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Sortir du nucléaire n°37



Déc - janv 2008

Prospective

De l’uranium jusqu’à quand ? Lorsque nous tomberons dans le gouffre énergétique

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°37 - Déc - janv 2008

 Uranium et mines  Sites nucléaires
Article publié le : 1er janvier 2008


La classification officielle des ressources en uranium (1) repose sur une analogie avec les autres minerais métalliques (2). Mais cette analogie est erronée. En effet, elle néglige l’usage spécifique de l’uranium : il est une source d’énergie, et rien d’autre. De ce constat, une expertise récente tire des conclusions cruciales, qui devraient inciter à la réflexion jusqu’aux plus chauds partisans du nucléaire.



Dans leur grande majorité, les métaux (fer ou cuivre, par exemple) sont nécessaires à la fabrication d’équipements industriels ou de biens de consommation courante. Ils n’y sont pas utilisés comme sources d’énergie, mais comme matériaux spécifiques. Les sources d’énergie mobilisées pour extraire ces métaux du sol ne pourraient donc en aucune façon les remplacer en tant que matières premières. Par conséquent, la quantité d’énergie consacrée à leur extraction du sol n’a aucune influence sur l’intérêt de leur utilisation (3), qui dépend de leurs propriétés physiques et chimiques non énergétiques.

Toutes les ressources présentes dans le sol sont donc potentiellement intéressantes, même celles dont l’extraction exigerait une quantité considérable d’énergie – indépendamment du coût de cette énergie. Imaginons par exemple que le coût de l’énergie rende un jour l’extraction du cuivre non rentable. Il serait néanmoins justifié de subventionner l’exploitation de ce métal tant que ses usages industriels (circuits électriques, etc.) seraient considérés comme socialement nécessaires.

Le coût d’extraction des métaux a bien sûr un impact sur leur prix, donc sur la rentabilité économique de leur exploitation. Un prix de vente plus élevé permet de consentir un coût d’extraction accru, sans que la rentabilité économique n’en soit réduite. Par conséquent, les ressources économiquement exploitables (les réserves) de la plupart des métaux peuvent réellement augmenter grâce à une simple hausse de leur prix de vente.

Gisements d’uranium… ou ressources en énergie ?

À l’inverse de la plupart des métaux, l’uranium est très majoritairement utilisé pour produire de l’électricité. On peut donc lui substituer d’autres sources d’énergie (énergies renouvelables, combustibles fossiles) pour parvenir au même résultat (4). Par conséquent, les gisements d’uranium ne sont également des ressources en énergie que si leur exploitation permet de produire plus d’énergie qu’elle n’en consomme. Leur rentabilité énergétique en dépend. L’analyse présentée ici s’appuie sur l’expertise approfondie de ces questions menée par Jan Willem Storm van Leeuwen (5), membre du GIEC (6) et de l’Oxford Research Group.

De l’extraction du minerai d’uranium jusqu’à l’entreposage des déchets radioactifs, la filière nucléaire consomme de l’énergie. Cette consommation constitue son coût énergétique. Pour connaître l’énergie réellement produite par la filière nucléaire, il faut soustraire ce coût énergétique à l’énergie brute produite par les réacteurs nucléaires. C’est alors seulement que l’on connaît l’apport réel en énergie produit par la filière nucléaire. On appelle cet apport l’énergie nette. La Figure 1 montre l’articulation entre ces trois quantités d’énergie. Un gisement d’uranium n’est énergétiquement rentable que lorsque son exploitation permet d’obtenir une énergie nette positive. Dans le cas contraire, ne rien faire “crée” plus d’énergie qu’extraire l’uranium. Le gisement qui le contient n’est alors rien d’autre qu’un amas de roches inutiles, plus ou moins radioactives.

La teneur en uranium : un facteur déterminant

La rentabilité énergétique d’un gisement d’uranium dépend avant tout de sa teneur en uranium. Cette teneur exprime en fait la proportion d’oxyde d’uranium U3O8 présent dans le minerai. Un kilogramme d’U3O8 (1 kg-Ux) contient 0,848 kilogramme d’uranium élémentaire proprement dit (0,848 kgU), soit 85 % (7).

