Publié le 22 avril 2015
Le reportage "Tchernobyl, une histoire naturelle" repasse régulièrement à la télévision. Message principal : à Tchernobyl, la nature reprend le dessus et seules quelques espèces souffrent des conséquences de l’accident. Des conclusions vivement contestées par plusieurs médecins et biologistes, et notamment par le Professeur Michel Fernex.
VERS L’EXTINCTION DES ESPECES ANIMALES À TCHERNOBYL
INTRODUCTION
« Pour que le nucléaire prenne un nouvel essor, il faut effacer Tchernobyl. Déjà en 1958, un groupe d’étude de l’Organisation Mondiale de la santé (OMS Série Rapport Technique 151) prônait l’ignorance pour permettre à l’industrie nucléaire de proliférer sans rencontrer d’opposition dans la population. Pourtant, cette démarche était fondamentalement contraire à la Constitution de l’OMS, qui impose à cette organisation « d’aider à former, parmi les peuples, une opinion publique éclairée » (Documents Fondamentaux OMS Genève).
En 1956, les cinq puissances nucléaires installaient l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) au sommet de la hiérarchie de l’ONU, sous leur surveillance directe. En 1959, l’OMS devait signer l’Accord (WHA 12/40) qui la soumettait dans le domaine du nucléaire à l’AIEA, dont le premier objectif statutaire est « d’accélérer et d’accroître la contribution de l’énergie nucléaire à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier ».
Après l’explosion du réacteur [n°4 de Tchernobyl], les isotopes radioactifs ont été propulsés en hauteur par la chaleur de l’incendie. Les vents les ont dispersés sous forme de poussières ou nanoparticules dans des fumées ou des gaz pouvant s’élever très haut. Certains nuages ont contourné l’hémisphère Nord de notre planète en guère plus d’une semaine, laissant sur les pays des empreintes radioactives. La majorité des retombées ont atteint l’URSS, l’Europe centrale et la Turquie ; 50% restent sur les trois nouvelles républiques voisines du réacteur : le sud-ouest de la Fédération de Russie, l’Ukraine et le Belarus qui est le plus contaminé.
Contrairement au Bélarus et à la Fédération de Russie qui ignorent ou minimisent les dommages sanitaires engendrés par l’explosion du réacteur, l’Ukraine informe périodiquement la presse sur l’état de santé de ses populations. Son ambassade à Paris a fourni le 26 avril 2005 les chiffres suivants : 3,5 millions d’Ukrainiens ont été fortement irradiés ; parmi eux, 1,3 millions d’enfants. 160 999 citoyens ont été évacués ; et on compte dans leurs rangs 84,7% de malades. Le gouvernement indique qu’il y a 89,85% de malades dans les familles qui demeurent dans les zones contaminées. Le suivi médical de ces populations montre que chaque année, la proportion de malades s’accroît [1].
La « radiophobie »
La "radiophobie" est le terme réinventé il y a dix ans, pour tenter supprimer de la mémoire des peuples toute les anomalies ou pathologies qu’entraîne Tchernobyl. Chacun devrait faire pénétrer dans son cerveau que ces maux sont le fruit de la peur des rayonnements et du stress causé par les informations alarmantes propagées par les médias. Tous doivent s’efforcer de croire que les invalides qui coûtent si cher à l’Ukraine sont dus à la "radiophobie". La "radiophobie" causerait le vieillissement précoce, les cancers et les leucémies, les décompensations cardiaques chez les hommes jeunes, les maladies neuropsychiques, endocriniennes, ophtalmologiques, infectieuses ou auto-immunes comme le diabète grave du petit enfant et la maladie de Hashimoto, de même que l’augmentation des malformations congénitales et de la mortalité prénatale que les médecins sur le terrain attribuent aux radionucléides artificiels du réacteur de Tchernobyl. C’est ce que tente de nous enseigner l’AIEA.
