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Dossier : Combustible, mon (dés)amour

À Georges Besse II, enrichir toujours plus ! (Mais pas n’importe qui)

Publié initialement dans la revue Sortir du nucléaire n°103 le 1er octobre 2024, mis en ligne le 12 juin 2025



L’usine Orano Georges Besse II (Tricastin, Drôme), haut lieu de l’enrichissement de l’uranium en France, va s’agrandir. Un des objectifs affichés est d’asseoir "une souveraineté énergétique occidentale". Un projet mené avec une stratégie typique de l’industrie nucléaire française : vouloir plus, sans trop en dire.



L’uranium naturel n’est pas mis tel quel dans les centrales nucléaires : il est enrichi pour rendre le combustible plus réactif. Mais l’enrichissement est l’apanage de peu d’acteurs. 99 % des capacités mondiales d’enrichissement sont le fait de quatre opérateurs : Orano en France (12%), CNNC en Chine (13%), Urenco aux États-Unis (31%) et, en tête, Rosatom en Russie (43%) [1]. L’Agence fédérale de l’énergie atomique russe fournit à elle seule 20 % du marché français [2].

Or, depuis la guerre russo-ukrainienne déclenchée en février 2022, la France a peur que la Russie stoppe ses livraisons d’uranium enrichi. Ce risque de "pénurie potentielle" et la "souveraineté énergétique occidentale" ont incité Orano, détenu à 90 % par l’État français, à voir plus grand pour son usine d’enrichissement Georges Besse II [3].

Toujours plus grand, toujours plus fort

Le projet, déposé en juillet 2022 sur la table de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), a vite avancé : en moins de deux ans il a été autorisé. Le but est d’enrichir plus d’uranium et même d’accroître la production annuelle d’un tiers. Pour cela il "suffit" d’ajouter quatre modules aux 14 existants. Rien de plus simple d’après Orano, l’espace est déjà prévu ! Les travaux commenceront fin 2024, l’usine continuera à fonctionner durant le chantier. Les modules seront successivement mis en service dès qu’ils seront prêts (entre 2028 et 2030). Une "petite" extension en somme, pour la bagatelle d’1,7 milliard d’euros.

Orano ne l’a pas mis dans le dossier présenté à l’ASN, à l’Autorité environnementale (Ae) et au public [4], mais il est aussi prévu une autre modification dans son usine : enrichir plus l’uranium. Dès fin 2024, le taux d’enrichissement, jusque-là inférieur ou égal à 5 %, pourrait grimper jusqu’à 6 %, la limite pour un usage civil.

Sans trop en dire

Ce taux de 6 % était prévu dès le départ dans l’autorisation de création de l’usine. Alors pour Orano, pas besoin d’intégrer cette modification au projet d’extension, d’en parler ou de refaire des études : cette "petite" augmentation ne change rien. Ce n’est pas l’avis de l’Ae ni de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) [5] qui juge qu’il ne s’agit pas d’une seule modification de l’usine (le taux d’enrichissement) mais de plusieurs. Augmenter le taux d’enrichissement c’est augmenter la masse de matière fissile, ce qui accroît le risque d’une réaction nucléaire spontanée : il faut revoir les règles de fonctionnement et les autorisations, prévoir de nouveaux espaces d’entreposage, de nouveaux conteneurs pour l’uranium... Et former les équipes pour limiter les risques. Pour l’Ae, toutes les modifications doivent être intégrées au projet d’extension, puisque l’impact de l’usine dépendra de leur globalité.

L’Ae soulève un autre point : puisque le projet est porté par une "ambition géostratégique occidentale d’autonomisation", pourquoi ne pas enrichir d’autres matières uranifères détenues en France, comme l’uranium appauvri (créé par le procédé d’enrichissement) ou l’uranium issu du retraitement des combustibles usés ? Réponse d’Orano : enrichir de l’uranium naturel extrait à l’étranger est plus rentable.

Enrichir plus et plus fort pour (prétendument) contrecarrer des risques de pénurie et se soustraire à une dépendance étrangère, oui, mais dans certaines limites. Qui sont évidemment économiques.

