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Russie : les antinucléaires réprimés comme "agents de l’étranger" !
En Russie, la vague de répression qui touche les mouvements sociaux critiques du système n’épargne pas les militants antinucléaires. Pour avoir mis en échec certains projets de l’industrie nucléaire russe, l’ONG Ecodefense est maintenant classée "agent de l’étranger". Vladimir Sliviak, son porte-parole, évoque son combat contre l’industrie nucléaire russe et témoigne des pressions des autorités.
Vladimir Sliviak explique les dangers des déchets radioactifs lors d’une émission télévisée sur la chaîne russe TVC.
Quel est ton engagement et quelles sont les activités d’Ecodefense ?
Vladimir Sliviak : Engagé dans le mouvement antinucléaire russe depuis la fin des années 1980, je travaille depuis 20 ans pour l’ONG Ecodefense. Depuis 1993, nous menons des campagnes d’éducation à l’environnement auprès de centaines d’écoles. Nous sommes également très engagés sur la question du climat, suivons de près les négociations internationales et publions de nombreuses informations sur cette question qui, en Russie, n’attire pas l’attention du grand public ni des politiques. Depuis l’année dernière, nous travaillons égale- ment sur les impacts négatifs des mines de char- bon, qui menacent l’existence des peuples indigènes. Et récemment, nous avons mené campagne pour essayer de convaincre le gouvernement de ratifier les conventions d’Aarhus et d’Espoo [1].
Mais depuis le début, notre engagement principal, ce sont les actions contre la construction de nouvelles centrales, contre l’importation de déchets radioactifs et pour faire changer la loi sur le nucléaire. Au regard du contexte socio-politique russe sur cette période, nous avons plutôt bien réussi : nos campagnes ont permis d’arrêter l’importation de déchets européens et asiatiques, d’introduire des changements importants dans la législation environnementale et sur le traitement des déchets ; enfin, nous avons pu obtenir l’arrêt de la construction de la centrale nucléaire de Kaliningrad mi-2013.
Manifestation contre la construction de nouveaux réacteurs en Russie, près du siège de Rosatom à Moscou, en mars 2011. Sur le drapeau : "Centrale de la Baltique - Non merci !". Ce projet de centrale a, depuis, été annulé notamment grâce à l’action d’Écodéfense.
L’industrie nucléaire russe prétend être en pleine expansion, qu’en est-il vraiment ?
V.S. : L’industrie nucléaire russe a un ambitieux programme de développement. Sur le papier, de nombreuses constructions de centrales sont prévues, en Russie et à l’étranger. Mais en réalité, en Russie, le rythme de construction ne compensera pas la fermeture des centrales vieillissantes. Quant aux grands projets internationaux, ils ne se concrétisent vraiment qu’au Bélarus et en Chine. L’industrie surestime ses capacités. Il faut savoir que la construction des centrales est financée sur le budget de l’État russe (c’est d’ailleurs autant qui n’est pas dépensé pour les services publics). Même si le nucléaire est une priorité pour la Russie, les fonds disponibles ne sont pas extensibles à l’infini, d’autant que les coûts des nouveaux réacteurs ne cessent de croître.
Ce qu’on sait peu en Europe, c’est que l’industrie nucléaire russe fait parler d’elle plusieurs fois par an pour des affaires de corruption. L’an dernier, il a été révélé qu’une firme utilisait des matériaux à bas coût pour produire des équipements qui étaient ensuite revendus à prix d’or comme étant d’excellente qualité ! Il n’y a pas eu de vérifications poussées suite à ce scandale et il se peut que ces pièces low-cost soient toujours en place sur des centrales russes, indiennes ou chinoises. Un jour ou l’autre, cela pourrait mener à un accident.
Mais si les scandales de corruption éclatent au grand jour, les problèmes de sûreté proprement dits ne sortent pas dans les médias. Il faut dire qu’une des particularités de l’industrie nucléaire russe est qu’elle s’est principalement développée dans des villes fermées, entourées du secret d’État.
Au moins sept de ces villes, situées majoritairement dans l’Oural et en Sibérie et accessibles uniquement aux résidents, sont consacrées à la recherche, aux activités militaires, à l’enrichissement et au retraitement du combustible, au stockage des déchets étrangers (dont des déchets français d’ailleurs)... Un des lieux emblématiques est le site de Mayak, dans l’Oural, dédié au retraitement du combustible nucléaire, qui a connu un très grave accident en 1957 et continue à fonctionner depuis. La région reste polluée et les populations souffrent toujours des conséquences sanitaires mais les autorités ont refusé de les reloger ailleurs.
