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Sortir du nucléaire n°61



Mai 2014

Tous concernés !

Transports radioactifs : un trafic de grande ampleur

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°61 - Mai 2014

 Luttes et actions  Transports radioactifs


Lorsque nous avons lancé, il y a un an, la campagne "Nucléaire : de la mine aux déchets, tout-e-s concerné-e-s", un de nos objectifs était de révéler et de mettre en lumière les dessous de la chaîne du combustible nucléaire. Nous le savions, notre connaissance de la route de l’uranium n’était que parcellaire et il nous fallait enquêter. Nous nous sommes donc penchés sur ces convois radioactifs qui traversent chaque jour, dans le plus grand secret, les routes et voies ferrées de l’Hexagone.



Chaque année, en France, ce sont ainsi 11000 transports qui sont réalisés pour les besoins de l’industrie nucléaire civile par le train, par camion ou par bateau. Entre les usines de combustibles, les 58 réacteurs et les centres de stockage ou d’entreposage, ces convois quotidiens tissent une toile radioactive qui n’épargne aucune région française. Le trafic auquel se livre l’industrie nucléaire que nous avons découvert est sans commune mesure avec ce que nous avions pu imaginer au début de notre enquête. Mais ces transports se sont tant développés et sont si réguliers et si nombreux, qu’ils en deviennent une faille dans le système nucléaire.

Le long périple de l’uranium

Avant même d’être utilisé dans les réacteurs, l’uranium va être transformé cinq fois et transporté six fois, d’un site nucléaire à l’autre.

Ce minerai est extrait dans des mines à l’autre bout de la planète. Il y subit sur place une première série de transformations pour devenir une pâte jaune : le fameux yellowcake. Au sortir de la mine, il est tout d’abord transporté jusqu’au port le plus proche. Au Niger par exemple, ces transports se font par la route à travers le Sahel, empruntant des chemins de terre et de sable pour rejoindre le port de Lomé ou Cotonou, et sont réalisés dans des conditions de sûreté et de sécurité déplorables. Il n’est pas rare d’y croiser par exemple de simples voyageurs assis sur des fûts de concentrés uranifères. L’uranium est ensuite chargé dans des bateaux à destination de la France et de l’Allemagne. Arrivé au Havre, à Hambourg ou à Bremerhaven, il est acheminé par train ou par route, selon sa provenance, vers l’usine Areva-Comurhex Malvési près de Narbonne. On estime ces transports terrestres à 110 par an [1].

Après une deuxième série de manipulations, qui entraînent leur lot de pollutions et contaminations radioactives et chimiques, l’uranium, sous forme d’UF4, quitte l’usine de Malvési pour rejoindre l’usine Areva-Comurhex de Pierrelatte (Drôme). La mise en place d’une vigie nous a permis de découvrir que chaque jour, ce sont trois à cinq camions qui empruntent l’A9 et l’A7.

Après transformation en UF6, une partie est expédiée hors de France, en Allemagne par exemple, le reste est enrichi. L’uranium part ensuite, d’abord par train, puis par camion, pour l’usine FBFC à Romans-sur-Isère. 200 à 300 conteneurs chargés d’uranium enrichi traversent ainsi le département chaque année.

Une fois conditionné sous forme de barres (ou crayons), le combustible nucléaire est envoyé vers les 19 centrales nucléaires françaises dans des camions spéciaux. Ces transports sont estimés à environ 300 par an.

Au sortir des réacteurs, et après un entreposage de plusieurs mois dans des piscines, les déchets, appelé par l’industrie "combustibles usés", sont expédiés par le train à l’usine AREVA de La Hague (Manche), dans des conteneurs appelés "CASTOR". Les Pays-Bas, l’Italie, l’Allemagne... y envoient ou y ont aussi envoyé du combustible usé. On dénombre environ 200 transports de ce type par an, dont une dizaine en provenance de l’étranger. Si peu de régions sont épargnées par ces convois, certaines sont de véritables corridors du transport de déchets. C’est par exemple le cas de la vallée du Rhône, de l’Ile-de-France et de la Normandie.

