est l’énergie » (p.114), il convient d’assujettir le futur de l’énergie à ces enjeux et aux besoins qui y sont corrélés. Cela afin de sortir des nuages de la continuité du tout nucléaire qui fonde le discours dominant, et ainsi reprendre pied dans la réalité. Ses préconisations (consultations citoyennes, effort public porté par EDF et un État fort, recherches autonomes sur le nucléaire et plan de développement des énergies renouvelables) ne plairont pas à tout le monde. Mais elles ont le mérite de s’inscrire dans un propos général très étayé qui rouvre la discussion et déplace les termes du débat alors qu’il semble aujourd’hui sclérosé et impossible.
Marion Rivet, chargée des relations extérieures