  • Laure Barthélemy,
    chargée de recherche et de Surveillance Citoyenne
    des Installations Nucléaires

Notes

[1Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur l’extension de l’unité Nord de l’INB n°168 "Usine Georges Besse II" sur la plateforme nucléaire du Tricastin (26-84), Autorité environnementale, 8 février 2024. https://www.igedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/20240208_inb168_delibere_cle5c71d9.pdf

[2Ibid

[3Ibid

[4Le projet a été soumis à enquête publique de mars à avril 2024.

[5Avis IRSN 2023-00181, 08/12/2023

L’uranium naturel n’est pas mis tel quel dans les centrales nucléaires : il est enrichi pour rendre le combustible plus réactif. Mais l’enrichissement est l’apanage de peu d’acteurs. 99 % des capacités mondiales d’enrichissement sont le fait de quatre opérateurs : Orano en France (12%), CNNC en Chine (13%), Urenco aux États-Unis (31%) et, en tête, Rosatom en Russie (43%) [1]. L’Agence fédérale de l’énergie atomique russe fournit à elle seule 20 % du marché français [2].

Or, depuis la guerre russo-ukrainienne déclenchée en février 2022, la France a peur que la Russie stoppe ses livraisons d’uranium enrichi. Ce risque de "pénurie potentielle" et la "souveraineté énergétique occidentale" ont incité Orano, détenu à 90 % par l’État français, à voir plus grand pour son usine d’enrichissement Georges Besse II [3].

Toujours plus grand, toujours plus fort

Le projet, déposé en juillet 2022 sur la table de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), a vite avancé : en moins de deux ans il a été autorisé. Le but est d’enrichir plus d’uranium et même d’accroître la production annuelle d’un tiers. Pour cela il "suffit" d’ajouter quatre modules aux 14 existants. Rien de plus simple d’après Orano, l’espace est déjà prévu ! Les travaux commenceront fin 2024, l’usine continuera à fonctionner durant le chantier. Les modules seront successivement mis en service dès qu’ils seront prêts (entre 2028 et 2030). Une "petite" extension en somme, pour la bagatelle d’1,7 milliard d’euros.

Orano ne l’a pas mis dans le dossier présenté à l’ASN, à l’Autorité environnementale (Ae) et au public [4], mais il est aussi prévu une autre modification dans son usine : enrichir plus l’uranium. Dès fin 2024, le taux d’enrichissement, jusque-là inférieur ou égal à 5 %, pourrait grimper jusqu’à 6 %, la limite pour un usage civil.

Sans trop en dire

Ce taux de 6 % était prévu dès le départ dans l’autorisation de création de l’usine. Alors pour Orano, pas besoin d’intégrer cette modification au projet d’extension, d’en parler ou de refaire des études : cette "petite" augmentation ne change rien. Ce n’est pas l’avis de l’Ae ni de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) [5] qui juge qu’il ne s’agit pas d’une seule modification de l’usine (le taux d’enrichissement) mais de plusieurs. Augmenter le taux d’enrichissement c’est augmenter la masse de matière fissile, ce qui accroît le risque d’une réaction nucléaire spontanée : il faut revoir les règles de fonctionnement et les autorisations, prévoir de nouveaux espaces d’entreposage, de nouveaux conteneurs pour l’uranium... Et former les équipes pour limiter les risques. Pour l’Ae, toutes les modifications doivent être intégrées au projet d’extension, puisque l’impact de l’usine dépendra de leur globalité.

L’Ae soulève un autre point : puisque le projet est porté par une "ambition géostratégique occidentale d’autonomisation", pourquoi ne pas enrichir d’autres matières uranifères détenues en France, comme l’uranium appauvri (créé par le procédé d’enrichissement) ou l’uranium issu du retraitement des combustibles usés ? Réponse d’Orano : enrichir de l’uranium naturel extrait à l’étranger est plus rentable.

Enrichir plus et plus fort pour (prétendument) contrecarrer des risques de pénurie et se soustraire à une dépendance étrangère, oui, mais dans certaines limites. Qui sont évidemment économiques.

  • Laure Barthélemy,
    chargée de recherche et de Surveillance Citoyenne
    des Installations Nucléaires


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