Comme il est peu vraisemblable que la "radiophobie" soit transmissible aux animaux sauvages, il semble judicieux de profiter des recherches scientifiques entreprises autour de Tchernobyl pour mesurer l’impact des radiations sur la faune. En effet, ces animaux sauvages dans un rayon de 30 km autour de Tchernobyl souffrent moins du stress qu’ailleurs, du fait de l’interdiction totale de la chasse depuis 25 ans dans cet espace. Les médias n’ont pas de prise sur les espèces sauvages et les humains ont déserté les 2044 km carrés entourant le réacteur détruit. Dans ce vaste espace protégé, les animaux sont à l’abri des hommes et ne risquent pas de succomber à des accidents de la circulation. Ils ont rapidement appris que la chasse n’y était jamais pratiquée.
Cette zone d’exclusion fait l’objet d’études dont on parle peu. Ce silence permet à l’AIEA et l’UNSCEAR de rassurer les Nations Unie, suite au « Forum Tchernobyl » de 2006, en rapportant des anecdotes et négligeant ces travaux scientifiques réalisés sur place. Ainsi les gouvernements réunis par l’ONU apprennent que cet espace est devenu un paradis naturel pour les bêtes qui s’y reproduisent allègrement. Les gouvernements semblent ignorer les publications en anglais que les chercheurs sur le terrain à Tchernobyl publient régulièrement dans de bonnes revues anglo-saxonnes. Les pays représentés à New York envisagent de créer une zone touristique qui deviendrait un Parc National dans le territoire qui entoure le réacteur. Au centre de ce Parc d’Attraction, on construira un monument géant, comparable aux pyramides pour l’Egypte. Beaucoup d’experts considèrent ce deuxième sarcophage comme totalement inutile, mais il coûtera 700 millions de dollars et Bouygues bénéficiera de cette somme payée par les nations.
Pour défendre l’idée de l’exploitation commerciale de ces paysages idylliques, de ce « paradis onusien pour les bêtes sauvages autour de Tchernobyl », un film a été diffusé par la chaîne binationale Arte :
"TCHERNOBYL, UNE HISTOIRE NATURELLE ?"
Le titre de ce film contient une interrogation qui devrait inciter les spectateurs à élucider l’énigme que ce reportage pourrait révéler, mais les images de divers animaux filmés près de Tchernobyl, permettent momentanément d’oublier les quelques 9 millions de victimes humaines des retombées radioactives qu’évoquait en 2001 Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations Unies [2].
Ce documentaire sur la faune sauvage de Tchernobyl aurait permis d’illustrer les problèmes de survie d’espèces animales, car les travaux résumés ci-dessous montrent que toutes souffrent, au même titre que les centaines de milliers d’humains qui habitent encore sur de vastes territoires contaminés. En effet, les familles des communautés rurales demeurent en permanence soumises à des faibles doses de rayonnements ionisants, surtout internes, suite à la consommation d’aliments contaminés. Les habitants des villages sont les principales victimes car ils récoltent les petits fruits et les champignons très abondants, partout gratuitement disponibles dans la nature. Ils produisent eux-mêmes leurs légumes et le lait ; ces aliments sont encore chargés de radionucléides artificiels comme le radiocésium (Cs-137), le strontium (Sr-90) ou des dérivés de l’uranium.
Fallait-il que ce documentaire occulte en grande partie les difficultés que rencontrent depuis 25 ans les animaux chroniquement irradiés pour se reproduire ? Le film a montré certains obstacles que rencontrent les hirondelles, oiseaux qui ne passent guère plus de la moitié de l’année à Tchernobyl, le reste de leur temps étant consacré aux migrations et à l’hivernage en Afrique. Cette séquence a donné l’impression aux spectateurs que les hirondelles constituent une exception pour la faune et non la règle dans ce territoire.
Le film a été encore plus superficiel, quand il a été question des petits rongeurs forestiers. En effet, l’image s’attarde à plusieurs reprise sur un homme qui piège des campagnols et des mulots et prétend que ces animaux abondent et se portent bien dans ce milieu fortement contaminé. Puis cet homme se vautre pour sa sieste sur le sol forestier et on nous fait comprendre que ce sol est très radioactif. Cette provocation est complétée par l’image d’un vieux monsieur, le seul sujet qui vive illégalement dans cette zone particulièrement contaminée, en train de consommer des produits de son potager. Il aurait été instructif de rappeler aux spectateurs que cinq cent milles enfants sont encore contraints de consommer des aliments contaminés par les radionucléides de Tchernobyl, et que 80% d’entre eux sont malades.
