Faire un don

Sortir du nucléaire n°77



Printemps 2018

Alternatives

Lucisol : le soleil en partage

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°77 - Printemps 2018

 Maîtrise de l’énergie


Grand moment sous le soleil du Luberon ! Après trois ans de démarches, l’heure est venue de pousser la manette qui va mettre sous tension la première initiative de Lucisol. Nombreux sont les sociétaires présents, attendant de voir si “ça marche“. Ils en rient, applaudissent lorsqu’apparaissent au compteur les tous premiers kilowatts, quatre modestes kWh qui portent en germe les 250 000 destinés à bientôt alimenter une centaine de foyers par an.



Une pensée responsable

Au départ, rien ne distingue Robert Fougerousse de tou.tes celles et ceux à qui le devenir de notre éco-système donne à ré échir. Fondateur de LSB – La Salle Blanche, qu’il dirige depuis plus de vingt ans, il rêve de produire localement l’énergie nécessaire au fonctionnement de son affaire : “Puisque toute entreprise génère de la pollution“, raisonne-t-il, il lui semble normal de “compenser cet impact“. Le toit de La Salle Blanche offre un espace de 1400 m2. L’entrepreneur est disposé, non pas à les louer, mais à les prêter, pour transformer sa couverture en centrale photovoltaïque.

Robert Fougerousse ne se contente pas de rêver. Il frappe aux portes et trouve un écho positif auprès de l’Agence locale de la transition énergétique (l’ALTE) [1] et de la Coopérative Énerg’éthique 04 [2], avec lesquelles il s’associe. Dans une optique de responsabilisation, il lui semble vite évident que “tous les toits des zones industrielles devraient être couverts de panneaux photovoltaïques.“

DR

Les fondations d’un projet de production d’énergie renouvelable en circuit court

Avec Roger Fernandez [3] et Pierre Chenet [4], ils créent une S.A.S. aux statuts coopératifs : LUCISOL. Comme Luberon, Citoyen, et Solaire. “Mais aussi comme Solidaire“, ne manque pas d’ajouter Roger Fernandez, l’accent ensoleillé. Car, afin de soustraire leur initiative à la dépendance envers les gros investisseurs, les trois fondateurs vont se tourner vers une participation locale des citoyen.nes.

Tous trois chefs d’entreprise, se sachant néophytes en matière de projet éco-citoyen, ils font appel à Énergie Partagée [5], une association d’aide à la concrétisation et au financement de telles initiatives. Elle les guide, les conseille, si nécessaire les forme pour créer la structure, en rédiger les statuts, obtenir des soutiens financiers, et – très important – mobiliser les habitant.es du territoire concerné. Pour un projet à dimension humaine, rien ne vaut la présence sur les villages associatifs, le contact direct et le dialogue avec la population.

“Tous les toits des zones industrielles devraient être couverts de panneaux photovoltaïques.“
DR

Qu’est-ce qui peut bien pousser des particuliers qui n’ont ni le profil ni le budget d’investisseurs financiers à participer à une telle aventure ? Les motivations sont diverses mais vont toutes dans le même sens : la confiance en des entrepreneurs qui ont fait leurs preuves dans la vie professionnelle, la défiance envers ceux qui ne contribue qu’à des bénéfices privés, le désir de pouvoir choisir, et une réflexion sur la dépense énergétique. Dans un second temps, les résultats obtenus.

Miser sur la force du collectif sans se limiter aux intérêts privés

Le seul intérêt des concepteurs est de faire en sorte que l’activité humaine impacte le moins possible l’environnement. Pour cela, ils choisissent de sortir d’un système où l’intérêt de quelques-un.es altère l’environnement sans compensation – ou si peu. Le principe est de mettre en partage ce qui peut l’être : les moyens matériels (un toit prêté) et financiers (une participation citoyenne). Le tarif des parts les rend accessibles (100 € l’unité, bloqués pour trois ans), et chaque sociétaire dispose d’une seule voix au chapitre, quel que soit le nombre de parts acquises.

Si certain.es participant.es au projet ne s’intéressent pas aux retombées financières, tou.tes ne sont pas complètement dénué.es du désir d’investir. Les parts sont remboursées en tenant compte de l’inflation et des dividendes décidés chaque année en Assemblée Générale des sociétaires. En mai 2016, la plateforme de financement participatif Énergie Partagée les rejoint et il devient possible de contribuer au projet en faisant un prêt avec un taux rémunérateur. Simplement, ceux et celles qui investissent ici veulent le faire d’une façon qui soit utile au bien commun et le protège des lois du marché.

