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Sortir du nucléaire n°73



Printemps 2017

Sortie du nucléaire et des énergies fossiles : la transition énergétique selon le scénario négaWatt 2017

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°73 - Printemps 2017

 Energies renouvelables


Fin janvier 2017, l’Association négaWatt a publié une version actualisée de son scénario, qui propose une transition énergétique globale intégrant un arrêt progressif des centrales en fin de vie. Nous avons interviewé Yves Marignac, délégué à l’analyse prospective et porte-parole de l’association.



Pouvez-vous présenter rapidement votre démarche et l’historique de votre association ?

L’Association négaWatt est née en 2001 de la volonté d’un collectif d’experts, pour l’essentiel praticiens de terrain, de promouvoir en France un rapport plus soutenable à l’énergie. Elle propose pour cela une démarche de bons sens, basée sur trois leviers :

 la sobriété, qui consiste en un rapport intelligent à l’énergie pour éviter les usages inutiles,

 l’efficacité, qui vise à améliorer la performance technique à toutes les étapes, pour consommer moins d’énergie pour un certain niveau de services,

 la priorité aux énergies renouvelables sur les énergies fossiles et nucléaire, intrinsèquement moins soutenables.

Dès 2003, l’association proposait un premier scénario énergétique pour la France, basé sur cette démarche. Après une actualisation en 2006, un scénario plus développé a été produit en 2011. Premier scénario compatible avec les engagements climatiques de la France à l’époque, il a également bénéficié d’une grande attention dans le contexte de la catastrophe de Fukushima, car il montrait que c’est possible sans poursuivre le nucléaire. Ces scénarios successifs nourrissent les propositions que porte l’association.

Pourquoi un nouveau scénario en 2017 ? Qu’est-ce qui a changé depuis le scénario publié en 2011 ?

Ce n’est pas parti d’un besoin de réviser les orientations du scénario de 2011. Au contraire, nous sommes impressionnés par la robustesse qu’il a montrée, et par la dynamique qu’il continuait à porter pour l’engagement dans la transition d’un nombre croissant d’acteurs.

En revanche, le contexte a changé. D’un côté, la loi pour la transition énergétique et l’Accord de Paris ont engagé la France sur des objectifs ambitieux à long terme, mais de l’autre, l’action reste beaucoup trop lente alors que les années passent. Parallèlement, la consommation d’énergie connaît une inflexion, les énergies renouvelables progressent, la transition est de plus en plus crédible. D’où l’idée de publier un nouveau scénario, dans le contexte de la campagne électorale, pour mettre en débat la nécessité d’une accélération. Cet exercice nous a par ailleurs permis d’actualiser certains potentiels, d’ajuster la trajectoire et d’approfondir certaines questions.

Dans votre scénario, comment envisagez-vous la sortie du nucléaire ? Identifiez-vous des facteurs qui pourraient permettre de réduire le délai de sortie ?

Le scénario négaWatt 2017 est un scénario de transition énergétique globale qui montre comment, par la sobriété et l’efficacité, on peut diviser par deux notre consommation d’énergie à l’horizon 2050, et comment on peut couvrir 100 % de ces besoins grâce aux énergies renouvelables en multipliant leur production par 3,5.

Concernant le nucléaire, le scénario n’a pas pour but premier une sortie en urgence, ce qui serait un autre exercice, mais ajuste l’évolution du parc nucléaire à la baisse de la consommation et à la montée en puissance des énergies renouvelables.

Concrètement, cela signifie que les 58 réacteurs actuels sont arrêtés au plus tard à l’échéance de leur quatrième visite décennale. C’est possible grâce à un fort développement des renouvelables et à l’effort de maîtrise de la consommation, à condition aussi d’anticiper les fermetures pour "lisser" les arrêts. Le dernier réacteur est fermé en 2035. Un rythme plus rapide est techniquement envisageable, mais il nécessiterait un effort plus contraint sur la consommation ou un recours temporairement important aux centrales thermiques.

Bilan en énergie primaire, avec le dernier réacteur nucléaire fermé en 2035.

Quel est l’impact du scénario négaWatt en matière de création d’emplois par rapport à la tendance actuelle ?