La teneur en uranium d’un minerai est très variable. Elle peut atteindre 20 % dans les gisements les plus favorables, situés au Canada. Néanmoins, les gisements à très haute teneur sont une exception (8). C’est d’ailleurs une caractéristique commune à tous les minerais métalliques, pour des raisons physico-chimiques. De ce fait, si l’on finissait par découvrir réellement certaines des “ressources non découvertes” paradoxalement répertoriées dans la classification officielle, il y aurait de fortes chances qu’elles présentent une faible teneur en uranium. La probabilité de nouvelles découvertes reste néanmoins très limitée (9). Deux tiers environ des “ressources connues” en uranium se présentent à une teneur inférieure à 0,1 % (10), comme le montre la Figure 2.

Une tonne de minerai contient 100 kg d’oxyde d’uranium U3O8 (kg-Ux) (11) lorsque sa teneur est de 10 %. Elle ne contient plus que 1 kg-Ux si sa teneur n’est que de 0,1 %. Autrement dit : la masse de minerai contenant 1 kg-Ux est directement inverse de la teneur en uranium du minerai. Pour une teneur de 10 %, cette masse de minerai n’est que de 10 kg. Mais elle passe à 1000 kg pour une teneur de 0,1 %. De par cette relation, purement mathématique donc incontournable, la masse de minerai contenant 1 kg-Ux augmente de façon exponentielle à mesure que sa teneur en uranium diminue.

En outre, les lois de la thermodynamique rendent impossible de séparer complètement l’uranium du minerai qui le contient. À partir d’une masse de minerai contenant 1 kg-Ux, on obtiendra donc par séparation nécessairement moins de 1 kg-Ux. Cette séparation s’effectue par une série d’opérations mécaniques et chimiques. Leur degré d’efficacité - leur rendement - détermine la masse d’uranium réellement séparée à partir d’une masse de minerai contenant 1 kg-Ux. Or, pour des raisons avant tout physico-chimiques, le rendement de séparation diminue de façon exponentielle lorsque la teneur en uranium du minerai baisse.

Ainsi, lorsque la teneur en uranium s’amenuise :

- La masse de minerai contenant 1 kg-Ux augmente, donc l’énergie requise pour l’extraction minière augmente selon la même proportion – de façon exponentielle.
- La proportion d’uranium réellement séparée du minerai baisse également de façon exponentielle, et cette séparation, bien que moins efficace, requiert en outre une énergie accrue.

Ces deux conséquences, dont les effets se cumulent, sont essentiellement indépendantes d’éventuelles avancées technologiques. Celles-ci ne pourraient donc les contrarier que très marginalement.

En résumé : lorsque la teneur en uranium du minerai diminue, la quantité d’énergie requise pour obtenir un kilogramme d’uranium augmente de façon exponentielle.

Le gouffre énergétique

Lorsque la teneur du minerai diminue, l’énergie consommée pour extraire 1 kg-Ux augmente. Évidemment, le coût énergétique de la filière nucléaire prise dans son intégralité augmente donc d’autant. Or, la quantité d’énergie que ce même kilogramme d’oxyde d’uranium permet de produire est constante (12). Par conséquent, l’énergie nette que 1 kg-Ux permet d’obtenir diminue lorsque la teneur du minerai baisse.

La Figure 3 représente cette variation de l’énergie nette de la filière nucléaire en fonction de la teneur du minerai exploité. Elle montre qu’à partir d’une teneur inférieure à 1 %, l’énergie nette chute de plus en plus rapidement dans un gouffre énergétique.

À une teneur comprise entre 0,02 % et 0,01 %, l’énergie nette devient nulle. Nous atteignons alors le fond du gouffre… et l’uranium n’y a plus la moindre rentabilité énergétique : son exploitation par la filière nucléaire consommerait au moins autant d’énergie qu’elle en produirait !