Après "retraitement", certains déchets restent sur place (les déchets vitrifiés français et une partie du plutonium). Les déchets traités et vitrifiés étrangers, eux, sont renvoyés dans les pays qui les ont produits. L’uranium issu du retraitement reprend lui aussi la route, ainsi qu’une partie du plutonium. Chaque semaine, deux ou trois convois de cette substance extrêmement toxique traversent la France, partant de La Hague pour rejoindre l’installation MELOX, dans le Gard. Là-bas, elle entrera dans la composition du combustible MOX. Une trentaine de transports de MOX seront ensuite réalisés chaque année vers les centrales autorisées à fonctionner avec ce combustible. Des déchets dits de "faible activité" sillonnent également la France quotidiennement pour rejoindre les centres d’entreposage de Soulaines et Morvilliers. Quatre à cinq camions quittent ainsi chaque jour La Hague pour l’Est de la France.

France-Allemagne : plaque tournante du trafic de matières radioactives

En nouant des liens étroits avec les réseaux allemands, nous avons pu approfondir notre connaissance des transports entre l’Allemagne et la France, dont la fréquence dépasse largement les quelques convois de déchets très médiatisés des dernières années. Et si l’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire, elle n’en poursuit pas moins son trafic de matières radioactives avec la France.

Les ports allemands reçoivent régulièrement du yellowcake français

Le port du Havre avait été clairement identifié comme le point d’arrivée du yellowcake français. Ce que nous ne savions pas, c’est que de l’uranium est régulièrement acheminé en France via les ports de Hambourg et de Bremerhaven. Le 7 septembre 2013, 125 tonnes venant de Namibie sont ainsi arrivées à Hambourg, à bord du navire "Grey Fox". Le 25 septembre 2013, le "Sheksna" déchargeait 130 tonnes en provenance de Saint-Pétersbourg.

De la Suède à la France, en passant par l’Allemagne

Autre découverte d’importance : la France n’utilise pas que du combustible fabriqué sur son territoire. Une partie du combustible neuf à destination des centrales françaises provient de l’entreprise Vasteras, implantée en Suède. En 2013, des dizaines de transports de ce type ont été réalisés vers la France, en passant par l’Allemagne. Une fois arrivées dans les ports allemands, les barres de combustible sont acheminées par camion, soit directement vers les sites des centrales, soit vers le Magasin Inter-Régional de stockage du combustible neuf (MIR) de Chinon [2].

La base logistique de Void-Vacon : carrefour radioactif du nord de l’Europe

En 2010, Areva inaugurait une plateforme logistique à Void-Vacon, dans la Meuse. Officiellement prévue comme base de transit de pièces neuves pour les chantiers de Georges Besse II et ITER, elle sert en réalité de plaque tournante du trafic de matières radioactives entre la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Naturellement, Areva s’est bien gardée de le mentionner dans ses documents officiels et il nous a fallu nous armer de patience pour obtenir des informations précises. De courriers à l’exploitant et à l’ASN, en vigies et actions à proximité du site, le Réseau et les collectifs locaux ont pu établir que, chaque semaine, 10 à 15 camions de différentes matières (UF6 dit "appauvri", UF6 dit "naturel", oxyde d’uranium et combustible neuf) au minimum passaient par cette base.

Les transports radioactifs : talon d’Achille du nucléaire

Ainsi, le système nucléaire, de l’extraction de l’uranium au "traitement" des déchets, engendre de nombreux transports à haut risque. Quotidiens et bien souvent réguliers, pour certains absolument pas surveillés, ils sont aussi une faille dans ce système. S’y opposer, c’est donc mettre des bâtons dans les rouages de l’industrie nucléaire. Mais pour s’y attaquer, il faut les surveiller. C’est pourquoi nous recherchons des vigies partout en France.