En véritable pourvoyeuse d’énergie, Lucisol va plus loin. Elle a surtout été créée, annonce clairement Pierre Chenet, pour “générer l’envie de faire“, mettre en échec le discours défaitiste ambiant et transmettre la conviction que la concrétisation de projets éco-citoyens relève du possible.

La félicité de pouvoir choisir et assumer ses actes

La volonté de participer à la transition énergétique à sa façon est un autre motif à participation. En refusant la dépendance (plus exactement, ce que Bernard Stiegler redéfinit comme relevant d’une prolétarisation [6]), les sociétaires de Lucisol redeviennent acteurs de leur mode de vie.

DR

Cela suppose, si on le décide, de ne plus voir s’effondrer sa qualité de vie lorsqu’un conflit humain ou une catastrophe naturelle entravent soudain la circulation à grande échelle de l’énergie. Si tel est notre idéal, ne plus être acculé.e à la détérioration de l’environnement par notre participation à des modes de production incontrôlables. Enfin, redresser la tête et connaître à nouveau le bonheur de créer sa vie. Pour comprendre combien faire soi-même est facteur d’énergie positive, il n’est que de voir comment est accueillie l’annonce des premiers kilowatts produits, de quoi faire tourner “deux machines à laver“ !

DR

Moins de kilomètres et moins de pollution

Dans cette optique, produire où l’on consomme est le B.A.BA. Les panneaux photovoltaïques eux-mêmes sont montés par le fabricant lyonnais SILLIA, “qui a assemblé les composants en provenance d’Allemagne et de Chine (en situation de quasi-monopole dans le monde actuellement).“ [7] Cela permet de limiter la pollution générée par le transport, et offre une certaine maîtrise du recyclage. Les panneaux sont prévus pour accomplir leur mission au moins trente ans. Au bout de ces trois décennies, ils seront démontés sur place et 90 à 95 % de leurs éléments constitutifs, recyclés [8]. En corollaire, une vivification de l’économie locale.

En toute logique militante, ajoutons que, depuis le 31 décembre 2017, Lucisol a cessé de vendre son électricité à EDF [9], pour fournir le réseau de coopératives ENERCOOP [10].

Cette réflexion sur la dépense énergétique éveille elle aussi le sens des responsabilités et une vigilance dont témoigne l’un des sociétaires : “Ce n’est pas parce que je produis de l’énergie ‘propre’ que je peux consommer à outrance.“

Une production dépassant les espérances

Moyennant quoi, la centrale 104 (du nombre de sociétaires au jour de l’inauguration) fournit une fois et demie l’énergie nécessaire à l’entreprise dont elle meuble le toit, et alimente hors chauffage une centaine de foyers locaux (“les électrons vont au plus près“).

On attendait d’elle 240 940 kWh par an. Huit mois après sa mise en route, “l’écart entre le prévisionnel et le réel fait apparaître des taux entre 104 et 135 % selon les mois.“ Sur le site internet de Lucisol, les sociétaires bénéficient d’un accès privé sur lequel ils peuvent constater en temps réel les effets de leur investissement : l’évolution de la production énergétique de leur centrale photovoltaïque.

Marie Gagnard-Volta

Lucisol et la centrale 104, nombres et coordonnées SAS à capital variable créée le 16 avril 2015 SCI Chênes Verts, ALTE, Energ’Ethique 04 - Président : Roger Fernandez 06 08 61 65 96 – contact@lucisol.fr Impasse Marin la Meslée – BP 20012 – 84401 Apt Cedex Apt, chemin de Peyroulière (LSB La Salle Blanche) 250 MWh/an soit la consommation annuelle d’environ 100 foyers 1 400 m2, 769 panneaux Réseau électrique ENEDIS - Vente totale d’électricité à ENERCOOP 336 000 € investis (90 000 € citoyens, 136 000 € compte courant d’associés) Mise en service le 27 juillet 2016 pour une durée de production estimée à 30 ans

Principales sources https://lucisol.fr/ https://energie-partagee.org/projets/lucisol/


Notes

[1ALTE – Agence locale de transition énergétique (https://alte-provence.org/)

[2Coopérative Énerg’éthique 04 : https://www.ener04.com/

[3Président de Lucisol (https://lucisol.fr/)

[4Président de l’ALTE

[5Énergie Partagée : https://energie-partagee.org/

[6https://arsindustrialis.org/prolétarisation - Précisant la définition proposée par Karl Marx, qui l’applique en premier lieu à la classe ouvrière, Bernard Stiegler élargit le concept de prolétarisation à “tout ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser).“ “Le consommateur (...) prolétarisé ne produit pas ses propres modes d’existence : ceux-ci lui sont imposés par le marketing qui a transformé son mode de vie en mode d’emploi.“

[7https://lucisol.fr/lucisol-104/, “Caractéristiques des panneaux“.

