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Sortir du nucléaire n°40



Novembre 2008

Démantèlement

Démantèlement : un débat public est impératif

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°40 - Novembre 2008

 Nucléaire et économie  Déchets radioactifs  Sites nucléaires
Article publié le : 1er novembre 2008


Le choix de la filière nucléaire a été imposé aux Français sans aucune consultation démocratique. Outre les risques liés à l’activité des installations et ceux liés à la gestion des déchets, un troisième type de problème doit aujourd’hui être pris en compte : celui du démantèlement des sites nucléaires.



La situation actuelle

Il existe actuellement en France 121 installations nucléaires de base (INB). Quatorze sont en cours de démantèlement, parmi lesquelles neuf réacteurs nucléaires. A ces chantiers majeurs vont bientôt s’ajouter celui de la première usine de retraitement de la Hague où, lors de travaux dits préparatoires, deux travailleurs ont été contaminés par du plutonium, ainsi que les chantiers des centrales nucléaires de type PWR 900 et 1300 MW. En effet, les 58 réacteurs d’EDF, mis en service entre 1977 et 2002, vont devoir être progressivement mis à l’arrêt, leur durée de vie étant initialement prévue pour trente ans.
L’Agence Internationale de l’Energie Atomique a défini pour le démantèlement d’une centrale nucléaire trois étapes :

- Niveau 1 : mise à l’arrêt définitif, qui consiste à décharger le combustible du cœur du réacteur.
- Niveau 2 : démantèlement partiel, au cours duquel sont déconstruits tous les bâtiments de la centrale à l’exception de celui abritant le réacteur.
- Niveau 3 : démantèlement total, où le bâtiment réacteur lui-même est démantelé.

Or, jusqu’à aujourd’hui, aucun démantèlement de centrale nucléaire n’est arrivé au niveau 3, qui est la partie la plus problématique, tant pour la protection des travailleurs et de l’environnement que pour la prise en charge des déchets. Le démantèlement de la centrale de Brennilis, qui se voulait une vitrine technologique, a montré l’ampleur des difficultés que pose ce type de chantier.

Brennilis, le démantèlement à l’épreuve des faits

La centrale de Brennilis a été arrêtée définitivement en 1985. En mars 2006, des prélèvements effectués en aval de la station de traitement des effluents (STE) par la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) ont révélé une contamination incontestable de l’environnement due à la centrale. Alors que son démantèlement de niveau 2 a été autorisé par décret en 1996, il n’était toujours pas achevé dix ans plus tard, en raison des difficultés rencontrées notamment lors des travaux dans la STE. Néanmoins, un nouveau décret autorisa le passage au niveau 3, allant ainsi à l’encontre d’une étude réalisée par EDF et le CEA en 1999 qui préconisait que ces travaux ne devaient être entrepris qu’une fois ceux de niveau 2 terminés. Cette étude soulignait en outre “l’effet positif d’une attente prolongée de décroissance radioactive sur la dosimétrie cumulée à laquelle seront soumis les intervenants, à l’occasion des travaux de démantèlement définitif”. Enfin, elle spécifiait que les déchets générés devaient bénéficier d’une filière spécifique et disponible, ce qui n’était pas le cas. Pourtant, parmi les trois scénarios proposés par le CEA et EDF – démantèlement immédiat, démantèlement 20 ans après l’arrêt du réacteur, démantèlement 40 ans après l’arrêt du réacteur – c’est le scénario court qui a été finalement choisi, et ce sans qu’aucune étude d’impact ne soit mise à disposition du public.
Afin de tenter de pallier au problème posé par les déchets résultant du démantèlement, EDF décida alors de construire un site de stockage temporaire (ICEDA - Installation de Conditionnement et d’Entreposage de Déchets d’Activation). Cette solution ne pourra toutefois pas être disponible avant 2015, sous réserve d’obtenir les autorisations nécessaires. De plus, située sur le site du Bugey(Ain), à près de 1000 km de Brennilis, elle impliquera de transporter des déchets sur de très longues distances, pour un stockage qui ne sera pas définitif. Inquiet de cette situation, de l’impact éventuel de ces problèmes méthodologiques sur l’environnement, et de la non-consultation de la population, le Réseau “Sortir du nucléaire” a demandé et obtenu en 2007 l’annulation devant le Conseil d’Etat du décret gouvernemental du 9 février 2006 autorisant le démantèlement complet de la centrale nucléaire de Brennilis. Le motif d’annulation était “l’absence de mise à disposition du public d’une étude d’impact” des travaux. En effet, cette obligation d’informer est prévue par une directive européenne de 1985. Peu de temps après cette annulation, un rapport d’inspection de l’Autorité de Sureté Nucléaire a pointé plusieurs dysfonctionnements importants dans les opérations de démantèlement.