En outre, la perte en énergie nette devient considérable bien avant le fond du gouffre énergétique. L’énergie nette dégagée par la filière nucléaire diminue de 17 % environ à une teneur de 0,05 %, et de 45 % environ à une teneur de 0,03 %. Ainsi, une partie considérable des ressources en uranium “connues” présente une rentabilité énergétique médiocre, voire mauvaise (13).

L’existence et les caractéristiques du gouffre énergétique sont principalement la conséquence directe de lois physiques et chimiques. Il est donc essentiellement indépendant des performances des technologies utilisées à chaque étape de la filière nucléaire. Même une multiplication par deux du rendement des opérations d’extraction minière et de séparation chimique aurait un impact négligeable.

Tout ce bel uranium qui ne servira à rien

La World Nuclear Association affirme que “l’uranium n’est pas rare au sens géologique du terme” (14). C’est exact : il en existe en moyenne 2,8 g par tonne de roches dans la croûte terrestre continentale, et 3 mg par tonne d’eau de mer (15). De ce constat, les pronucléaires les plus échevelés ont tiré l’une de leurs marottes : les ressources “non conventionnelles” en uranium. A savoir : les phosphates, les schistes, le granit et l’eau de mer. Ces ressources pourront assurer, nous disent certains, jusqu’à mille ans de consommation avec les réacteurs à fission de technologie actuelle (16).

Pas de chance : l’immense majorité de ces ressources est solidement ancrée au fond du gouffre énergétique. Au mieux, certains gisements de phosphates et de schistes peuvent en escalader la paroi jusqu’à une teneur maximale comprise entre 0,02 et 0,03 %, où la perte d’énergie nette est d’au moins 45 %. Leur exploitation par la filière nucléaire consommerait donc au moins la moitié de l’énergie ainsi produite. Quant au granit, n’y pensons même pas : sa teneur moyenne en uranium est de 0,00028 %. Georges Capus, expert chez Areva, reconnaît d’ailleurs que “de nombreuses difficultés ne permettent pas [de] prédire un potentiel significatif” aux ressources non conventionnelles hors phosphates (17).

Et l’eau de mer ? Elle n’implique pourtant aucune extraction minière. Certes, mais… sa teneur en uranium est de 0,0000003 % ! Pour alimenter un seul réacteur EPR, il faudrait traiter chaque année environ 250 milliards de m3 d’eau de mer – plus que le volume de la Mer Rouge (18). Michael Dittmar, physicien au CERN (Laboratoire européen pour la physique des particules), conclut avec humour :“Bonne chance !”. Et deux experts d’Areva s’interrogent : “Alors faut-il continuer les recherches sur la récupération de l’uranium dans l’eau de mer ? Nous laissons au lecteur le soin de se forger une opinion” (19). Gageons que l’opinion du lecteur est faite.

Xavier Rabilloud xavier.rabilloud@sortirdunucleaire.fr

Notes :

1. Voir “De l’uranium jusqu’à quand ? Lorsque les réacteurs s’arrêteront faute de combustible.” (page précédente)

2. World Nuclear Association, “Supply of uranium”, mars 2007, Consulter site.

3. Elle pourrait cependant avoir une influence sur l’intérêt des produits dans lesquels les métaux sont utilisés comme matières premières. Mais il s’agirait alors d’un débat sociétal, philosophique, sur la finalité des diverses productions industrielles – ce qui n’est pas l’objet du présent article.

4. Seuls quelques usages civils marginaux et les usages militaires de l’uranium sont non substituables.

5. Les études de Jan Willem Storm van Leeuwen sont consultables en anglais sur son site Internet https://www.stormsmith.nl. Les schémas qui illustrent ce volet de l’article “De l’uranium jusqu’à quand ?” en sont issus. JW Storm van Leeuwen les a très aimablement adaptés et simplifiés pour les besoins de cet article. Les schémas ont été traduits en français par Xavier Rabilloud.

6. Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat de l’ONU

7. Jan Willem Storm van Leeuwen & Philip Smith, “Nuclear power, the energy balance”, section D p.34, octobre 2007, consulter le document pdf

8. Jean-Michel Marino et Georges Capus, “Les mines d’uranium à très haute teneur : défis et atouts”, Revue des Ingénieurs, juin 2002, consulter le document pdf

9. Voir “De l’uranium jusqu’à quand ? Lorsque les réacteurs s’arrêteront faute de combustible.”

10. Energy Watch Group, "Uranium resources and nuclear energy”, p.9, décembre 2006, consulter le document pdf ; Jan Willem Storm van Leeuwen, “Energy from uranium”, p.15, juillet 2006, consulter le document pdf.

11. Soit 85 kg d’uranium élémentaire (kgU).

12. Pour un type de réacteur donné. Une amélioration technique des réacteurs pourrait augmenter cette quantité d’énergie produite. Mais cette augmentation serait d’un ordre de grandeur négligeable en comparaison de l’augmentation de la consommation d’énergie par l’extraction de l’uranium lorsque la teneur du minerai diminue. Elle n’aurait donc pas d’influence significative sur les phénomènes exposés ici.

13. Il faut noter néanmoins que certains minerais sont exploités pour en extraire simultanément (en coproduction) de l’uranium et d’autres minéraux : or, cuivre… Dans un tel cas, la rentabilité énergétique de la ressource en uranium est significativement meilleure. Au maximum, 10 % de la production mondiale d’uranium sont ainsi issus d’une extraction en coproduction. En outre, cette fraction de la production ne provient pas en totalité de minerais à faible teneur en uranium.

14. World Nuclear Association, “Can uranium supplies sustain the global nuclear renaissance ?”, septembre 2005, consulter site.

15. World Nuclear Association, “Supply of uranium”, mars 2007, consulter site.

16. American Energy Independence, James Hopf, “World uranium reserves”, novembre 2004, consulter site

17. Georges Capus, “Que savons-nous des ressources mondiales d’uranium ?”, CLEFS CEA, n°55, été 2007, consulter le document pdf.

18. Michael Dittmar, diaporama “The nuclear energy option, facts and fantasies”, 18 septembre 2007, consulter le document pdf ; Ecole des Mines de Paris, Centre de géosciences, consulter le document pdf.

19. Bertrand Barré et Georges Capus, “L’uranium de l’eau de mer : véritable ressource énergétique ou mythe ?”, Revue des Ingénieurs, janvier-février 2003, consulter le document pdf.

Dans leur grande majorité, les métaux (fer ou cuivre, par exemple) sont nécessaires à la fabrication d’équipements industriels ou de biens de consommation courante. Ils n’y sont pas utilisés comme sources d’énergie, mais comme matériaux spécifiques. Les sources d’énergie mobilisées pour extraire ces métaux du sol ne pourraient donc en aucune façon les remplacer en tant que matières premières. Par conséquent, la quantité d’énergie consacrée à leur extraction du sol n’a aucune influence sur l’intérêt de leur utilisation (3), qui dépend de leurs propriétés physiques et chimiques non énergétiques.

Toutes les ressources présentes dans le sol sont donc potentiellement intéressantes, même celles dont l’extraction exigerait une quantité considérable d’énergie – indépendamment du coût de cette énergie. Imaginons par exemple que le coût de l’énergie rende un jour l’extraction du cuivre non rentable. Il serait néanmoins justifié de subventionner l’exploitation de ce métal tant que ses usages industriels (circuits électriques, etc.) seraient considérés comme socialement nécessaires.

Le coût d’extraction des métaux a bien sûr un impact sur leur prix, donc sur la rentabilité économique de leur exploitation. Un prix de vente plus élevé permet de consentir un coût d’extraction accru, sans que la rentabilité économique n’en soit réduite. Par conséquent, les ressources économiquement exploitables (les réserves) de la plupart des métaux peuvent réellement augmenter grâce à une simple hausse de leur prix de vente.

Gisements d’uranium… ou ressources en énergie ?