Dans ce contexte, des images de chevaux des steppes de Mongolie lâchés à Tchernobyl, contribuent à la désinformation.
Revenons aux rongeurs des forêts de cette région que des chercheurs russes et biélorusses ont étudiés dès 1986. Exposés aux radiations les premiers jours après l’explosion, une partie des rongeurs sont morts des suites du choc radiologique initial. On parle de choc d’iode, du fait de la très haute proportion d’iode-132 les premiers jours, suivi par l’iode-131 qui reste dominant pendant quelques semaines, accompagné dès le début par cent autres radionucléides. Irina Pelevina note que les rongeurs survivants sont devenus hypersensibles aux rayonnements artificiels, même à très faibles doses. Pelevina montre que c’est aussi le cas aussi pour les enfants. Elle trouve chez les rongeurs, comme chez les enfants un faible pourcentage de sujets résistants [3].
L’arrêt du financement des recherches a obligé d’interrompre ces études qui ne convenaient ni aux autorités ni à l’AIEA, la principale source de financement de ces sujets au Belarus. Bien des publications ont été censurées, même les actes de la conférence sur les accidents nucléaires, conviée à Genève par l’OMS, du 24 au 27 novembre 1995. Ce congrès avait réuni trois ministres de la Santé et 700 médecins et experts. Les participants ont été surpris que les actes, qui rassemblaient plus de cent travaux promis pour mars 1996, ne leur parviennent jamais. Le Dr Hiroshi Nakajima, ancien Directeur Général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui avait organisé cette conférence, explique en direct à la Télévision Suisse Italienne, en 2001, que la non-publication des actes est due aux textes juridiques qui lient l’OMS à l’AIEA [4].
Les équipes du laboratoire de génétique du Prof. Rose Goncharova ont suivi les rongeurs de Tchernobyl sur 22 générations, soit de 1986 à 1996. Pour mettre en évidence une augmentation des mutations chez les fœtus, il faut disséquer les femelles, pour qu’on puisse comparer le génome des fœtus avec celui de l’adulte. C’est ainsi que la fragilité croissante du génome, de génération en génération, a été démontrée. Ces anomalies reposent principalement sur l’instabilité génomique produite par les rayonnements. Les animaux et leurs descendants sont ainsi génétiquement fragilisés [5]. Ce n’est qu’au bout de 20 générations, qu’une sélection naturelle des lignées de campagnols plus résistants au stress oxydatif induit par les rayonnements, débouche sur un certain équilibre dans cette population de campagnols. Cependant après 10 à 15 générations, les généticiens constatent de plus en plus de fœtus morts dans l’utérus maternel ; cette augmentation est statistiquement hautement significative [6]. Parler de la bonne santé de ces rongeurs, après en avoir saisi un avec deux doigts, comme cela a été montré dans le film, n’apporte au spectateur qu’une information inexacte : sans autopsies des rongeurs, cette forte mortalité passe inaperçue.
Goncharova montre que les zones les plus contaminées par Tchernobyl ne sont pas les seules qui constituent un danger pour la faune. Jusqu’à 330km du réacteur, les campagnols présentent encore, mais plus progressivement pendant les dix années d’étude, une augmentation des mutations de génération en génération. Cette augmentation est due à l’instabilité génomique probablement initiée par le choc d’iode, puis entretenue et aggravée par une très faible irradiation persistante. Transposées chez les humains, 20 générations correspondent à 3 ou 4 siècles.
À 200km de Tchernobyl, dans une zone où les retombées radioactives ont rapidement baissé à la surface des sols, Goncharova avec Sloukvine, un biologiste spécialisé dans l’élevage industriel des carpes, étudient la reproduction de ces poissons dans des étangs alimentés par une eau impeccable. On retrouvait une activité spécifique de Cs-137 d’à peine un curie par km carré, uniquement dans la vase du fond des étangs. Pourtant 70% des oeufs fécondés des carpes donnaient naissance à des larves informes, dont les cellules présentaient beaucoup d’anomalies et le développement cessait. Chez les alevins qui ont survécu, Sloukvine trouve en automne de multiples malformations de la bouche, des nageoires, du squelette, les opercules peuvent manquer. Il faut aller à 400 km de Tchernobyl pour trouver des jeunes poissons normaux dans les élevages [7].
