Syndicats
Alerte rouge à la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly
Paru dans L’Humanité du 19 août 2003
Des agents d’EDF font valoir leur " droit de retrait " et exigent l’application des règles de sûreté.
"Sécurité-sûreté : alerte rouge à Dampierre !" Cest le titre dun tract rédigé par les communistes de Dampierre-en-Burly (Loiret) et distribué aux salariés de la centrale nucléaire située sur la Loire. Ce texte a fait rompre le silence radio quobservait jusque-là Jean-Philipe Bainier, le directeur du site, à propos dune affaire troublante. Dans un message adressé à tous les agents de la centrale, tout en se gardant bien de répondre sur le fond, Jean-Philippe Bainier accuse les communistes dirresponsabilité et parle d"écrits dun autre âge et totalement décalés avec nos valeurs". Il reste que les militants communistes de la centrale nont fait que rendre publics des faits qui ont donné lieu à maintes démarches syndicales, notamment de la part du syndicat CGT de Dampierre (majoritaire) qui, il y a déjà deux mois, sexclamait : "AZF : alerte zone franchie. Stop. Nous exigeons la transparence pour tous !"
De quoi sagit-il ? Le 4 juin dernier, onze agents EDF de la centrale « chargés de contrôle et de surveillance "adressaient un courrier à leur chef de service dans lequel ils lui signifiaient leur "refus de continuer à exercer "leurs" missions de chargés de surveillance et contrôle dans les conditions édictées dans le document joint en annexe". "Nous estimons faire valoir notre droit de retrait. En effet, il nous est demandé de ne pas respecter les règles élémentaires de sûreté (....). Nous ne participerons pas à de tels actes qui vont à lencontre de nos valeurs de service public et à lencontre des formations spécifiques que nous avons reçues", expliquent-ils. Signé de quatre hauts responsables de la centrale, le "document joint en annexe » est une note dont lobjet "stratégie danalyse des dossiers à appliquer sur la levée de la génératrice inférieure" demande entre autres la "levée des mères par EXP, sans attendre lanalyse premier niveau et en parallèle". En clair, lanalyse premier niveau est le contrôle réalisé par un agent EDF formé et habilité sur des matériels qui ne peuvent être utilisés quaprès avoir été lobjet de ce contrôle..
Dans le cas qui a provoqué le refus des onze agents EDF de poursuivre leur mission, il sagit des travaux de robinetterie effectués sur la tranche 3 de la centrale en arrêt depuis le mois de mai. Ces travaux sont assurés par la société ENDEL (récemment rachetée par Bouygues) qui, à linstar de nombreux autres groupes industriels privés comme Alstom, ONET, Polinorsud, est appelée à intervenir régulièrement sur les centrales nucléaires. Pour les opérations sur Dampierre, ENDEL aurait dû mobiliser 80 personnes qualifiées. Or, depuis larrêt de la tranche, seulement 40 salariés embauchés dans le cadre de contrats à durée déterminée effectuent les travaux de robinetterie "dans des conditions où la rentabilité financière pour EDF et les entreprises sous-traitantes font que lélectricien public délivre de plus en plus de dérogations et les employeurs sous-traitants contraignent leurs salariés à passer outre les règles élémentaires de sécurité", explique Pascal Farras, un agent EDF élu CGT au CHSCT. "Il nest pas rare, en effet, de voir des salariés dENDEL être employés la même semaine sur deux centrales à la fois, où des agents EDF, accrédités pour donner le feu vert afin de passer à une nouvelle opération, découvrent en arrivant que des opérations ont été effectuées sans leur autorisation, simplement pour aller plus vite et donc réduire au maximum les coûts", précise de son côté Alain Denis, lun des secrétaires du syndicat CGT de la centrale.
Ces syndicalistes sinquiètent dune gestion dEDF qui, se préparant activement à la privatisation, "bafoue le savoir-faire et prône la réduction des coûts ». Il y a quelques semaines, lors dune rencontre avec les autorités de sûreté, les représentants du syndicat CGT de Dampierre avaient fait valoir qu"entre les coûts induits, les investissements nécessaires pour maintenir les compétences dans les entreprises et les maintenir en activité, la dégradation des prestations du fait du dumping social et de la baisse des marchés, le risque de voir la maintenance passer sous contrôle de tel ou tel holding, le coût pour EDF au final est bien plus lourd quon le laisse entendre". Cest pourquoi le syndicat réclame quun "réel débat soit ouvert sur le site et sur ses modes de fonctionnement et dorganisation" ainsi que "larrêt total du dumping social parmi les entreprises prestataires".
Des scientifiques se penchent sur le risque d’attaque nucléaire
Réunis à Stockholm, des experts internationaux se sont penchés sur un des pires scénarios catastrophes : que faire si des terroristes parviennent à fabriquer une bombe à fission nucléaire et en font usage ?