À l’inverse de la plupart des métaux, l’uranium est très majoritairement utilisé pour produire de l’électricité. On peut donc lui substituer d’autres sources d’énergie (énergies renouvelables, combustibles fossiles) pour parvenir au même résultat (4). Par conséquent, les gisements d’uranium ne sont également des ressources en énergie que si leur exploitation permet de produire plus d’énergie qu’elle n’en consomme. Leur rentabilité énergétique en dépend. L’analyse présentée ici s’appuie sur l’expertise approfondie de ces questions menée par Jan Willem Storm van Leeuwen (5), membre du GIEC (6) et de l’Oxford Research Group.

De l’extraction du minerai d’uranium jusqu’à l’entreposage des déchets radioactifs, la filière nucléaire consomme de l’énergie. Cette consommation constitue son coût énergétique. Pour connaître l’énergie réellement produite par la filière nucléaire, il faut soustraire ce coût énergétique à l’énergie brute produite par les réacteurs nucléaires. C’est alors seulement que l’on connaît l’apport réel en énergie produit par la filière nucléaire. On appelle cet apport l’énergie nette. La Figure 1 montre l’articulation entre ces trois quantités d’énergie. Un gisement d’uranium n’est énergétiquement rentable que lorsque son exploitation permet d’obtenir une énergie nette positive. Dans le cas contraire, ne rien faire “crée” plus d’énergie qu’extraire l’uranium. Le gisement qui le contient n’est alors rien d’autre qu’un amas de roches inutiles, plus ou moins radioactives.

La teneur en uranium : un facteur déterminant

La rentabilité énergétique d’un gisement d’uranium dépend avant tout de sa teneur en uranium. Cette teneur exprime en fait la proportion d’oxyde d’uranium U3O8 présent dans le minerai. Un kilogramme d’U3O8 (1 kg-Ux) contient 0,848 kilogramme d’uranium élémentaire proprement dit (0,848 kgU), soit 85 % (7).

La teneur en uranium d’un minerai est très variable. Elle peut atteindre 20 % dans les gisements les plus favorables, situés au Canada. Néanmoins, les gisements à très haute teneur sont une exception (8). C’est d’ailleurs une caractéristique commune à tous les minerais métalliques, pour des raisons physico-chimiques. De ce fait, si l’on finissait par découvrir réellement certaines des “ressources non découvertes” paradoxalement répertoriées dans la classification officielle, il y aurait de fortes chances qu’elles présentent une faible teneur en uranium. La probabilité de nouvelles découvertes reste néanmoins très limitée (9). Deux tiers environ des “ressources connues” en uranium se présentent à une teneur inférieure à 0,1 % (10), comme le montre la Figure 2.

Une tonne de minerai contient 100 kg d’oxyde d’uranium U3O8 (kg-Ux) (11) lorsque sa teneur est de 10 %. Elle ne contient plus que 1 kg-Ux si sa teneur n’est que de 0,1 %. Autrement dit : la masse de minerai contenant 1 kg-Ux est directement inverse de la teneur en uranium du minerai. Pour une teneur de 10 %, cette masse de minerai n’est que de 10 kg. Mais elle passe à 1000 kg pour une teneur de 0,1 %. De par cette relation, purement mathématique donc incontournable, la masse de minerai contenant 1 kg-Ux augmente de façon exponentielle à mesure que sa teneur en uranium diminue.

En outre, les lois de la thermodynamique rendent impossible de séparer complètement l’uranium du minerai qui le contient. À partir d’une masse de minerai contenant 1 kg-Ux, on obtiendra donc par séparation nécessairement moins de 1 kg-Ux. Cette séparation s’effectue par une série d’opérations mécaniques et chimiques. Leur degré d’efficacité - leur rendement - détermine la masse d’uranium réellement séparée à partir d’une masse de minerai contenant 1 kg-Ux. Or, pour des raisons avant tout physico-chimiques, le rendement de séparation diminue de façon exponentielle lorsque la teneur en uranium du minerai baisse.

