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Sortir du nucléaire n°81



Printemps 2019

Cigéo

Pour les opposant.es à Cigéo, répression policière et justice politique

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°81 - Printemps 2019

 Luttes et actions  Nucléaire et démocratie  Bure - CIGEO


Usage de grenades explosives pendant les manifestations, allées et venues caméra au poing devant la Maison de résistance, contrôles d’identité et prélèvements ADN intempestifs... Depuis que la parole des personnes sur le terrain se libère, on sait qu’autour de Bure, la préfecture et la gendarmerie font régner la terreur contre les opposant.te.s à la poubelle nucléaire. À ce harcèlement policier s’ajoute une répression judiciaire sans précédent et difficilement explicable, sinon par des motifs politiques : intimider l’opposition au projet Cigéo et paralyser la lutte.



Deux Christian pour un procès (inique)

Sur la Place de la Carrière qui jouxte la Cour d’appel de Nancy, deux barnums ont été installés. Des banderoles contre le nucléaire et la répression ont été tendues entre les tilleuls. Une centaine de personnes discutent autour de verres de vin chaud, de jus de fruits ou de bols de soupes. À l’appel de la Confédération Paysanne et de plusieurs associations antinucléaires, ils et elles sont venu.es massivement, ce jeudi 10 janvier, pour soutenir “Christian et Christian“, deux retraités devenus le symbole de l’acharnement judiciaire contre les opposant.es au projet de centre d’enfouissement de déchets radioactifs, à Bure (Meuse).

Deux hommes montent sur une table et haranguent la centaine de personnes à l’aide d’un mégaphone. Dans le tribunal, on fait entrer les soutiens au compte-goutte. Un impressionnant dispositif de gendarmes mobiles quadrille les couloirs de cet ancien hôtel particulier.

Dans une rumeur générale, la salle se remplit. C’est au tour des “Christian“. À l’invitation de la présidente, l’un d’eux lit une lettre qu’il a préparée tandis que le second choisit de se taire. Au fil de sa lecture, il égrène les arguments pour se défendre des faits qui lui sont reprochés. Les Christian, tout deux âgés de 70 ans, sont poursuivis par le procureur de la République pour avoir participé à la destruction d’un mur érigé illégalement par l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) autour d’une parcelle irrégulièrement acquise par l’agence publique pour son projet Cigéo. Ces faits, qui remontent à 2016, les deux hommes les nient en bloc. En revanche, ils renouvellent leur solidarité à l’action. Condamnés par le tribunal correctionnel de Bar-le-Duc à de la prison avec sursis et à une forte amende, ils ont fait appel.

Les retardataires se glissent au fond de la salle en tentant de ne pas faire craquer le parquet impeccablement ciré. Le procureur débute son réquisitoire. Cependant, le dossier est creux et les éléments manquent cruellement. Alors, le magistrat du Parquet s’évertue à convaincre les magistrat.es du siège que la série de clichés flous – pris depuis un hélicoptère le jour de la mobilisation – constituerait une preuve.

La présidente du tribunal et ses deux assesseurs se penchent sur le feuillet de photographies et plissent les yeux. Le procureur de reprendre : “voilà, c’est celle-ci, la B2. Non pardon, c’est celle-là, en bas à gauche, la C3.“ Les trois magistrats y mettent pourtant de la bonne volonté : la présidente retire ses lunettes et colle son nez à la feuille. Le procureur finit par se rapprocher de la présidente. Pendant cinq minutes, c’est la confusion. Le représentant du Ministère public se trompe plusieurs fois de cliché. Dans la salle, les murmures alternent avec les soupirs de consternation.

L’audience reprend. Le procureur regagne sa place et se lance dans une analyse fine de ladite photo : les deux appelants répètent n’avoir commis aucune dégradation et affirment ne pas être en capacité physique de tirer sur les cordes qui ont servi à faire tomber le mur ? Qu’à cela ne tienne, ils deviennent les donneurs d’ordres : le procureur mime la photo sur laquelle l’homme, qu’il considère être un des Christian, a le bras levé, ce qui serait signe, selon lui, qu’il donne des consignes. Un éclat de rire traverse la salle lorsque le procureur tend le bras et l’index pour mimer sa trouvaille.