Des chantiers titanesques

Avec ses 70 MW de capacité, Brennilis est considéré comme un petit réacteur, bien loin derrière des centrales de type PWR 900 et 1300 MW. Or l’expérience a montré que même lorsqu’il s’agit d’un réacteur de taille modeste, un chantier de démantèlement représente un travail considérable, qui s’étale sur plusieurs dizaines d’années et nécessite l’observance de règles de sécurité strictes afin de protéger à la fois les travailleurs, l’environnement et les populations locales. On peut donc légitimement craindre que les déconstructions futures, qui concerneront des installations beaucoup plus importantes, posent des problèmes quasiment insurmontables aux exploitants.
De plus, outre les difficultés méthodologiques, techniques, sanitaires et environnementales, la question des coûts de tels chantiers est primordiale. Dans son rapport de 1979, la commission PEON (Production d’Électricité d’Origine Nucléaire), à l’origine du parc nucléaire actuel, estimait les coûts du démantèlement en France à 16% du coût complet d’investissement d’une tranche REP de 900 MW. En 1991, la DIGEC (Direction du Gaz de l’Electricité et du Charbon) a réajusté ce pourcentage pour tenir compte de la modification des coûts de référence de l’étude PEON, et l’a fixé à 15%. Or dans le cas de la centrale de Brennilis, le coût effectif du démantèlement était considérablement supérieur au coût attendu : selon la Cour des Comptes, il reviendrait au final à 482 millions d’euros, soit une somme 20 fois plus importante que celle calculée selon les estimations du rapport PEON.
On peut donc s’interroger sur le réalisme des prévisions de cette commission, qui chiffre à 15 milliards d’euros le coût du démantèlement de l’ensemble du parc électronucléaire français. D’autant plus que les sommes provisionnées par d’autres pays européens pour la déconstruction complète de leurs installations nucléaires sont sans commune mesure avec les prévisions françaises. Ainsi, au Royaume-Uni, le gouvernement anglais évalue le coût du démantèlement d’une vingtaine de sites à 104 milliards d’euros. Même si, en 2005, la Cour des Comptes a estimé que les sommes provisionnées pour le démantèlement du parc français (58 réacteurs) devaient s’élever à 71 milliards d’euros (soit plus que les recommandations de la commission PEON), ce montant reste bien en deçà des prévisions anglaises.
Ces sommes provisionnées posent un autre problème : elles ne disposent pas de garanties financières suffisantes. Or dans un contexte d’expansion internationale, de privatisation et de spéculation, la question de leur gestion et de leur disponibilité le moment venu est cruciale. La Cour des Comptes note d’ailleurs que “Sans mécanisme de sécurisation, le risque existe, dans le cadre d’une ouverture du capital d’Areva et d’EDF dans des marchés devenus fortement concurrentiels, que les conséquences financières de leurs obligations de démantèlement et de gestion de leurs déchets soient mal assurées et que la charge en rejaillisse in fine sur l’Etat”. Inquiétant, surtout lorsqu’on sait que les provisions actuelles d’EDF, censées financer plus de la moitié des coûts totaux de démantèlement, sont considérées comme “embryonnaires” par cette même Cour des Comptes…
Enfin, de grandes incertitudes existent également sur les coûts d’un éventuel stockage profond des déchets nucléaires. Du fait de leur durée de vie, de la longueur des opérations de démantèlement et du retard qu’elles accusent, les estimations de ces coûts de stockage varient en effet de 14 à 58 milliards d’euros.
Toutes ces constatations confirment que le nucléaire est une impasse énergétique. Pour en sortir, il faut désormais cesser de construire de nouveaux réacteurs, et s’atteler à trouver les moins mauvaises solutions possibles pour gérer les sites actuels, à la fois sur le plan sanitaire et sur le plan environnemental. La population, qui s’est vu imposer le nucléaire sans aucune consultation démocratique, et parfois par la violence, doit pouvoir à présent s’impliquer dans les discussions visant à réparer les erreurs du passé. Au vu de l’ampleur des chantiers à venir, il est en effet impensable de gérer ces travaux de démantèlement site par site, selon des stratégies variables et confidentielles.