Ainsi, lorsque la teneur en uranium s’amenuise :

- La masse de minerai contenant 1 kg-Ux augmente, donc l’énergie requise pour l’extraction minière augmente selon la même proportion – de façon exponentielle.
- La proportion d’uranium réellement séparée du minerai baisse également de façon exponentielle, et cette séparation, bien que moins efficace, requiert en outre une énergie accrue.

Ces deux conséquences, dont les effets se cumulent, sont essentiellement indépendantes d’éventuelles avancées technologiques. Celles-ci ne pourraient donc les contrarier que très marginalement.

En résumé : lorsque la teneur en uranium du minerai diminue, la quantité d’énergie requise pour obtenir un kilogramme d’uranium augmente de façon exponentielle.

Le gouffre énergétique

Lorsque la teneur du minerai diminue, l’énergie consommée pour extraire 1 kg-Ux augmente. Évidemment, le coût énergétique de la filière nucléaire prise dans son intégralité augmente donc d’autant. Or, la quantité d’énergie que ce même kilogramme d’oxyde d’uranium permet de produire est constante (12). Par conséquent, l’énergie nette que 1 kg-Ux permet d’obtenir diminue lorsque la teneur du minerai baisse.

La Figure 3 représente cette variation de l’énergie nette de la filière nucléaire en fonction de la teneur du minerai exploité. Elle montre qu’à partir d’une teneur inférieure à 1 %, l’énergie nette chute de plus en plus rapidement dans un gouffre énergétique.

À une teneur comprise entre 0,02 % et 0,01 %, l’énergie nette devient nulle. Nous atteignons alors le fond du gouffre… et l’uranium n’y a plus la moindre rentabilité énergétique : son exploitation par la filière nucléaire consommerait au moins autant d’énergie qu’elle en produirait !

En outre, la perte en énergie nette devient considérable bien avant le fond du gouffre énergétique. L’énergie nette dégagée par la filière nucléaire diminue de 17 % environ à une teneur de 0,05 %, et de 45 % environ à une teneur de 0,03 %. Ainsi, une partie considérable des ressources en uranium “connues” présente une rentabilité énergétique médiocre, voire mauvaise (13).

L’existence et les caractéristiques du gouffre énergétique sont principalement la conséquence directe de lois physiques et chimiques. Il est donc essentiellement indépendant des performances des technologies utilisées à chaque étape de la filière nucléaire. Même une multiplication par deux du rendement des opérations d’extraction minière et de séparation chimique aurait un impact négligeable.

Tout ce bel uranium qui ne servira à rien

La World Nuclear Association affirme que “l’uranium n’est pas rare au sens géologique du terme” (14). C’est exact : il en existe en moyenne 2,8 g par tonne de roches dans la croûte terrestre continentale, et 3 mg par tonne d’eau de mer (15). De ce constat, les pronucléaires les plus échevelés ont tiré l’une de leurs marottes : les ressources “non conventionnelles” en uranium. A savoir : les phosphates, les schistes, le granit et l’eau de mer. Ces ressources pourront assurer, nous disent certains, jusqu’à mille ans de consommation avec les réacteurs à fission de technologie actuelle (16).

Pas de chance : l’immense majorité de ces ressources est solidement ancrée au fond du gouffre énergétique. Au mieux, certains gisements de phosphates et de schistes peuvent en escalader la paroi jusqu’à une teneur maximale comprise entre 0,02 et 0,03 %, où la perte d’énergie nette est d’au moins 45 %. Leur exploitation par la filière nucléaire consommerait donc au moins la moitié de l’énergie ainsi produite. Quant au granit, n’y pensons même pas : sa teneur moyenne en uranium est de 0,00028 %. Georges Capus, expert chez Areva, reconnaît d’ailleurs que “de nombreuses difficultés ne permettent pas [de] prédire un potentiel significatif” aux ressources non conventionnelles hors phosphates (17).