Bon sujet pour un reportage cinématographique…
Grâce à la présence de A.P. Møller, du CNRS à l’Université Paris Sud et de T.A. Mousseau de l’Université de South Carolina, Columbia, USA, qui travaillent autour de Tchernobyl depuis plus de dix ans, un réalisateur indépendant aurait eu la possibilité de choisir des sujets à filmer sur la base des travaux réalisés ou en cours. Ces travaux concernent les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les batraciens, ainsi que des invertébrés, comme les insectes et les araignées.
Dans leur réponse à des critiques de personnes sans expérience propre dans ces domaines, l’équipe de Møller et Mousseau tente de les éclairer sur la portée de leurs travaux. Ils expriment leur surprise que d’autres recensements de la faune avec un suivi de quelques années manquent. Ils notent que cette carence touche aussi le suivi des populations humaines [8].
Pour les trois pays voisins de Tchernobyl, l’Ukraine constitue dans une certaine mesure une exception en ce qui concerne le suivi médical des populations. Pour des cohortes de victimes des bombes atomiques au Japon, le suivi avait débuté peu après le départ des Américains, et a duré plus de 60 ans. Il est enfin question de commencer ce type de suivi à Tchernobyl.
Déclin de la faune sauvage
Avec des collaborateurs venus de nombreux pays, Møller et Mousseau réalisent des inventaires quantitatifs pour des vertébrés et pour des arthropodes, insectes pollinisateurs, papillons et bourdons végétariens, sauterelles et prédateurs, taons et araignées. Sur la base de protocoles clairs, ils répètent les comptages pendant quelques années consécutives, pour valider les résultats. En outre, des spécialistes étudient les mécanismes qui réduisent la survie des animaux irradiés et multiplient les échecs lors de la reproduction. Ils montrent en particulier que les bêta carotènes, la vitamines A et E sont des antioxydants protecteurs, mais que les radicaux libres ou peroxydes que génèrent les rayonnements épuisent la capacité des bêta carotènes à prévenir ou rapidement réparer les dommages dans les cellules. La perte des bêta carotènes passe aussi par la mue annuelle du plumage dont la couleur vive repose sur ces caroténoïdes. À cette perte s’ajoute celle consécutive à l’effort et au stress qu’impose la migration. En outre, les femelles enrichissent leurs œufs en bêta carotène [9].
Les recensements des équipes de Møller et Mousseau ont lieu prioritairement sur les 2044 km carrés évacués par les humains en 1986, mais ouverts sur l’extérieur pour toute la faune. Cet espace constitue leur laboratoire de recherche. Au début, H. Ellegren, venu de Suède, avait déjà défini une zone contrôle sur un territoire demeuré relativement peu touché par les retombées radioactives de 1986, situé à Kanev au centre de l’Ukraine [10]. Kanev fournit la possibilité de comparer statistiquement les données collectées dans la zone d’exclusion dont les sols sont très variablement mais parfois très fortement contaminés avec cette zone contrôle remarquablement épargnée. Ces comparaisons renforcent la valeur scientifique des recherches.
Pour collecter dans le terrain des données exploitables, il faut connaître la biologie des espèces étudiées. Par exemple, pour les araignées, on compte par unité de surface les toiles qui sont renouvelées la nuit. Tôt le matin, les fils sont mis en évidence par les gouttelettes de rosée. Pour tous les arthropodes, l’augmentation de la radioactivité des sols entraîne une réduction significative des populations [11]. Pour les mammifères, on compte les traces dans la neige qui couvre cette région trois mois par an. Pour dénombrer les passereaux, il faut savoir reconnaître avec certitude une centaine d’espèces à leurs cris et surtout à leurs chants.