[8Le silicium (composition du verre), l’aluminium et le cuivre. Seul le plastique de leur socle n’est pas recyclable.

[9Jusqu’au 31 décembre 2017, obligation d’achat par EDF. En 2014, Lucisol a fait partie des 217 lauréats (sur 932 dossiers déposés) à l’appel d’offre nationale de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), permettant de garantir un tarif d’achat de 0,15 € le kWh durant 20 ans. Une condition nécessaire au développement économique du projet, sans laquelle la centrale n’aurait vendu qu’à 0.06 € le kWh.

Une pensée responsable

Au départ, rien ne distingue Robert Fougerousse de tou.tes celles et ceux à qui le devenir de notre éco-système donne à ré échir. Fondateur de LSB – La Salle Blanche, qu’il dirige depuis plus de vingt ans, il rêve de produire localement l’énergie nécessaire au fonctionnement de son affaire : “Puisque toute entreprise génère de la pollution“, raisonne-t-il, il lui semble normal de “compenser cet impact“. Le toit de La Salle Blanche offre un espace de 1400 m2. L’entrepreneur est disposé, non pas à les louer, mais à les prêter, pour transformer sa couverture en centrale photovoltaïque.

Robert Fougerousse ne se contente pas de rêver. Il frappe aux portes et trouve un écho positif auprès de l’Agence locale de la transition énergétique (l’ALTE) [1] et de la Coopérative Énerg’éthique 04 [2], avec lesquelles il s’associe. Dans une optique de responsabilisation, il lui semble vite évident que “tous les toits des zones industrielles devraient être couverts de panneaux photovoltaïques.“

DR

Les fondations d’un projet de production d’énergie renouvelable en circuit court

Avec Roger Fernandez [3] et Pierre Chenet [4], ils créent une S.A.S. aux statuts coopératifs : LUCISOL. Comme Luberon, Citoyen, et Solaire. “Mais aussi comme Solidaire“, ne manque pas d’ajouter Roger Fernandez, l’accent ensoleillé. Car, afin de soustraire leur initiative à la dépendance envers les gros investisseurs, les trois fondateurs vont se tourner vers une participation locale des citoyen.nes.

Tous trois chefs d’entreprise, se sachant néophytes en matière de projet éco-citoyen, ils font appel à Énergie Partagée [5], une association d’aide à la concrétisation et au financement de telles initiatives. Elle les guide, les conseille, si nécessaire les forme pour créer la structure, en rédiger les statuts, obtenir des soutiens financiers, et – très important – mobiliser les habitant.es du territoire concerné. Pour un projet à dimension humaine, rien ne vaut la présence sur les villages associatifs, le contact direct et le dialogue avec la population.

“Tous les toits des zones industrielles devraient être couverts de panneaux photovoltaïques.“
DR

Qu’est-ce qui peut bien pousser des particuliers qui n’ont ni le profil ni le budget d’investisseurs financiers à participer à une telle aventure ? Les motivations sont diverses mais vont toutes dans le même sens : la confiance en des entrepreneurs qui ont fait leurs preuves dans la vie professionnelle, la défiance envers ceux qui ne contribue qu’à des bénéfices privés, le désir de pouvoir choisir, et une réflexion sur la dépense énergétique. Dans un second temps, les résultats obtenus.

Miser sur la force du collectif sans se limiter aux intérêts privés

Le seul intérêt des concepteurs est de faire en sorte que l’activité humaine impacte le moins possible l’environnement. Pour cela, ils choisissent de sortir d’un système où l’intérêt de quelques-un.es altère l’environnement sans compensation – ou si peu. Le principe est de mettre en partage ce qui peut l’être : les moyens matériels (un toit prêté) et financiers (une participation citoyenne). Le tarif des parts les rend accessibles (100 € l’unité, bloqués pour trois ans), et chaque sociétaire dispose d’une seule voix au chapitre, quel que soit le nombre de parts acquises.