Laura Hameaux

Pour rejoindre notre équipe de vigies, envoyez un mail à mobilisations@sortirdunucleaire.fr

Cette année, nous recherchons en particulier des vigies sur :

  • l’axe ferroviaire Woippy – Dijon – Lyon – Valence – Narbonne
  • l’axe routier Metz – Void-Vacon – Dijon – Lyon – Valence Montélimar

Notes

[1Réponse de l’ASN Caen, du 22 juillet 2013, à la question adressée par le Réseau, dans laquelle on apprend que l’ASN ne connait pas le nombre exact de ces convois et la quantité de matière transportée, ces transports n’étant pas soumis à autorisation préalable. Il en va de même pour tous les transports d’uranium avant enrichissement et les transports de déchets dit de faible activité, pour lesquels il n’y a pas de contrôle a priori. Les exploitants sont donc à la fois contrôleurs et contrôlés.

[2INB n°99, mise en service en 1978.

Chaque année, en France, ce sont ainsi 11000 transports qui sont réalisés pour les besoins de l’industrie nucléaire civile par le train, par camion ou par bateau. Entre les usines de combustibles, les 58 réacteurs et les centres de stockage ou d’entreposage, ces convois quotidiens tissent une toile radioactive qui n’épargne aucune région française. Le trafic auquel se livre l’industrie nucléaire que nous avons découvert est sans commune mesure avec ce que nous avions pu imaginer au début de notre enquête. Mais ces transports se sont tant développés et sont si réguliers et si nombreux, qu’ils en deviennent une faille dans le système nucléaire.

Le long périple de l’uranium

Avant même d’être utilisé dans les réacteurs, l’uranium va être transformé cinq fois et transporté six fois, d’un site nucléaire à l’autre.

Ce minerai est extrait dans des mines à l’autre bout de la planète. Il y subit sur place une première série de transformations pour devenir une pâte jaune : le fameux yellowcake. Au sortir de la mine, il est tout d’abord transporté jusqu’au port le plus proche. Au Niger par exemple, ces transports se font par la route à travers le Sahel, empruntant des chemins de terre et de sable pour rejoindre le port de Lomé ou Cotonou, et sont réalisés dans des conditions de sûreté et de sécurité déplorables. Il n’est pas rare d’y croiser par exemple de simples voyageurs assis sur des fûts de concentrés uranifères. L’uranium est ensuite chargé dans des bateaux à destination de la France et de l’Allemagne. Arrivé au Havre, à Hambourg ou à Bremerhaven, il est acheminé par train ou par route, selon sa provenance, vers l’usine Areva-Comurhex Malvési près de Narbonne. On estime ces transports terrestres à 110 par an [1].

Après une deuxième série de manipulations, qui entraînent leur lot de pollutions et contaminations radioactives et chimiques, l’uranium, sous forme d’UF4, quitte l’usine de Malvési pour rejoindre l’usine Areva-Comurhex de Pierrelatte (Drôme). La mise en place d’une vigie nous a permis de découvrir que chaque jour, ce sont trois à cinq camions qui empruntent l’A9 et l’A7.

Après transformation en UF6, une partie est expédiée hors de France, en Allemagne par exemple, le reste est enrichi. L’uranium part ensuite, d’abord par train, puis par camion, pour l’usine FBFC à Romans-sur-Isère. 200 à 300 conteneurs chargés d’uranium enrichi traversent ainsi le département chaque année.

Une fois conditionné sous forme de barres (ou crayons), le combustible nucléaire est envoyé vers les 19 centrales nucléaires françaises dans des camions spéciaux. Ces transports sont estimés à environ 300 par an.

Au sortir des réacteurs, et après un entreposage de plusieurs mois dans des piscines, les déchets, appelé par l’industrie "combustibles usés", sont expédiés par le train à l’usine AREVA de La Hague (Manche), dans des conteneurs appelés "CASTOR". Les Pays-Bas, l’Italie, l’Allemagne... y envoient ou y ont aussi envoyé du combustible usé. On dénombre environ 200 transports de ce type par an, dont une dizaine en provenance de l’étranger. Si peu de régions sont épargnées par ces convois, certaines sont de véritables corridors du transport de déchets. C’est par exemple le cas de la vallée du Rhône, de l’Ile-de-France et de la Normandie.