Un débat public indispensable

La consultation de la population sur la question du démantèlement des installations nucléaires doit se faire sous la forme d’un débat public national, relayé par des débats publics locaux sur chaque site concerné par un démantèlement, et ce avant toute décision ou enquête publique. Le Réseau “Sortir du nucléaire” réclame ce débat depuis fort longtemps. Plusieurs autres associations ont également formulé cette demande, ainsi que plusieurs milliers d’internautes. Toutefois, aucune réponse satisfaisante n’a été apportée à ce jour. Au contraire, on constate une accélération dans la mise en place des scénarios élaborés par les industriels du nucléaire. Ainsi, loin d’être stoppé en attendant une éventuelle consultation publique, le projet de l’ICEDA du Bugey continue à suivre son cours.
Dans le même esprit, en juin 2008, l’ANDRA (agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) a lancé une campagne de démarchage auprès de 3115 communes françaises en vue de l’implantation d’un site d’enfouissement de déchets radioactifs en couches argileuses profondes qui devrait accueillir notamment des déchets issus des démantèlements. Ce faisant, l’agence impose sa vision de la gestion des déchets, alors même que les associations de protection de l’environnement réclament un débat public. Ce passage en force est d’autant plus intolérable que l’actualité allemande a récemment montré que le stockage profond comportait de graves risques : de 1967 à 1978, 126000 fûts de déchets radioactifs ont été entreposés dans l’ancienne mine de sel de Asse, utilisée comme centre de stockage définitif. Or elle subit depuis 1988 des infiltrations de saumure qui ont corrodé certains des fûts stockés, provoquant la contamination radioactive de leur environnement. La fermeture du site a été décidée et, après d’âpres discussions, un compromis permettant d’impliquer le public dans les futurs choix de l’exploitant a été trouvé. Malheureusement, en France ce type de démarche n’a pas encore la faveur des décideurs, et l’Etat lui-même ne tolère aucune place pour les citoyens dans les prises de décision concernant le nucléaire.
L’ASN s’est lancée récemment dans une consultation par Internet sur la question du démantèlement des installations nucléaires. La teneur des participations montre que la controverse est loin d’être résolue et que ce type de “débat” virtuel ne peut en aucun cas dispenser de la tenue de débats publics. C’est dans ce contexte qu’en avril 2008 le Réseau “Sortir du nucléaire” a remis de façon formelle une demande de débat public à propos du démantèlement des installations nucléaires à M. Jean-Louis Borloo, Ministre de l’Écologie, de l’énergie et du développement durable, à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’État, et à M. Philippe Deslandes, Président de la Commission Nationale du Débat Public.

Associer le public à la décision dès le commencement

La France n’est pas une démocratie directe mais une démocratie représentative. Toutefois, grâce à l’Union européenne et à la création de la convention d’Aarhus il est possible d’avoir recours à la démocratie participative pour trancher certaines questions de société prêtant à controverse. Signée le 25 juin 1998 au Danemark par 39 États, cette convention porte sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Elle prévoit notamment de :

- Développer l’accès du public à l’information détenue par les autorités publiques, en prévoyant notamment une diffusion transparente et accessible des informations fondamentales

- Favoriser la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l’environnement. Il est notamment prévu d’encourager la participation du public dès le début d’une procédure d’aménagement. Le résultat de sa participation doit être pris en considération dans la décision finale, laquelle doit faire également l’objet d’une information.

- Étendre les conditions d’accès à la justice en matière de législation environnementale et d’accès à l’information.