Dans leurs plaidoiries, les avocat.es des deux Christian pointent le manque de preuve. Impossible selon eux, de reconnaître les Christian sur les photos ou vidéos versées au dossier, encore moins d’affirmer qu’ils ont participé à l’action dans le Bois Lejuc. Dans un style implacable, Maître Murielle Rueff démonte une par une les accusations du Ministère public. Puis, elle livre une anecdote surprenante : après recherche, on découvre que les gendarmes ont demandé au maire d’une commune voisine d’identifier un des deux Christian sur une photo. Problème : le cliché présenté pendant l’audition n’avait pas été pris le jour de l’action, mais était un portrait pris lors d’une première audition par les gendarmes ! Côté partie civile, l’avocate de l’Andra joue sa partition et demande la confirmation des peines prononcées en première instance. La présidente fixe le délibéré au 21 mars.

© La Feuille de Chou - Dans l’enceinte de la Cour d’appel de Nancy.

Des audiences à la pelle (à tarte)

Dans une tribune publiée par la coordination Stop Cigéo, des opposant.es au projet dénoncent une politique de criminalisation et de répression systématique : “il y a déjà eu plus d’une cinquantaine de procès. Des centaines de mois de sursis distribués. Près de 2 ans de prison ferme. 27 interdictions de territoire. Plus de 60 procès. 7 personnes interdites de se voir et d’entrer en relation, et ce pour des années, dans le cadre d’un contrôle judiciaire dans une instruction pour “association de malfaiteurs“. Des milliers d’euros d’amende. Une vingtaine de perquisitions réalisées en Meuse, à Paris, en Isère. Une trentaine de gardes à vue – dont celle, le 20 juin 2018, de l’avocat Maître Étienne Ambroselli. Un escadron de gendarmes mobiles installé sur place depuis l’été 2017. Chaque jour, depuis plus d’un an, les habitant.es de Bure et autour sont suivi.es, fiché.es, filmé.es, et contrôlé.es, et parfois à plusieurs reprises en l’espace de quelques heures.“ [1]

Le gros morceau, c’est l’instruction ouverte pour “association de malfaiteurs“, contre plusieurs militant.es, dont certain.es historiques. Le dossier, si dense (plus de 10 000 pages), mais en même temps si vide, trahit un objectif inavouable : l’enquête ne débouchera probablement pas sur des condamnations, tant celle-ci repose sur un travail qui relève souvent du fantasme. C’est que, le résultat attendu de ce coup de force judiciaire est ailleurs : il vise à paralyser très concrètement la lutte, en attaquant les personnes et les lieux qui la structurent. Les perquisitions avec saisie de matériel, les gardes à vue, les contrôles judiciaires, les interdictions de territoire, les arrêtés anti-manifestations, les peines fermes avec mandat de dépôt ou les sursis, les amendes, et maintenant la loi anti-casseurs : la lutte sur le terrain devient physiquement plus difficile. Se réunir pour préparer une action ? Impossible si untel est là en présence d’untel, contrôle judiciaire oblige. Se rendre en Meuse pour causer anti-répression ou préparer de futures actions ? Avec les interdictions de territoire prononcées pour au moins quatre personnes, on oublie.

© Nadia Boukacem

À côté de ça, on compte aussi des procès pour des faits mineurs, mais qui prennent des proportions énormes lorsqu’il s’agit de militant.es anti-Cigéo. En mars 2018, un opposant au projet est amené devant le juge pour transport d’armes dans sa voiture : deux opinels, un câble électrique, et... une pelle à tarte !

Ainsi, depuis 2018, tous les trois mois, des opposant.es sont jugé.es en paquet pour des délits mineurs au tribunal correctionnel de Bar-le-Duc. Dans le jargon, ces journées s’appellent des “fournées“ ou des “charrettes“. L’ambiance y est souvent tendue, notamment parce que les procureurs multiplient les provocations contre les personnes jugées et contre l’assistance. En plus, les peines prononcées sont souvent très lourdes. Les militant.es y voient un parfait exemple de la criminalisation de leur combat politique.