Manifestation contre la construction de nouveaux réacteurs, près du siège de Rosatom à Moscou, en février 2009. Des activistes en provenance de 30 régions russes brandissaient des messages visant les nouveaux réacteurs en construction ou prévision à travers la Russie.
Au vu du fonctionnement de l’industrie nucléaire russe, on imagine que s’engager contre elle est d’autant plus difficile...
V.S. : Être militant antinucléaire en Russie est à la fois difficile et inspirant. Historiquement, le gouvernement russe a toujours protégé l’industrie nucléaire par tous les moyens, qu’ils soient légaux ou non. Mais pour moi, s’élever contre cette industrie, dévoiler ses secrets et essayer de l’arrêter, ce n’est pas un choix mais un devoir. Mener des activités antinucléaires en Russie signifie donc devoir tenir face à la pression du gouvernement et des médias (tous les grands médias sont directement contrôlés par le gouvernement), se faire constamment arrêter lors des manifestations, passer beau- coup de temps à faire comprendre aux gens les dangers du nucléaire alors que les autorités disent à tout le monde de ne pas s’en mêler... En 2014, pour la première fois, le gouvernement russe a commencé à réprimer ouvertement les militants antinucléaires. Il s’est mis à criminaliser les campagnes contre l’industrie nucléaire, en prétendant que se battre contre le nucléaire, c’est se battre contre le gouvernement ! Plusieurs instruments de répression ont été mis en place pour limiter les protestations publiques et la libre circulation de l’information. Nous essayons de coopérer et nous aider mutuellement avec les mouvements pour les droits humains, qui sont aussi soumis à une pression importante. Cette vague de répression est la réponse du gouvernement à l’accroissement des protestations de la société civile. Dans les années 2000, celle-ci se faisait peu entendre et Poutine, qui veut rester éternellement au pouvoir et voit une société active comme une menace, a décidé que cela devait toujours rester ainsi.
Manifestation contre la construction d’un réacteur surgénérateur (utilisant du plutonium comme combustible) près de la ville d’Ékatérinbourg, en juillet 2003. Sur la banderole : "Non au nouveau réacteur".
Et en 2014, le gouvernement russe a décidé de placer Ecodefense sur la liste des "agents de l’étranger" ! Que signifie cette procédure ?
V.S. : En 2013, Ecodefense a réussi à empêcher la construction de la centrale nucléaire de Kaliningrad. Cette campagne a été invoquée par le ministère de la Justice comme raison principale pour nous inscrire sur la liste des "agents de l’étranger". Cette liste, publiée sur le site du ministère de la Justice, comprend les ONGs considérées par l’État comme ses ennemis. Ecodefense figure parmi les dix premiers groupes inscrits sur cette liste en Russie et a été ajouté mi-2014. Les représentants des autorités ont reçu l’ordre de ne pas coopérer ni interagir avec les "agents de l’étranger". Les groupes concernés sont forcés de se signaler comme "agents de l’étranger" à chaque apparition dans les médias, sur leurs sites web et sur leurs documents officiels, sans quoi ils encourent des amendes et peuvent être dissous.
Manifestation contre l’importation de déchets radioactifs en Russie, près du bureau du gouverneur de la ville d’Ékatérinbourg dans l’Oural (juillet 2005).
Ecodefense refuse de se soumettre à ces règles, nous ne sommes les "agents" de personne. Jusqu’ici [janvier 2015], le gouvernement nous a condamnés cinq fois à des amendes et un autre procès contre nous doit avoir lieu. Il y a un an, Ecodefense comptait trois branches légalement enregistrées en Russie. En décembre 2014, le gouvernement en a fait fermer deux par décision de justice. Et ils pourraient fermer la dernière, suite à une nouvelle amende. Nous résisterons à ces choix politiques du gouvernement tant que nous existerons... et ensuite, nous verrons ce qui se passe !
Propos recueillis et traduits par Charlotte Mijeon
Notes
[1] Ces deux conventions internationales sont des éléments importants de la démocratie environnementale. La convention d’Aarhus affirme le droit des citoyens d’être informés, de s’impliquer dans les décisions et d’exercer des recours en matière d’environnement. Quant à la convention d’Espoo, elle rend obligatoire la réalisation d’une étude d’impact environnemental avant le début de tout projet polluant qui pourrait avoir des conséquences sur les pays voisins.