Invention
Produire de lélectricité en marchant : Un mini-générateur électromécanique portable
Appareils électroniques portables : vers une autonomie énergétique ?
Lêtre humain moderne utilise de plus en plus dappareils électroniques portables qui, en lui offrant une certaine liberté dans ses déplacements, le contraint par les recharges régulières des accumulateurs ou par le changement de piles.
Un modeste prélèvement d’énergie sur l’être humain en mouvement pourrait couvrir l’intégralité ou une partie des besoins électriques des équipements "nomades" : téléphone portable, agenda électronique ou autre calculateur, GPS... mais aussi en médecine, des dispositifs d’assistance respiratoire, des prothèses cardiaques et auditives dont les piles n’auraient plus besoin d’être changées.
Le niveau de consommation mondiale dû aux recharges (énergie puisée sur les réseaux électriques) est loin d’être négligeable. Prenons un exemple, celui des téléphones mobiles. En faisant lhypothèse que deux milliards dappareils consomment en veille permanente environ 30 mW (milliwatts), hors appels ou réceptions. En supposant un rendement de charge et décharge denviron 50%, on obtient le chiffre de un TWh (terawattheure, un milliard de kWh) consommés annuellement, cela semble peu eu égard aux 14 000 TWh produits par les réseaux électriques mondiaux en une année. Mais cest quand même la production dune tranche nucléaire de 1000 MW pendant 1000 heures ou encore le rejet de 300 à 1000 tonnes de CO2 selon que lélectricité est produite par du gaz ou du charbon.
Lêtre humain, quant à lui, "consomme" en moyenne environ 100 W transformés principalement en chaleur. Il peut également produire des puissances mécaniques de quelques centaines de watts pendant de courts instants, mais au prix dune dure fatigue. Des puissances de lordre du watt ou beaucoup moins peuvent être prélevées sans effort démesuré et ce sont des niveaux capables de faire fonctionner beaucoup de petits appareils ou au moins de prolonger significativement leur autonomie. Bien sûr, si lon pouvait convertir en électricité la chaleur qui se dégage naturellement du corps, on disposerait dune ressource considérable mais malheureusement les lois de la physique sont très dures sur ce point. Il existe des solutions, notamment celles offertes par la thermoélectricité, mais elles sont peu efficaces dans ce contexte et également très coûteuses. Des progrès significatifs dans les couples thermoélectriques ouvriraient un immense champ dapplications dépassant largement le cadre de la génération dénergie humaine, mais la recherche doit encore progresser dans ce domaine. Cest pourquoi nous avons choisi la voie de la conversion électromécanique dénergie.
Des recherches pour réduire notre dépendance
Exploiter lénergie (mécanique) des mouvements humains nest pas une idée très nouvelle [1], citons deux exemples. Les "dynamos" des bicyclettes puisaient déjà leurs ressources sur le pédalage et les montres automatiques modernes, qui tirent parti des mouvements du poignet, utilisent une énergie électrique dorigine humaine. Dans ce dernier exemple, la réussite est parfaite, mais la consommation dune montre est extrêmement faible (moins de 1 mW) et on dispose alors dune abondante ressource relative. Le cas des applications modernes comme celui des téléphones mobiles est beaucoup plus exigeant (bond dun facteur 10 000).
Scientifiquement, la problématique, consistant à bien évaluer les possibilités de récupération dénergie sur lêtre humain pour faire fonctionner des appareils électriques, est apparue durant les années 90 [2] et [3]. Il existe aujourdhui de nombreux petits appareils générateurs (souvent appelés chargeurs) qui permettent grâce à quelques tours de manivelles ou quelques tractions sur une ficelle, dobtenir jusquà quelques minutes, de communication téléphonique supplémentaire [2]. Notre laboratoire avec le soutien du CNRS (note 1) a proposé et mené en 2001 une étude exploratoire pour évaluer les possibilités dexploiter les mouvements naturels afin de produire de lénergie électrique. Pour mener à bien ces travaux, léquipe Actionneurs et Energie de SATIE a collaboré avec un laboratoire qui possède des compétences complémentaires dans le domaine de la biomécanique, le LBPEM (note 2) de lUniversité de Rennes 2. Cela nous a conduits vers lutilisation des mouvements au niveau de la hanche durant la marche. Cette localisation, pour disposer un petit appareil générateur, nous a semblé constituer un bon compromis ergonomie/ressources énergétiques. Le laboratoire LPBEM a caractérisé les mouvements au niveau de la hanche grâce à des mesures spécifiques ce qui nous a permis dimaginer un type de générateur qui pourrait en extraire de lénergie. La figure 1 montre schématiquement un tel système. Le résultat remarquable de cette étude est que la fréquence des mouvements varie peu avec la vitesse de déplacement (environ 2 Hz, cest à dire 2 cycles par seconde), en effet le marcheur allonge plutôt ses pas lorsquil veut aller plus vite. La composante verticale du mouvement est sensiblement sinusoïdale et son amplitude est denviron 2 cm (ou encore, en valeur crête à crête : 4 cm), de quoi secouer suffisamment un objet et lui communiquer assez dénergie mécanique à convertir ensuite en électricité.