Ce n’est pas facile à mesurer, et cela n’a effectivement de sens que par rapport à une certaine tendance. Le scénario négaWatt 2017 consiste à accélérer une évolution timide, mais déjà créatrice d’emplois dans l’efficacité énergétique ou les renouvelables. Par rapport à cette tendance positive, on peut estimer que le scénario représente plus de 500 000 emplois nets supplémentaires à l’horizon 2030 (ce qui appelle par ailleurs des politiques de reconversion, des emplois étant détruits dans certains secteurs). Un cinquième vient, au-delà de la transition énergétique, de la transition agricole et alimentaire – les deux sujets sont intimement liés, et notre scénario est pour cela couplé avec Afterres 2050, le scénario développé par l’Association Solagro. Au-delà de ce chiffre en emplois, c’est bien de valeur créée autour de projets de développement dans tous les territoires qu’il s’agit.

Que répondez-vous à ceux qui prétendent que la transition énergétique coûterait beaucoup trop cher ?

Ce qui "coûte" cher, c’est de réinvestir dans notre système énergétique, qui en a grandement besoin quels que soient nos choix. Cela n’a aucun sens de comparer les dépenses liées à la transition énergétique par rapport à un statu quo. La bonne question c’est : quel investissement rapporte le plus ?

On peut apporter une réponse en comparant les coûts d’investissement et d’exploitation engagés entre le scénario négaWatt 2017 et le tendanciel. Il faut aussi tenir compte de l’économie réalisée sur la facture énergétique – 50 à 70 milliards d’euros dépensés chaque année pour importer du pétrole et du gaz. Le scénario négaWatt représente, avec une hypothèse "basse" de prix de l’énergie constant, une économie cumulée de 400 milliards d’euros entre aujourd’hui et 2050 !

La transition énergétique n’est pas un surcoût, mais un investissement profitable selon les canons économiques. De plus, elle agit positivement sur ce qu’ils ne mesurent pas : les bénéfices environnementaux et sanitaires, la réduction des risques. Ce qui coûte infiniment trop cher, c’est le désastre auquel nous conduirait la poursuite du modèle actuel.

Quel écho trouvez-vous jusqu’ici auprès des acteurs politiques et institutionnels ?

Notre travail nourrit très clairement le débat public et les réflexions d’acteurs, et notre nouveau scénario a été très bien reçu. Premier exercice à proposer une trajectoire de neutralité carbone à 2050 conforme à l’engagement international de la France, il fixe à nouveau le cap de l’ambition climatique, tout en offrant la perspective d’une bascule du "tout nucléaire" au 100 % renouvelables.

Le scénario négaWatt contribue à convaincre de la nécessité de la transition, de sa faisabilité et de son opportunité, aidant un nombre croissant d’acteurs politiques – dont plusieurs candidats à la présidentielle qui s’en réclament – et économiques à assumer cette rupture. Nous avons incontestablement contribué à faire changer le paysage de la politique énergétique française, même si les résistances restent fortes.

La notion de sobriété qui est au cœur du scénario négaWatt fait son chemin dans la société. Selon vous, est-on en train d’assister à l’émergence d’un mouvement de fond et d’une redéfinition de ce qu’est le "bien-vivre" ?

On sort en tout cas d’une vision trop restrictive et comportementale de la sobriété, agitée comme un repoussoir. J’insiste aujourd’hui sur la dimension d’intelligence individuelle et collective que l’on met derrière cette notion, et sur la nécessité de construire une "offre de sobriété". Il s’agit de créer, dans l’aménagement du territoire, l’offre de transports en commun ou de véhicules partagés, l’évolution des bâtiments, la commercialisation de biens et d’équipements, les conditions de cette consommation plus sobre.

La prise de conscience existe, ces nouveaux modèles émergent, on en a de nombreux signaux positifs. L’idée d’une société du "consommer mieux", plus apaisée, plus juste et plus douce à vivre, fait son chemin. Mais ce changement se heurte aussi aux habitudes, aux rigidités du modèle actuel, et à l’intérêt d’acteurs puissants pour la poursuite des logiques productiviste et consumériste. Notre scénario est un outil parmi d’autres pour éclairer les choix, donner du sens, et accélérer l’émergence de cette nouvelle société.