Indépendamment des recensements réalisés par les biologistes, des techniciens mesurent sur le sol les rayonnements artificiels alpha, bêta et gamma, là où les décomptes ont lieu. Les biologistes n’ont pas connaissance des mesures de la radioactivité artificielle. Ultérieurement, des statisticiens confronteront les inventaires et l’activité des radionucléides. Ces dernières mesures sont comparées à celles d’experts gouvernementaux ; elles coïncident.
L’absence d’autres inventaires est surprenante et explique le fait que les diplomates réunis à New York considèrent le périmètre du réacteur comme un paradis pour la faune. On raconte, à titre de preuve, l’arrivée dans ce site de l’élan, de l’ours et du loup qui n’étaient pas présents avant l’explosion. Le film montre ces espèces de grande taille (très peu d’images de loups, mis à part des passages flous pris la nuit avec l’éclairage infra-rouge), qui ont trouvé un refuge dans ces 2044 km carrés abandonnés par les humains. Il n’y a pas de véhicules qui circulent, pas de chiens ni autres animaux domestiques et avant tout pas de chasse dans ce territoire. Se réfugier dans un tel espace protégé est un comportement qu’on observe dans toutes les réserves intégrales.
Pour les oiseaux, les chiffres fournis par les ornithologues comportent deux dimensions : d’abord le nombre d’espèces (biodiversité), puis pour chaque espèce le nombre d’individus ou de mâles chanteurs, dans des milieux donnés. Pour la corrélation statistique la radioactivité du milieu est exprimée en logarithme des µgray/h [12] [13]. Pour toutes les espèces, l’augmentation de la radioactivité au sol va de pair avec une fonte des l’effectifs. Les différences entre les relevés réalisés à Tchernobyl et ceux réalisés à Kanev sont hautement significatives (p>0,0001).
Le recensement des oiseaux repose sur 731 postes d’écoute espacés de 75 mètres dans le terrain pour des comptages entre mai et juin, pendant 4 années consécutives, 2006 à 2010. Dans les zones dangereuses, l’observateur est équipé d’une combinaison qui protège des rayonnements. Pour voir et entendre, l’ornithologue travaille sans le casque. À chaque poste, il précise le nombre d’espèces d’oiseaux chanteurs et le nombre de sujets observés ou entendus par espèce. (Ceci dit passant, l’image de cet expert de l’université Paris Sud portant une combinaison de protection aurait été plus utile que la longue présentation du poseur de pièges pour rongeurs qui se vautre pour sa sieste sur le sol contaminé.) La biodiversité et l’abondance des oiseaux baisse dans toutes les zones plus radioactives, sans bien comprendre les mécanismes qui les éloignent. Ces recensements sont toujours à double insu : l’ornithologue n’a pas connaissance du niveau de la radioactivité sur le sol de chacun des postes d’écoute. Les mesures des rayonnements alpha, bêta et gamma sont réalisées par des techniciens qui ignorent les résultats obtenus par les biologistes.
L’observation et le baguage ont permis d’étudier les 127 espèces d’oiseaux les plus communes à Tchernobyl. Les données concernant les effectifs et la longévité reposant sur le baguage et la recapture des oiseaux sont comparées avec ce que l’on note à Kanev, qui fournit des résultats semblables à ceux qui sont connus à l’ouest de l’Oural [14]. Les résultats cumulatifs de ces études à Tchernobyl montrent une réduction du nombre d’espèces et une baisse des populations d’oiseaux quand la radioactivité des sols augmente, un raccourcissement de la durée de vie. Les différences sont hautement significatives. La probabilité calculée par le t-test est de p<0,0001.
L’impact négatif des rayonnements ionisants sur ces facteurs, abondance, biodiversité et longévité a partout été retrouvé.