Un diplomate spécialisé dans le domaine nucléaire et proche de la Commission internationale de protection radiologique (ICRP) a confié à un groupe de journalistes que cette question était lun des problèmes abordés par la Commission lors de cette réunion. Prié de préciser ce que serait à son avis le scénario du pire dans le domaine nucléaire, il a répondu : « Une bombe atomique, même très mal faite ». Après les attentats du 11 septembre 2001, lAgence internationale à lénergie atomique (AIEA) a exhorté tous les pays à renforcer encore les mesures de protection autour des sources radioactives pour empêcher que des terroristes ne sen saisissent pour fabriquer des « bombes sales » (ou radiologiques), utilisant un explosif conventionnel pour disperser des particules radioactives. Mais lAIEA a également toujours cherché à relativiser cette menace. Dune part parce quil est difficile de se procurer de luranium ou du plutonium et dautre part parce que la fabrication de cet engin requiert des compétences techniques et scientifiques rares.
QUELQUES KILOGRAMMES SUFFISENT
Mais le diplomate interrogé ne partage pas cet optimisme. « Pensez-vous vraiment que cela puisse être difficile ? » a-t-il demandé quand un journaliste a déclaré quil était presque impossible de trouver de la matière nucléaire. « Sil faut 25 à 35 kilogrammes duranium hautement enrichi pour fabriquer une bombe conventionnelle, il est possible den faire une moins efficace avec seulement quelques kilogrammes ». « Lefficacité de lexplosion ne serait pas terrible, mais elle nen produirait pas moins une réaction en chaîne », a-t-il expliqué, précisant quelle ne provoquerait sans doute pas le fameux champignon atomique.
Sans donner de précisions, il a déclaré quun engin rudimentaire à fission nucléaire provoquerait des dégâts importants, par opposition à une « bombe sale » dont le but est davantage dentraîner des réactions de panique. En décembre 1994, la police tchèque avait découvert à larrière dune voiture à Prague 2,72 kg duranium fortement enrichi, ce qui reste la plus grosse prise mondiale de matière nucléaire. Elle avait été enrichie à 87,7% par de luranium-235, luranium fissile. Cette cargaison aurait été idéale pour fabriquer une bombe atomique.
Le diplomate a expliqué que le métro londonien serait lendroit idéal pour perpétrer un attentat à la bombe sale et que le matériau utilisé serait probablement la poudre césium-137, hautement radioactive. Ayant une consistance proche du talc, elle est utilisée par tous les hôpitaux. « Le métro est une arme de dispersion extraordinaire », a-t-il déclaré, en précisant quil ny aurait quà libérer la poudre à larrivée dune rame. « Le train jouerait le rôle dun piston. Le césium se répandrait dans tout le métro. Rien ne se produirait dun point de vue sanitaire, mais les gens seraient affolés. » Reste que le césium peut avoir de graves conséquences. Une boîte rempli de cette poudre avait été retrouvée chez un ferrailleur de Goiania, au Brésil, en 1987, et avait provoqué alors la pire contamination depuis Tchernobyl. Quelque 249 personnes avaient été exposées, dix avaient été grièvement blessées et quatre autres avaient trouvé la mort. « Il ny a jamais eu dattentat à la bombe sale », a reconnu le diplomate, qui a toutefois estimé que ce nétait quune question de temps avant quune telle attaque ne se produise.
Reuters, 12 octobre 2003
Des grévistes débranchent une centrale nucléaire
Le Point, 27 juin 2003
EDF ne tient pas à ébruiter l’affaire, mais l’incident fait jaser le petit milieu du nucléaire. Le 12 juin 2003, un acte de malveillance a entraîné l’arrêt d’urgence du réacteur de la centrale nucléaire du Bugey (Ain). Une panne certes sans conséquence, mais désastreuse pour l’image des installations d’EDF, réputées sûres. Déjà irrité par les coupures sauvages décidés par son personnel lors des grèves, l’électricien a décidé de porter plainte.
Les faits se sont déroulés dans la matinée. Un groupe d’une centaine de grévistes a envahi la salle de commandes de la centrale, où travaillaient une quinzaine d’employés. Un bouton-poussoir a alors été actionné, bloquant une vanne de sortie du circuit secondaire. L’auteur de l’acte n’a pas été retrouvé. "Dans ces cas-là, ils peuvent être une vingtaine à tenir un manche à balai avec lequel ils appuient sur le bouton, confie un syndicaliste. Du coup, personne n’est identifiable." Ces derniers jours, les gendarmes tentaient cependant de relever des empreintes.
Une certitude : EDF a du mal à maintenir le calme dans ses centrales lors des grands conflits. Déjà en décembre 1995, un " petit malin " avait déversé du sel de cuisine dans un réservoir du réacteur de la centrale du Blayais, en Gironde. Le réacteur avait dû être stoppé. A l’époque, les pouvoirs publics avaient demandé à la compagnie de proposer un plan afin de prévenir tout acte interne de sabotage. Une instruction manifestement restée lettre morte
"Nous allons mener une inspection dans les prochains jours à Bugey, car l’ambiance sociale nous inquiète", prévient-on à la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR). "Une centrale n’est pas un jouet avec lequel on s’amuse, fulmine un spécialiste de la sûreté. Imaginez un cockpit d’avion investi par les passagers, il faudrait du sang-froid pour maintenir l’appareil en l’air !"
Marc Nexon
Pierre Agudo