Propos recueillis par Charlotte Mijeon

Association négaWatt : www.negawatt.org

Pouvez-vous présenter rapidement votre démarche et l’historique de votre association ?

L’Association négaWatt est née en 2001 de la volonté d’un collectif d’experts, pour l’essentiel praticiens de terrain, de promouvoir en France un rapport plus soutenable à l’énergie. Elle propose pour cela une démarche de bons sens, basée sur trois leviers :

 la sobriété, qui consiste en un rapport intelligent à l’énergie pour éviter les usages inutiles,

 l’efficacité, qui vise à améliorer la performance technique à toutes les étapes, pour consommer moins d’énergie pour un certain niveau de services,

 la priorité aux énergies renouvelables sur les énergies fossiles et nucléaire, intrinsèquement moins soutenables.

Dès 2003, l’association proposait un premier scénario énergétique pour la France, basé sur cette démarche. Après une actualisation en 2006, un scénario plus développé a été produit en 2011. Premier scénario compatible avec les engagements climatiques de la France à l’époque, il a également bénéficié d’une grande attention dans le contexte de la catastrophe de Fukushima, car il montrait que c’est possible sans poursuivre le nucléaire. Ces scénarios successifs nourrissent les propositions que porte l’association.

Pourquoi un nouveau scénario en 2017 ? Qu’est-ce qui a changé depuis le scénario publié en 2011 ?

Ce n’est pas parti d’un besoin de réviser les orientations du scénario de 2011. Au contraire, nous sommes impressionnés par la robustesse qu’il a montrée, et par la dynamique qu’il continuait à porter pour l’engagement dans la transition d’un nombre croissant d’acteurs.

En revanche, le contexte a changé. D’un côté, la loi pour la transition énergétique et l’Accord de Paris ont engagé la France sur des objectifs ambitieux à long terme, mais de l’autre, l’action reste beaucoup trop lente alors que les années passent. Parallèlement, la consommation d’énergie connaît une inflexion, les énergies renouvelables progressent, la transition est de plus en plus crédible. D’où l’idée de publier un nouveau scénario, dans le contexte de la campagne électorale, pour mettre en débat la nécessité d’une accélération. Cet exercice nous a par ailleurs permis d’actualiser certains potentiels, d’ajuster la trajectoire et d’approfondir certaines questions.

Dans votre scénario, comment envisagez-vous la sortie du nucléaire ? Identifiez-vous des facteurs qui pourraient permettre de réduire le délai de sortie ?

Le scénario négaWatt 2017 est un scénario de transition énergétique globale qui montre comment, par la sobriété et l’efficacité, on peut diviser par deux notre consommation d’énergie à l’horizon 2050, et comment on peut couvrir 100 % de ces besoins grâce aux énergies renouvelables en multipliant leur production par 3,5.

Concernant le nucléaire, le scénario n’a pas pour but premier une sortie en urgence, ce qui serait un autre exercice, mais ajuste l’évolution du parc nucléaire à la baisse de la consommation et à la montée en puissance des énergies renouvelables.

Concrètement, cela signifie que les 58 réacteurs actuels sont arrêtés au plus tard à l’échéance de leur quatrième visite décennale. C’est possible grâce à un fort développement des renouvelables et à l’effort de maîtrise de la consommation, à condition aussi d’anticiper les fermetures pour "lisser" les arrêts. Le dernier réacteur est fermé en 2035. Un rythme plus rapide est techniquement envisageable, mais il nécessiterait un effort plus contraint sur la consommation ou un recours temporairement important aux centrales thermiques.

Bilan en énergie primaire, avec le dernier réacteur nucléaire fermé en 2035.

Quel est l’impact du scénario négaWatt en matière de création d’emplois par rapport à la tendance actuelle ?