L’extinction des hirondelles de Tchernobyl [15]
Les résultats de six années de recherche sur les hirondelles peuvent être résumés ainsi :
Le baguage des hirondelles et le suivi l’année suivante lors du contrôle des bagues, montre qu’à Tchernobyl seulement 28% des hirondelles reviennent, alors qu’à Kanev on en recapture 40% baguées l’année précédente. Les différences quantitatives dépendent directement de la contamination radioactive du lieu de capture. À leur arrivée de migration, les hirondelles de Tchernobyl et de Kanev ont un poids identique. Pourtant, en moyenne, les nichées produites à Tchernobyl sont réduites de 7%, les couvées comptent 14% d’oeufs en moins, il y a 5% de moins d’éclosions par couvée, si on les compare à celles de Kanev. Si l’on rapporte les données venant de différentes colonies, aux mesures de la radioactivité des sols, on constate l’impact négatif sur la reproduction d’une élévation de la radioactivité.
23% des hirondelles femelles de Tchernobyl ne se reproduisent pas (absence de la plaque incubatrice) alors qu’à Kanev comme en Europe centrale, les femelles qui ne couvent pas ne représentent guère plus de 0% des effectifs. Le film a montré que chez des mâles, le sperme était parfois inapte à la fécondation [16]. Il est donc justifié de demander comment les colonies survivent encore à Tchernobyl. La réponse, c’est que l’attrait de sites favorable à l’installation de nids, et qui au printemps sont partiellement abandonnés par les hirondelles autochtones, entraîne chaque année l’invasion d’hirondelles de passage.
Ce qui touche les hirondelles concerne les autres espèces. Par exemple, les altérations du plumage des hirondelles, qui est plus terne que celui des hirondelles ailleurs en Europe, se retrouvent chez des espèces très différentes : l’hirondelle de cheminée, le rouge-queue noir, le moineau domestique. La première espèce hiverne au sud de l’équateur, la seconde autour de la Méditerranées et le moineau est sédentaire [17].
Des résultats ont été diffusés par la BBC par Matt Walker sous le titre « Les oiseaux de Tchernobyl ont un petit cerveau ». Il est question de « harmful legacy » : l’héritage, c’est un volume crânien réduit chez 550 oiseaux répartis sur 48 espèces, qui sont nés l’année précédente à Tchernobyl dans un territoire hautement radioactif, et ont un cerveau d’un volume de 5% plus petit que celui du cerveau des adultes. Ces handicapés cérébraux courent le risque de ne pas surmonter des difficultés, d’avoir des difficultés d’adaptation dans un environnement hostile, ou des problèmes d’orientation pendant les migrations. La différence est statistiquement significative (https://dx.plos.org/10-1371/journal....).
La raréfaction des prédateurs [18]
Pour mesurer quantitativement la population des oiseaux prédateurs, on utilise selon l’espèce, des méthodes différentes. Par exemple, pour estimer le nombre des prédateurs d’hirondelles comme les faucons hobereaux et les éperviers, on compte les attaques de ces deux rapaces le matin où l’on réalise le baguage de la colonie d’hirondelles. Le dérangement des couples chargés du nourrissage des petits, fait tourbillonner et crier toutes les hirondelles au-dessus de la colonie. Les fréquences des attaques des rapaces dans différentes colonies sont comparées. On constate qu’il y a moins d’attaques de prédateurs au-dessus des colonies implantées sur des terres hautement contaminées, qu’autour de colonies d’importance égale, mais dans un environnement avec moins de radionucléides sur le sol. Le territoire contrôle de Kanev fournit des chiffres normaux pour des colonies dans un milieu radiologiquement propre. On peut interpréter ces résultats, comme étant la conséquence de la stérilité des rapaces qui consomment des proies radioactives et n’ont donc pas de progéniture à nourrir au printemps.
Pour les prédateurs des petits rongeurs, on parcourt à plusieurs reprises des trajets routiers déterminés et on compte les rapaces proche de ces axes. Les secteurs fortement radioactifs ne retiennent guère les buses variables et les faucons crécerelles, alors que leurs effectifs augmentent dans les régions peu contaminées. Ces différences liées à la radioactivité des milieux sont statistiquement significatives. Tant que les proies, campagnols et mulots n’ont pas été comptés, on serait tenté de rapporter la rareté des prédateurs à un nombre réduit de proies, ce qui est la règle en biologie. Cependant, à Tchernobyl une autre explication reste possible : les proies excessivement radioactives sont devenues toxiques pour les prédateurs qui n’ont en conséquence, pas de progéniture à nourrir, comme ce fut le cas dans les années 60 avec le DDT qui fit presque disparaître le faucon pellerin d’Europe.