Le générateur portable ou "pile humaine"
Cest Serge Brosselin, journaliste au Point qui, après nous avoir interviewés, a imaginé cette métaphore de la pile humaine (Le Point 28 mars 2003). Considérant que cet objet devait avoir une durée de vie satisfaisante et que quatre heures de mouvements par jour durant cinq ans conduisaient à 50 millions de cycles, nous avons recherché à concevoir une mécanique extrêmement simple. Le principe de ce générateur est ainsi fondé sur lexcitation des oscillations dune masselotte reliée à un ressort à lintérieur dun boîtier (Fig. 2). Cette masselotte est en réalité la partie mobile dun générateur linéaire électromagnétique et à lintérieur du boîtier la partie fixe en constitue le stator. Nous avons notamment montré (4) que la puissance moyenne maximale récupérable pouvait sexprimer par la formule suivante :
où m est la masse de la partie mobile en kg, XM est lamplitude du mouvement dexcitation (ici deux cm), Lmax est la course maximale de la masselotte (déterminée par son encombrement et par lespace disponible dans le boîtier) et w est la pulsation dexcitation (w = 2p.f avec f la fréquence, pour deux Hz, w @ 12,5 rad/s).
Ainsi, pour une masse de 50 grammes, la puissance moyenne mécanique maximale extractible vaut environ 40 mW pour une valeur de Lmax égale à quatre cm. Mais ensuite, cette puissance doit être convertie dans le minigénérateur linéaire dont le rendement, à ces faibles vitesses, reste assez modeste. Lénergie étant produite en courant alternatif de fréquence et damplitude variables, une dernière étape de conversion est indispensable pour charger un accumulateur nécessitant du courant continu. Enfin, pour être récupérée au mieux, une adaptation optimale est nécessaire à chaque instant. Il faut donc utiliser un convertisseur électronique pour mettre en forme le courant mais également pour optimiser le contrôle. Cest dans cet ensemble complexe que se situe tout lenjeu scientifique car ce système doit être lui-même très sobre, si lon ny prêtait pas attention, lélectronique de contrôle pourrait, à elle seule, consommer toute lénergie produite ! On espère ainsi, grâce à une conception optimisée de ce système mécatronique complexe, atteindre une puissance récupérée de lordre de 20 mW, soit la moitié du potentiel maximal pour une masse globale évaluée à 200 g. Mais il nest pas interdit à lutilisateur de se fatiguer un peu en secouant son petit générateur à une fréquence supérieure à deux Hz !
Grâce à ces travaux, encore loin dêtre achevés, nous avons perçu tout le potentiel humain en tant que ressource renouvelable dénergie. Sur le plan sociologique, il est probable quen exploitant plus les immenses ressources que la nature nous dispense, nous prenions également mieux conscience que lénergie est une denrée précieuse dont il faut cesser le gaspillage.
Bernard Multon (professeur des universités-chercheur)
Hamid Ben Ahmed (maître de conférences-chercheur)
Sylvie Turri (attachée temporaire d’enseignement et de recherche)
Dominique Miller (professeur agrégé)
Contact : Laboratoire des Systèmes et Applications des Technologies de lInformation et de lEnergie (UMR 8029 CNRS) Antenne de Bretagne de lEcole Normale Supérieure de Cachan Campus de Ker Lann 35170 BRUZ - www.satie.ens-cachan.fr
Bibliographie
[1] S. TURRI, G. POULIN, Lexploitation de lénergie des mouvements humains
Colloque Energie portable : autonomie et intégration dans lenvironnement humain (Journées Electrotechniques du Club EEA), Cachan 21-22 mars 2002.
[2] T. STARNER, "Human-Powered Wearable Computing", IBM Systems Journal, Vol. 35, pp. 618-629, 1996.
[3] A.J. JANSEN, A.L. STEVELS, "Human Power : A sustainable option for electronics", Electronics and the Environment, IEEE International Symposium Proceedings, 1999, pp. 215-218.
[4] S. TURRI, D. MILLER, H. BEN AHMED, B. MULTON, Design of an electro-mechanical portable system using natural human body movements for electricity generation, European Power Electronics Conf. 2003, Toulouse, sept. 2003.