Si certain.es participant.es au projet ne s’intéressent pas aux retombées financières, tou.tes ne sont pas complètement dénué.es du désir d’investir. Les parts sont remboursées en tenant compte de l’inflation et des dividendes décidés chaque année en Assemblée Générale des sociétaires. En mai 2016, la plateforme de financement participatif Énergie Partagée les rejoint et il devient possible de contribuer au projet en faisant un prêt avec un taux rémunérateur. Simplement, ceux et celles qui investissent ici veulent le faire d’une façon qui soit utile au bien commun et le protège des lois du marché.

En véritable pourvoyeuse d’énergie, Lucisol va plus loin. Elle a surtout été créée, annonce clairement Pierre Chenet, pour “générer l’envie de faire“, mettre en échec le discours défaitiste ambiant et transmettre la conviction que la concrétisation de projets éco-citoyens relève du possible.

La félicité de pouvoir choisir et assumer ses actes

La volonté de participer à la transition énergétique à sa façon est un autre motif à participation. En refusant la dépendance (plus exactement, ce que Bernard Stiegler redéfinit comme relevant d’une prolétarisation [6]), les sociétaires de Lucisol redeviennent acteurs de leur mode de vie.

DR

Cela suppose, si on le décide, de ne plus voir s’effondrer sa qualité de vie lorsqu’un conflit humain ou une catastrophe naturelle entravent soudain la circulation à grande échelle de l’énergie. Si tel est notre idéal, ne plus être acculé.e à la détérioration de l’environnement par notre participation à des modes de production incontrôlables. Enfin, redresser la tête et connaître à nouveau le bonheur de créer sa vie. Pour comprendre combien faire soi-même est facteur d’énergie positive, il n’est que de voir comment est accueillie l’annonce des premiers kilowatts produits, de quoi faire tourner “deux machines à laver“ !

DR

Moins de kilomètres et moins de pollution

Dans cette optique, produire où l’on consomme est le B.A.BA. Les panneaux photovoltaïques eux-mêmes sont montés par le fabricant lyonnais SILLIA, “qui a assemblé les composants en provenance d’Allemagne et de Chine (en situation de quasi-monopole dans le monde actuellement).“ [7] Cela permet de limiter la pollution générée par le transport, et offre une certaine maîtrise du recyclage. Les panneaux sont prévus pour accomplir leur mission au moins trente ans. Au bout de ces trois décennies, ils seront démontés sur place et 90 à 95 % de leurs éléments constitutifs, recyclés [8]. En corollaire, une vivification de l’économie locale.

En toute logique militante, ajoutons que, depuis le 31 décembre 2017, Lucisol a cessé de vendre son électricité à EDF [9], pour fournir le réseau de coopératives ENERCOOP [10].

Cette réflexion sur la dépense énergétique éveille elle aussi le sens des responsabilités et une vigilance dont témoigne l’un des sociétaires : “Ce n’est pas parce que je produis de l’énergie ‘propre’ que je peux consommer à outrance.“

Une production dépassant les espérances

Moyennant quoi, la centrale 104 (du nombre de sociétaires au jour de l’inauguration) fournit une fois et demie l’énergie nécessaire à l’entreprise dont elle meuble le toit, et alimente hors chauffage une centaine de foyers locaux (“les électrons vont au plus près“).

On attendait d’elle 240 940 kWh par an. Huit mois après sa mise en route, “l’écart entre le prévisionnel et le réel fait apparaître des taux entre 104 et 135 % selon les mois.“ Sur le site internet de Lucisol, les sociétaires bénéficient d’un accès privé sur lequel ils peuvent constater en temps réel les effets de leur investissement : l’évolution de la production énergétique de leur centrale photovoltaïque.

Marie Gagnard-Volta

Lucisol et la centrale 104, nombres et coordonnées SAS à capital variable créée le 16 avril 2015 SCI Chênes Verts, ALTE, Energ’Ethique 04 - Président : Roger Fernandez 06 08 61 65 96 – contact@lucisol.fr Impasse Marin la Meslée – BP 20012 – 84401 Apt Cedex Apt, chemin de Peyroulière (LSB La Salle Blanche) 250 MWh/an soit la consommation annuelle d’environ 100 foyers 1 400 m2, 769 panneaux Réseau électrique ENEDIS - Vente totale d’électricité à ENERCOOP 336 000 € investis (90 000 € citoyens, 136 000 € compte courant d’associés) Mise en service le 27 juillet 2016 pour une durée de production estimée à 30 ans

Principales sources https://lucisol.fr/ https://energie-partagee.org/projets/lucisol/



Soyez au coeur de l'information !

Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.

Je m'abonne à la revue du Réseau