En France, la convention d’Aarhus a été ratifiée en février 2002. Toutefois, le gouvernement a tendance à en refuser ou en détourner l’application, alors même que cette convention mentionne explicitement les installations nucléaires. Le débat public sur le réacteur nucléaire EPR de Flamanville a été organisé alors que le choix de le construire était déjà fait. Il en est de même en ce qui concerne la question de la relance de l’électronucléaire, qui n’a jamais été posée à la population. La convention d’Aarhus impose des devoirs aux Etats qui l’ont ratifiée. L’ASN se doit de soutenir la nécessité d’un débat public sur le démantèlement des installations nucléaires auprès des ministres concernés. Honnête et non truqué, il devra répondre à 2 critères :

- La qualité de la procédure : l’information devra être complète et contradictoire. La procédure devra être protégée contre les conflits d’intérêt et le lobbying de quelque sorte que ce soit. Pour ce faire, il faudra que la participation des experts indépendants, des associations, des syndicats et des citoyens soit égale à celle des exploitants, agences, experts et instituts officiels.
- Le résultat des débats devra être pris en compte par les décideurs (parlementaires et gouvernement)

Alors seulement pourra-t-on espérer trouver les moins mauvaises réponses possibles aux questions concernant le démantèlement des installations nucléaires :
- Quel choix de démantèlement (rapide, différé, sur place ou non…)
- Quelle sera l’estimation de la dosimétrie reçue en fonction de la solution de démantèlement choisie ?
- Quel sera le devenir des déchets radioactifs ?
- Quel sera l’impact immédiat et à long terme sur la santé des travailleurs ?
-Quels moyens de contrôles indépendants de l’exploitant nucléaire seront définis ?
- Des études épidémiologiques seront-elles envisagées ?
- Quels seront les coûts d’un tel programme de démantèlement, et quel sera leur impact sur les coûts réels du kilowatt nucléaire ?
- Doit-on poursuivre la filière électronucléaire au vu, notamment des problèmes posés par le démantèlement et la gestion des déchets radioactifs ?

Cette liste n’est pas exhaustive, et organiser ces débats publics demandera du temps et des moyens. Mais c’est le prix de la véritable démocratie : elle suppose l’implication des citoyens dans les processus de décision. Ce n’est possible qu’à la condition d’offrir un accès à une information claire, de qualité et contradictoire. Il n’est pas acceptable qu’il n’y ait pas en France de véritable débat démocratique sur l’ensemble du démantèlement, la gestion des déchets et la fin du cycle nucléaire.

Réseau "Sortir du nucléaire"


NB : Cet article a été rédigé suite à un courrier de l’Autorité de Sureté Nucléaire proposant au Réseau de publier un article sur le démantèlement dans sa revue “Contrôle”.

La situation actuelle

Il existe actuellement en France 121 installations nucléaires de base (INB). Quatorze sont en cours de démantèlement, parmi lesquelles neuf réacteurs nucléaires. A ces chantiers majeurs vont bientôt s’ajouter celui de la première usine de retraitement de la Hague où, lors de travaux dits préparatoires, deux travailleurs ont été contaminés par du plutonium, ainsi que les chantiers des centrales nucléaires de type PWR 900 et 1300 MW. En effet, les 58 réacteurs d’EDF, mis en service entre 1977 et 2002, vont devoir être progressivement mis à l’arrêt, leur durée de vie étant initialement prévue pour trente ans.
L’Agence Internationale de l’Energie Atomique a défini pour le démantèlement d’une centrale nucléaire trois étapes :

- Niveau 1 : mise à l’arrêt définitif, qui consiste à décharger le combustible du cœur du réacteur.
- Niveau 2 : démantèlement partiel, au cours duquel sont déconstruits tous les bâtiments de la centrale à l’exception de celui abritant le réacteur.
- Niveau 3 : démantèlement total, où le bâtiment réacteur lui-même est démantelé.

Or, jusqu’à aujourd’hui, aucun démantèlement de centrale nucléaire n’est arrivé au niveau 3, qui est la partie la plus problématique, tant pour la protection des travailleurs et de l’environnement que pour la prise en charge des déchets. Le démantèlement de la centrale de Brennilis, qui se voulait une vitrine technologique, a montré l’ampleur des difficultés que pose ce type de chantier.