Après "retraitement", certains déchets restent sur place (les déchets vitrifiés français et une partie du plutonium). Les déchets traités et vitrifiés étrangers, eux, sont renvoyés dans les pays qui les ont produits. L’uranium issu du retraitement reprend lui aussi la route, ainsi qu’une partie du plutonium. Chaque semaine, deux ou trois convois de cette substance extrêmement toxique traversent la France, partant de La Hague pour rejoindre l’installation MELOX, dans le Gard. Là-bas, elle entrera dans la composition du combustible MOX. Une trentaine de transports de MOX seront ensuite réalisés chaque année vers les centrales autorisées à fonctionner avec ce combustible. Des déchets dits de "faible activité" sillonnent également la France quotidiennement pour rejoindre les centres d’entreposage de Soulaines et Morvilliers. Quatre à cinq camions quittent ainsi chaque jour La Hague pour l’Est de la France.

France-Allemagne : plaque tournante du trafic de matières radioactives

En nouant des liens étroits avec les réseaux allemands, nous avons pu approfondir notre connaissance des transports entre l’Allemagne et la France, dont la fréquence dépasse largement les quelques convois de déchets très médiatisés des dernières années. Et si l’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire, elle n’en poursuit pas moins son trafic de matières radioactives avec la France.

Les ports allemands reçoivent régulièrement du yellowcake français

Le port du Havre avait été clairement identifié comme le point d’arrivée du yellowcake français. Ce que nous ne savions pas, c’est que de l’uranium est régulièrement acheminé en France via les ports de Hambourg et de Bremerhaven. Le 7 septembre 2013, 125 tonnes venant de Namibie sont ainsi arrivées à Hambourg, à bord du navire "Grey Fox". Le 25 septembre 2013, le "Sheksna" déchargeait 130 tonnes en provenance de Saint-Pétersbourg.

De la Suède à la France, en passant par l’Allemagne

Autre découverte d’importance : la France n’utilise pas que du combustible fabriqué sur son territoire. Une partie du combustible neuf à destination des centrales françaises provient de l’entreprise Vasteras, implantée en Suède. En 2013, des dizaines de transports de ce type ont été réalisés vers la France, en passant par l’Allemagne. Une fois arrivées dans les ports allemands, les barres de combustible sont acheminées par camion, soit directement vers les sites des centrales, soit vers le Magasin Inter-Régional de stockage du combustible neuf (MIR) de Chinon [2].

La base logistique de Void-Vacon : carrefour radioactif du nord de l’Europe

En 2010, Areva inaugurait une plateforme logistique à Void-Vacon, dans la Meuse. Officiellement prévue comme base de transit de pièces neuves pour les chantiers de Georges Besse II et ITER, elle sert en réalité de plaque tournante du trafic de matières radioactives entre la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Naturellement, Areva s’est bien gardée de le mentionner dans ses documents officiels et il nous a fallu nous armer de patience pour obtenir des informations précises. De courriers à l’exploitant et à l’ASN, en vigies et actions à proximité du site, le Réseau et les collectifs locaux ont pu établir que, chaque semaine, 10 à 15 camions de différentes matières (UF6 dit "appauvri", UF6 dit "naturel", oxyde d’uranium et combustible neuf) au minimum passaient par cette base.

Les transports radioactifs : talon d’Achille du nucléaire

Ainsi, le système nucléaire, de l’extraction de l’uranium au "traitement" des déchets, engendre de nombreux transports à haut risque. Quotidiens et bien souvent réguliers, pour certains absolument pas surveillés, ils sont aussi une faille dans ce système. S’y opposer, c’est donc mettre des bâtons dans les rouages de l’industrie nucléaire. Mais pour s’y attaquer, il faut les surveiller. C’est pourquoi nous recherchons des vigies partout en France.

Laura Hameaux

Pour rejoindre notre équipe de vigies, envoyez un mail à mobilisations@sortirdunucleaire.fr

Cette année, nous recherchons en particulier des vigies sur :

  • l’axe ferroviaire Woippy – Dijon – Lyon – Valence – Narbonne
  • l’axe routier Metz – Void-Vacon – Dijon – Lyon – Valence Montélimar


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