Julien Baldassarra

RELAXÉS !!!

Au moment de boucler note revue, le 21 mars, nous apprenons que la Cour d’appel de Nancy a prononcé la relaxe des deux Christian. Nous espérons que cette décision éclairera d’un jour nouveau l’acharnement pratiqué contre les opposant.es à Cigéo.


Notes

[1www.stopcigeo-bure.eu et pages 7 et 8 du n°80 de la Revue Sortir du nucléaire

Deux Christian pour un procès (inique)

Sur la Place de la Carrière qui jouxte la Cour d’appel de Nancy, deux barnums ont été installés. Des banderoles contre le nucléaire et la répression ont été tendues entre les tilleuls. Une centaine de personnes discutent autour de verres de vin chaud, de jus de fruits ou de bols de soupes. À l’appel de la Confédération Paysanne et de plusieurs associations antinucléaires, ils et elles sont venu.es massivement, ce jeudi 10 janvier, pour soutenir “Christian et Christian“, deux retraités devenus le symbole de l’acharnement judiciaire contre les opposant.es au projet de centre d’enfouissement de déchets radioactifs, à Bure (Meuse).

Deux hommes montent sur une table et haranguent la centaine de personnes à l’aide d’un mégaphone. Dans le tribunal, on fait entrer les soutiens au compte-goutte. Un impressionnant dispositif de gendarmes mobiles quadrille les couloirs de cet ancien hôtel particulier.

Dans une rumeur générale, la salle se remplit. C’est au tour des “Christian“. À l’invitation de la présidente, l’un d’eux lit une lettre qu’il a préparée tandis que le second choisit de se taire. Au fil de sa lecture, il égrène les arguments pour se défendre des faits qui lui sont reprochés. Les Christian, tout deux âgés de 70 ans, sont poursuivis par le procureur de la République pour avoir participé à la destruction d’un mur érigé illégalement par l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) autour d’une parcelle irrégulièrement acquise par l’agence publique pour son projet Cigéo. Ces faits, qui remontent à 2016, les deux hommes les nient en bloc. En revanche, ils renouvellent leur solidarité à l’action. Condamnés par le tribunal correctionnel de Bar-le-Duc à de la prison avec sursis et à une forte amende, ils ont fait appel.

Les retardataires se glissent au fond de la salle en tentant de ne pas faire craquer le parquet impeccablement ciré. Le procureur débute son réquisitoire. Cependant, le dossier est creux et les éléments manquent cruellement. Alors, le magistrat du Parquet s’évertue à convaincre les magistrat.es du siège que la série de clichés flous – pris depuis un hélicoptère le jour de la mobilisation – constituerait une preuve.

La présidente du tribunal et ses deux assesseurs se penchent sur le feuillet de photographies et plissent les yeux. Le procureur de reprendre : “voilà, c’est celle-ci, la B2. Non pardon, c’est celle-là, en bas à gauche, la C3.“ Les trois magistrats y mettent pourtant de la bonne volonté : la présidente retire ses lunettes et colle son nez à la feuille. Le procureur finit par se rapprocher de la présidente. Pendant cinq minutes, c’est la confusion. Le représentant du Ministère public se trompe plusieurs fois de cliché. Dans la salle, les murmures alternent avec les soupirs de consternation.

L’audience reprend. Le procureur regagne sa place et se lance dans une analyse fine de ladite photo : les deux appelants répètent n’avoir commis aucune dégradation et affirment ne pas être en capacité physique de tirer sur les cordes qui ont servi à faire tomber le mur ? Qu’à cela ne tienne, ils deviennent les donneurs d’ordres : le procureur mime la photo sur laquelle l’homme, qu’il considère être un des Christian, a le bras levé, ce qui serait signe, selon lui, qu’il donne des consignes. Un éclat de rire traverse la salle lorsque le procureur tend le bras et l’index pour mimer sa trouvaille.