Brennilis, le démantèlement à l’épreuve des faits

La centrale de Brennilis a été arrêtée définitivement en 1985. En mars 2006, des prélèvements effectués en aval de la station de traitement des effluents (STE) par la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) ont révélé une contamination incontestable de l’environnement due à la centrale. Alors que son démantèlement de niveau 2 a été autorisé par décret en 1996, il n’était toujours pas achevé dix ans plus tard, en raison des difficultés rencontrées notamment lors des travaux dans la STE. Néanmoins, un nouveau décret autorisa le passage au niveau 3, allant ainsi à l’encontre d’une étude réalisée par EDF et le CEA en 1999 qui préconisait que ces travaux ne devaient être entrepris qu’une fois ceux de niveau 2 terminés. Cette étude soulignait en outre “l’effet positif d’une attente prolongée de décroissance radioactive sur la dosimétrie cumulée à laquelle seront soumis les intervenants, à l’occasion des travaux de démantèlement définitif”. Enfin, elle spécifiait que les déchets générés devaient bénéficier d’une filière spécifique et disponible, ce qui n’était pas le cas. Pourtant, parmi les trois scénarios proposés par le CEA et EDF – démantèlement immédiat, démantèlement 20 ans après l’arrêt du réacteur, démantèlement 40 ans après l’arrêt du réacteur – c’est le scénario court qui a été finalement choisi, et ce sans qu’aucune étude d’impact ne soit mise à disposition du public.
Afin de tenter de pallier au problème posé par les déchets résultant du démantèlement, EDF décida alors de construire un site de stockage temporaire (ICEDA - Installation de Conditionnement et d’Entreposage de Déchets d’Activation). Cette solution ne pourra toutefois pas être disponible avant 2015, sous réserve d’obtenir les autorisations nécessaires. De plus, située sur le site du Bugey(Ain), à près de 1000 km de Brennilis, elle impliquera de transporter des déchets sur de très longues distances, pour un stockage qui ne sera pas définitif. Inquiet de cette situation, de l’impact éventuel de ces problèmes méthodologiques sur l’environnement, et de la non-consultation de la population, le Réseau “Sortir du nucléaire” a demandé et obtenu en 2007 l’annulation devant le Conseil d’Etat du décret gouvernemental du 9 février 2006 autorisant le démantèlement complet de la centrale nucléaire de Brennilis. Le motif d’annulation était “l’absence de mise à disposition du public d’une étude d’impact” des travaux. En effet, cette obligation d’informer est prévue par une directive européenne de 1985. Peu de temps après cette annulation, un rapport d’inspection de l’Autorité de Sureté Nucléaire a pointé plusieurs dysfonctionnements importants dans les opérations de démantèlement.