Ce n’est pas facile à mesurer, et cela n’a effectivement de sens que par rapport à une certaine tendance. Le scénario négaWatt 2017 consiste à accélérer une évolution timide, mais déjà créatrice d’emplois dans l’efficacité énergétique ou les renouvelables. Par rapport à cette tendance positive, on peut estimer que le scénario représente plus de 500 000 emplois nets supplémentaires à l’horizon 2030 (ce qui appelle par ailleurs des politiques de reconversion, des emplois étant détruits dans certains secteurs). Un cinquième vient, au-delà de la transition énergétique, de la transition agricole et alimentaire – les deux sujets sont intimement liés, et notre scénario est pour cela couplé avec Afterres 2050, le scénario développé par l’Association Solagro. Au-delà de ce chiffre en emplois, c’est bien de valeur créée autour de projets de développement dans tous les territoires qu’il s’agit.

Que répondez-vous à ceux qui prétendent que la transition énergétique coûterait beaucoup trop cher ?

Ce qui "coûte" cher, c’est de réinvestir dans notre système énergétique, qui en a grandement besoin quels que soient nos choix. Cela n’a aucun sens de comparer les dépenses liées à la transition énergétique par rapport à un statu quo. La bonne question c’est : quel investissement rapporte le plus ?

On peut apporter une réponse en comparant les coûts d’investissement et d’exploitation engagés entre le scénario négaWatt 2017 et le tendanciel. Il faut aussi tenir compte de l’économie réalisée sur la facture énergétique – 50 à 70 milliards d’euros dépensés chaque année pour importer du pétrole et du gaz. Le scénario négaWatt représente, avec une hypothèse "basse" de prix de l’énergie constant, une économie cumulée de 400 milliards d’euros entre aujourd’hui et 2050 !

La transition énergétique n’est pas un surcoût, mais un investissement profitable selon les canons économiques. De plus, elle agit positivement sur ce qu’ils ne mesurent pas : les bénéfices environnementaux et sanitaires, la réduction des risques. Ce qui coûte infiniment trop cher, c’est le désastre auquel nous conduirait la poursuite du modèle actuel.

Quel écho trouvez-vous jusqu’ici auprès des acteurs politiques et institutionnels ?

Notre travail nourrit très clairement le débat public et les réflexions d’acteurs, et notre nouveau scénario a été très bien reçu. Premier exercice à proposer une trajectoire de neutralité carbone à 2050 conforme à l’engagement international de la France, il fixe à nouveau le cap de l’ambition climatique, tout en offrant la perspective d’une bascule du "tout nucléaire" au 100 % renouvelables.

Le scénario négaWatt contribue à convaincre de la nécessité de la transition, de sa faisabilité et de son opportunité, aidant un nombre croissant d’acteurs politiques – dont plusieurs candidats à la présidentielle qui s’en réclament – et économiques à assumer cette rupture. Nous avons incontestablement contribué à faire changer le paysage de la politique énergétique française, même si les résistances restent fortes.

La notion de sobriété qui est au cœur du scénario négaWatt fait son chemin dans la société. Selon vous, est-on en train d’assister à l’émergence d’un mouvement de fond et d’une redéfinition de ce qu’est le "bien-vivre" ?

On sort en tout cas d’une vision trop restrictive et comportementale de la sobriété, agitée comme un repoussoir. J’insiste aujourd’hui sur la dimension d’intelligence individuelle et collective que l’on met derrière cette notion, et sur la nécessité de construire une "offre de sobriété". Il s’agit de créer, dans l’aménagement du territoire, l’offre de transports en commun ou de véhicules partagés, l’évolution des bâtiments, la commercialisation de biens et d’équipements, les conditions de cette consommation plus sobre.

La prise de conscience existe, ces nouveaux modèles émergent, on en a de nombreux signaux positifs. L’idée d’une société du "consommer mieux", plus apaisée, plus juste et plus douce à vivre, fait son chemin. Mais ce changement se heurte aussi aux habitudes, aux rigidités du modèle actuel, et à l’intérêt d’acteurs puissants pour la poursuite des logiques productiviste et consumériste. Notre scénario est un outil parmi d’autres pour éclairer les choix, donner du sens, et accélérer l’émergence de cette nouvelle société.

Propos recueillis par Charlotte Mijeon

Association négaWatt : www.negawatt.org



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