Dans leurs plaidoiries, les avocat.es des deux Christian pointent le manque de preuve. Impossible selon eux, de reconnaître les Christian sur les photos ou vidéos versées au dossier, encore moins d’affirmer qu’ils ont participé à l’action dans le Bois Lejuc. Dans un style implacable, Maître Murielle Rueff démonte une par une les accusations du Ministère public. Puis, elle livre une anecdote surprenante : après recherche, on découvre que les gendarmes ont demandé au maire d’une commune voisine d’identifier un des deux Christian sur une photo. Problème : le cliché présenté pendant l’audition n’avait pas été pris le jour de l’action, mais était un portrait pris lors d’une première audition par les gendarmes ! Côté partie civile, l’avocate de l’Andra joue sa partition et demande la confirmation des peines prononcées en première instance. La présidente fixe le délibéré au 21 mars.

© La Feuille de Chou - Dans l’enceinte de la Cour d’appel de Nancy.

Des audiences à la pelle (à tarte)

Dans une tribune publiée par la coordination Stop Cigéo, des opposant.es au projet dénoncent une politique de criminalisation et de répression systématique : “il y a déjà eu plus d’une cinquantaine de procès. Des centaines de mois de sursis distribués. Près de 2 ans de prison ferme. 27 interdictions de territoire. Plus de 60 procès. 7 personnes interdites de se voir et d’entrer en relation, et ce pour des années, dans le cadre d’un contrôle judiciaire dans une instruction pour “association de malfaiteurs“. Des milliers d’euros d’amende. Une vingtaine de perquisitions réalisées en Meuse, à Paris, en Isère. Une trentaine de gardes à vue – dont celle, le 20 juin 2018, de l’avocat Maître Étienne Ambroselli. Un escadron de gendarmes mobiles installé sur place depuis l’été 2017. Chaque jour, depuis plus d’un an, les habitant.es de Bure et autour sont suivi.es, fiché.es, filmé.es, et contrôlé.es, et parfois à plusieurs reprises en l’espace de quelques heures.“ [1]

Le gros morceau, c’est l’instruction ouverte pour “association de malfaiteurs“, contre plusieurs militant.es, dont certain.es historiques. Le dossier, si dense (plus de 10 000 pages), mais en même temps si vide, trahit un objectif inavouable : l’enquête ne débouchera probablement pas sur des condamnations, tant celle-ci repose sur un travail qui relève souvent du fantasme. C’est que, le résultat attendu de ce coup de force judiciaire est ailleurs : il vise à paralyser très concrètement la lutte, en attaquant les personnes et les lieux qui la structurent. Les perquisitions avec saisie de matériel, les gardes à vue, les contrôles judiciaires, les interdictions de territoire, les arrêtés anti-manifestations, les peines fermes avec mandat de dépôt ou les sursis, les amendes, et maintenant la loi anti-casseurs : la lutte sur le terrain devient physiquement plus difficile. Se réunir pour préparer une action ? Impossible si untel est là en présence d’untel, contrôle judiciaire oblige. Se rendre en Meuse pour causer anti-répression ou préparer de futures actions ? Avec les interdictions de territoire prononcées pour au moins quatre personnes, on oublie.

© Nadia Boukacem

À côté de ça, on compte aussi des procès pour des faits mineurs, mais qui prennent des proportions énormes lorsqu’il s’agit de militant.es anti-Cigéo. En mars 2018, un opposant au projet est amené devant le juge pour transport d’armes dans sa voiture : deux opinels, un câble électrique, et... une pelle à tarte !

Ainsi, depuis 2018, tous les trois mois, des opposant.es sont jugé.es en paquet pour des délits mineurs au tribunal correctionnel de Bar-le-Duc. Dans le jargon, ces journées s’appellent des “fournées“ ou des “charrettes“. L’ambiance y est souvent tendue, notamment parce que les procureurs multiplient les provocations contre les personnes jugées et contre l’assistance. En plus, les peines prononcées sont souvent très lourdes. Les militant.es y voient un parfait exemple de la criminalisation de leur combat politique.

Julien Baldassarra

RELAXÉS !!!

Au moment de boucler note revue, le 21 mars, nous apprenons que la Cour d’appel de Nancy a prononcé la relaxe des deux Christian. Nous espérons que cette décision éclairera d’un jour nouveau l’acharnement pratiqué contre les opposant.es à Cigéo.



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