Des chantiers titanesques

Avec ses 70 MW de capacité, Brennilis est considéré comme un petit réacteur, bien loin derrière des centrales de type PWR 900 et 1300 MW. Or l’expérience a montré que même lorsqu’il s’agit d’un réacteur de taille modeste, un chantier de démantèlement représente un travail considérable, qui s’étale sur plusieurs dizaines d’années et nécessite l’observance de règles de sécurité strictes afin de protéger à la fois les travailleurs, l’environnement et les populations locales. On peut donc légitimement craindre que les déconstructions futures, qui concerneront des installations beaucoup plus importantes, posent des problèmes quasiment insurmontables aux exploitants.
De plus, outre les difficultés méthodologiques, techniques, sanitaires et environnementales, la question des coûts de tels chantiers est primordiale. Dans son rapport de 1979, la commission PEON (Production d’Électricité d’Origine Nucléaire), à l’origine du parc nucléaire actuel, estimait les coûts du démantèlement en France à 16% du coût complet d’investissement d’une tranche REP de 900 MW. En 1991, la DIGEC (Direction du Gaz de l’Electricité et du Charbon) a réajusté ce pourcentage pour tenir compte de la modification des coûts de référence de l’étude PEON, et l’a fixé à 15%. Or dans le cas de la centrale de Brennilis, le coût effectif du démantèlement était considérablement supérieur au coût attendu : selon la Cour des Comptes, il reviendrait au final à 482 millions d’euros, soit une somme 20 fois plus importante que celle calculée selon les estimations du rapport PEON.
On peut donc s’interroger sur le réalisme des prévisions de cette commission, qui chiffre à 15 milliards d’euros le coût du démantèlement de l’ensemble du parc électronucléaire français. D’autant plus que les sommes provisionnées par d’autres pays européens pour la déconstruction complète de leurs installations nucléaires sont sans commune mesure avec les prévisions françaises. Ainsi, au Royaume-Uni, le gouvernement anglais évalue le coût du démantèlement d’une vingtaine de sites à 104 milliards d’euros. Même si, en 2005, la Cour des Comptes a estimé que les sommes provisionnées pour le démantèlement du parc français (58 réacteurs) devaient s’élever à 71 milliards d’euros (soit plus que les recommandations de la commission PEON), ce montant reste bien en deçà des prévisions anglaises.
Ces sommes provisionnées posent un autre problème : elles ne disposent pas de garanties financières suffisantes. Or dans un contexte d’expansion internationale, de privatisation et de spéculation, la question de leur gestion et de leur disponibilité le moment venu est cruciale. La Cour des Comptes note d’ailleurs que “Sans mécanisme de sécurisation, le risque existe, dans le cadre d’une ouverture du capital d’Areva et d’EDF dans des marchés devenus fortement concurrentiels, que les conséquences financières de leurs obligations de démantèlement et de gestion de leurs déchets soient mal assurées et que la charge en rejaillisse in fine sur l’Etat”. Inquiétant, surtout lorsqu’on sait que les provisions actuelles d’EDF, censées financer plus de la moitié des coûts totaux de démantèlement, sont considérées comme “embryonnaires” par cette même Cour des Comptes…
Enfin, de grandes incertitudes existent également sur les coûts d’un éventuel stockage profond des déchets nucléaires. Du fait de leur durée de vie, de la longueur des opérations de démantèlement et du retard qu’elles accusent, les estimations de ces coûts de stockage varient en effet de 14 à 58 milliards d’euros.
Toutes ces constatations confirment que le nucléaire est une impasse énergétique. Pour en sortir, il faut désormais cesser de construire de nouveaux réacteurs, et s’atteler à trouver les moins mauvaises solutions possibles pour gérer les sites actuels, à la fois sur le plan sanitaire et sur le plan environnemental. La population, qui s’est vu imposer le nucléaire sans aucune consultation démocratique, et parfois par la violence, doit pouvoir à présent s’impliquer dans les discussions visant à réparer les erreurs du passé. Au vu de l’ampleur des chantiers à venir, il est en effet impensable de gérer ces travaux de démantèlement site par site, selon des stratégies variables et confidentielles.

Un débat public indispensable

La consultation de la population sur la question du démantèlement des installations nucléaires doit se faire sous la forme d’un débat public national, relayé par des débats publics locaux sur chaque site concerné par un démantèlement, et ce avant toute décision ou enquête publique. Le Réseau “Sortir du nucléaire” réclame ce débat depuis fort longtemps. Plusieurs autres associations ont également formulé cette demande, ainsi que plusieurs milliers d’internautes. Toutefois, aucune réponse satisfaisante n’a été apportée à ce jour. Au contraire, on constate une accélération dans la mise en place des scénarios élaborés par les industriels du nucléaire. Ainsi, loin d’être stoppé en attendant une éventuelle consultation publique, le projet de l’ICEDA du Bugey continue à suivre son cours.
Dans le même esprit, en juin 2008, l’ANDRA (agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) a lancé une campagne de démarchage auprès de 3115 communes françaises en vue de l’implantation d’un site d’enfouissement de déchets radioactifs en couches argileuses profondes qui devrait accueillir notamment des déchets issus des démantèlements. Ce faisant, l’agence impose sa vision de la gestion des déchets, alors même que les associations de protection de l’environnement réclament un débat public. Ce passage en force est d’autant plus intolérable que l’actualité allemande a récemment montré que le stockage profond comportait de graves risques : de 1967 à 1978, 126000 fûts de déchets radioactifs ont été entreposés dans l’ancienne mine de sel de Asse, utilisée comme centre de stockage définitif. Or elle subit depuis 1988 des infiltrations de saumure qui ont corrodé certains des fûts stockés, provoquant la contamination radioactive de leur environnement. La fermeture du site a été décidée et, après d’âpres discussions, un compromis permettant d’impliquer le public dans les futurs choix de l’exploitant a été trouvé. Malheureusement, en France ce type de démarche n’a pas encore la faveur des décideurs, et l’Etat lui-même ne tolère aucune place pour les citoyens dans les prises de décision concernant le nucléaire.
L’ASN s’est lancée récemment dans une consultation par Internet sur la question du démantèlement des installations nucléaires. La teneur des participations montre que la controverse est loin d’être résolue et que ce type de “débat” virtuel ne peut en aucun cas dispenser de la tenue de débats publics. C’est dans ce contexte qu’en avril 2008 le Réseau “Sortir du nucléaire” a remis de façon formelle une demande de débat public à propos du démantèlement des installations nucléaires à M. Jean-Louis Borloo, Ministre de l’Écologie, de l’énergie et du développement durable, à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’État, et à M. Philippe Deslandes, Président de la Commission Nationale du Débat Public.