En 2011, Møller et Mousseau rassemblent les données qu’ils ont accumulées en 15 ans sur l’ensemble du territoire étudié, et cela pour tous les taxons. Il s’avère que des mammifères aux insectes, on retrouve sans exception que plus la radioactivité artificielle du sol est élevée, moins l’espèce est représentée [19]. Dans un milieu naturel ouvert, l’arrivée d’animaux venant des territoires voisins évite l’extinction définitive des espèces.
CONCLUSION ET COMMENTAIRES SUR LE FILM
L’histoire naturelle de Tchernobyl, ce devait être ce qui se déroule dans la nature dans la zone d’exclusion de 30 km de rayon autour du réacteur atomique détruit en 1986. Des chercheurs encore sur place ont consacré des années à l’étude de la faune et ont suivi différentes espèces pendant plusieurs années. Un cinéaste indépendant aurait pu faire profiter les spectateurs de quelques découvertes importantes faites dans ce laboratoire à ciel ouvert, en réalisant un bon documentaire. Il pouvait faire appel au naturaliste du CNRS de Paris Sud, qui travaille sur le terrain depuis plus de dix ans. Avec la collaboration de spécialistes de nombreux pays, Møller & Mousseau décrivent l’impact des rayonnements ionisants sur l’ensemble de la faune. S’en tenir à deux rongeurs médiocrement étudiés dans le terrain et présenter de façon assez confuse ce qui se passe chez les hirondelles, comme si cette espèce était l’exception et non la règle, c’est insuffisant. Volontairement insuffisant.
Pour le monde végétal, le film nous apprend que les pins sont vulnérables et les bouleaux le sont moins, ce qui permet à cette espèce pionnière d’envahir de nombreux espaces, y compris la ville abandonnée de Prypiat. Les fourrés de bouleaux sont d’une grande pauvreté à côté des forêts qui accompagnent les rivières et les fleuves du Bélarus et de l’Ukraine. Il faudra des siècles pour qu’une forêt digne de ce nom renaisse autour de Tchernobyl.
Les spectateurs auront résolu l’énigme proposée par le titre du film. Ils auront découvert la cause de la médiocrité de l’information livrée. À quoi sert cette permanente accumulation de mensonges par omission dont est composé le scénario ? À qui rapporte le crime ? Certes, le réalisateur n’est pas le premier bénéficiaire.
Retenons que le principal objectif statutaire de la puissante agence de l’ONU, l’AIEA, c’est « l’accélération de l’augmentation de la contribution de l’énergie atomique pour la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier ». De toute évidence, ses membres comme tous ceux qui touchent indemnités ou salaires de cette institution ne peuvent être que juge et partie face aux problèmes que soulèvent les victimes des accidents nucléaires, principalement quand il s’agit d’humains. Mais l’AIEA est à nouveau contrainte par ses statuts d’étendre la propagande pro-nucléaire dont elle a la charge, en masquant la souffrance de la faune et en inventant des slogans comme « les animaux se sont rapidement remis du choc radiologique qui a suivi l’explosion de 1986. Ils prospèrent magnifiquement ». L’AIEA ne peut plus se servir de la "radiophobie" dont elle a déjà tellement abusé. Les biologistes constatent que de vastes espaces demeurent impropres à la survie de nombreuses espèces ; seule la permanente recolonisation par des animaux venant de l’extérieur, comme chaque printemps les oiseaux migrateurs ou erratiques, permettent le maintien d’une vie maladive dans ce milieu contaminé.
L’AIEA, l’agence, la plus haut placée dans la hiérarchie de l’ONU, dépendant directement du Conseil de Sécurité, soutient le lobby de l’atome et doit à tout prix nier la vérité sur les conséquences de Tchernobyl sur la santé de la faune comme sur celle des humains.