Et l’eau de mer ? Elle n’implique pourtant aucune extraction minière. Certes, mais… sa teneur en uranium est de 0,0000003 % ! Pour alimenter un seul réacteur EPR, il faudrait traiter chaque année environ 250 milliards de m3 d’eau de mer – plus que le volume de la Mer Rouge (18). Michael Dittmar, physicien au CERN (Laboratoire européen pour la physique des particules), conclut avec humour :“Bonne chance !”. Et deux experts d’Areva s’interrogent : “Alors faut-il continuer les recherches sur la récupération de l’uranium dans l’eau de mer ? Nous laissons au lecteur le soin de se forger une opinion” (19). Gageons que l’opinion du lecteur est faite.

Xavier Rabilloud xavier.rabilloud@sortirdunucleaire.fr

Notes :

1. Voir “De l’uranium jusqu’à quand ? Lorsque les réacteurs s’arrêteront faute de combustible.” (page précédente)

2. World Nuclear Association, “Supply of uranium”, mars 2007, Consulter site.

3. Elle pourrait cependant avoir une influence sur l’intérêt des produits dans lesquels les métaux sont utilisés comme matières premières. Mais il s’agirait alors d’un débat sociétal, philosophique, sur la finalité des diverses productions industrielles – ce qui n’est pas l’objet du présent article.

4. Seuls quelques usages civils marginaux et les usages militaires de l’uranium sont non substituables.

5. Les études de Jan Willem Storm van Leeuwen sont consultables en anglais sur son site Internet https://www.stormsmith.nl. Les schémas qui illustrent ce volet de l’article “De l’uranium jusqu’à quand ?” en sont issus. JW Storm van Leeuwen les a très aimablement adaptés et simplifiés pour les besoins de cet article. Les schémas ont été traduits en français par Xavier Rabilloud.

6. Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat de l’ONU

7. Jan Willem Storm van Leeuwen & Philip Smith, “Nuclear power, the energy balance”, section D p.34, octobre 2007, consulter le document pdf

8. Jean-Michel Marino et Georges Capus, “Les mines d’uranium à très haute teneur : défis et atouts”, Revue des Ingénieurs, juin 2002, consulter le document pdf

9. Voir “De l’uranium jusqu’à quand ? Lorsque les réacteurs s’arrêteront faute de combustible.”

10. Energy Watch Group, "Uranium resources and nuclear energy”, p.9, décembre 2006, consulter le document pdf ; Jan Willem Storm van Leeuwen, “Energy from uranium”, p.15, juillet 2006, consulter le document pdf.

11. Soit 85 kg d’uranium élémentaire (kgU).

12. Pour un type de réacteur donné. Une amélioration technique des réacteurs pourrait augmenter cette quantité d’énergie produite. Mais cette augmentation serait d’un ordre de grandeur négligeable en comparaison de l’augmentation de la consommation d’énergie par l’extraction de l’uranium lorsque la teneur du minerai diminue. Elle n’aurait donc pas d’influence significative sur les phénomènes exposés ici.

13. Il faut noter néanmoins que certains minerais sont exploités pour en extraire simultanément (en coproduction) de l’uranium et d’autres minéraux : or, cuivre… Dans un tel cas, la rentabilité énergétique de la ressource en uranium est significativement meilleure. Au maximum, 10 % de la production mondiale d’uranium sont ainsi issus d’une extraction en coproduction. En outre, cette fraction de la production ne provient pas en totalité de minerais à faible teneur en uranium.

14. World Nuclear Association, “Can uranium supplies sustain the global nuclear renaissance ?”, septembre 2005, consulter site.

15. World Nuclear Association, “Supply of uranium”, mars 2007, consulter site.

16. American Energy Independence, James Hopf, “World uranium reserves”, novembre 2004, consulter site

17. Georges Capus, “Que savons-nous des ressources mondiales d’uranium ?”, CLEFS CEA, n°55, été 2007, consulter le document pdf.

18. Michael Dittmar, diaporama “The nuclear energy option, facts and fantasies”, 18 septembre 2007, consulter le document pdf ; Ecole des Mines de Paris, Centre de géosciences, consulter le document pdf.

19. Bertrand Barré et Georges Capus, “L’uranium de l’eau de mer : véritable ressource énergétique ou mythe ?”, Revue des Ingénieurs, janvier-février 2003, consulter le document pdf.



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