Associer le public à la décision dès le commencement

La France n’est pas une démocratie directe mais une démocratie représentative. Toutefois, grâce à l’Union européenne et à la création de la convention d’Aarhus il est possible d’avoir recours à la démocratie participative pour trancher certaines questions de société prêtant à controverse. Signée le 25 juin 1998 au Danemark par 39 États, cette convention porte sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Elle prévoit notamment de :

- Développer l’accès du public à l’information détenue par les autorités publiques, en prévoyant notamment une diffusion transparente et accessible des informations fondamentales

- Favoriser la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l’environnement. Il est notamment prévu d’encourager la participation du public dès le début d’une procédure d’aménagement. Le résultat de sa participation doit être pris en considération dans la décision finale, laquelle doit faire également l’objet d’une information.

- Étendre les conditions d’accès à la justice en matière de législation environnementale et d’accès à l’information.

En France, la convention d’Aarhus a été ratifiée en février 2002. Toutefois, le gouvernement a tendance à en refuser ou en détourner l’application, alors même que cette convention mentionne explicitement les installations nucléaires. Le débat public sur le réacteur nucléaire EPR de Flamanville a été organisé alors que le choix de le construire était déjà fait. Il en est de même en ce qui concerne la question de la relance de l’électronucléaire, qui n’a jamais été posée à la population. La convention d’Aarhus impose des devoirs aux Etats qui l’ont ratifiée. L’ASN se doit de soutenir la nécessité d’un débat public sur le démantèlement des installations nucléaires auprès des ministres concernés. Honnête et non truqué, il devra répondre à 2 critères :

- La qualité de la procédure : l’information devra être complète et contradictoire. La procédure devra être protégée contre les conflits d’intérêt et le lobbying de quelque sorte que ce soit. Pour ce faire, il faudra que la participation des experts indépendants, des associations, des syndicats et des citoyens soit égale à celle des exploitants, agences, experts et instituts officiels.
- Le résultat des débats devra être pris en compte par les décideurs (parlementaires et gouvernement)

Alors seulement pourra-t-on espérer trouver les moins mauvaises réponses possibles aux questions concernant le démantèlement des installations nucléaires :
- Quel choix de démantèlement (rapide, différé, sur place ou non…)
- Quelle sera l’estimation de la dosimétrie reçue en fonction de la solution de démantèlement choisie ?
- Quel sera le devenir des déchets radioactifs ?
- Quel sera l’impact immédiat et à long terme sur la santé des travailleurs ?
-Quels moyens de contrôles indépendants de l’exploitant nucléaire seront définis ?
- Des études épidémiologiques seront-elles envisagées ?
- Quels seront les coûts d’un tel programme de démantèlement, et quel sera leur impact sur les coûts réels du kilowatt nucléaire ?
- Doit-on poursuivre la filière électronucléaire au vu, notamment des problèmes posés par le démantèlement et la gestion des déchets radioactifs ?

Cette liste n’est pas exhaustive, et organiser ces débats publics demandera du temps et des moyens. Mais c’est le prix de la véritable démocratie : elle suppose l’implication des citoyens dans les processus de décision. Ce n’est possible qu’à la condition d’offrir un accès à une information claire, de qualité et contradictoire. Il n’est pas acceptable qu’il n’y ait pas en France de véritable débat démocratique sur l’ensemble du démantèlement, la gestion des déchets et la fin du cycle nucléaire.

Réseau "Sortir du nucléaire"


NB : Cet article a été rédigé suite à un courrier de l’Autorité de Sureté Nucléaire proposant au Réseau de publier un article sur le démantèlement dans sa revue “Contrôle”.



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