[1] L’Ambassade d’Ukraine à Paris fournit le 26 avril 2005 aux autorités et à la presse les chiffres suivants : l’accident de Tchernobyl a sévèrement irradié 3,5 millions d’habitants dont 1,3 million d’enfants. 169 999 citoyens ont été évacués et 84,7% d’entre eux sont malades. Chez ceux qui vivent encore dans les zones contaminées, 89,85% sont malades. Le suivi médical montre que la proportion des malades augmente, année après année. En 2004, 94,2% des liquidateurs étaient malades. Il faut considérer que 2 646 106 citoyens ukrainiens sont des victimes de l’accident.
[2] Kofi Annan, Secretary General of the United Nations, Foreword of Chernobyl a Continuous catastrophe. The OCHA report to the United Nations, 2000. Zupka D. OCHA-representative at the international Conference co-organized by the WHO, in Kiev, 14,08, 2001.
[3] Pelevina Irina & Titov L. Témoignage et rapport illustré, in Tribunal Permanent des Peuples ; Tchernobyl Conséquences sur l’environnement, la santé et les droits de la personne. of the Belarus-Japan Symposium in Minsk, Acute and lat consequences of Peuples. Paris Ecodif, 1996
[4] Hiroshi Nakajima en direct à la Télévision Suisse Italienne, déclare que les actes des Conférences Internationales de l’OMS en novembre 1995 ont été censurés du fait des liens juridiques qui lient l’OMS à l’AIEA, Film de Tchertkoff W. & Andreoli E. : Mensonges nucléaires, 2002
[5] Goncharova R.I et al. Transgenerational accumulation of radiation dammage in small mammals chronically exposed in Chernobyl fallout. Radiat Envi Biophys 45 : p176-177, 2006
[6] Ryabokon N.I., Smolich I.I. & Goncharova R.I. Genetic processes in chronically irradiated populations of small mammals. Environmental Management and Health. no5,11 : 443-446 , 2000
[7] Goncharova R.I. & Sloukvine A.M. Study on mutations and modification variability in young fishes of Cyprinus carpio from regions contaminated by the Chernobyl radioactive fallout. In Russian-Norwegian Satellite Symposium on nuclear accidents , 27-28 October, 1994
[8] Møller A.P., Mousseau T.A. & de Koe F. Anecdotal and empirical research in Chernobyl Invited Reply Biology Letters do:10.1098/rsbl.2007.0528 p 1-2.
[9] Møller A.P., Karada T.A. & Mousseau A. Antioxydants in eggs of great tit, Parus major, of Chernobyl and hatching success. Journal of Comparative Physiology B178, p735-743, 2008
[10] Ellegren H., Lindgren G., Primmer C.R. & Møller A.P. Fitness loss and germeline mutations in barn swallows breeding in Chernobyl. NATURE Vol. 389 : 593-595. 9. October, 1997
[11] Møller A.P., Mousseau T.A. Reduced abundance of insects and spiders linked to radiation at Chernobyl 20 years after the accident Biol. Lett. of Royal Society 5(3) : 356-359 , 18 March 2009
[12] Møller A.P., Mousseau T.A. Reduced abundance of insects and spiders linked to radiation at Chernobyl 20 years after the accident Biol. Lett. of Royal Society 5(3) : 356-359 , 18 March 2009
[13] Møller A.P. & Mousseau T.A. Determinant interspecific variation in population declines of birds after exposure to radiation at Chernobyl. Journal of Applied Ecology 44:909-919, 2007
[14] Møller A.P. & Mousseau T.A. Determinant interspecific variation in population declines of birds after exposure to radiation at Chernobyl. Journal of Applied Ecology 44:909-919, 2007
[15] Møller A.P., Mousseau R.E., Milinevsky G., Peklo A., Pysanets E. & Szép T. Condition, reproduction and survival of barn swallows from Chernobyl. Journal of Animal Ecology 74 : 1102-1111, 2005
[16] Møller A.P., Mousseau R.E., Lynnm C., Ostermille S., Rudolfsen G. Impaired swimming behavior and morphology of sperm from barn-swallows, Hirundo rustica, in Chernobyl. Medicine Research 650 : 210-216, 2008
[17] Møller A.P. & Mousseau T.A. Biological consequences of Chernobyl : 20 years on. Réf. Trends in Ecology and Evolution, 2008
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